Epipactis helleborine

L’épipactis héléborine est une orchidée assez commune qui se rencontre sur tout en milieu boisé (elle tend depuis quelques décennies à coloniser les milieux péri-urbains) dans des sites souvent ombragés et pauvres en insectes pollinisateurs. De plus, elle possède des fleurs assez petites, ternes et peu voyantes mais par contre produisant un nectar assez abondant et facile d’accès dans une sorte de coupe à la base du labelle. Enfin, elle fleurit au cœur de l’été voire fin de l’été.

Parmi les insectes qui visitent régulièrement ses fleurs (voir l’autre chronique consacrée aux visiteurs de cette espèce et à son nectar) figurent les guêpes sociales bien connues dont la guêpe vulgaire (Vespula vulgaris) et sa proche cousine la guêpe germanique (V. germanica).

Comment l’épipactis hélléborine réussit-elle à attirer ces insectes qui, à cette époque de l’année, recherchent surtout de la « viande fraîche » sous forme d’insectes (dont surtout des chenilles) pour nourrir leurs larves dans leurs nids collectifs bien connus ? Une équipe de chercheurs (1) a étudié en détail cette question et a découvert à cette occasion un mode de communication inédit et très surprenant entre cette orchidée et les guêpes sociales.

Signaux visuels versus olfactifs

Compte tenu de la présentation faite en introduction ci-dessus, tout porte à croire que l’épipactis attire les guêpes via des signaux olfactifs : encore faut-il s’en assurer au préalable ! Les chercheurs ont présenté à des ouvrières de guêpes (celles qui cherchent activement la nourriture pour ravitailler le couvain) des inflorescences entières d’épipactis (une longue grappe de fleurs pendantes nombreuses), des inflorescences recouvertes d’un cylindre en verre et refermé et enfin du parfum naturel émis par cette plante. les observations montrent une nette prédominance des signaux olfactifs pour le repérage des épipactis, confirmé par le mode d’approche : les guêpes volent en zig-zag, cherchant à repérer une odeur, et s’approchent ainsi rapidement des inflorescences. Mais quelles odeurs émises par la plante attirent les guêpes ?

Un mélange odorant … vert !

On utilise une technique très sophistiquée, dite de l’électro-antennographie qui consiste à associer une analyse par chromatographie gazeuse qui isole les substances chimiques présentes dans le parfum et les teste une à une sur les antennes de guêpes en enregistrant l’activité nerveuse à leur niveau : s’il y a une réponse nerveuse (des influx), c’est que la substance excite les sensilles olfactives situées sur les antennes (le « nez » des insectes). Les chercheurs ont ainsi pu isoler sept composés directement actifs et donc détectés par les guêpes : des substances répandues à odeur fruitée : le benzaldéhyde (odeur d’amandes amères) et trois aldéhydes (octanal, nonanal et décanal) ; trois substances inattendues aux noms ésotériques (comme souvent en chimie) : hexyl acétate ; Z-3 hexenyl-acétate et Z-3 hexen-1-ol.

Or, ces dernières sont les mêmes que celles émises par des feuilles de choux dévorées par des chenilles de piéride ; on sait depuis longtemps que de nombreuses plantes attaquées par des herbivores émettent des substances volatiles qui attirent notamment des insectes dits parasitoïdes ; au premier rang de ceux-ci figurent de minuscules hyménoptères qualifiés de térébrants qui injectent des œufs dans les chenilles à l’aide de leur long ovipositeur (ce long appendice au bout de l’abdomen qui n’a rien à voir avec un aiguillon à venin !). L’œuf éclot dans la chenille vivante et la larve ronge celle-ci de l’intérieur sans la tuer jusqu’à sa transformation en chrysalide ; là, les larves de guêpes se métamorphosent à leur tout et tissent des cocons à l’extérieur. Quand les adultes émergent, la chrysalide (ou la chenille) destinée à donner un papillon est complètement vide.

On réunit ces substances volatiles qui attirent donc les parasites aptes à protéger la plante des attaques des herbivores sous le nom collectif de Substances Volatiles de Feuilles Vertes (SVFV pour la suite).

Mais quel rapport avec les guêpes sociales ?

Pour comprendre ce rôle des SVFV sur les guêpes sociales, les chercheurs ont utilisé un dispositif bien connu en recherche expérimentale : l’olfactomètre en Y ; on place une guêpe à la base d’un tube en forme de Y et au bout des deux branches on place des « appâts » odorants différents ; selon le chemin suivi préférentiellement (et statistiquement bien sûr) par les guêpes après de nombreux essais, on peut ainsi savoir le pouvoir attractif comparé des produits.

Dans le choix, rien d’un côté et du chou infesté par des chenilles de l’autre, les guêpes se dirigent nettement vers le second ; dans le choix, chou infesté d’un côté et chou sain de l’autre, elles choisissent le premier. Les guêpes sociales sont donc elles aussi sensibles à ces SVFV émises par des plantes en détresse ce qui n’était pas connu jusqu’ici !

Effectivement, comme nous l’avons rappelé en introduction les guêpes chassent activement les larves d’insectes dont les chenilles pour nourrir les leurs. Elles trouvent ainsi plus facilement du « gibier » en ciblant les plantes infestées à distance.

Les choux infestés par des chenilles rejettent 4 à 5 fois plus de SVFV que l’épipactis et avec des proportions différentes des différents composés que l’on retrouve en commun. Mais on sait que selon l’espèce de piéride qui infeste le chou (il en existe au moins trois espèces communes chez nous) et aussi selon les espèces de plantes attaquées par les chenilles, les quantités et la composition varient. Donc, les guêpes ne négligent pas l’épipactis pour autant car elles ont appris à réagir à tout ce panel de situations variées.

Et les autres Epipactis ?

Tous les épipactis ne sont pas visités préférentiellement par des guêpes. Les chercheurs ont donc analysé le parfum d’une autre espèce « à guêpe », l’épipactis violacé (E. purpurata) des sous-bois très ombragés des chênaies fraîches et à floraison presque automnale et celui d’une espèce à « abeilles et bourdons », l’épipactis pourpre noirâtre (E. atrorubens), spécialiste des boisements clairs et chauds sur des sols rocailleux en été. Les analyses confirment que le premier contient des concentrations en SVLV nettement plus élevées que chez le second.

Des test ont été menés par électro-antennographie (voir ci-dessus) sur des abeilles domestiques : elles réagissent à ces composés présentés isolément mais par contre ne sont pas attirées par un mélange de ces SVLV.

Un mimétisme chimique inédit

Ce n'est que de près qu'on remarque un peu de couleur ! La coupe sombre qui brille à la la base du labelle rose est remplie de nectar

Fleur d’épipactis hélléborine : la coupe sombre qui brille à la la base du labelle rose est remplie de nectar qui sert de compensation par rapport à la tromperie sur la présence imitée de chenilles à capturer !

Résumons : voilà donc un mode inédit de communication où une orchidée imite l’odeur émise par une plante attaquée par des herbivores (des chenilles), ce qui attire les guêpes sociales prédatrices qui les recherchent ; celles-ci se trouvent donc bernées, trompées puisqu’elles ne trouvent pas ce pourquoi elles sont venues ; par contre, comme elles trouvent du nectar abondant et facile d’accès (elles peuvent lécher facilement le nectar avec leur langue courte dans la coupe), elles ne repartent pas bredouilles pour elles-mêmes (elles recherchent le sucre comme carburant, en, témoigne leur attrait en été pour les fruits mûrs) ce qui permet de les fidéliser auprès de l’épipactis.

Un tel dispositif d’attraction par tromperie est bien connu chez de très nombreuses orchidées (plus de la moitié des espèces !) avec notamment les leurres sexuels des Ophrys par exemple, mais la médiation par ces substances volatiles était inconnue jusque là !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Orchids Mimic Green-Leaf Volatiles to Attract Prey-Hunting Wasps
for Pollination. Jennifer Brodmann, Robert Twele, Wittko Francke,Gerald Holzler, Qing-He Zhang, and Manfred Ayasse. Current Biology 18, 740–744, May 20, 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'Epipactis hélléborine
Page(s) : 94-95 Guide des Fleurs des Fôrets
Retrouvez l'Epipactis hélléborine
Page(s) : 382 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages