Aucuba japonica

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L’aucuba fait partie de ces arbustes que l’on voit partout dans les parcs, les villes et les jardins ; outre son feuillage persistant, il séduit par sa résistance au froid, à la sécheresse et au vent et sa grande tolérance vis-à-vis de la pollution atmosphérique. Dès la fin du 19ème siècle, l’aucuba était déjà tellement en vogue que le secrétaire de la célébrissime Royal Horticultural Society disait de lui « vous pouvez presque en avoir marre ! ». Mais au delà de son omniprésence dans l’univers urbain, qui connaît vraiment cet arbuste, ses multiples originalités et son histoire en Occident ?

Doublement japonais

L’aucuba a reçu son épithète de japonica car il fut découvert au Japon et rapporté en Angleterre en 1783 par J. Graeffer (1746-1802, botaniste pépiniériste allemand). Il est effectivement répandu dans l’archipel nippon (Hokkaido, Honshu, Kyushu, Shikoku et les îles Ryukyu). Il habite les forêts denses et humides assez anciennes dans les vallées le long des cours d’eau, sur des sols riches et près de rochers ombragés : ambiance bien japonaise ! Il colonise aussi les plantations de cryptomerias.

C’est la forme panachée, tachetée de jaune (d’où les surnoms anglais de laurier tacheté ou de « plante à la poussière d’or ») qui a été introduite initialement (var. variegata) ; contrairement à la forme « sauvage » au feuillage entièrement vert (var. japonica) ; cette forme panachée, plus basse en stature moyenne (1-1,5m contre 2-3m pour l’autre), correspond à la forme domestiquée depuis longtemps au Japon et propagée en Chine et en Corée pour l’ornement. Il a donc probablement été découvert dans un jardin ou un parc au Japon où il est connu sous le nom d’aokiba, latinisé en Aucuba par K. P. Thunberg et qui renforce donc l’idée d’une origine japonaise. Mais, on le trouve aussi à Taïwan et en Chine sur la côte dans la province de Zhejiang. La forme verte n’est arrivée en Europe que bien plus tard en 1861.

Son habitat d’origine étant donc ignoré, on le cultiva d’abord sous serre en pensant qu’il était très frileux à cause de l’étiquette « exotique » ! Or, son milieu plus ou moins montagnard et le climat presque tempéré du Japon en font une espèce rustique même s’il craint quand même les froids extrêmes (en-dessous de – 15°C). De son habitat originel, il a conservé un goût certain pour les ambiances ombragées ce qui en fait un arbuste d’ornement idéal pour les cours intérieures fermées ou les sous-bois des parcs.

Une architecture particulière

Du fait, entre autres, de son mode de vie en sous-bois ombragé, l’aucuba a développé des formes de croissance un peu particulières avec des ramifications en fourches successives (rameaux dichotomiques) qui donnent la silhouette en boule arrondie. Le feuillage persistant et coriace se démarque d’une part par le caractère opposé des feuilles mais surtout par une originalité des rameaux reproductifs (porteurs de fleurs et/ou de fruits) : l’anisophyllie, i.e. la tendance à avoir des paires de feuilles très dissymétriques avec une grand et une petite. Cette dissymétrie se met en place au niveau des bourgeons axillaires sous le bourgeon apical qui élabore la tige : les deux bourgeons d’une future paire de feuilles sont d’emblée dissymétriques mais, curieusement, c’est le plus petit des deux qui donnera la plus grande feuille dont la taille finale dépendra de l’environnement. Selon l’orientation de la paire de feuilles à venir par rapport à l’inflorescence, la dissymétrie (l’anisophyllie) sera plus ou moins marquée : si la paire est parallèle à l’inflorescence, elle sera fortement dissymétrique. Il s’agit en fait d’un dispositif très subtil qui permet à l’arbuste de maximaliser la surface de feuilles potentiellement éclairée et minimaliser l’auto-ombrage généré par les inflorescences au-dessus ! L’aucuba « remplit » ainsi l’espace disponible dans sa cime de manière optimale en réservant les « petites » feuilles aux parties auto-ombragées.

Mâle ou femelle

Parmi les conseils de culture prodigués par nombre de sites horticoles, il est souligné l’importance de veiller à planter un pied mâle pour cinq pieds femelles si l’on veut obtenir une bonne production de fruits, hautement décoratifs chez cet arbuste par la note rouge vif qu’ils apportent sur le fond sombre et lisse et feuillage. Effectivement, l’aucuba est un arbuste dioïque, à sexes séparés sur des pieds différents. La floraison se fait sur les rameaux terminaux et donne des fleurs petites étoilées de 8 à 10mm de diamètre d’un rouge pourpre foncé. Les pieds mâles fleurissent avec des panicules ramifiées de 7 à 15cm de haut portant de 10 à 300 fleurs avec 4 étamines jaunes. Les pieds femelles ont des inflorescences nettement plus courtes (2-5cm) avec au plus une trentaine de fleurs rouge pourpre dotées d’un ovaire finement velu avec un style trapu mais dépourvues d’étamines. Eux seuls porteront des fruits si la fécondation des fleurs femelles a bien lieu à partir du pollen d’un pied mâle.

Historiquement, les premiers pieds cultivés étaient des femelles mais en l’absence de pieds mâles ils ne produisaient pas de fruits, ce qui en limitait sérieusement l’aspect décoratif même si le feuillage panaché « d’or » plaisait déjà beaucoup. Le célèbre botaniste voyageur, collecteur de plantes exotiques, R. Fortune (1812-1880) planifia en 1861 un voyage au Japon qui s’ouvrait enfin à l’Occident pour ramener un pied mâle qu’il découvrit dans un parc de Yokohama. Envoyé en Angleterre, celui-ci dès 1864 produisit l’effet attendu avec le premier pied femelle fécondé couvert de fruits obtenu ; la vision de cet arbuste couvert de fruits rouge vif luisant fit aussitôt sensation et relança de plus belle la diffusion de l’aucuba. Désormais, le charme est rompu puisqu’on propose en culture au moins une variété nouvelle naine (Rozannie) qui porte à la fois des fleurs mâles et femelles et qui peut polliniser des pieds femelles des autres variété unisexuées !

Les contraintes des sexes séparés

Des études (3) dans son milieu naturel au Japon montrent que l’aucuba est pollinisé par une diversité d’insectes dont des petites espèces d’abeilles, de mouches ou de scarabées. Son caractère dioïque impose évidemment des contraintes fortes par rapport au calendrier de floraison des deux sexes. La production de fruits est maximale si les pieds femelles fleurissent en même temps que le pic de floraison des pieds mâles alors que chez la plupart des espèces dioïques, les pieds mâles fleurissent en général plus tôt. Ce cas particulier de l’aucuba semble lié au petit nombre de fleurs femelles par inflorescence. De plus, la durée de floraison des pieds mâles est plus longue que celle des femelles.

Des expériences de pollinisation assistée par l’homme in situ montrent que malgré tout la quantité limitée de pollen n’est pas un frein en dépit de la contrainte imposée par le caractère dioïque. La réceptivité continue des fleurs femelles semble être un mécanisme compensateur.

Les inflorescences femelles présentent un fort taux d’avortement des boutons floraux (de 31 à 42% selon les années) alors que ce processus est peu présent dans les fleurs mâles pourtant bien plus nombreuses (4). Or, autre caractère inhabituel propre à l’aucuba, quand une pousse fleurit à son extrémité, elle se ramifie en-dessous en au moins deux pousses latérales ; si le rameau ne fleurit pas, il ne produira qu’une seule pousse. Donc, la floraison agit indirectement sur la ramification qui consomme de l’énergie et les pieds femelles « économiseraient » en fleurissant moins pour consacrer plus de ressources à la production des fruits assez gros. Par contre, elles compenseraient en recourant plus à la multiplication végétative par rejets, lesquels donneront plus tard d’autres tiges du même sexe.

Des fruits délaissés

Les fruits de l’aucuba sont des fruits charnus rouge vif luisants, ovales, avec un seul noyau (des drupes) atteignant 2cm de long. Une fine peau enveloppe la chair jaunâtre farineuse et le gros noyau central. En culture, les fruits mûrissent entre août et octobre mais ensuite, ils persistent sur l’arbuste jusqu’au printemps. Même au cœur de l’hiver, les oiseaux frugivores les délaissent alors que dans le même temps d’autres fruits charnus rouges sont pillés comme ceux des cotonéasters ou des buissons ardents. Les deux autres exemples cités montrent que même des arbustes exotiques acclimatés sous nos climats peuvent servir de nourriture aux oiseaux. Alors, pourquoi les fruits de l’aucuba sont-ils délaissés alors qu’au moins en apparence ils ont tout pour « plaire » ? Faute d’avoir trouvé la moindre piste bibliographique sur le sujet, nous proposons quelques pistes de réflexion et des hypothèses toutes personnelles.

La taille assez conséquente de ces fruits limite d’emblée les potentiels consommateurs qui doivent posséder un gosier suffisamment large pour engloutir ce fruit ; a priori, parmi les frugivores présents en hiver, seuls merles et grives pourraient y accéder. D’autre part, il y a évidemment le problème de la toxicité relative (voir l’autre chronique sur l’aucuba) et aussi la valeur nutritive de la pulpe de ce fruit. Au Japon, ce sont apparemment des oiseaux qui participent à la dispersion des noyaux mais nous n’avons pas réussi à trouver d’indications sur la nature des espèces impliquées. Il faut sans doute aussi prendre en compte l’introduction relativement récente de cette espèce dans le paysage occidental. Reste une autre hypothèse : ce pourrait être un fruit dispersé par des mammifères frugivores ; nous avions pensé aux macaques japonais mais dans la bibliographie, nous n’avons trouvé que la mention de la consommation des feuilles de l’aucuba par ces animaux au Japon.

A suivre donc et les témoignages ou les informations de lecteurs seraient les bienvenus aussi bien pour ce qui se passe en Europe qu’au Japon ! Dans une autre chronique, nous reviendrons sur ces fruits et de leur contenu chimique et  toxicité.

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Anisophylly in Aucuba japonica (Cornaceae): An outcome of spatial crowding in the bud.Md. Sohrab Ali, Kihachiro Kikuzawa Canadian Journal of Botany, 2005, Vol. 83, N° 2 : pages 143-154
  2. Shoot morphology of Aucuba japonica incurred by anisophylly: ecological implications. Md. Sohrab Ali ; Kihachiro Kikuzawa. Journal of Plant Research ; 2005, pp 329–338.
  3. FLOWERING PHENOLOGY, DISPLAY SIZE, AND FRUIT SET IN AN UNDERSTORY DIOECIOUS SHRUB, AUCUBA JAPONICA (CORNACEAE). TETSUTO ABE. American Journal of Botany 88(3): 455–461. 2001.
  4. Flower Bud Abortion Influences Clonal Growth and Sexual Dimorphism in the Understorey Dioecious Shrub Aucuba japonica (Cornaceae). T. Abe. Annals of Botany 89 : 675-681 ; 2002

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'aucuba du Japon
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