Cymbalaria muralis

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Quand je visite une ville ou un village, je la cherche toujours du regard, en scrutant les vieux murs dans les ruelles ou sur les façades des vieux bâtiments : elle est la plus fidèle compagne de ce milieu si particulier et si hostile à la vie et apporte une note fleurie dans ce décor. Outre sa délicatesse, son histoire intimement liée à celle de l’Homme ou son mode de vie qui lui permet de prospérer sur ces espaces minéraux verticaux sont autant de clins d’œil au promeneur au regard ouvert.

Une fausse linaire

Longtemps surnommée linaire cymbalaire et classée dans le genre Linaire (Linaria), elle a été depuis replacée dans un genre à part, Cymbalaria. Les études génétiques récentes montrent qu’en fait elle n’est pas très proche parente des « vraies » linaires mais apparentée à des plantes comme l’asarine couchée ( Asarina procumbens), une montagnarde des Pyrénées et du Massif Central ou d’une grimpante ornementale très jolie, le « gloxinia grimpant » (Lophospermum erubescens), originaire du Mexique et connue comme plante invasive à l’île de la Réunion sous le surnom de liane Maurandya.

Elle appartient néanmoins au sein de la vaste famille « recomposée » des Plantaginacées, très hétérogène d’aspect, à la tribu des « gueules-de-loup » auprès des mufliers ; elle partage effectivement avec eux une fleur mauve violet pâle à deux lèvres : la lèvre inférieure trilobée porte une bosse en palais jaune qui ferme l’entrée ; la lèvre supérieure dressée possède deux lobes. Un éperon court et courbé prolonge la corolle derrière le calice.

Un faux lierre

Les feuilles luisantes et un peu charnues d’aspect, sur un long pétiole, découpées en 5 à 7 lobes arrondis à triangulaires, étalées sur des tiges rampantes rappellent effectivement fortement les feuilles du lierre (lequel n’a aucune parenté avec la cymbalaire) ; d’où les nombreux noms populaires comme lierre fleuri, lierre des murailles ou linaire à feuilles de lierre en anglais (ivy-leaved toadflax).

La forme un peu déprimée au centre a donné le nom de cymbalaire (qui s’écrivait cinbalaire au 15ème siècle) à partir du latin cymbalum qui a donné cymbale (nom dérivé du grec kumbê qui signifie coupe ou vase). Cette forme de feuille rappelle celle d’une autre plante hôte des murs, le nombril de Vénus (Umbilicus rupestris) qui a fait l’objet d’une chronique. Voici à ce propos un extrait savoureux de l’Histoire des plantes de l’Europe publiée en 1689 :

« Ses tiges sont menuës, et ses feuilles ressemblent à celles du Lierre, qui sont déchiquetées en pointe tout à l’entour ; et parce qu’on appelle ordinairement cette plante Cymbalaria, on croît qu’elle a pris son nom de Cymbalium, et par ce moyen que c’est le vrai Umbilicus, où ils se trompent. »

La mère des milles !

Comme toujours, les Anglais savent concocter des surnoms très évocateurs avec leur sens de l’observation naturaliste : celui de Mother-of-thousands résume très bien la capacité de la cymbalaire à former des touffes en draperies retombantes sur les murs (ou étalées en tous sens sur des surfaces plates comme les pierres tombales des cimetières ou les rebords et sommets de murs), composées d’une multitude de tiges grêles filiformes, enchevêtrées. Comme elles sont capables de s’enraciner de place en place au niveau des nœuds, elles colonisent ainsi tout doucement les surfaces verticales, véritables parures vertes et fleuries.

La cymbalaire fait partie du groupe écologique des chasmophytes, les plantes dites « fissuricoles », qui s’installent dans les fissures et anfractuosités de rochers et elle est plutôt spécialisée dans les vieux murs à base de roche calcaire ou à ciment calcaire. Si elle fréquente avant tout villes et villages, on peut la retrouver ponctuellement isolée çà et là sur des tas de pierres, des vieux ponts en pleine campagne, des digues de galets en bord de mer, dans d’anciennes carrières ou sur des tas de gravats dans d’anciennes décharges. Cette relation étroite avec l’habitat humain résulte en fait de son histoire.

La ruine de Rome

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En Europe occidentale, la cymbalaire est en effet une ancienne plante largement naturalisée dont l’aire d’origine s’étend des Alpes du sud à l’ex-Yougoslavie et jusqu’en Italie et Sicile ; là, elle habite les rochers ombragés jusque dans des zones boisées.

En France, elle fut importée d’Italie au 15ème siècle d’où son nom de ruine de Rome ; cette image culturelle forte (l’Italie et la Renaissance) lui valut un fort succès populaire du 16ème au 19ème et c’est ainsi que par la culture, elle a été répandue d’abord sur les châteaux et les grands édifices avant de se disperser « naturellement » et de gagner les murs des villages et des villes mais sans vraiment s’intégrer dans les communautés végétales naturelles. Elle a donc le statut d’archéophyte, plante introduite très tôt, avant l’instauration des grands échanges à l’échelle mondiale, et devenue spontanée.

En Grande-Bretagne, (3) on a longtemps cru qu’elle avait été introduite en 1724 au jardin de médicinales de Chelsea près de Londres d’où elle se serait échappée. Mais, des notes du botaniste J. Goodyer indiquent qu’elle était déjà cultivée dès le tout début du 17ème dans le jardin de W. Coy à Stubbers dans l’Essex ; en 1617, Goodyer lui-même l’importe dans son jardin. De là elle va coloniser toute l’Angleterre jusqu’en Ecosse. Des auteurs anciens ont avancé (sans preuves) qu’elle avait été introduite sous forme de graines apportées avec des sculptures en marbre d’Italie dans la région d’Oxford où elle est effectivement très florissante depuis longtemps et où on la surnomme Oxford weed.

En Pologne où elle est aussi devenue commune au 19ème siècle, elle a connu un fort déclin récent qu’on attribue au simple fait qu’elle a cessé d’être à la mode et n’est plus plantée ; sans cet apport extérieur, elle ne réussit pas à maintenir ses populations.

Méridionale mais …

Si elle aime la chaleur, elle n’en craint pas moins la sécheresse et les fortes variations de température ; elle recherche de ce fait plutôt des sites à demi ombragés dans les endroits les plus chauds. En Grèce, dans la cité de Patras où elle a été étudiée, elle occupe les expositions nord et nord-ouest.

Ses feuilles ont la capacité d’absorber la rosée du matin à travers la cuticule du dessus (1), faculté vitale pour subsister sur des parois arides en été. Si on brumise une plante un peu fanée, en moins d’une heure elle reprend son allure originelle. On a montré (2) qu’elle tendait à concentrer certains métaux lourds comme le cadmium, le zinc ou le plomb ce qui pourrait expliquer sa régression localement dans certaines villes.

Elle sait se planter

Une fois installée sur un mur, outre sa capacité à s’étaler (voir ci-dessus « la mère des milles »), la cymbalaire possède la faculté « d’auto-semer » ses graines autour d’elle. Ses fruits arrondis, un peu bosselés en surface, sont des capsules au bout d’un long pédoncule qui portait la fleur solitaire. Arrivé à maturité, ce pédoncule initialement dressé ou étalé, ce qui correspond au schéma classique, se met à se courber ce qui conduit à enfoncer la capsule dans la moindre anfractuosité ou fissure qui se trouve à proximité. La capsule finit par s’ouvrir par deux fentes qui se déchirent chacune selon trois valves, ce qui libère les petites graines noires finement sculptées en surface, dans un endroit a priori favorable, au lieu de les laisser tomber … dans le vide et atterrir au sol, scénario souvent très défavorable .

Pour voyager à plus grande distance, outre les interventions humaines directes sous la forme de semis ou de plantations, l’eau qui ruisselle sur les murs peut servir d’intermédiaire mais le devenir des graines sera alors très aléatoire. Les fourmis, très présentes sur les murs, pourraient aussi jouer un rôle de déplacement de ces graines mais à une échelle modeste de quelques mètres.

Gérard Guillot ; zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. Beneficial effects of direct foliar water uptake on shoot water potential of five chasmophytes. E. Gouvra and G. Grammatikopoulos. Can. J. Bot. 81: 1278–1284 (2003)
  2. Comparison of Chemical Composition
of Two Co-Occurring Chasmophytes, Asplenium ruta-muraria L. (Pteridophyta) and Cymbalaria muralis Gaer., Mey. & Scher. (Spermatophyta) from Habitats Differing in Air Pollution. L. Mróz, A. L. Rudecki. Polish J. of Environ. Stud. Vol. 18, No. 5 (2009), 853-863
  3. Flora Britannica. R. Mabey. Chatto et Windus Ed. 1996

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la cymbalaire
Page(s) : 68-69 Guide des plantes des villes et villages
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Page(s) : 529 Guide des Fleurs du Jardin
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Page(s) : 136 Le guide de la nature en ville