Cette chronique s’inscrit dans le cadre très particulier du confinement général lié à l’épidémie de Covid 19. Sous la rubrique générale « Jardin de déconfinement », je propose des « idées » d’activités pour « s’aérer les neurones sur-sollicités par le virus » dans votre jardin, si vous avez l’immense privilège d’en avoir un, même hyper modeste, où vous pouvez vous échapper un peu. J’ai à ce propos une pensée très forte pour tous ceux, nombreux, qui ne disposent que d’un espace bâti restreint en surface : dur, dur ! Au delà, il s’agit de « profiter » de cette occasion pour (re)découvrir son environnement immédiat et mieux appréhender la biodiversité ordinaire (condamnée à l’être de moins en moins), y compris éventuellement avec vos enfants. 

En principe, dans l’écrasante majorité des jardins, vous disposez a minima de quelques mètres carrés de pelouse. A part la tondre consciencieusement ou pire la désherber frénétiquement pour maintenir une pelouse « manucurée », peu de gens s’intéressent à cet élément environnemental qui représente pourtant à l’échelle nationale des dizaines de milliers d’hectares si on les additionne ! Alors, je vous propose d’entrer profondément en communication avec votre pelouse et sa biodiversité avec une première activité simple et accessible à tous : réaliser un bioblitz végétal en parallèle de celui que je viens de lancer dans mon propre jardin où, moi aussi, je me retrouve confiné ! 

Très ordinaire

D’aucuns vont dire tout de suite : « il va nous sortir son super jardin comme exemple ». Euh, non : mon jardin et tout particulièrement ma pelouse, sont tout ce qu’il y a de plus ordinaire à un détail près, très banal lui aussi : je n’utilise aucun produit de traitement ni additif (zéro engrais artificiel) et j’applique des pratiques les plus respectueuses possibles de la biodiversité : tontes très espacées ; désherbage limité aux abords des plantes fragiles, paillage généralisé, ménager le plus possible d’abris et gîtes en diversifiant les milieux, … 

J’ai donc délimité le premier jour du confinement dans la pelouse devant ma maison un carré de 1,50m de côté (soit un peu plus de 2 mètres carrés) avec quatre piquets et des baguettes de bambou pour le matérialiser au sol. Ce carré va devenir mon centre d’intérêt au cours des semaines à venir (en plus d’autres sites ou aspects de mon jardin : voir les autres chroniques à venir !) et je vous propose de le suivre semaine après semaine et ce, même au delà du confinement : en effet, le but ultime de ma démarche reste bien d’inciter le plus de gens à reprendre contact (un terme tabou en ce moment !) et à nouer le maximum de liens avec l’ensemble du vivant, les non-humains, plantes, champignons et animaux. Vous êtes donc invités à emboîter mes pas et de devenir vous aussi « un pelouse vigilant » ! 

Cette démarche, nouvelle pour moi aussi, m’a été inspirée par la lecture d’un livre « The forest unseen. A year’s watch in Nature » (2012 ; Penguin books) de D. G. Haskell, un biologiste américain : il a suivi, jour après jour, pendant un an, un carré de … 1m sur 1m dans une vieille forêt du Tenessee et a relaté ses observations et réflexions dans cet ouvrage, finaliste du prix Pulitzer. J’ai choisi un carré un peu plus grand car la biodiversité d’une pelouse « urbaine » reste quand même inférieure à celle d’une forêt ancienne !

Bioblitz ! 

Première étape en ce jour 2 du confinement : réaliser un « bioblitz végétal » du carré de pelouse que vous aurez délimité vous aussi ! Un nom qui fait un peu peur a priori : rassurez-vous, c’est très pacifique ! Originaire des USA, ce terme désigne une activité ludique et pédagogique consistant à identifier, avec du public, sur une très courte période (12 ou 24H normalement) et sur un terrain défini, un maximum d’espèces vivantes afin d’éveiller l’attention du public envers la biodiversité de l’environnement proche. Ce terme a été inventé sur la base de deux racines : bio pour vivant et blitz, terme allemand de sinistre mémoire pour une intervention éclair. Ici, nous allons quelque peu l’adapter : d’abord, vous serez seul ou avec vos seuls très proches, camarades de confinement ; ensuite, nous n’allons dans un premier temps que recenser les plantes (et encore en laissant les herbes ou graminées de côté) sans forcément les identifier et l’opération ne demandera qu’au plus une heure, le temps de prendre en photo chacune des espèces de plantes présente dans votre carré. L’étape d’identification risque d’être difficile si vous êtes néophyte en botanique car à cette saison, la majorité des plantes sont au stade de rosettes pour les vivaces ou de plantules pour les annuelles ! Pour identifier assez facilement, il va donc falloir attendre que chaque plante recensée ne grandisse et finisse par fleurir. Là, ça deviendra nettement plus abordable. Belle occasion ainsi de suivre pas à pas le développement de chacune de vos « captives » du carré. Ceci signifie que l’on ne tondra pas ce carré bien entendu : autre belle occasion de voir ce que c’est qu’une pelouse libérée de la terrible contrainte de la tonte répétée ! 

De plus, ce même carré va devenir aussi un centre d’observation de la petite faune, soit en les observant directement, soit indirectement via les traces d’activités laissées : butineurs, herbivores, visiteurs de passage, prédateurs, … Essayez de photographier chacun d’eux et de tenir un mini-carnet naturaliste de vos observations : nous y consacrerons d’autres chroniques. 

Mon blitz

Je vais donc vous faire partager mon blitz sur mon carré vu que j’ai identifié chacune de ces plantes. Vous allez ainsi pouvoir vous rendre compte de ce qu’est la biodiversité végétale de deux mètres carrés de pelouse. Alors, avant de lire la suite, que diriez-vous à propos du nombre d’espèces de plantes (sans les graminées, ni les mousses) que j’ai recensées : entre 5 et 10, entre 10 et 20 ou entre 20 et 30 espèces différentes ? Voici sous forme de galeries successives l’ensemble des espèces recensées sur mon carré de pelouse avec quelques commentaires sur certaines espèces. 

Les rosettes de la porcelle enracinée (voir la chronique sur cette espèce) se repèrent à leur aspect hérissé (rugueuse au toucher : on la surnomme la « bourrue ») et très plaquées au sol au point d’étouffer l’herbe sous elles. J’ai bloqué un court instant sur une autre rosette distincte mais en y regardant de plus près, j’ai repéré des taches claires : la signature de la crépide de Nîmes, une espèce qui ne va pas tarder à fleurir. Une rosette de séneçon jacobée présente des traces de consommation (des trous) bien qu’il s’agisse d’une espèce très toxique.

Les pâquerettes font un peu comme les porcelles en appuyant leurs feuilles au sol ; l’une d’elles a commencé à fabriquer sa hampe florale. Les hautes rosettes du plantain lancéolé se reconnaissent de loin : longues feuilles à nervures saillantes (herbe aux 5 côtes) ;  une touffe a été épointée par la tondeuse mais elle repartira vite ! 

En bordure sud du carré, un tapis dense de petites feuilles composées plaquées : la potentille printanière : ce n’est pas une habituée des pelouses de jardins mais elle est venue depuis ma rocaille proche qui est plus son milieu. Sur la photo, à gauche, on distingue des feuilles composées mais bleutées : la pimprenelle. A côté, des tiges d’une plante « grasse » bleutée, autre échappée de la rocaille : l’orpin réfléchi. 

De fines feuilles cylindriques bleutées signent un ail sauvage, l’ail des vignes ; au milieu du carré, 3 feuilles très étroites dressées avec une bande claire centrale : une échappée de la plate bande proche : un crocus jaune ! 

Les rosettes vert pomme sont celles d’une mâche sauvage : il faudra attendre sa floraison pour identifier l’espèce car au moins trois espèces communes se rencontrent ici ! Les tiges semi-couchées avec de minuscules feuilles bleutées sont les rosettes basales du millepertuis perforé qui tend à s’étaler via ses rhizomes. Quelques feuilles typiques de trèfle avec des marques claires en croissant : le trèfle blanc rampant, « la » plante des pelouses !  

Les feuilles rondes et découpées portées sur un long pétiole sont celles d’un géranium : sans doute le géranium disséqué mais là encore il en existe 5 espèces communes assez proches ! Les feuilles de la carotte sauvage font penser à celles du persil de la même famille (ombellifères).  

Une tige ailée avec des feuilles composées de folioles à vrilles dirige tout de suite vers une gesse : en l’occurrence il s’agit d’une jeune gesse à larges feuilles ou pois vivace que je cultive dans la plante bande adjacente : une graine a du germer après avoir été projetée lors de l’explosion des longues gousses ! Enfin, la petite véronique des champs commence juste à pointer ses boutons floraux bleu foncé. 

Enigmes

Pour vous, j’ai gardé de côté quatre plantes à identifier histoire de s’entraîner : trois sont fleuries et une non fleurie . quelques indices pour vous aider : la 1) a fait l’objet récemment d’une chronique entière pour elle ; la tige de la 2) répand du lait blanc toxique quand on la coupe ; la 3) est une composée à fleurs en tube jaunes ; la 4) non fleurie forme des tapis denses et son feuillage finement découpé lui a valu une partie de son nom populaire. Vous trouverez la réponse à ces quatre énigmes dans la prochaine chronique sur le carré.

Désormais, je vais le suivre jour après jour et faire de temps en temps un point des nouvelles observations : des visiteurs, des floraisons, de nouvelles plantes que je n’avais pas vues ; peut-être même que l’on ira jusqu’aux graminées laissées de côté si elles fleurissent.  A bientôt donc au coeur du carré !