Egretta garzetta

On comprend tout de suite son nom d’aigrette …

17/06/2022 Quand je me balade sur les plages vendéennes où je me rends chaque année, j’observe très souvent des aigrettes garzettes qui viennent pêcher/chasser dans les flaques d’eau juste découvertes par la marée. Comme elles finissent par s’habituer un peu à la présence humaine, on peut s’en approcher suffisamment pour détailler leurs techniques de pêche. Techniques au pluriel car l’aigrette garzette s’avère être une espèce qui dispose d’une large gamme de manières de pêcher dont certaines inattendues. Une recherche bibliographique m’a amené à en découvrir ainsi certaines que je ne connaissais pas d’où l’envie de faire partager ces découvertes. 

En position de chasse, prête à frapper ; noter les plumes vaporeuses sur le dos

Héron blanc 

La famille des hérons (Ardéidés) compte dans ses rangs plusieurs espèces au plumage blanc ou à dominante blanche que l’on regroupe sous l’appellation informelle de hérons blancs. En Europe, nous avons quatre hérons blancs. La grande aigrette (voir les chroniques sur cette espèce), « grande » espèce (85-100cm de long) de la taille du héron cendré, est désormais considérée comme appartenant au même genre (Ardea) que ce dernier. Deux « petites » espèces (45-50cm) ont un plumage à dominante blanche mais avec du roux au moins en période nuptiale : le crabier chevelu (Ardeola) et le héron garde-bœufs (Bubulcus). Il reste l’aigrette garzette (Egretta) de taille intermédiaire (55-65cm). 

L’aigrette garzette est le plus répandu de ces quatre hérons blancs en France. Elle diffère par l’absence de teinte ocre dans le plumage, le bec noir, et surtout les pattes noires avec des doigts jaunes contrastés, bien visibles notamment en vol vu que les pattes dépassent à l’arrière. En plumage nuptial, elle porte de longues plumes sur la tête (d’où le nom d’aigrette) , et des plumes « vaporeuses » sur le dos et la poitrine. Elle niche en France en colonies mixtes avec d’autres hérons et hiverne de plus en plus surtout sur le littoral. Son nom d’espèce garzette dérive de l’espagnol garza qui signifie héron.

La patte soulevée montre bien les doigts jaunes très contrastés avec le reste noir de la patte : un critère infaillible

A l’échelle mondiale, on connaît deux autres espèces du même format et très proches d’aspect : l’aigrette neigeuse américaine et l’aigrette de Chine du sud-est asiatique. Et puis, il y a les aigrettes des récifs (deux espèces très proches en Afrique et dans le Pacifique) ou l’aigrette roussâtre américaine qui existent sous deux formes colorées soit toutes sombres, soit toutes blanches. L’aigrette garzette quant à elle possède une très vaste répartition qui couvre l’Europe du sud (jusqu’en Angleterre), une bonne partie de l’Afrique, le Sud asiatique et l’Australie.

Aigrette neigeuse au Mexique : espèce jumelle très proche ; juste un peu plus trapue et bec plus court (photo R Guillot)

Éclectique 

Tout en étant confinée aux zones humides, l’aigrette garzette peut se nourrir dans une très large gamme de milieux avec a minima de l’eau peu profonde (10-15cm), qu’elle soit douce, saumâtre ou salée : berges de rivières et de lacs ; marais à végétation de grandes herbes (roseaux, massettes, joncs, …) ; mares temporaires ou permanentes ; plaines inondables ; rizières ; cultures irriguées ; piscicultures ; marais salants ; plages sableuses ; flaques d’eau découvertes à marée basse ; récifs et mangroves dans les régions tropicales ; … Rarement, elle chasse dans des milieux secs allant parfois jusqu’à suivre le bétail à la manière des hérons garde-bœufs ; elle peut grimper sur le dos des buffles entrés dans l’eau.

Elle se montre très opportuniste pour exploiter des ressources locales abondantes même temporairement. Elle chasse essentiellement de jour mais en bord de mer où elle doit s’adapter aux allées et venues des marées elle peut venir de nuit ou au crépuscule. Sur les lieux de chasse, les mâles se montrent assez territoriaux : plus ils sont agressifs meilleure sera leur efficacité en nombre de captures réussies.

Au vu d’une telle palette de milieux de chasse, on pressent que son régime alimentaire doit être élargi et souple en fonction des milieux. Effectivement, la liste des proies consommables est très longue : 

– insectes terrestres et aquatiques : dytiques, libellules et leurs larves, courtilières, sauterelles, grillons, …

– crustacés : écrevisses, crevettes marines ou d’eau douce, crabes, …

– petits poissons d’une taille allant en moyenne de 1 à 4cm (avec rarement des captures jusqu’à 10cm)

– amphibiens adultes et larves

– mollusques, araignées, vers, serpents, petits rongeurs, petits oiseaux, …

Ce double éclectisme (milieux de chasse et proies capturées) suppose une certaine diversité de techniques de chasse/pêche adaptées aux multiples situations rencontrées. 

Bord de mer à marée descendante

Une étude conduite en Italie dans quatre milieux différents montre bien que les proportions des proies capturées dans chacun d’eux peuvent être très différentes. 

Marcheuse, coureuse, …

Le pas gracieux de la garzette

La méthode classique de chasse de l’aigrette garzette consiste à marcher en eau peu profonde, marche ponctuée de nombreux arrêts brefs à la recherche d’une proie qui se découvre. Elle peut aussi rester immobile à l’affût, figée, dans l’attente du mouvement d’une proie. Selon les milieux et l’abondance des proies, elle adopte une marche lente (5 pas/min) ou au contraire très rapide (60 pas/min) avec par moments des accélérations brutales en s’aidant des ailes relevées ; elle le fait souvent en bord de mer quand elle prospecte juste devant les rouleaux qui déferlent sur la plage ou les rochers en train de se découvrir. Il semble que les mouvements des ailes concourent à effrayer des proies cachées pour les faire sortir.

En eau plus profonde, il lui arrive même de voler sur place lourdement pour picorer en surface. Globalement, elle donne l’image d’un héron très actif et vif, sans cesse prêt à décocher en avant son bec noir pour frapper et saisir la proie.

Au pas de course

Si on observe longuement les aigrettes dans de bonnes conditions, on est vite intrigué par un comportement surprenant : elles agitent leurs pieds sous l’eau en restant sur place ou tout en avançant ; soit elles le font sur la vase du fond ou soit dans des touffes d’algues ou d’herbes submergées. Cette technique qui vise à effrayer des petites proies cachées est bien connue de divers hérons de taille moyenne dont l’aigrette neigeuse d’Amérique, très proche de la garzette. Celle-ci étire la patte et fait vibrer ses doigts, jaunes comme ceux de la garzette. Certains ornithologues se demandent si elles n’utilisent pas alors leurs doigts comme des leurres colorés pour attirer des poissons. Souvent, elle opte pour une variante consistant à ratisser la vase du fond par de courts mouvements des doigts ; d’autres fois, elle piétine sur place et ceci a pu aussi être observé sur une garzette en captivité au zoo d’Amsterdam. 

Chez l’aigrette garzette, l’usage de ces trois techniques dominantes varie selon les milieux de chasse. Ainsi, dans les rizières, elle passe 62% de son temps en marche active, 32% en marche combinée avec des mouvements des pieds et seulement 6% en position d’affût immobile, attitude souvent associée aux hérons. Par contre, en rivière, elle marche 82% du temps et n’utilise les mouvements de pieds que 18% du temps restant. De même pour des proies plus grosses et très mobiles, (poissons), elle a recours à l’affût alors qu’elle pourchasse en courant les proies moyennes peu mobiles comme les alevins. On a comparé la vitesse moyenne de marche dans trois milieux : dans les marais salés ou d’eau douce, elle marche à 20 pas/min alors que dans les rizières elle se déplace plus vite à 30 pas/min ; ces cadences différentes doivent être adaptées aux types de proies dominantes dans ces milieux.

Maline 

On sait que plusieurs espèces de hérons sont capables d’avoir recours à une pratique inattendue : le leurre actif, i.e. que soit ils introduisent dans l’eau un élément susceptible d’attirer des poissons ou bien effectuent des mouvements dans l’eau avec le même effet. Ceci est par exemple très bien documenté au Japon chez le petit héron strié récolte activement soit des appâts vivants (vers, larves, …), soit des « objets » (brindilles, feuilles, morceaux de polystyrène, écorce, champignons, noix, …) utilisés comme leurres et les dépose sur l’eau près du bord ; il attend que des poissons s’approchent et soient ainsi à sa portée, vu qu’il ne peut pêcher que depuis le bord vu sa petite taille.

Plusieurs observations confirment que l’aigrette garzette en est parfaitement capable même si elle ne le fait pas forcément souvent et que cela ne concerne souvent que des individus isolés. Ainsi au Kenya, on a observé une aigrette garzette sauvage en train de ramasser un morceau de pain, de le jeter dans la mare où elle pêchait, d’attendre que des poissons soient attirés avant de frapper et d’en capturer un ; sur le même site, un héron cendré profitait des morceaux de pain jetés par des gens pour capturer des poissons attirés. L’aigrette utilise donc un appât sur le mode actif alors que le héron cendré le fait sur le mode passif. 

Des expériences en captivité confirment cette capacité inventive avec une autre technique. On place des aigrettes dans un enclos fermé avec un grand bassin où évoluent des poissons nourris à partir d’un distributeur automatique de granulés. Les aigrettes pêchent en se tenant au bord du bassin. Mais sur les seize aigrettes testées, l’une d’elles se plaçait en arrière du distributeur et donnait des petits coups de bec rapides juste en surface : ceci attirait les poissons qu’elle pouvait alors capturer facilement car elle n’était que peu visible. En six heures d’observation, elle a ainsi effectué ce comportement 26 fois et elle a réussi à capturer 12 fois un poisson. 

Les aigrettes savent aussi exploiter indirectement la présence de groupes d’autres grands oiseaux aquatiques comme des spatules, des ibis ou des cormorans qui se nourrissent en groupes : leur activité dérange des petites proies dont profitent les aigrettes. Ainsi, on a pu observer ce comportement avec des spatules blanches qui se nourrissent en groupes, en trempant leur bec aplati semi-ouvert dans l’eau (voir la chronique). Les aigrettes se mêlent à ces groupes en se mêlant aux spatules à l’affût d’une proie qui s’enfuit. En comparant des aigrettes près de spatules à d’autres isolées sur un même site, on constate que les premières font plus de tentatives de capture (frappes du bec) et avec plus de succès ; les aigrettes solitaires ne se comportent pas de la même manière non plus : elles marchent rapidement en eau peu profonde au lieu de lentement pour celles avec les spatules. On a aussi observé ce même comportement de manière plus exceptionnelle avec de grands mammifères herbivores à l’instar des hérons garde-bœufs. 

Tout ceci montre la capacité d’adaptation des aigrettes à des situations nouvelles : même si ces comportements relèvent souvent d’individus isolés, ils peuvent néanmoins se transmettre socialement vu que l’espèce tend régulièrement, hors période de reproduction, à se nourrir en petits groupes. 

Coup d’œil 

Les garzettes ne vont que très rarement au delà d’une dizaine de cm de profondeur

Les aigrettes chassent à vue, au bord ou dans l’eau : elles doivent y détecter les proies et estimer correctement leur position ; or, la lumière venue du ciel subit, au contact de la surface de l’eau, un processus dit de réfraction qui la dévie et induit pour l’observateur un décalage entre les positions apparente et réelle de l’objet convoité. L’étendue de ce décalage, susceptible d’induire en erreur au moment de la frappe, dépend de la position de l’œil par rapport à la surface de l’eau au moment de frapper.

Sachant que les aigrettes des récifs (voir ci-dessus), face à une proie immobile dans l’eau, sont capables de corriger cet effet dû à la réfraction, des chercheurs israéliens ont cherché à savoir si la garzette, en milieu naturel, avait aussi cette compétence. Sur 131 aigrettes observées pendant 9 heures, ils ont noté 43% de réussites dans les frappes sur des mares avec une profondeur de visibilité entre 16 et 20cm ; en pratique, les aigrettes ne frappent que très rarement en plongeant entièrement la tête dans l’eau et 83% des frappes se font à une profondeur équivalente à moins de la moitié de la longueur du bec (environ 8cm en moyenne). Ils ont aussi noté l’angle selon lequel avait lieu la frappe (angle entre la surface de l’eau et l’axe œil/bec), lequel conditionne justement l’ampleur de l’effet dû à la réfraction : 25% des frappes se font presque à la verticale (angle de 70 à 90°), 11% selon un angle aigu (moins de 45°) et 64% intermédiaires. 

Extrait de 2) Biblio

Ensuite, ils ont étudié la corrélation entre les taux de réussite et l’angle ou la profondeur de frappe. Les oiseaux nicheurs (reconnaissables à une teinte particulière à la base du bec) ont un taux de succès identique aux non nicheurs (dont des jeunes) mais ils frappent plus souvent et plus en profondeur : or, les frappes plus profondes concernent plutôt des proies plus grosses (poissons de 1 à 4cm). Ainsi les adultes nicheurs réussissent mieux et avec une meilleure efficacité en rendement. 

Ils constatent que la réussite est meilleure lors de frappes à angle très aigu alors qu’elles sont a priori synonymes d’une forte réfraction : ceci implique donc que les garzettes sont elles aussi capables de corriger la réfraction. Une autre raison du succès des frappes à angle aigu tient sans doute au fait que dans cette position, les poissons ont moins de chance de distinguer le prédateur que s’il se positionne au-dessus de l’eau ; on sait que les poissons savent très bien détecter ces oiseaux en dépit pour eux aussi de l’interface eau/air qui induit des distorsions. 

Au-delà d’être « belle » et élégante, l’aigrette garzette nous offre ainsi à voir son « intelligence » active et la grâce de ses mouvements.

Bibliographie 

Article sur la garzette sur le site Birds of the world 

Co-occurrence and commensal feeding between Little Egrets Egretta garzetta and Eurasian Spoonbills Platalea leucorodia, Foued Hamza & Slaheddine Selmi (2016) Bird Study, 63:4, 509-515, 

Capture of submerged prey by little egrets,Egretta garzetta garzetta : strike depth, strike angle and the problem of light refraction. ARNON LOTEM, EDNA SCHECHTMANt  GADI KATZIR Behav.,1991,42, 341-346


The diets of squacco herons, little egrets, night, purple and grey herons in their italian breeding ranges. Mauro Fasola, Paola Rosa, Luca Canova. Revue d’Ecologie, Terre et Vie, 1993, 48 (1), pp.35-45.