Verbascum

Les grandes molènes telles que le bouillon blanc (Verbascum thapsus) ou la molène à épi dense (V. densiflorum), au cycle de vie bisannuel (voir chronique consacrée au cycle de vie bisannuel) se distinguent au moment de la floraison par un épi floral robuste pouvant atteindre 1 m de haut et portant des centaines de fleurs. Selon les individus, on observe de fortes variations dans la hauteur totale (pouvant atteindre 2m de haut) et dans la forme des épis : soit en forme cierge unique non ramifié ou au contraire en forme de candélabre à branches multiples et ramifiés à leur base avec des épis latéraux redressés à la verticale.

Une architecture verticale

La hauteur et le port vertical dressé des molènes dépendent essentiellement du processus de dominance apicale : le bourgeon terminal, au sommet de la tige principale, assure la croissance verticale en fabriquant des entre-nœuds plus ou moins longs ; il exerce une inhibition (par voie chimique) sur les bourgeons latéraux qui existent mais ne se développent pas tant que le bourgeon apical persiste. Si on détruit ce dernier, les bourgeons latéraux « se réveillent » et la plante se ramifie changeant radicalement d’aspect. Une plante peut aussi naturellement mettre en veilleuse son bourgeon apical en cas de besoin.

Etre grande çà attire les visiteurs

Des observations menées sur des colonies de molènes bouillon-blanc montrent que, au moment de la floraison, les individus les plus grands attirent nettement plus d’insectes pollinisateurs que ceux moins élevés situés à proximité ; ils ont par ailleurs des fleurs plus ouvertes. Or, quand les fleurs des molènes ne sont pas visitées par des insectes dans la journée où elles éclosent, elles s’autopollinisent automatiquement. On pourrait penser que les visites d’insectes ne changent rien pour les fleurs sauf que les fleurs pollinisées suite à une visite d’insectes produisent significativement plus de graines que celles autopollinisées : plus de 25% de production de graines en plus. En dehors de la quantité produite, la qualité génétique (viabilité et vigueur des plantules) des graines produites par autopollinisation n’atteint probablement pas celle des graines issues de fécondations croisées grâce aux visites d’insectes pollinisateurs.

Cet effet attractif des plus grandes plantes semble assez facile à expliquer compte tenu des milieux ouverts que peuplent ces plantes : les plus grands épis avec les fleurs les plus ouvertes se repèrent de plus loin forcément !

Au coeur de l'été, les "cierges fleuris" de la molène à épi dense arborent leurs centaines de fleurs.

De grandes inflorescences ramifiées ne manquent pas d’attirer l’attention des pollinisateurs … mais aussi des photographes !

Autre effet indirect collatéral : plus une molène est grande, plus elle a tendance à produire des épis ramifiés après levée de la dominance apicale quand l’épi principal a achevé sa croissance car elle dispose de suffisamment de réserves pour fabriquer des épis en plus.

Etre « branchée », çà peut aider aussi !

Au Canada où la molène bouillon-blanc a été introduite, les fruits sont souvent infestés par les larves d’un charançon (Gynmnetron tetrum) qui dévorent les graines ; les adultes pondent leurs œufs dans les fleurs en bouton et les larves éclosent au moment où les fleurs se transforment en fruits. Or, sur le terrain, on constate que ce sont les plus grandes molènes aux épis nettement ramifiés qui sont les plus affectées par ces attaques. Mais, contre toute attente, ces plantes réussissent néanmoins à produire nettement plus de graines que celles plus petites aux épis non ramifiés ! L’explication vient de la fameuse dominance apicale : quand l’épi principal a été fortement attaqué par les charançons, la dominance apicale s’arrête et des épis latéraux se forment mais dans un second temps ; en l’absence de charançons adultes à ce moment là, ces fleurs ne seront pas infestées et connaîtront un fort succès .. d’autant qu’elles sont portées par une grande plante (voir ci-dessus) ! Autrement dit, la levée de la dominance apicale permet aux molènes de surcompenser en produisant encore plus de graines en cas de dommages causés par une attaque de parasite. C’est une botte secrète mais réservée aux grands individus.

Des expériences complémentaires ont permis de vérifier ces observations : si on empêche les graines de se former sur des épis ou si on ajoute des charançons en cours de floraison, les épis entrent en ramification ; par contre si on détruit les fruits de l’épi principal après leur formation, celui ci ne se ramifie pas ce qui indique que passé un certain délai, la plante ne peut plus contrôler sa dominance apicale.

BIBLIOGRAPHIE

  1. A TEST OF THE RESERVE MERISTEM HYPOTHESIS USING VERBASCUM THAPSUS (SCROPHULARIACEAE) ; C. J. LORTIE ; L. W. AARSSEN. American Journal of Botany 87(12): 1789–1792. 2000.
  2. FITNESS CONSEQUENCES OF BRANCHING IN VERBASCUM THAPSUS (SCROPHULARIACEAE) ; C. J. LORTIE AND L. W. AARSSEN. American Journal of Botany 87(12): 1793–1796. 2000.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les molènes sauvages
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