Astragalus glycyphyllos

Large touffe d’astragale qui réussit à « aplatir » la végétation herbacée autour d’elle

17/05/2012 J’ai choisi de consacrer cette chronique à l’astragale à feuilles de réglisse car j’aime vraiment beaucoup cette plante peu commune sans être rare. Elle m’impressionne par sa capacité à s’imposer au milieu des grandes herbes qu’elle réussit à surmonter en dépit de son port couché ; sa puissance en impose avec ses grandes touffes étalées dont le beau vert gai tranche avec le fond vert sombre de ses habitats herbacés. Et puis, elle a un nom doublement intriguant avec deux points d’interrogation : astragale et réglisse. Enfin, elle appartient à un genre fascinant, les astragales (Astragalus) qui détient le record du plus grand nombre d’espèces de plantes à fleurs pour un même genre ! Alors, bienvenue chez l’astragale à feuilles de réglisse et ses petits secrets de famille. 

Elle sait aussi « déborder » vers le moindre espace ouvert !

Couchée 

L’astragale à feuilles de réglisse forme de touffes imposantes aux tiges entièrement étalées dépassant souvent le mètre de long si bien que certaines touffes bien développées en tous sens atteignent deux mètres de diamètre. Ses tiges ne se redressent qu’aux extrémités et s’étalent en s’appuyant sur la végétation herbacée environnante qu’elles « couchent » : on ne peut pas la qualifier de grimpante et d’ailleurs elle ne possède pas de vrilles pour s’accrocher comme de nombreuses autres espèces proches de sa famille (vesces et gesses notamment). Ses tiges individuelles frappent par leur allure très particulière en zig-zag : on les qualifie de flexueuses, un adjectif dérivé de flexion et qui signifie « courbé, fléchi plusieurs fois en divers sens dans sa longueur. »

Feuille composée imparipennée d’un beau vert franc

Sa capacité à « aplatir » la végétation environnante tient aussi à son feuillage abondant qui alourdit l’ensemble et impose un certain ombrage qui freine le développement des herbes qu’elle recouvre. Ses feuilles composées rappellent fortement celles du robinier faux-acacia : elles ont chacune quatre à six paires de folioles grandes et ovales plus une terminale unique : on parle de feuille composée imparipennée (à nombre impair de folioles). L’ensemble atteint les 5cm de long sur un bon centimètre de large. Un trait marquant attire le regard : à la base de chaque feuille composée se trouve une paire de « petites feuilles » claires, pointues. Ce sont des stipules (d’un nom latin qui désigne la tige des céréales) bien développées : les stipules sous-tendent les feuilles, assurant notamment leur protection au début de leur développement et sont l’équivalent des bractées pour les fleurs.  Le développement marqué de ces stipules se retrouve chez de nombreuses autres plantes de la famille de l’astragale, les papilionacées ou fabacées (ou encore légumineuses !) ; chez le robinier, elles se transforment en deux épines. 

Ajoutons deux autres traits marquants de ce feuillage : sa teinte d’un beau vert franc qui avait tendance à affoler un peu certaines pellicules photographiques du temps de l’argentique et son caractère glabre avec au plus quelques poils épars sur les tiges et sous les folioles. L’ensemble donne une plante puissante et « molle » à la fois puisqu’étalée et qui accroche le regard de par sa nuance de vert. 

Feuilles de réglisse ? 

Nous avons parlé des feuilles sans même une allusion à son qualificatif de « à feuilles de réglisse », traduit directement de l’épithète latin du nom scientifique glycyphyllos (de glykhis, sucré ou plante à saveur sucrée et phyllos, feuille). De mon point de vue, les feuilles de notre astragale ne ressemblent pas tant que çà à celles de la « vraie » réglisse : certes, elles sont composées imparipennées mais avec beaucoup plus de paires de folioles (7 à 9 en moyenne) et surtout elles ne possèdent pas de stipules à leur base. En fait, ce rapprochement tient plus à la racine au goût sucré de cet astragale rappelant un peu celle de la réglisse et aussi au léger parfum sucré aromatique du feuillage froissé. Les surnoms de réglisse bâtarde, fausse réglisse ou réglisse sauvage (la réglisse étant une plante cultivée chez nous ou naturalisée) lui conviennent bien mieux. 

Elle sait aussi mettre à profit un support pour s’élever au-dessus de la mêlée herbeuse !

Voyons à ce propos son appareil souterrain remarquable par sa puissance et son extension qui expliquent la vigueur de cette vivace de grande longévité.  Il se compose d’une souche pivotante massive, très profonde, ramifiée en nombreuses tiges souterraines elles-mêmes très ramifiées (stolons hypogés) qui assurent la pérennité de cette espèce. Ainsi, dès le printemps, les touffes peuvent déployer leurs tiges et anticipent ainsi le développement fulgurant des herbes qui vont croître à toute vitesse un peu plus tard : elle gagne ainsi cette course de vitesse qui lui permet de « garder la tête hors de l’herbe » !

Souche puissante de l’astragale

Ses racines portent des nodules abritant des bactéries symbiotiques, classiques chez les légumineuses, qui lui permettent de fixer l’azote de l’air et lui procurent ainsi un second avantage décisif pour son développement : elle ne risque pas de manquer d’azote pour fabriquer ses protéines !  D’ailleurs, cette espèce a fait l’objet d’essais de culture comme fourragère au même titre que les vesces ou la luzerne ; en tout cas, le bétail l’apprécie quand elle pousse dans les pâturages ou dans le foin. Autrefois, on disait que sa consommation aidait les chèvres à produire plus de lait d’où son surnom anglo-saxon (partagé avec d’autres espèces proches) de milkvetch qu’on pourrait traduire par « fourragère favorisant la lactation ». 

Ivoirine 

Grappes en tout début de floraison

La belle fleurit au cœur de l’été (de juin à août selon l’altitude) et l’abondance de sa floraison est à l’échelle de son expansion végétative. Les tiges exposées à la lumière portent des dizaines de grappes de 5 à 25 fleurs serrées sur des pédoncules dressés, assez forts mais nettement plus courts que la feuille composée à l’aisselle de laquelle elles émergent. La teinte de ces fleurs se situe entre le vert jaunâtre et le blanc jaunâtre ivoire, virant progressivement au brun jaune à dominante violacée : une floraison toute en nuances discrètes mais fort élégantes, assez unique dans la flore de plaine. 

Les fleurs assez grandes (1-1,5cm de long) possèdent tous les attributs de la fleur classique de papilionacée : un étendard supérieur, deus ailes latérales et une carène ventrale formée par la soudure de deux pétales. Etamines et pistil sont cachés à l’intérieur de cette corolle en tube assez fermé qui restreint l’accès aux pollinisateurs dotés de pièces buccales assez longues pour atteindre le nectar au fond de la fleur. Elles sont essentiellement visitées par des bourdons et dans une moindre mesure par des papillons de jour et de nuit. La corolle émerge du calice en forme de cloche tubulaire glabre avec de courtes dents. Une fois fécondées, les fleurs, initialement horizontales ou redressées, tendent à retomber, sans doute une manière de signaler aux visiteurs qu’elles ne sont plus intéressantes ! Par contre, un peu plus tard, au moment où l’ovaire grandit et se transforme en fruit, elles se redressent à nouveau pour se réunit en un bouquet dressé au sommet du pédoncule de l’inflorescence. 

Astragale 

Les fruits secs sont des gousses, fruit sec typique de la famille ; un peu arquées, longues de 3 à 3,5cm, elles ont une forme cylindrique un peu aplatie latéralement ; si, comme dans les gousses des petits pois, il y a deux lignes de suture par où la gousse va s’ouvrir à maturité, on note ici que l’une d’elles « rentre » vers l’intérieur : elle correspond à une cloison interne qui partage la gousse en deux loges dans le sens de la longueur (bien visible en section). Les graines nombreuses, brun clair à maturité, se démarquent par une forme assez anguleuse avec un creux très marqué (le hile par où sortira la future radicule). Dans d’autres espèces du même genre Astragalus, comme chez l’astragale de Montpellier, une espèce indigène des pelouses rocailleuses calcaires, ces graines prennent une forme franchement géométrique, presque cubique.

Cette forme singulière est à l’origine du nom d’astragale (dérivé du grec astragalos, vertèbre), nom qui désigne initialement un os de la cheville. Or, autrefois, pour fabriquer des dés à jouer, on utilisait des astragales de porc à cause de leur forme originale cubique avec les deux extrémités creusées « en double poulie » ; cette forme est propre à un groupe de mammifères (les Cétartiodactyles) qui englobe aussi bien les ruminants, les chameaux et lamas, les porcs et alliés (Suinés), les hippopotames et … les Cétacés ! En effet, les ancêtres de ces derniers partageaient avec les autres un astragale à double poulie ! En plus, pour en revenir aux plantes, quand on secoue les gousses sèches, on entend un bruit du au déplacement des graines sèches que certains ont comparé à celui des dés que l’on jette et qui roulent ! Les graines alignées dans les gousses lui ont valu par ailleurs le surnom d’herbe-aux-dents-de chevaux ! 

Astragale de porc

Ces graines assez lourdes sont dispersées par les herbivores qui consomment la plante, leur tégument très dur leur permettant de résister au passage dans le tube digestif. 

La reine des ourlets 

L’astragale à feuilles de réglisse est une espèce répandue dans toute la France sauf sur le pourtour méditerranéen, assez commune mais pouvant être rare localement et le plus souvent en petites populations fragmentées. Elle préfère nettement les terrains calcaires ou marneux et se montre très rare ou absente dans les grandes régions siliceuses ; par contre, elle ne craint pas les roches volcaniques ni certaines roches métamorphiques qui contiennent du calcium en quantité suffisante. Elle recherche les sols frais à assez secs, au moins humides en hiver (souvent des sols argileux), en plein soleil ou à mi-ombre, dans des sites bien exposés assez chauds (espèce dite thermophile).

On peut la rencontrer dans une gamme assez étendue de milieux partageant cependant un point commun : celui d’être des milieux intermédiaires entre des boisements et des milieux herbacés, des zones de transition. On la considère comme une des espèces typiques de ce que les botanistes appellent les ourlets forestiers, ces formations végétales herbacées, éventuellement parsemées d’arbrisseaux et d’arbustes bas en marge des peuplements forestiers, des haies ou dans les clairières ; elle y côtoie souvent le trèfle moyen, la gesse sylvestre, l’aigremoine eupatoire, le géranium sanguin, le dompte-venin officinal, l’origan, la coronille variée, la vesce à feuilles ténues, … autrement dit, elle signe une évolution de la végétation herbacée vers un stade forestier mais en disparaîtra dès que les arbustes et arbres domineront. Elle prospère de ce fait dans les pelouses sèches en cours d’enfrichement suite à l’abandon des pratiques pastorales ; inversement, elle régresse sur les lisières au contact des cultures intensives à cause de l’enrichissement excessif via les apports d’engrais et l’aspersion par les embruns de pesticides.  

Genre pléthorique 

Le genre astragale ne compte pas moins de 27 espèces en France mais pratiquement toutes sont soit montagnardes alpines ou méditerranéennes liées aux milieux arides ; l’astragale à feuille de réglisse est la seule espèce du genre à se rencontrer communément en plaine et dans tout le pays. L’astragale de Montpellier (citée déjà ci-dessus pour ses graines) descend ponctuellement en plaine à a faveur de coteaux et pelouses sèches. A l’échelle mondiale, Astragalus détient le record du plus grand genre d’espèces à fleurs avec 2500 à 3000 espèces différentes ! Il culmine ainsi le top 19 des genres de plantes à fleurs qui comptent plus de 1000 espèces. On les trouve essentiellement dans les régions chaudes et semi-arides à a rides ou les régions froides jusque dans l’Arctique. Son centre principal de diversité se situe dans les steppes et montagnes du sud-ouest et du centre de l’Asie et du plateau himalayen ; mais on en trouve plusieurs centaines d’espèces aussi dans le Nouveau Monde. Une des hypothèses expliquant cette extraordinaires diversification repose sur la surrection de la chaîne himalayenne à l’ère tertiaire qui a créé progressivement une grande gamme de milieux différents selon des gradients d’altitude croissants et des variations climatiques considérables selon l’exposition. 

Au sein de la famille des Papilionacées ou fabacées, avec quelques genres herbacés proches (comme les Oxytropes, autre genre riche en espèces lapines), elles s’apparentent aux baguenaudiers (genre Colutea) (voir la chronique).

D’ailleurs, parmi les astragales de nos montagnes, certaines espèces possèdent des gousses renflées en forme de vessies analogues à celles des baguenaudiers comme le bel astragale à fleurs pendantes. Une espèce de notre flore, l’astragale pois-chiche, présent dans l’Est de la France, ressemble par ses fleurs jaune clair à l’astragale à feuilles de réglisse mais possède lui aussi des gousses un peu renflées mais non membraneuses.