Colutea arborescens

Baguenaudier en fruits en été sur un coteau de la Limagne auvergnate

Les noms usuels des arbres et arbustes nous renseignent souvent indirectement sur leur « poids » culturel, i.e. leur importance dans le folklore et pour leurs usages ; quand il s’agit de noms inhabituels, clairement à connotation ancienne ou populaire, alors on peut suspecter une telle relation. Le baguenaudier en fait typiquement partie : quel nom improbable ! Effectivement, dans le passé, cet arbuste a tissé avec l’imaginaire et la vie quotidienne des campagnards des liens très forts qui ont même diffusé dans la littérature et le vocabulaire usuel ! Alors qui est ce baguenaudier et pourquoi un tel nom si sympathique de prime abord ?

Papilionacée

Un arbuste ramifié en touffe mais relativement aéré

Le baguenaudier se présente généralement sous la forme d’un arbuste à tiges multiples très ramifiées mais formant des touffes relativement aérées. Très rarement, il atteint un statut de sub-arbre avec un gros tronc mais de tels individus restent exceptionnels. Ses feuilles composées de 7 à 15 folioles ovales arrondies, d’un vert pâle mat rappellent celles du robinier faux acacia (mais en beaucoup plus petit) et signent son appartenance à la famille des Fabacées.

La floraison confirme ce classement avec ses fleurs jaune doré, assez grandes (jusqu’à 2cm), par petites grappes de 2 à 6 au sommet d’un pédoncule commun ; elles ont la structure typique de « fleur-papillon » (d’où l’autre nom de la famille ou Papilionacées, toujours valide) avec u étendard relevé et étalé souvent teinté de rougeâtre ou de brun, deux ailes latérales dépassées par la carène en bas formée de deux pétales soudés. La fleur émerge d’un calice court en cloche avec 5 dents. Pour voir le pistil et les étamines, il faut classiquement ouvrir la carène la fleur car elles y sont « cachées » ce qui constitue un dispositif important pour la pollinisation par les insectes (voir la chronique sur le pois vivace).

Le pistil caché au départ devient par contre hyper visible une fois la fleur fécondée et fanée quand il devient un fruit (au sens botanique : ce qui contient les futures graines) : une gousse classique de la famille, un fruit sec qui ne s’ouvre que par deux fentes. Il se transforme de manière spectaculaire en grossissant considérablement et s’impose alors au regard.

Fleurs : sur la fleur centrale en bouton, noter le calice vert

Baguenaude

Voilà donc les baguenaudes du titre : les fruits du baguenaudier en forme de grande vessie renflée atteignant 7cm de long sur 3 à 4 de large. La paroi de l’ovaire a grandi et pris une consistance de poche de papier (parcheminé) avec des veines en surface. D’abords vert clair et transparentes, elles virent progressivement au vert rougeâtre avant de devenir brunes en séchant.

Le plus étonnant est leur consistance « gonflée » : effectivement, ce fruit hermétique se gonfle d’air enrichi en dioxyde de carbone (jusqu’à 2%) dont une bonne partie s’accumule la nuit quand la plante ne fait que respirer et ne photosynthétise pas. Si on appuie dessus, on sent la pression interne qui rend la gousse turgescente et si on force, le fruit éclate en claquant. Ces baguenaudes étaient bien connues des enfants de la campagne qui s’amusaient à les faire claquer ainsi. On les surnommait aussi de ce fait glou-glou, pan-pan ou cloquettes ! La littérature s’en est même emparée comme dans cet exemple extrait de Océanides et fantaisies du poète Amédée Pommier (1839) :

Qu’il faisait bon… … se donner gaîment de bonnes chiquenaudes

Et faire entre ses doigts claquer les baguenaudes …

A maturité, ces gousses en vessies sèchent et durcissent et finissent par s’ouvrir par lune des sutures. Elles persistent sur l’arbuste une bonne partie de l’hiver prenant alors un aspect argenté et s’entrechoquant entre elles au moindre vent. L’arbuste change alors d’aspect et devient un « porte-vessies » bruissant ce qui la a valu le surnom espagnol de espantalobos (chasse-loups). Ce détail n’avait pas non plus échappé à Colette dans Gigi en 1944 :

Lorsque, dans un jardin d’amateur, rhus cotinus et groseilliers infructueux prenaient le premier rang, qui eût évincé, derrière eux, le baguenaudier tout tintinnabulant de cosses vésiculeuses et l’althéa violacé ?

Baguenaudes sèches qui bruissent au vent en s’entrechoquant

Histoire(s)

Toute jeune baguenaude portant encore le style en cor de chasse et les étamines sur le côté

On voit donc que le baguenaudier s’est bien infiltré dans nos racines culturelles. Le mot baguenaude dériverait d’un parler occitan (languedocien) sous la forme baganaudo peut-être lui-même issu de baga via le latin bacca pour baie (donc fruit). Il semble bien que le nom de baguenaude appliqué donc à cet arbuste ait précédé l’usage du verbe baguenauder (faire des choses sans importance) qui dériverait donc du jeu des enfants (et sans doute des adultes) à faire éclater les baguenaudes. Baguenaude s’est aussi vu employé en français ancien au sens de poche : une baguenaude ronflante était une poche pleine d’argent et faire la retourne des baguenaudes signifiait voler en faisant les poches !

Mais le baguenaudier était aussi très connu sous un autre nom dès le Moyen-âge : séné bâtard ou séné de pays. Le « vrai » séné est un arbuste africain (de la même famille des Fabacées) réputé dès l’Antiquité comme laxatif puissant. Mais comme il était difficile de s’en procurer, on se rabattait sur des substituts dont le baguenaudier aux mêmes propriétés mais en nettement moins irritant et donc moins efficace. Il devint populaire à partir de la fin du 18ème siècle et fut alors largement planté dans les parcs des châteaux; c’est ainsi qu’il a réussi à se naturaliser dans diverses régions, hors de son aire d’origine, le Midi. On le retrouve actuellement, parfois en peuplements importants, dans l’Est dont le Jura et la Lorraine), aux Alpes et Pyrénées-Orientales en passant par la Limagne auvergnate. Il reste inféodé aux sols calcaires et colonise les coteaux secs et ensoleillés où il prospère et peut même devenir envahissant. On le retrouve souvent associé aux zones viticoles qui occupent ses milieux d’élection.

Multi usages

Notre sympathique baguenaudier connaît d’autres usages dont celui de plante fourragère qui perdure dans les régions méditerranéennes où se pratique un pâturage extensif avec des ovins ou des caprins : les éleveurs taillent régulièrement les baguenaudiers qui rejettent facilement depuis leur souche, fournissant ainsi un feuillage frais, facile d’accès, très digestible (peu de fibres) et riche en protéines. Dès l’Antiquité, Théophraste en parlait d’ailleurs comme une plante « bonne pour engraisser le bétail et notamment les moutons ». Des études agronomiques conduites en Grèce indiquent un réel potentiel de la part de cet arbuste pour cet usage : en le traitant ainsi, on diminue de plus la pression du bétail sur le reste de la végétation des garrigues parcourues, souvent très malmenée.

En Limagne, le baguenaudier s’est acclimaté et est devenu spontané sur les coteaux secs qu’il colonise localement

Le baguenaudier est aussi très connu dans le bassin méditerranéen comme arbuste capable de limiter l’érosion des sols et de freiner le ruissellement. Compte tenu de sa grande rusticité et son adaptabilité aux pires situations (aridité, froid, pâturage, …), il s’installe facilement sur des pentes dénudées par l’érosion souvent suite au surpâturage. Comme toutes les Fabacées ou Légumineuses, ses racines fixent l’azote de l’air via une symbiose avec des bactéries du type rhizobium : ainsi, sa présence permet d’enrichir des sols extrêmement pauvres et de permettre l’installation d’autres arbustes. On l’a utilisé bien au delà de la seule région méditerranéen pour cet usage : ainsi en Angleterre, on l’a planté pour fixer les remblais des voies ferrées et de là il s’est échappé devenant subspontané. Notons enfin qu’autrefois on utilisait son bois pour fabriquer des manches d’outil.

Graines

Pour l’implanter à partir de semis, il faut bien connaître le mode d’emploi avec les graines car, très peu germent directement. Une des astuces pour lever cet obstacle consiste à immerger brièvement (30s) les graines dans de l’eau à 80°C puis de les mettre à tremper 24H dans de l’eau à température ambiante. Si le tégument de la graine oppose certes une barrière mécanique à la sortie de la radicule, le traitement par l’eau indique qu’il doit y avoir des inhibiteurs de germination à l’intérieur et qu’ils peuvent être éliminés par lessivage. Ce pourraient être des flavonoïdes présents aussi dans les feuilles et les fleurs et qui agissent comme des anti-fongiques, protégeant les graines. Ainsi, ce dispositif conduit dans la nature à une germination qu’après de fortes pluies ce qui augmente grandement les probabilités de succès des plantules.

Les graines contiennent d’autres « poisons » dont la cytisine, un alcaloïde redoutable, et la canavanine, cette dernière servant moyen de protection contre les insectes prédateurs des graines. Ces substances expliquent les effets indésirables et dangereux de l’usage médicinal de ces graines (voir ci-dessus) même si le baguenaudier était réputé comme moins violent que le « vrai » séné. Pourtant, certains insectes ont acquis au cours de l’évolution la capacité à contourner ces poisons en les neutralisant par voie chimique ; ainsi, ces espèces peu nombreuses peuvent exploiter une ressource abondante négligée par le commun des insectes.

Azurés

Parmi les rares insectes capables donc de se nourrir des graines du baguenaudier figure la chenille d’un beau papillon bleu, l’azuré du baguenaudier (au beau nom latin de Iolana iolas), localisé dans le Sud-Est (jusque dans les Alpes) et strictement inféodé à cet arbuste pour ses chenilles. Les femelles possèdent un organe de ponte (ovipositeur) allongé qui leur permet d’implanter les œufs à l’intérieur des calices en cloche d’où émergent les jeunes baguenaudes ; elle sélectionne celles qui ont au plus deux semaines d’âge. A l’éclosion, les jeunes chenilles percent un trou au niveau de la couture supérieure (celle qui s’ouvrira bien plus tard à maturité), entrent dans la « vessie » et rebouchent l’orifice avec de la soie. Ni vu ni connu ! Elles peuvent ensuite tranquillement, à l’abri des prédateurs, ronger les jeunes graines vertes en formation ! Enfin, pas complètement à l’abri puisqu’un ichneumon spécifique (guêpe parasite) pénètre lui aussi dans les gousses en les perçant pour aller pondre ses œufs dans le corps des chenilles qui seront dévorées vivantes de l’intérieur !

Dans le Valais suisse où cet azuré se trouve en limite de répartition et en déclin, une expérience de plantation de baguenaudiers dans les vignes en expansion sur les coteaux favorables a été conduite depuis les années 2000 ; elle a été associée à l’usage de la lutte biologique contre le ver de la grappe (la chenille d’un petit papillon nocturne) qui évite de recourir aux insecticides qui seraient néfastes pour les chenilles de cet azuré. Une partie des baguenaudiers plantés ont d’ores et déjà été colonisés par l’azuré qui a une grande capacité de dispersion, une adaptation à la rareté de sa plante hôte ou tout au moins au caractère souvent local de celle-ci.

Une autre espèce au moins, l’azuré porte-queue (Lampides boeticus), plus répandu, peut pondre lui aussi ses œufs sur le baguenaudier mais ses chenilles rongent les fleurs et les feuilles ; mais il n’est pas lié à cet arbuste car il exploite une large gamme d’autres fabacées herbacées (gesses, luzernes) ou arbustives (ajoncs, genêt d’Espagne, …).

BIBLIOGRAPHIE

  1. Site du Réseau agro-environnemental de Saillon en Suisse : https://www.saillon.ch/tourisme/terroir/réseau-agro-environnemental.aspx
  2. La vie des papillons. T. Lafranchis et al. Ed. Diatheo. 2015
  3. Use of Mediterranean legume shrubs to control soil erosion and runoff in central Spain. A large-plot assessment under natural rainfall conducted during the stages of shrub establishment and subsequent colonisation. P. Garcia-Estringana et al. Catena 102 (2013) 3–12
  4. Flavonoids in seed coats of two Colutea species : ecophysiological aspects. I. Aguinagalde et al. J. Basic Microbiol. 30 (1990) 8, 547-553
  5. Forage value of mediterranean deciduous woody fodder species and its implication to management of silvo-pastoral systems for goats. T.G. Papachristou ; V.P. Papanistas. Agroforestry systems 27 : 269-282, 1994
  6. Evaluation du succès des plantations de baguenaudiers sur l’azuré du baguenaudier lolana iolas (Lépidoptère) dans le vignoble du Valais central. A. Sierro. Bull. Murithienne 125: 63-71 (2008)

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le baguenaudier
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