04/09/2023 Dans une étude de 2009 (1), des chercheurs avaient pointé le haut potentiel des forêts tempérées humides pour stocker du carbone et donc participer à la mitigation du changement climatique en cours. Pour connaître ces forêts cruciales pour le stockage de carbone dans l’immédiat, deux types de facteurs favorisants avaient été identifiés :  la conjugaison de températures assez fraîches et de précipitations assez élevées qui induisent des taux de croissance rapide mais une décomposition relativement lente ; des forêts anciennes à structure complexe et ayant subi des perturbations humaines minimales.

Le premier facteur se trouve mis à mal avec la récurrence d’épisodes extrêmes de sécheresses qui entraînent des dépérissements massifs dans les forêts gérées. Or, les forêts anciennes (second facteur), riches en arbres âgés et à structure complexe, semblent plutôt mieux résister à ces épisodes répétés. Ceci soulève une question majeure restée jusqu’ici peu étudiée : les arbres âgés ne seraient-ils pas plus résistants à la sécheresse ?

Dans le Harz allemand, ces plantations d’épicéas, affaiblies par les sécheresses, sont détruites par les attaques de scolytes (cliché L. Lindwurm ; C.C. 4.0.)

Une étude internationale (2) a exploré cette question ; ses résultats remettent sérieusement en cause les modes de gestion actuels des forêts avec la récolte de plus en plus précoce des arbres matures. Elle pose en creux la vraie question de la légitimité pure et simple de la gestion forestière destinée à la seule production de bois.

Régulateur climatique

Dans toute la suite de cette chronique, nous allons parler des seuls arbres dominants dans la canopée supérieure des forêts i.e. ceux dont les cimes ou houppiers atteignent la lumière. En sous-bois, il y a d’autres arbres ou arbustes, soit d’espèces naturellement basses, soit de jeunes individus en croissance, avec une canopée intermédiaire, qui se déploie à l’ombre des précédents.

Hêtraie où se côtoient arbres âgés et arbres jeunes

Ces arbres sont de facto les plus grands mais pour autant, dans leurs rangs, figurent aussi bien des arbres relativement jeunes, ayant réussi à atteindre la canopée supérieure, que des arbres âgés de grande taille. Mais, inversement, on peut très bien avoir des arbres âgés qui sont restés bas pour diverses raisons. Autrement dit, la position dominante en hauteur ne coïncide pas forcément avec l’âge réel des arbres individuels. Ceci a été une source de confusion majeure jusqu’à récemment où l’on tendait à relier grand âge et grande hauteur. Dans des environnements très contraints (climats froids ou secs) ou en limite de répartition climatique, des arbres individuels de même taille et d’une même espèce peuvent différer entre eux de plusieurs siècles en âge !

Le choix de s’intéresser à ces arbres dominants repose sur le constat établi qu’ils apportent un ombrage générant un microclimat très tamponné en sous-bois et favorable à la biodiversité et à la survie des autres végétaux. Voici la conclusion d’une étude de 2019 sur cet aspect (3) : En conjuguant des mesures sous canopée versus hors forêt dans 98 sites sur cinq continents, nous montrons que les forêts fonctionnent comme un isolant thermique, refroidissant le sous-bois quand les températures ambiantes sont élevées et le réchauffant quand elles sont basses. La compensation de température sous la canopée versus en dehors est amplifiée quand les températures deviennent plus extrêmes et est d’une magnitude plus importante que le réchauffement des températures terrestres au cours du siècle passé. Les canopées des arbres peuvent ainsi réduire la sévérité des impacts du réchauffement sur la biodiversité et le fonctionnement des forêts.

Jeunisme

Les perturbations humaines telles que la déforestation ou l’abattage sélectif des arbres matures, conjugué avec les évènements climatiques extrêmes, provoquent un déclin de la canopée des arbres dominants, ceux qui stockent les plus grandes quantités de carbone et stabilisent le plus le microclimat en sous-bois (voir ci-dessus). Globalement, la reforestation qui suit souvent ces « destructions », qu’elle se fasse par la voie de la régénération naturelle ou par plantation, a conduit et va conduire à moyen terme à des forêts dominées surtout par des arbres jeunes.

Ainsi, la surface couverte par de jeunes arbres atteignant la canopée supérieure dans les régions tempérées a été estimée à quatre millions de km2 : elle dépasse très nettement celle couverte par les arbres âgés, soit 2,2 millions de km2. De fait, actuellement, les forêts tempérées se retrouvent dans une situation où les jeunes arbres atteignant la canopée supérieure représentent la composante majeure de ces écosystèmes forestiers.

Or, les vieux arbres ont automatiquement, du fait de leur longévité, un plus fort potentiel de stockage du carbone qu’ils conservent ; de plus, on sait qu’ils ont une importance écologique considérable comme pourvoyeurs de micromilieux pour la biodiversité (chronique) avec, notamment, la part croissante de bois mort qu’ils portent. Il est donc essentiel de savoir si des forêts ainsi rajeunies auront le même impact sur le stockage de carbone que des forêts avec plus d’arbres âgés.

Stress hydrique

Parmi les évènements climatiques extrêmes qui accompagnent le changement climatique, les sécheresses (souvent couplées avec des épisodes de canicules) plus intenses et plus fréquentes représentent une menace majeure pour la survie des arbres forestiers ; elles causent des dégâts irréversibles au niveau de la circulation de la sève dans les arbres (embolies) ce qui induit un affaiblissement et conduit au dépérissement. A ce stress climatique vient se superposer un stress biotique lié aux attaques de certains insectes xylophages comme les scolytes et alliés qui accélèrent la mortalité définitive de ces arbres.  

Il existe une forte variation des réponses des arbres confrontés à de tels épisodes extrêmes ce qui amène progressivement une modification de la composition en espèces des forêts et de la répartition des types de forêts.

Les vagues de dépérissement à grande échelle, induites par les sécheresses, vont réduire l’effet de tampon microclimatique exercé par la canopée des arbres dominants : la température en sous-bois augmente rapidement ce qui accélère les changements évoqués ci-dessus et bouleverse la biodiversité associée. La prolongation dans le temps d’un épisode de sécheresse peut empêcher les arbres de revenir à leur rythme de croissance avant la sécheresse du fait des conditions plus chaudes et plus sèches qui se sont installées au sein de la forêt ainsi transformée.

Pour connaître donc les réponses des arbres forestiers selon leur âge, une équipe de chercheurs (2) a compilé des données dendrochronologiques (analyse des cernes de croissance qui enregistrent les épisodes de stress) concernant 119 espèces sensibles aux sécheresse en Amérique, en Eurasie, en Afrique et en Océanie. Les deux grands groupes d’arbres ont été échantillonnés : 81 espèces de Conifères (Gymnospermes : groupe I) et 38 de feuillus (Angiospermes ou Plantes à fleurs : groupe II). Les cernes de près de 20 000 arbres relevant de trois classes d’âge (jeunes, intermédiaires et âgés) ont ainsi été analysés donnant ainsi une vision globale et très précise de cette relation âge/résistance à la sécheresse.

Réduction de croissance

En situation de sécheresse, les jeunes arbres dominants des deux groupes connaissent une réduction plus importante de leur croissance que leurs homologues âgés ; on parle de sensibilité différente à la sécheresse. En moyenne, en situation de sécheresse, les jeunes dominants du groupe II montrent une baisse de 28% de leur croissance contre 21% chez les plus âgés. Les plus jeunes ont connu une réduction de croissance de 17% de plus que celle de leurs ainés lors d’épisodes extrêmes. Pendant les périodes humides favorables, les jeunes arbres ne connaissent une croissance radiale que de 1,8% supérieure à celle des « vieux ».

Jeunes sapins introduits en sous-bois, grillés par un épisode de canicule

Les jeunes arbres dominants sont particulièrement vulnérables dans les régions méditerranéennes, tempérées et alpines/boréales. Dans la troisième région, les jeunes arbres voient leur croissance baisser de 20%, soit 12% de plus que les « vieux » qui résistent bien mieux. Pour les arbres du groupe I (Conifères, l’écart jeunes/vieux est plus resserré (3 à 4% d’écart). 

Inversement, dans les régions tropicales, la sensibilité à la sécheresse est nettement plus grande chez les individus âgés des deux groupes de 4 à 6% par rapport aux plus jeunes.

Parmi les explications possibles à cette différence de sensibilité selon l’âge figure en premier lieu le système racinaire : plus développé et plus en profondeur chez les arbres âgés, il leur donne un meilleur accès à l’eau sous terre. Ainsi, ces arbres amortissent les effets immédiats de la majorité des sécheresses. ils peuvent aussi faire remonter de l’eau depuis les couches profondes via le processus de pompe hydraulique.

Les jeunes individus ont des racines plus proches de la surface et moins denses ce qui limite leur capacité à prélever de l’eau, les rendant ainsi plus susceptibles aux effets des sécheresses, même les moins perceptibles.

Pour les différences entre groupes, là encore on observe des différences au niveau des enracinements. La profondeur moyenne du système racinaire des chênes (groupe II) est de 5,23m versus 2,45m chez les pins (groupe I) : ainsi s’expliquerait la meilleure résistance des chênes aux sécheresses en général.

Les arbres dominants âgés avec leur canopée plus étendue et un enracinement plus profond bénéficient d’un meilleur accès à l’eau ce qui améliore l’efficacité de leur transpiration, indispensable pour la circulation de la sève. Ils régulent et stabilisent mieux le microclimat en sous-bois ce qui atténue la sévérité des sécheresses et, en retour, atténue la demande en eau de la canopée.

Résistance et résilience

La résistance aux sécheresses s’évalue en comparant le taux de croissance pendant une sécheresse avec celui avant l’épisode. La résilience correspond à la capacité à revenir après l’épisode de sécheresse à la croissance d’avant.

Les jeunes arbres s’avèrent moins résistants ; les « vieux » du groupe II sont eux-mêmes plus résistants que ceux du groupe I. Mais, le fait important concerne la résilience des jeunes au cours des années qui suivent. Par rapport au niveau d’avant sécheresse, les jeunes (groupe II) récupèrent environ 29% l’année suivante contre 19% pour les ainés. Idem pour le groupe I : 27 et 24% respectivement ; là encore, on voit que l’écart reste plus étroit entre jeunes et vieux.

Pour autant, aucun des jeunes arbres du groupe II ne revient à ses niveaux de croissance d’avant au bout d’un an. La récupération totale ne se fait en général qu’au bout de deux ans.

Chez les Conifères, les mélèzes et épicéas ont une résilience étalée sur deux ans. Certains vieux mélèzes montrent même une plus forte réduction de croissance l’année qui suit la sécheresse que durant celle-ci. Néanmoins, les genévriers et cyprès chauves peuvent récupérer, jeunes ou vieux, en un an.  

Ces différences sensibles entre Gymnospermes et angiospermes (groupe I et II) peuvent s’expliquer à travers leur comportement hydrique. Les premiers, des Conifères, ferment leurs stomates très vite dès l’installation d’une sécheresse pour empêcher la déshydratation ou les accidents « circulatoires » (embolies) ; ce faisant, ils ne peuvent plus s’alimenter. Chez les plantes à fleurs, les stomates restent ouverts plus longtemps permettant la transpiration et donc la photosynthèse, avec le risque de faire une embolie. Les chênes notamment semblent être des spécialistes de ce comportement, sans doute du fait de leur enracinement profond qui leur permet ce « luxe » de continuer à transpirer. En plus, certains jeunes chênes au moins (chêne pubescent) fabriquent des substances protectrices de la photosynthèse (xanthophylles, tocophérol, ascorbate) ce qui leur permettrait de récupérer plus facilement.

Conséquences

Pour mieux comprendre l’impact considérable de cette différence selon les âges, qui de prime abord semble relever du détail, prenons l’exemple des effets de la sécheresse de 2003 qui a sévi en Europe. Elle a réduit la productivité brute primaire de 30% avec une conséquence énorme : elle a converti les écosystèmes forestiers touchés, piégeurs de carbone en temps normal (puits de carbone), en source nette de carbone. Cet épisode a induit la libération de 0,5 milliards de tonnes de CO2 ce qui équivaut à quatre années de stockage net de carbone dans les forêts européennes !

A de tels niveaux d’émissions, savoir que les arbres âgés voient leur croissance bien moins réduite pendant ces épisodes de sécheresse (de plus en plus nombreux) signifie qu’ils ont le potentiel d’atténuer cette libération de carbone qui accentue le changement climatique. Mais encore faut-il qu’ils soient nombreux voire dominants pour que leur effet tampon soit consistant. L’urgence immédiate est donc bien de conserver et maintenir le plus longtemps possible tous les arbres âgés dominants déjà en place pour espérer mitiger les effets du changement climatique dans un contexte avec des sécheresses extrêmes récurrentes. Cela signifie changer radicalement de point de vue vis-à-vis des forêts : cesser immédiatement de les considérer comme des unités de production de bois (que l’Humain s’est accaparé historiquement) et de les sanctuariser en biens vitaux, prioritaires pour notre avenir.

L’idée de se mettre maintenant à reboiser massivement (un milliard d’arbres d’ici…), si elle a belle allure en termes de communication, n’aura aucun effet avant longtemps avec uniquement des jeunes arbres sensibles aux sécheresses quelque soient les essences choisies. Pire, on envisage même d’exploiter au plus vite certaines forêts pour mieux les replanter afin d’atteindre les objectifs fixés : absurdité extrême et quasi-criminelle au regard de notre avenir !

Alors, si vraiment nous voulons affronter l’urgence climatique, il nous faut de suite changer de logiciel et cesser de réduire les forêts à leur seul rôle économique (ou plutôt de création de profits) et en faire un rempart à la folie climatique que nous avons enclenchée. Que vivent donc les ainés le plus longtemps possible, dans les forêts et en dehors (en bocage, en ville) : autant pour le climat que pour la biodiversité d’ailleurs.

Bibliographie

  1. Re-evaluation of forest biomass carbon stocks and lessons from the world’s most carbon-dense forests. Keith, H., Mackey, B. G. & Lindenmayer, D. B. Proc. Natl Acad. Sci. USA 106, 11635–11640 (2009).
  2. Younger trees in the upper canopy are more sensitive but also more resilient to drought Tsun Fung Au et al. Nature Climate Change 12 (12) 2022
  3. Global buffering of temperatures under forest canopies. De Frenne, P. et al.. Nat. Ecol. Evol. 3, 744–749 (2019).