08/11/2022 La commune de Chapdes-Beaufort (63), dans les Combrailles (voir la chronique), héberge le chemin Fais’Art, un site à nul autre pareil : en pleine nature, à 800-900m d’altitude, on peut découvrir (gratuitement et toute l’année) une vingtaine de sculptures géantes en pierre de Volvic, dispersées sur plusieurs hectares au long d’un réseau tortueux de chemins autour de la butte volcanique du puy de Beaufort qui culmine à 887m d’altitude et offre un panorama sur une partie des Combrailles. 

Progressivement enrichies année après année de 1992 à 2010, ces sculptures monumentales sont l’œuvre collective de Gilles Pérez, sculpteur installé tout près de là au hameau de Chateix et d’équipes de huit personnes engagées chaque année dans le cadre de chantiers d’insertion sous l’égide de l’association « les pierres qui marchent »… d’où le titre. 

Restées un temps presque confidentielles, ces œuvres sont désormais devenues très connues et visitées à la belle saison et les week-ends ; vous pourrez trouver une foule de sites qui en parlent. On peut les visiter soit à partir d’un sentier balisé de 7km (voir la fiche du site Balirando), soit à partir d’un parking aménagé au pied du puy de Beaufort (fléché à gauche à partir de la D575 qui relie Chapes-Beaufort à Pulvérières) : là, un un panneau général vous donne le plan global du site et un fléchage numéroté permet de partir à la rencontre des œuvres.

Je connais ce site depuis son origine et je le visite au moins deux fois par an ; la meilleure période pour en apprécier toute sa magie reste l’automne et l’hiver, loin de la cohue estivale et avec des lumières plus douces. Je vous propose ici une visite de ces œuvres avec mon regard de naturaliste subjugué par l’exceptionnelle intégration de ces sculptures dans un décor naturel non moins remarquable ; je consacrerai une seconde chronique à la flore et la faune du site avec un petit circuit de découverte ad hoc. 

Attention : la présentation ne suit pas du tout un « ordre géographique » selon un cheminement ; les œuvres sont ici regroupées par thèmes informels. 

Créatures improbables

 Aucune des œuvres ne porte de nom et c’est tant mieux : ainsi, chacun peut laisser aller son imagination avec autant de personnes que de délires et interprétations possibles. Le sculpteur G. Perez a déclaré dans une interview : « À chaque fois, c’est le lieu qui m’a inspiré pour sculpter » ; ceci explique en grande partie la remarquable osmose entre chacune de ces sculptures et le cadre dans lequel elle se trouve. Ainsi, plusieurs d’entre elles qui « représentent » (interprétation strictement personnelle et subjective) des créatures inquiétantes dressées se trouvent plus ou moins cachées sous des frondaisons ou dans des clairières étroites : elles surgissent au dernier moment.

La « grande oreille » se tient au cœur d’une belle zone de hêtres au feuillage cuivré en automne : elle semble capter tous les sons de la forêt et on se dit que la nuit venue, elle doit en entendre des cris d’appel de renards, de blaireaux, de chevreuils, …, des bruissements, des pas sur le tapis de feuilles mortes sans oublier les cliquetis inaudibles pour nous lancés par les chauves-souris en vol.

Dans l’enceinte moussue et très ombragée de l’ancien château féodal (voir ci-dessous) surgit ce monstre très inquiétant, un roi sombre tel Sauron dans le Seigneur des Anneaux ; la créature veille sur sa « ponte » à ses pieds : des bébés Aliens à venir.

Tout près de là, dans la clairière au-dessus, se tient un bon géant à trois pieds à l’allure bonhomme et qui offre même un siège pour se poser à mi-hauteur. Devant lui se déploie un grand autel de dalles imposantes : table de sacrifices ? brrr …

Juste en arrière de la clairière avec le cercle des sièges, adossé à la forêt qui couvre la pente chaotique de blocs volcaniques, un Cerbère veille, le ventre repu qui pend au sol.

Tout en bas du site à l’ouest, au milieu d’une forêt de chênes, de hêtres et de sapins, au détour d’un sentier, surgit cet énorme serpent qui semble émerger de terre et vient boire dans ce bassin taillé à sa démesure. 

Cercles et murailles 

Juste derrière le grand parking, au milieu d’une opulente prairie, se déploie en arc de cercle celle qui est sans doute la plus grande des œuvres : une imposante muraille de quatre étages toute en pierre de Volvic. Elle est si grande qu’on la voit très bien sur les photos aériennes de Géoportail … comme la muraille de Chine sur les clichés des satellites. 

Belle occasion ici pour observer de près cette étonnante roche volcanique, de la trachyandésite comme disent les géologues, née d’un volcanisme mi explosif mi effusif : les innombrables fines perforations qui parsèment le fond gris clair témoignent des bulles d’air emprisonnées dans la pâte semi-visqueuse à l’origine de cette roche ; sur une colonne, on trouve même ce qui doit être une inclusion arrachée au socle granitique lors de la montée du magma et recuite à cette occasion. Les cannelures profondes et parallèles quant à elles ne sont que les traces du travail des carriers pour extraire cette roche. En dépit de son extrême « jeunesse » (elle a été une des dernières réalisations je crois), la muraille voit déjà s’installer quelques pionniers végétaux comme cette jeune fougère mâle ; pour la petite faune, une telle structure reste une aubaine pour s’installer comme cette toile d’araignée « au coin d’une fenêtre ». 

Une autre muraille bien différente se trouve dans une large clairière herbeuse (au sud-est vers les Millets) : toute basse, elle fait penser à une colonne vertébrale de quelque dinosaure géant avec les énormes apophyses vertébrales. Bien plus ancienne (parmi les premières construites), elle se pare de nombreux lichens (voir la seconde chronique), une belle patine naturelle de taches colorées, tandis que la mousse la colonise depuis la base. 

Le chemin au sud-ouest qui rejoint Chapdes-Beaufort, en longeant un vieux mur de pierres volcaniques locales (voir la chronique n° 2), un héritage du passé agricole celui-ci, débouche sur une vaste clairière cernée de grosses cépées de noisetiers, de vieux houx et d’un énorme hêtre : là, vous attend un adorable cercle de sièges, où elfes et lutins doivent se retrouver la nuit tombée. Chaque siège est personnalisé et il y a même des coussins moelleux empilés, eux aussi colonisés par mousses et lichens. 

En poursuivant vers la gauche, on descend dans ce bois chaotique ; soudain, au détour d’un virage, après l’ancien lavoir et ses cages dressées, surgit celle qui est sans doute la plus extraordinaire des œuvres : « l’anneau de pouvoir » du seigneur des Anneaux, gigantesque, en équilibre dans la pente. On reste sidéré devant la prouesse technique mais surtout par le respect absolu du milieu naturel : comment le sculpteur et ses associés ont-ils pu installer cet ouvrage sans laisser aucune trace de leur passage, même pas de piétinement ; on dirait que cet anneau a toujours été là avec les colonies de polypode qui le bordent. Voilà sans doute le point fort et unique de ces réalisations : leur parfaite intégration dans l’environnement naturel. Il n’a pas fallu longtemps aux mousses pour coloniser le bord de l’anneau qui se trouve de fait proche du sol. 

Cabanes de pierres 

Plusieurs « constructions humanoïdes » ponctuent le parcours. La plus imposante, une cage-igloo se tient sur un rebord qui domine un petit panorama en direction de Pulvérières. Toute en pierre de Volvic taillée, je me souviens l’avoir vue en début construction dans les années 90 sans comprendre ce qu’elle allait devenir. Vingt ans plus tard, ses arceaux sont déjà presque tous colonisés de lichens crustacés discrets mais très nombreux et d’une grande diversité. 

Près du lavoir ancien au sud-ouest, se dressent trois cages ouvertes au sommet bâties sur le principe des murailles ; elles aussi ont déjà leur acné lichénique bien développée ce qui aide à les fondre dans le paysage boisé. 

Adossée au parking central, la grande « borie sans toit » a été construite en grande partie avec des blocs volcaniques d’origine locale ; en effet, le puy de Beaufort où nous sommes est occupé par une coulée volcanique venue du puy de Montcognol voisin. Cette coulée a une surface chaotique de blocs et dalles en grande partie enfouis sous le sol qui a fini par se développer mais qui affleure sur les pentes sous forme d’éboulis chaotiques colonisés par la forêt. Du coup, cette structure, proche des murs anciens qui jalonnent le site et des blocs naturels, est très rapidement colonisée non seulement par des mousses mais même par des plantes à fleurs qui profitent des nombreux interstices où les feuilles mortes accumulées génèrent un mince terreau. 

Ceci est encore plus frappant sur les « trois cabanes percées » en sous-bois près des cages du lavoir : un épais tapis de mousse s’y est développé et sur les faces nord, plus fraîches, des grands lichens noirs, des peltigères, s’étalent et déploient leurs étranges fructifications brun orange. 

Enigmes 

Terminons ce tour d’horizon éclectique par quatre œuvres « inclassables », toujours de mon point de vue de néophyte en art. Dans l’alignement de la grande muraille, au milieu d’un pré sec rocheux, trône la « grande spirale », une des œuvres les plus connues du public car elle offre des sièges au ras du sol. 

Suivez sa pointe vers le bas pour entrer dans la forêt en dessous et y croiser la « grande oreille » (voir les créatures) avant de retrouver la grande piste. Là, sous l’ombrage d’une imposante cépée de noisetier, d’un tumulus de blocs émerge une forêt d’oreilles toutes orientées dans le même sens ; elles accompagnent la pente. Des touffes de fougères ont su coloniser ce pierrier artificiel. L’occasion aussi d’observer l’un des secrets de fabrication avec les tiges de fer vissées. 

En remontant vers la spirale, un étrange quadrupède se trouve en travers de votre passage, bien calé sur son promontoire rocheux. 

La dernière se tient tout en bas de la forêt de l’anneau de pouvoir et des cages du lavoir, en plein milieu d’une belle prairie marécageuse : une vingtaine de colonnes crénelées ont poussé sur un tapis de pouzzolane. Ce cercle mystérieux semble nous inviter à une pause pour « digérer » toutes les autres rencontres avec le ciel comme miroir de réflexion. 

Sous le signe de Möbius

Ah, j’allais oublier les œuvres de loin les plus nombreuses qui vous accompagneront tout au long des sentiers, tapies dans l’ombre : les bornes de signalisation sculptées en bas-relief, chacune avec un motif différent. Et les sculpteurs n’ont pas choisi la facilité en gravant des figures du type anneau de Möbius, des rubans entrelacés avec une seule face qui change de côté. Un vrai casse-tête qui participe à entretenir l’ambiance mystérieuse et insaisissable des lieux. Notre cerveau se fait des nœuds à vouloir à tout prix interpréter et comprendre. 

On retiendra de cette visite l’incroyable intégration de ces œuvres qui se fondent dans l’environnement ambiant de par leur nature minérale en phase avec l’histoire volcanique du site, le respect absolu du milieu lors des travaux qui ont nécessité portant de gros moyens techniques et la colonisation naturelle non contrariée par mousses, lichens et plantes vertes. Rien à voir avec les monuments régulièrement « récurés » au karcher ou recrépis : ici, le temps imprime sa marque et rend ses œuvres de plus en plus proches de leur cadre. G. Perez le sculpteur le traduit très bien par cette remarque : « Le plus beau compliment qu’on peut me faire, c’est quand on me demande à quoi correspondent ces vestiges, alors que ces œuvres n’ont pas 20 ans. » Lâcher prise pour que nature et culture ne deviennent plus qu’un. 

Vestige de temps très anciens ?? Non, borne du chemin fais’art habillée de lichens … en quelques années