Convolvulus soldanella/Achillea maritima

Vivre dans les dunes pour des plantes suppose des adaptations très spécifiques compte tenu des conditions souvent extrêmes et fluctuantes qui règnent dans ce milieu : nous les avons évoqué dans la chronique « Cinq plantes des dunes au ban d’essai » ainsi que les adaptations au niveau du fonctionnement interne chez ces plantes. Mais qu’en est-il au niveau morphologique : quelles structures visibles, tout particulièrement au niveau des feuilles organes clés dans l’alimentation et la croissance des plantes, permettent à ces plantes de résoudre tous les problèmes auxquelles elles se trouvent confrontées ?

Liseron versus Diotis

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Diotis blanc (Vendée)

Pour illustrer ces adaptations, nous allons observer deux espèces en particulier, très opposées dans leur « look » mais toutes les deux capables de se maintenir dans les dunes face à la mer, là où le sable se trouve souvent remanié par le vent ou les hautes marées, véritables fantassins qui résistent enterrés dans le sable sur nos côtes : le liseron des dunes (Convolvulus soldanella), assez commun et le diotis blanc (Achillea maritima), plante devenant de plus en plus rare et emblématique du milieu dunaire. La première appartient à la famille des Convolvulacées tandis que la seconde est une Composée ou Astéracée : elles ne sont donc pas apparentées étroitement ce qui renforce l’intérêt de leur comparaison pour voir comment des structures de base radicalement différentes ont pu évoluer soumises à la même pression sélective du milieu dunaire. Une étude italienne (1) très minutieuse a disséqué dans les moindres détails les feuilles de ces deux plantes et dressé un tableau comparatif intéressant.

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Liseron des dunes (Vendée)

Feuilles étalées versus feuilles redressées

Sur les tiges rampantes du liseron des dunes, les feuilles se trouvent régulièrement disposées, bien déployées en forme de petit parapluie rond (d’où l’épithète latin soldanella, issu de soldus pour un sou, pièce ronde), avec la face dorsale tournée vers le sable et la face ventrale vers la lumière.

Par contre, chez le diotis, les feuilles forment une sorte de manchon tout autour du tige, avec la face dorsale plus ou moins enroulée en direction de celle-ci : l’ensemble délimite un espace très serré qui freine la circulation d’air et assure le maintien d’une micro-atmosphère de « crypte » où l’air peut rester un peu plus humide juste au contact des stomates des feuilles, ces micro-ouvertures qui captent les gaz de l’air tant pour respirer que pour assurer la photosynthèse.

On retrouve ce dispositif de crypte protégée à une échelle microscopique sur les feuilles des graminées des dunes comme les oyats dotées de creux enfoncés remplis de poils protecteurs.

Chez ces deux espèces, les stomates (voir ci-dessus) se trouvent sur les deux faces ce qui augmente la capacité de photosynthèse et les rend plus aptes à grandir rapidement au niveau des tiges, notamment pour résister à l’enfouissement par le sable qui se déplace. Chez le diotis, bizarrement, ces stomates se trouvent surélevés ce qui les expose a priori à l’action du vent desséchant mais il faut prendre en compte le revêtement laineux qui les entoure et assure une forte protection.

Epiderme et intérieur

Fait un peu inhabituel pour des plantes de milieux fondamentalement secs, l’épiderme (la « peau » des feuilles) ne se compose que d’une couche de cellules assez grandes et aux parois épaissies. Juste en dessous, on trouve les tissus chargés de faire la photosynthèse à partir du gaz carbonique prélevé par les stomates : le parenchyme palissadique, ensemble de cellules aux aprois fines et avec des espaces vides permettant la circulation des gaz. Les feuilles du liseron se différencient de celles du diotis par la présence du côte dorsal (vers le sable) d’une couche spongieuse qui sert peut-être d’amortisseur envers les agressions des grains de sable projetés par le vent.

Par contre, tous les deux possèdent au centre de la feuille un tissu spécialisé dit aquifère formé de grandes cellules vivantes aux parois fines, riches en mucilages, substances qui absorbent l’eau : un matelas qui retient l’eau, une assurance contre la dessiccation en plein été par exemple et qui permet de poursuivre malgré tout la photosynthèse.

Des poils

Les feuilles du liseron des dunes semblent complètement glabres d’aspect ; pourtant, sous la loupe, elles présentent sur les deux faces des « poils » (des trichomes) enfoncés dans des creux avec une tête sécrétrice ; ils fonctionnent comme des glandes à sel, rejetant les sels en excès (mais aussi des substances organiques) sans être reliés aux vaisseaux conducteurs de sève. Typiques de la famille des Convolvulacées, ces glandes, outre l’excrétion de sels en excès, participent aussi à la lutte contre le dessèchement en régulant le contenu des cellules en sels minéraux. Le diotis possède un dispositif un peu équivalent sous une forme très différente : des hydathodes ; ce sont des sortes de « boules » au bout des nervures des feuilles, reliées à celles-ci et qui excrètent aussi des sels minéraux. On voit là comment malgré deux origines très différentes (convolvulacée/astéracée) avec chacune leur structure propre, des solutions identiques se mettent en place !

Le diotis se distingue, et de très loin, par son épais revêtement laineux qui lui donne cet aspect blanchâtre très prononcé (surnommé cottonweed, l’herbe à coton en anglais) et qui inclut deux types de poils :

– des poils simples non glanduleux très serrés qui protègent directement du dessèchement et de la chaleur (et aussi des attaques des insectes herbivores et des chocs des grains de sable) ; on retrouve ce même revêtement laineux chez d’autres plantes des dunes non apparentées telles que la luzerne maritime (Medicago marina).

– des poils glanduleux formés de 5 paires de cellules sur deux rangs et enfoncés dans des creux de l’épiderme surtout sur la face dorsale (la plus exposée) ; ils sécrètent des huiles essentielles libérées notamment lors d’une forte exposition à la lumière et qui ont une activité antimicrobienne avérée ainsi qu’une fonction repoussante envers les insectes.

Des sécrétions

Le liseron des dunes, comme une majorité de plantes de sa famille, contient du latex dans ses tissus ; il est fabriqué dans des files de cellules ou laticifères proches des vaisseaux conducteurs ; ce liquide visqueux, outre un rôle excréteur évident (débarrasser la plante de substances toxiques en les stockant, les plantes n’ayant pas de « reins ») et défensif envers les herbivores (présence de substances âcres et toxiques), pourrait aussi jouer un rôle dans la régulation de la quantité d’eau dans la plante car il tend à absorber fortement l’eau des tissus environnants. En plus, dans l’épiderme du liseron on trouve des cellules riches en tanins qui accumulent des polyphénols et notamment en situation de stress lié au sel (situation récurrente en haut de dune lors des hautes marées et avec les embruns) : cette concentration participe activement à la protection contre le dessèchement (et aussi contre la dégradation des tissus ou contre les herbivores). On retrouve aussi un tel procédé chez une autre plante du littoral sableux, le coquillier maritime (Cakile maritima), une brassicacée ou crucifère.

Chez le diotis, point de latex mais des canaux sécréteurs allongés le long des nervures, typiques des Astéracées, chargés d’huiles essentielles et de résines et dont le rôle est de transporter les produits de la photosynthèse et de protéger les vaisseaux conducteurs de sève.

Dans les deux cas, on voit une réponse plus ou moins adaptée au problème de la lutte contre la dessiccation mais qui n’a rien de spécifique à la vie en milieu dunaire et qui n’est qu’une trace de l’histoire de ces espèces (leur famille avec ses structures propres).

En conclusion, on voit donc la multiplicité des traits qui permettent aux feuilles d’affronter les dures conditions de la vie dunaire ; si on retrouve des tendances communes, on voit que les solutions adoptées au cours de l’évolution varient énormément avec notamment le poids des origines et leurs contraintes en termes de structures existantes. On notera aussi, une fois de plus, l’aspect multifonctions de la plupart de ces adaptations : la lutte contre le dessèchement reste le thème clé mais les défenses anti-herbivores, contre le stress du sel ou les agressions des grains de sable entrent en même temps souvent en jeu !

Gérard GUILLOT ; zoom-nature.fr

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Leaf anatomical adaptations of Calystegia soldanella, Euphorbia paralias and Otanthus maritimus to the ecological conditions of coastal sand dune systems. Ciccarelli Daniela, Laura Maria Costantina Forino, Mirko Balestri and Anna Maria Pagni. CARYOLOGIA Vol. 62, no. 2: 142-151, 20

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le liseron des dunes
Page(s) : 178-179 Guide des plantes des bords de mer
Retrouvez le liseron des dunes
Page(s) : 320-321 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez le Diotis blanc
Page(s) : 118-119 Guide des plantes des bords de mer