En 2017, une pétition intitulée « Sauvons les hérissons » avait été lancée en s’appuyant sur divers arguments dont celui de l’extinction « programmée » de cette espèce longtemps considérée comme très commune : « Là où dans les campagnes il y avait 100 hérissons, il n’y en a plus que 3 à présent. On estime que près de 2 millions d’individus disparaissent chaque année, écrasés par les voitures, empoisonnés par les pesticides et les produits anti-limaces, noyés dans des piscines ou expulsés de leurs habitats naturels. » Effectivement le hérisson connaît un très fort déclin dans les campagnes où il prospérait il y a encore peu victime, outre le trafic routier,  de l’intensification agricole mais aussi de certaines pratiques des citadins jardiniers dans les zones suburbaines et à la périphérie des villages. Au Royaume-Uni où l’espèce suit la même trajectoire, on a pris conscience de l’étendue du désastre en initiant des programmes de conservation appuyés par des études sur l’écologie et les besoins de cette espèce dans les milieux agricoles ordinaires où il vit. En utilisant le radio-tracking, on a pu analyser très finement les préférences des hérissons quant aux habitats disponibles dans leur environnement et proposer ainsi des mesures agroenvironnementales en faveur de cette espèce et des nombreuses autres qui vivent comme lui dans ces milieux. 

Porte étendard

Le hérisson ne fait pas partie de la biodiversité animale extraordinaire qui mobilise les médias : il s’agit d’une espèce de taille modeste, banale mais quand même particulière quant à sa morphologie et ses mœurs qui détonent au sein de nos mammifères. Animal des milieux ouverts à végétation basse pour y chercher sa nourriture au sol, il fréquente surtout les milieux herbacés mêlés de buissons ou les lisières forestières. Il s’est largement adapté aux milieux semi-naturels et notamment urbains devenus des zones refuges là où l’intensification agricole a complètement détruit ses habitats : vergers, terrains vagues, jardins, espaces verts, parcs à la périphérie ou dans les villages et petites villes. 

Crotte de hérisson

Les écologistes le classent dans la catégorie des généralistes mobiles circulant sur des territoires assez étendus. Son régime alimentaire est surtout à base de gros arthropodes variés (coléoptères, perce-oreilles, mille-pattes, chenilles, araignées, …) de mollusques (limaces et escargots) de vers de terre complété par quelques petits vertébrés (campagnols, grenouilles, lézards, oisillons, œufs). Toutes ces proies variées servent aussi de nourriture de base à divers autres prédateurs petits à moyens dont des oiseaux, des mammifères, des grenouilles et crapauds et des serpents et lézards qui, avec le hérisson forment la guilde des prédateurs de macroinvertébrés. Il est donc essentiel de déterminer les éléments clés assurant une bonne qualité d’habitat pour le hérisson, lui permettant de maintenir des populations viables afin de proposer des mesures de gestion favorables, lesquelles profiteraient à tout l’ensemble de ces espèces prédatrices de macroinvertébrés. 

Paysage d’agriculture intensive qui ne laisse pratiquement aucune place aux hérissons ; même la haie au premier plan est trop lâche pour servir d’abri

Haies et bordures 

Pour établir leur protocole d’étude, les chercheurs anglais sont partis des connaissances déjà acquises à propos des hérissons. On sait ainsi qu’ils sous-utilisent les espaces cultivés et sont très sensibles à la présence de zones refuges pouvant servir d’abris envers leurs prédateurs, dont le blaireau qui en consomme beaucoup. Pour trouver leur nourriture dans la végétation basse, on suppose qu’ils  utilisent en priorité les bordures herbeuses des champs ou des haies qui longent des champs cultivés. Les grands champs avec une très faible proportion de lisière avec ces deux éléments seraient des barrières à leurs mouvements et exclus des territoires. Sur la base de cette hypothèse, les chercheurs ont donc sélectionné dans le Norfolk une zone agricole intensive où de tels aménagements (haies, bordures herbeuses et jachères) ont été mis en place dans le cadre du programme européen des mesures agro-environnementales afin de vérifier si oui ou non les hérissons les utilisent de manière préférentielle. Le principe de ces mesures consiste à aider financièrement les exploitants qui acceptent de mettre en place ces structures  pour les dédommager des surfaces perdues et favoriser ainsi la biodiversité locale. En France, ce programme existe aussi et depuis 2015 s’intitule MAEC ou mesures agro-environnementales et climatiques. 

Bande herbeuse le long d’une culture

Les effets de ces mesures semblent mitigés et sont très discutés selon les contextes et l’esprit dans lequel elles sont appliquées. Mais, néanmoins, pour ce qui est des haies, des bordures herbeuses et des jachères, on sait qu’elles peuvent avoir des effets positifs sur les populations d’oiseaux nicheurs, de bourdons ou de petits mammifères ; on les cite souvent comme habitats clés pour divers petits mammifères et on sait qu’elles en hébergent des densités plus importantes que dans les cultures attenantes. Elles apportent à la fois un habitat potentiel (avec des abris et refuges) et de plus grandes ressources alimentaires en invertébrés notamment. Voir à ce propos la chronique : « Les pieds des haies : des refuges de biodiversité ». Tout laisse donc à penser que ces structures pourraient bénéficier aux hérissons et à toute la guilde des prédateurs de macroinvertébrés. 

Jachère « naturelle » (pas de semis) très favorable aux hérissons (couvert et nourriture assurées)

Pistage 

Pour tester cette hypothèse, la seule solution valide consiste à utiliser le radio-tracking, i.e. la pose d’émetteurs permettant de localiser en continu les animaux marqués et de les suivre dans leurs déplacements. Méthode efficace mais encore faut-il trouver les animaux dans leur environnement pour les équiper ! Pour cela, les chercheurs ont eu recours à un stratagème : ils ont récupéré douze douze mâles adultes dans des centres de soin pour animaux blessés et les ont équipé d’une balise et d’un système d’éclairage qu’on peut déclencher à distance. Ces mâles lâchés sur l’ensemble de la zone (600 hectares) et suivis de près provoquent immanquablement  des réactions vives de la part des mâles locaux qui vont à leur rencontre : une intervention rapide permet alors de capturer l’animal local et de l’équiper à son tour tout en récupérant « l’appât ». Ensuite, à partit de ces mâles locaux on peut trouver les femelles ! Au total, 24 mâles et 20 femelles locales ont ainsi été capturés et équipés pour être suivis du crépuscule à l’aube (le hérisson est nocturne) entre mai et juin pendant dix nuits minimum par individu. Toutes les heures, la balise indique le point où se trouve l’animal ce qui permet en le géolocalisant d’identifier le type d’habitat, la distance à l’habitat le plus proche ; on peut aussi suivre les déplacements et mesurer les vitesses de déplacement selon les milieux parcourus. On peut aussi sans s’approcher de l’animal savoir ses activités selon divers indices du signal : recherche de nourriture ; interaction avec un autre hérisson ; repos ; course ou marche ! Le suivi régulier permet enfin de détecter les mortalités éventuelles et, en recherchant les restes, d’identifier la cause de la mort. 

Choix des habitats 

A partir des près de 2300 pointages fixes obtenus par radio-tracking, on peut nettement dégager les préférences des hérissons en matière d’habitat parmi ceux disponibles dans leur environnement. Deux habitats se détachent nettement : les haies et les bordures herbeuses sont significativement plus fréquentées par les hérissons. Mais il existe une nette différence entre sexes car les femelles sont surtout actives dans et à la périphérie des villages où elles fréquentent assidûment les espaces verts (pelouses, terrains de jeux, …). Ceci s’explique aisément quand on sait que les mâles ont des territoires cinq fois plus grands que ceux des femelles et qu’ils circulent beaucoup plus à la recherche de femelles. D’autre part, les femelles semblent sélectionner des petits ilots d’habitats très riches en nourriture et plus abrités des prédateurs. En tout cas, il devient donc certain que haies et bordures herbeuses gérées de manière favorable représentent des habitats clés pour le hérisson dans un environnement dominé par des parcelles cultivées assez étendues et que les habitats dans les villages ont aussi une grande importance. Voilà une belle occasion de rapprocher ruraux et urbains dans un même combat pour la conservation des hérissons et de la petite faune des milieux « ordinaires » ! 

L’analyse des comportements et des vitesses de déplacements (voir le protocole) suggère que les haies sont surtout utilisées le jour comme abri pour dormir mais aussi la nuit pour faire de courtes pauses de repos entre les phases actives de recherche de nourriture. Les bordures herbeuses servent surtout à la recherche de nourriture et dans une moindre mesure pour se reposer et se déplacer ; leur bonne qualité écologique est donc déterminante (ainsi que celle des espaces verts urbains) pour l’alimentation des hérissons : ceci signifie de la diversité végétale, un couvert maintenu assez bas et évidemment zéro pesticides !

L’appel des lisières 

Quand les hérissons s’aventurent dans les cultures (ce qu’ils font peu souvent), ils n’y vont que rarement à plus de 45 m du bord de la parcelle ; dans les jachères herbacées denses non cultivées (qui sont d’anciennes cultures) ils vont là jusqu’au cœur des parcelles. On voit donc l’importance clé de bordures refuges pour rendre les parcelles cultivées exploitables par les hérissons.

Trois hypothèses, qui ne s’excluent pas entre elles, peuvent être avancées pour expliquer cette dépendance envers les lisières. Les haies seraient un refuge par rapport à la prédation dont celle prédominante du blaireau (voir le paragraphe sur la mortalité) ; or, ces derniers chassent rarement le long des éléments linéaires du paysage ; ils tendent à « couper à travers » comme le montrent bien leurs pistes. Un paysage avec une structure plus complexe permet d’abaisser la prédation d’une part en fournissant des abris et d’autre part en fournissant une nourriture abondante y compris pour le prédateur qui a alors moins de raisons de se « fatiguer » à chasser les hérissons. Une autre hypothèse serait que les macroinvertébrés servant de proies soient plus abondants sur les bords qu’au centre des parcelles. enfin, pour bâtir leur nid, les hérissons choisissent souvent des touffes de grandes herbes serrées ou des végétations dominées par des ronciers, habitats bien plus probables le long des lisières. Là encore, cet aspect souligne la nécessité d’avoir certes des haies avec une garniture à leur base de bonne qualité (voir la chronique sur les pieds des haies). 

Nouvelle haie plantée nettement inappropriée pour les hérissons en dépit de la bande herbeuse favorable : une seule rangée et aucune garniture à la base

Dans les espaces verts où l’herbe est très basse (moins de dix centimètres de hauteur) ou dans les cultures avec une végétation clairsemée, les hérissons préfèrent rester sur les bords ; par contre dans les prés à herbe haute ou dans les jachères denses, ils vont bien à l’intérieur. La nécessité d’être caché par la végétation serait donc un élément déterminant pour les choix du hérisson ce qui confirme aussi l’importance de la pression de la prédation. Dans les jachères étudiées ici, que les hérissons fréquentaient volontiers, ils s’y déplaçaient assez vite pourtant : leurs sols secs et caillouteux ne devaient pas être propices à une forte abondance de macroinvertébrés ; le facteur abondance des ressources serait donc l’autre facteur clé. 

Mortelles randonnées 

Sur les 44 hérissons équipés de balises et suivis pendant 75 jours, 9 sont morts soit une mortalité significative de 20%. Une femelle est morte suite à une problème de grossesse mais les huit autres ont été tués par des blaireaux au vu des restes retrouvés (la peau et les épines) ; toutes ces captures ont eu lieu dans les parties cultivées (aucune dans les villages) dont quatre dans des haies ouvertes avec une base clairsemée (voir ci-dessus !), deux dans des cultures, un dans un pré et un dans une bordure herbeuse. 

J. de la Fontaine aurait pu écrire une fable « le tesson et le hérisson » car le blaireau est un prédateur majeur des hérissons.

Le blaireau est donc ici responsable de 18% de mortalité alors que sur le site étudié sa population y est très faible avec aucun terrier connu ! Si on extrapole à l’ensemble d’une saison active (le hérisson hiberne en grande partie en hiver), on atteint un taux de 52%. Donc, sans les refuges fournis par les villages, cette prédation ne peut que conduire à l’extinction des populations de hérissons dans les terres cultivées si elles sont dépourvues d’éléments refuges. Cependant, sur les huit hérissons prédatés, sept étaient des mâles ce qui correspond à l’hyper activité des mâles sur de grands territoires. Cette disproportion envers les mâles tempère donc l’impact de la prédation sur la démographie des populations. Il est possible que sur ce site d’étude les blaireaux ne disposent pas de ressources alimentaires suffisantes (dont les vers de terre) ce qui les conduit à chasser plus activement les hérissons. En fait, le blaireau appartient quasiment à la même guilde que le hérisson, celle des chasseurs de macroinvertébrés même s’il consomme plus de vertébrés (dont les hérissons !). Envisager d’autres formes de gestions des cultures plus favorables à la biodiversité animale constitue donc un autre levier clé pour la conservation des hérissons. D’autre part, le fait que les blaireaux ne s’aventurent pas dans les villages souligne leur importance come zones refuges, souvent riches en ressources en plus. Cependant, l’évolution récente du comportement de ces animaux qui commencent eux aussi à s’adapter à l’environnement urbain peut laisser craindre que même dans les villages les hérissons ne seront plus à l’abri sauf s’ils y bénéficient de suffisamment de refuges variés. 

Préconisations 

Une telle étude présente l’intérêt majeur d’apporter suffisamment d’éléments objectifs et avérés sur les besoins et les comportements des hérissons pour proposer des mesures de conservation adaptées. Il ressort clairement que la création et le maintien de bandes herbeuses le long des cultures, gérées de manière favorable, devrait être une priorité dans les MAEC (voir le premier paragraphe) dans les paysages agricoles intensifs pour fournir des sites de recherche de nourriture aux hérissons. Favoriser ces structures notamment aux abords des villages leur serait encore plus bénéfique. Les haies sont aussi un habitat clé tant pour la recherche de nourriture, que l’installation des nids et comme refuges pour échapper aux prédateurs : compte tenu de l’éradication généralisée de celles-ci, par le passé des replantations actives sont à envisager aussi dans le cadre de MAEC mais en s’attachant à créer de nouvelles haies avec un couvert végétal diversifié et une base buissonnante et touffue ; l’étude démontre clairement que des haies installées lors de MAE mais trop lâches et trop ouvertes à leurs pieds ne répondent pas aux besoins des hérissons notamment pour la reproduction. 

Conjointement aux bandes herbeuses, des jachères peuvent aussi apporter un plus mais à condition de fournir des ressources alimentaires adéquates en termes de populations de macroinvertébrés.  Trop souvent, elles ne sont conçues que par rapport à la problématique des insectes pollinisateurs. 

Parcelle en jachère-friche avec des vivaces favorable aux hérissons

La promotion de l’agriculture biologique, couplée d’ailleurs avec le programme des MAEC, constitue un autre levier essentiel car elle seule peut fournir des parcelles cultivées hébergeant des ressources alimentaires suffisantes avec, en retour pour les exploitants, les bénéfices de cet auxiliaire efficace qu’est le hérisson (notamment contre limaces et escargots).

Par rapport aux blaireaux, d’aucuns pourraient être tentés de les montrer du doigt mais l’étude met clairement en avant deux éléments clés pour limiter l’impact de leur prédation active sur le hérisson : fournir un maximum de ressources alimentaires diversifiées y compris dans les cultures et fournir des abris et refuges sous forme de linéaires boisés non fréquentés par les blaireaux. 

Pelouse favorable dans un village ; ici, les clôtures préviennent le passage vers la route

Enfin, dans les villages, un gros travail de pédagogie doit être conduit pour inciter à l’adoption de pratiques favorables : cesser les brûlis de tas de déchets souvent fatals pour les hérissons hibernants ; inciter à créer des haies à base buissonnante ; une tonte mesurée des pelouses et espaces herbeux ; bannir définitivement l’emploi des pesticides et notamment les redoutables anti-limaces ou les anti-rongeurs susceptibles d’empoisonner les hérissons ; installer des dispositifs permettant leur libre circulation ; prévenir les chutes dans les « pièges mortels » tels que les piscines ; … Pour tous ces aspects urbains, l’implication peut et doit être à la fois collective (les municipalités) et individuelle (chaque propriétaire d’un terrain). 

Le hérisson est devenu l’icône de plusieurs mouvements de protection et de conservation de la nature ; il est « notre panda géant » et montre qu’une espèce encore très commune il y a peu peut devenir rapidement en fort déclin et même menacée localement de disparition ; il n’y a plus de biodiversité ordinaire : les ordinaires d’aujourd’hui risquent vite de devenir les extraordinaires de demain !

Bibliographie 

The value of agri-environment schemes for macro-invertebrate feeders: hedgehogs on arable farms in Britain ; A. R. Hof & P. W. Bright Animal Conservation  (2010) 1–7 

Site le hameau des hérissons sur lequel on trouve toute une documentation sur les hérissons et comment les protéger http://www.hameaudesherissons.fr/index.php?id_page=centresoins.php