La dispersion des graines pour les végétaux, fixés dans le sol par nature, constitue une phase majeure de leur cycle de vie pour assurer le succès reproductif de l’espèce : faire voyager les graines au delà de « l’ombre maléfique » du pied parent, symbole de compétition à venir pour les futures jeunes plantules, ou pour conquérir de nouveaux espaces et augmenter les chances de survie des populations.

Parmi les différents modes de dispersion des graines, celui qui consiste à « se faire manger pour voyager en transitant via le tube digestif d’un vertébré » et que l’on nomme endozoochorie suppose d’étroites interactions entre le « donneur » (la plante et ses graines ou fruits) qui offre de la nourriture et le consommateur (un vertébré) qui va, à l’insu de son plein gré, assurer un certain déplacement des graines, le temps que la digestion ait opéré et qu’il ait rejeté les graines dans ses excréments, au delà du lieu de récolte. La pression majeure de sélection qui ne cesse d’opérer sur ce dispositif a conduit à l’instauration d’interactions fascinantes , très complexes, entre plantes et vertébrés. Le caractère mutualiste de ces relations peut se traduire par une formule triviale du type donnant-donnant : « je te donne à manger et tu me déplaces ». Nous allons en parcourir quelques aspects en se plaçant du point de vue des plantes à fleurs.

Une offre alléchante

Les plantes ainsi dispersées ont développé au cours de l’évolution des appendices, des revêtements, des enveloppes, … charnues, nutritives autour de leurs graines donnant naissance à une multitude de types de « fruits charnus » qui servent de récompense pour attirer un transporteur éventuel. Les guillemets autour de fruits rappellent que d’un point de vue strictement botanique, le terme fruit ne désigne que la partie de la fleur (l’ovaire du pistil) qui se transforme et contient les graines. Or, nombre de ces structures charnues qui se sont ajoutées autour des graines ne proviennent pas de la transformation de l’ovaire : ce sont donc des faux-fruits au sens botanique. Mais d’un point de vue fonctionnel (ici, « être mangé pour être dispersé »), ce sont bien des fruits.

Les seuls « vrais » fruits charnus sont les baies (plusieurs graines) et les drupes (une seule graine) chez lesquelles la paroi de l’ovaire se charge de substances nutritives devenant la pulpe du fruit (le péricarpe). Dans le cas des agrumes (hespérides en botanique), ce sont des poils (trichomes) gorgés de suc (vésiculeux) qui se développent dans l’ovaire pour donner la pulpe juteuse.

Pour les autres, les « faux » donc, au cours de l’évolution, diverses structures se sont transformées en organes charnus :

  • l’enveloppe de la graine (le tégument) peut fabriquer une excroissance charnue parfois très développée, souvent vivement colorée et qui peut finir par complètement envelopper la graine (comme chez le litchi) : c’est un arille (nom masculin !)
  • le réceptacle floral, la partie qui porte les pièces florales, peut à maturité s’accroître et devenir charnu, englobant les graines et fruits : l’exemple le plus connu est le cynorrhodon des églantiers qui renferme les « vrais » fruits ou akènes entourés de poil-à-gratter ou encore la fraise dont le réceptacle rouge porte les akènes enfoncés dans des creux (que nous appelons les « graines »)
  • l’écaille basale du cône hyper réduit de l’if donne ce fameux arille rouge vif qui entoure complètement la grosse graine
  • le calice et la corolle peuvent aussi devenir charnus comme dans les fruits de la corroyère ou le calice seul chez les airelles (ce qui donne une pseudo-baie)
  • l’inflorescence toute entière peut se transformer en infrutescence charnue englobant les vrais fruits contenant les graines : l’ananas ou la figue (voir photo ci-dessous) en sont des exemples bien connus.

Autrement dit, au cours de l’évolution, pratiquement toutes les parties de la fleur ou de l’inflorescence ont pu se transformer en récompense nutritive ; cette diversité extrême contraste avec l’homogénéité de cette fonction (être avalé) et constitue un beau modèle de convergence évolutive. De telles transformations, pour spectaculaires qu’elles soient visuellement, ont été en fait relativement faciles à acquérir car elles ne demandent que quelques modifications génétiques mineures. L’évolution a pu se faire avec un minimum de réorganisation génétique.

Attirer tout en se protégeant

Pour être efficace, ce mode de dispersion suppose que les graines ne soient pas elles-mêmes digérées ou écrasées : elles doivent, pour au moins une partie d’entre elles, traverser la bouche ou le bec puis le tube digestif sans être altérées. Il faut donc attirer des consommateurs mais surtout pas pour les graines elles-mêmes car on tombe alors dans une relation de prédation (la granivorie) qui ne présente aucun avantage pour la plante (voir la chronique : Lierre : des fruits et des oiseaux)  !

Un autre écueil qui peut survenir concerne les animaux qui en mangeant ces fruits charnus recrachent une à une les graines sur place : elles échappent à la consommation mais elles retombent au pied de la plante mère : raté ! Enfin, il ne faut pas oublier qu’un fruit charnu ne va pas attirer que des consommateurs « intéressants » : des rongeurs par exemple peuvent très bien aussi être attirés ; ils vont décortiquer le fruit et extraite les graines pour les grignoter. La pression de sélection a donc induit l’apparition de mécanismes de « défense » envers les consommateurs de fruits charnus pour contourner ces conséquences négatives.

Très souvent, les graines sont extrêmement toxiques (ou présentent un goût très âcre ou piquant) alors que la partie charnue du fruit ne l’est pas (au moins pour certaines catégories de consommateurs). Ainsi, si l’arille de l’if est parfaitement comestible (y compris pour les humains), sa graine contient un arsenal chimique redoutable. Les consommateurs apprennent vite à éviter ces graines répulsives. Cette protection s’adresse d’ailleurs tout autant aux granivores non disperseurs ; ainsi, les graines des ifs sont quand même consommées par des passereaux granivores tels que verdiers ou gros-becs : ils épluchent l’enveloppe de la graine en la faisant tourner dans leur bec car elle concentre la majorité du poison.

D’autres solutions fréquemment adoptées concernent les graines très petites noyées dans une chair abondante comme chez les figues ou les graines enveloppées d’un tégument très dur. Souvent la pulpe charnue adhère aux graines que l’on a du mal à séparer : pensez aux grenades ou aux fruits de la passion dont les graines gluantes se détachent mal. La taille des graines ou des fruits permet elle de sélectionner qui va pouvoir manger ou pas tel ou tel fruit : ainsi les oiseaux se trouvent limités par la taille limitée de leur gosier (voir l’exemple de petites pommes et du merle ci-dessus : il ne pourrait avaler des pommes ordinaires !) pour avaler d’un coup alors que les mammifères disposent de dents coupantes ou broyeuses.

Les adeptes du voyage par transit

Ce mode de dispersion est apparu indépendamment (et donc sous des formes très variées) dans de nombreuses lignées végétales non apparentées, de manière plus ou moins étendue au sein de chacune d’elles. Souvent, des groupes entiers dans une famille donnée présentent majoritairement ces caractères comme par exemple chez les Rosacées ; dans plusieurs tribus de cette famille sont apparus indépendamment des fruits charnus (ronces et rosiers, pommiers et poiriers, sorbiers, pruniers, cerisiers, …. ) alors que nombre d’autres rosacées ont des fruits secs (Spirées, Potentilles, Benoîtes, …). Parfois ce ne sont que quelques espèces au sein d’une famille à « fruits secs » comme par exemple les androsèmes au sein de la famille des millepertuis (Hypéricacées) qui ont acquis des fruits charnus (voir photos ci-dessus).

Il apparait néanmoins que ce mode soit plus répandu dans les branches basales de l’arbre de parenté des plantes à fleurs, donc les plus anciennes (comme par exemple chez les Magnoliales avec les noix de muscade, les annones, les graines arillées des magnoliacées, …) ; ceci laisse à penser que les premières plantes à fleurs avaient des fruits charnus sans doute consommés au début par ….. les dinosaures et les ptérosaures de l’époque, avant l’avènement des oiseaux et mammifères au cours du Crétacé.

Ce sont avant tout des arbres ou arbustes qui connaissent ce mode de dispersion, résultat sans doute à la fois de contraintes évolutives (lignées basales essentiellement ligneuses) et mécaniques (fabriquer et supporter des fruits charnus demande des structures robustes) ; de ce fait, on rencontre de tels végétaux surtout en milieu forestier ou dans les végétations à base d’arbustes. Dans certains écosystèmes comme les forêts d’Amérique du sud (néotropicales), 50 à90% des arbres constituant la canopée et 75 à 100% des arbustes ou petits arbres en sous-étages ont des fruits charnus dispersés par des vertébrés. 42% des arbres de la flore d’Afrique du sud ont de tels fruits et la moitié d’entre eux sont dispersés avant tout par des oiseaux.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Plant-animal interactions. An evolutionary approach. Edited by C. Herrera and O. Pellmyr. Blackwell Pub. Company. 2002.
  2. Dispersal in plants. A population perspective. R. Cousens ; C. Dytham ; R. Law. Ed. Oxford University Press. 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les arbres et arbustes à fruits charnus
Page(s) : Guide des fruits sauvages : Fruits charnus