Sambucus ebulus

Notre flore compte trois espèces de sureaux indigènes : deux arbres-arbustes, le sureau noir et le sureau rouge, et une « herbe », le sureau hièble. Souvent méconnu et confondu avec son grand cousin, le sureau noir, le sureau hièble n’en est pas moins répandu et localement commun. Les liens historiques de cette espèce avec l’homme sont nombreux et vont bien au-delà de ses seules propriétés médicinales. Ces dernières ne seront ici qu’évoquées sans entrer dans le détail car je me refuse à entrer dans le monde labyrinthique de la pharmacologie aux innombrables publications difficiles à évaluer sans parler des sites de vulgarisation où pullulent les  copier-coller jamais vérifiés ; et surtout, il y a la responsabilité d’engager des gens à utiliser des plantes avec une part non négligeable de toxicité. Je ne retiendrai ici que les aspects culturels et folkloriques en évoquant les liens de l’hièble avec l’homme. 

Petit sureau 

Contrairement donc à ces deux congénères, le sureau hièble est une plante herbacée aux tiges non ligneuses qui sèchent en automne et disparaissent en cours d’hiver. Néanmoins, il atteint couramment les 1,50m à 2m et peut donc être pris pour un arbuste : il suffit d’observer de près ses tiges en les touchant pour constater qu’elles sont d’une part entièrement vertes et tendres à la pression, sans tissus ligneux de soutien. Son gabarit herbacé lui vaut les surnoms de petit sureau (relativement aux eux autres qui sont presque des arbres) ou de sureau nain (dwarf elder) pour les anglo-saxons. Comme celles des deux sureaux arbustifs, elles renferment une abondante moelle blanche. Dressées, robustes, non ramifiées, cannelées, elles émergent du sol les unes à côté des autres : elles ne forment jamais de touffes comme les rejets des sureaux noirs taillés sur leurs souches. Cette disposition traduit la présence de tiges souterraines horizontales, des rhizomes, très ramifiées et s’enfonçant profondément, sur lesquels des bourgeons donnent naissance aux tiges aériennes dressées. L’hièble forme donc des colonies denses, couvrant souvent de grandes surfaces de manière exclusive. 

Les feuilles rappellent assez fortement celles des deux autres sureaux : opposées, pétiolées, elles sont composées de 7 à 11 folioles moyennes. Elles diffèrent  par trois critères principaux : leurs bords découpés en dents de scie très aigues, nombreuses, terminées chacune par un point rouge (hydathode) ; la couleur vert sombre dessus et surtout la présence à la base du pétiole, là où il se raccorde sur la tige, de petites feuilles ovales, étroites, dentées en bas, persistantes (stipules), absentes ou rudimentaires chez les deux autres. Au froissement, elles répandent une forte odeur fétide mais celles du sureau noir sentent tout aussi fort. En automne, ce feuillage vire au jaune et rouge avant de brunir et de se dessécher complètement. Dès la fin de l’automne, des colonies florissantes, il ne reste que des cannes sèches faisant un peu penser à celles des renouées. 

Ombelles à plat 

La floraison qui commence en juin et se prolonge jusqu’en août ne passe pas inaperçue sur les colonies étendues. Les fleurs blanc pur, petites (5-7mm de diamètre), très nombreuses, sont regroupées en inflorescences très denses ressemblant à des ombelles et disposées à plat, tournées vers le ciel ce qui les différencie un peu du  sureau noir aux « ombelles » dressées ou un peu tombantes. En fait, si on observe de près ces inflorescences, on constate qu’elles se composent de trois branches principales, elles-mêmes très ramifiées et qui placent toutes les fleurs dans un même plan ; rien à voir donc avec la structure en parapluie des vraies ombelles (voir la chronique sur les ombellifères) : il s’agit de corymbes ombelliformes et donc de fausses-ombelles.

Les fleurs frappent par leur éclat blanc laiteux pur ; les boutons floraux ont une surface ridée granuleuse très délicate. Un calice à cinq dents sous-tend la corolle à cinq pétales terminés en pointe et étalés courbés ; au milieu se dressent les cinq étamines à filet blanc surmonté d’une anthère rouge vineux qui apporte un superbe contraste à ces fleurs. 

Cette profusion de fleurs ouvertes, faciles d’accès, regroupées en vastes pistes d’atterrissage, attire des hordes de visiteurs des plus variés, essentiellement des généralistes, i.e. des espèces d’insectes non spécialisées : des coléoptères dont des petits capricornes, des mouches et moucherons, des abeilles solitaires, … Les ombelles blanches sur le fond vert sombre du feuillage et les anthères rouge sur le fond blanc pur des fleurs doivent constituer des signaux visuels attractifs tandis que le parfum d’amandes amères répandu par les inflorescences complète le décor ; la floraison en plein été représente un autre atout car les fleurs commencent un peu à se raréfier à cette époque en plaine. 

Baies toxiques 

Les fleurs cèdent place à des fruits charnus d’abord verts devenant noir pourpré à maturité (de août à octobre) : des baies un peu plus grosses que celles du sureau noir, très brillantes qui conservent au sommet les traces du calice sous forme de petites pointes appliquées. Elles contiennent trois petites graines triangulaires et un suc rouge violacé qui tache fortement les doigts si on les écrase. Ces fruits restent groupés en fausses-ombelles à plat comme les fleurs ce qui renforce la distinction avec la sureau noir aux opulentes infrutescences qui retombent. Les pédoncules virent au rouge violacé ce qui renforce l’attractivité visuelle vis-à-vis des animaux frugivores qui vont assurer la dispersion des graines en consommant les fruits et en rejetant les graines dures dans leurs excréments (voir la chronique sur l’endozoochorie). Apparemment, en dépit de leur amertume, ils semblent appréciés des passereaux frugivores, notamment des fauvettes à tête noire en pleine période de migration d’automne, à la recherche de fruits nutritifs pour constituer leurs réserves de graisse. En août, leur suc doit aussi être apprécié comme source de liquide à la faveur des épisodes chauds et secs. 

Ces baies s’avèrent modérément toxiques pour l’homme mais à forte dose elles provoquent diarrhées et vomissements ; il convient donc de ne pas récolter ces fruits par confusion avec ceux du sureau noir pour en faire des confitures. De ces baies, on peut extraire un colorant rouge connu depuis l’Antiquité : Virgile, dans  ses écrits, en maquillait le visage du dieu Pan. On l’a utilisé comme teinture pour les cuirs ou la laine ou, plus souvent, pour foncer les vins rouges trop clairs. Cette pratique est attestée dans la flore d’Auvergne de Chassagne sur les coteaux de Limagne ou dans le roman A rebours de J.-K. Huysmans en 1884 :

« Le vin avait été dénaturé par de multiples coupages, par d’illicites introductions de bois de Pernambouc, de baies d’hièble, d’alcool ».  

Herbe-à-l’aveugle 

Grosse colonie au bord d’une route, contre une culture pourvoyeuse de nutriments

Le sureau hièble se rencontre dans toute la France, Corse incluse jusqu’à 1400m d’altitude ; son aire mondiale couvre une partie de l’Eurasie, l’Afrique du nord, Madère et il a été introduit en Amérique du nord. Selon Mabberley, il existe une sous-espèce dans les hautes montagnes tropicales d’Afrique orientale qui adopte un port buissonnant avec les feuilles sèches restant accrochées (marcescent), se rapprochant ainsi des plantes dites pachycaules avec un tronc renflé comme les séneçons arbustifs du Kilimandjaro. 

Son habitat reste diversifié : clairières et coupes forestières ; le long des chemins ; sur les lisières bien exposées ; les décombres et anciennes décharges ; les talus et remblais de routes notamment dans les grandes plaines cultivées ; le long des rivières dont les peupleraies ; … Les points communs à ces habitats sont des milieux ouverts ensoleillés (il ne tolère pas l’ombrage) et chauds (espèce dite thermophile) avec des sols relativement frais (d’où son goût pour les bords des rivières et les sols argileux retenant l’humidité) et surtout enrichis en nutriments. Il se comporte donc en rudéral et colonise préférentiellement des milieux perturbés par els activités humaines. Dans ses stations, il devient facilement envahissant grâce à ses rhizomes profonds et très ramifiés ; il résiste au désherbage et seul un travail profond du sol peut l’éliminer. Autrefois, on le surnommait l’herbe-à-l ‘aveugle car les paysans disaient que là où l’on sent le parfum amer de l’hièble, on peut, les yeux fermés, acheter la terre : elle est forcément bonne ! 

Grande colonie sur un talus de voie ferrée

Réputé 

L’hièble a toujours fait partie des plantes médicinales populaires majeures par l’usage de ses rhizomes et de ses fruits avec des effets secondaires toxiques non négligeables. On le disait plus fort que le sureau noir et on falsifiait souvent des préparations de ce dernier avec de l’hièble. Voici ce qu’écrivait Olivier de Serres  en 1600 dans son Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs : 

« Hièble est espèce de sureau en latin appelée ebulus. Cette herbe a fleur presque semblable à celle du sureau  mais plus tardive. Elle s’engeance presque partout, toutefois en terre grasse qu’en maigre, et facilement par boutures et rejetons sans nulle racines. Elle purge la colère et le flegme, cuite ou mangée en potage comme choux ou bettes. La poudre de sa graine aussi prise avec du vin, a beaucoup d’efficace ; et encore plus l’huile de ladite graine. Sa racine cuite en vin et mangée avec les viandes secourt les hydropiques, ramollit et ouvre le conduit de la matrice. La décoction de l’herbe apaise les douleurs de la goutte et de la vérole. »

Parmi la longue liste des propriétés qu’on lui attribue à tort ou à raison, celle qui revient le plus dans la littérature ancienne en lien avec ses propriétés diurétiques concerne le traitement de l’hydropisie, c’est-à-dire, pour faire simple, les diverses formes d’œdèmes.  En Grande-Bretagne, aux 18 et 19ème siècles, il était devenu tellement populaire qu’on l’a quasiment extirpé de certaines régions en récoltant ses rhizomes. Il semble avoir été cultivé au Moyen-Age pour ces propriétés et se serait ensuite échappé de culture. Tout ceci laisse à penser que sa répartition actuelle tient beaucoup à l’intervention des hommes qui l’auraient dispersé. On retrouve ses baies dans les campements des hommes préhistoriques qui devaient les consommer et les ont sans doute propagé depuis l’Asie Mineure vers l’Europe ; localement, certaines stations semblent associées à d’anciens sites préhistoriques. En Grande-Bretagne, il ne se maintient souvent que par multiplication végétative et ne produit des fruits que rarement : il y aurait été introduit par des herboristes ou par les Romains. 

Colonie au pied d’un dolmen vendéen (mais dans des cultures ce qui ne prouve rien !)

Son surnom d’herbe aux punaises vient du fait qu’on l’a utilisé comme insecticide naturel : « il fait mourir les punaises mis dans le lit ». Notons que son nom curieux de hièble ou yèble ou èble vient du latin ebulus, son nom latin qui remonte à Pline, et dont l’origine reste inconnue. La lettre h en tête du nom a été rajoutée au Moyen-Age  pour éviter la prononciation jèble

Sanguin par nature ! 

Plusieurs des noms anglo-saxons de l’hièble sont associés au sang (blood hilder ; bloodwort) ce qui se comprend vu la couleur rouge foncé du suc et des pédoncules des fruits et l’usage comme teinture rouge. D’autres l’associent à la mort (deathwort) ou, encore plus étrange, aux Danois (danewort = herbe-aux-Danois). En fait, cette association relève d’une fausse rumeur comme quoi il ne poussait que sur des sites de batailles avec les Danois, tout comme l’anémone pulsatille d’ailleurs, autre fleur avec la « signature rouge du sang ». Voici ce qu’écrivait W. Camden, un antiquaire anglais en 1586 :

«  et en ces lieux de ce pays qui sont opposés au Cambridgeshire, se tient Barklow, fameuse pour ses quatre tumuls et le sureau nain (wallwort dans le texte) qui y pousse en grandes quantités et porte des baies rouges, que l’on appelle par aucun autre nom que Dane’s blood pour rappeler la multitude de danois qui furent assassinés là. »

Ce nom de wallwort n’a rien à voir avec les murs mais vient d’un vieux mot anglais qui signifiait « plante  étrangère ». 

Linné en mai 1741 rencontre cette plante en Suède dans la province du Småland et écrit :

« ce manna-blod (man’s blood) est une plante dont on parle beaucoup en Suède car on dit qu’elle ne pousse nulle part ailleurs au monde qu’ici au château de Kalmar, où elle poussa du sang des Suédois et des Danois tués au combat sur ce champ de bataille. Nous n’en revinrent pas quand nous avons réalisé qu’il s’agissait de rien d’autre que le très commun Ebulus ou Sambucus herbacea … qui pousse à l’état sauvage dans une grande partie de l’Allemagne. »

En fait, l’hièble certes pousse sur des sites historiques dont d’anciens champs de bataille (voir ci-dessus) mais pas spécialement sur ceux liés aux Danois ! Cette association viendrait du fait que l’hièble était réputée contre les « danes », nom populaire des … diarrhées !!! Qu’importe, la légende a perfusé dans les croyances ; au Somerset, on disait que la toxicité de ses baies venait du fait qu’il poussait sur les tombes des Danois. J. Parkinson, botaniste anglais, en 1640 dans son Theatrum botanicum avança l’idée qu’il tiendrait ce nom de son effet purgatif car ceux qui le prennent « sont aussi perturbés qu’en présence des Danois » ! Pour en terminer avec ces infox d’antan, citons cette autre rumeur au 16ème siècle comme quoi on l’avait utilisé pour produire en quantité des nains pour les exporter à la Cour de Russie ou d’Espagne ; ceci simplement à cause de son surnom de dwarf elder (dwarf = nain) pour sa taille d’herbe ! 

Bibliographie 

Elsevier’s Dictionnary of plant lore. D.C. Watts. 2007. Academic Press. 

Flora Brittanica. R. Mabey. 1996. Ed. Chatto et Windus.

Mabberley’s plant-book. 2008. Cambridge University Press. 

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le sureau hièble
Page(s) : 58-59 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez le sureau noir
Page(s) : 190-191 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez le sureau rouge
Page(s) : 112-113 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus