Thaumetopoea pityocampa.

Nids d’hiver dans une pépinière de conifères exotiques

29/11/2022 La processionnaire du pin : un nom devenu ultra-connu de tous et qui alimente régulièrement les articles de presse tant pour évoquer les dangers sanitaires majeurs liés au contact avec les poils urticants de ces chenilles qu’à propos de leur expansion qui s’accélère avec la crise climatique. Cependant, pour la majorité des gens, la connaissance de cette espèce se limite le plus souvent à deux types de scènes :  des gros « cocons » blancs dans les conifères et les processions de chenilles à la queue leu-leu. Mais qu’y a-t-il exactement dans ces « cocons » ? Est-ce le même type de cocon que ceux par exemple des bombyx de la soie ? A quoi servent-ils pour les chenilles ? S’y transforment-elles en chrysalides ? Où vont-elles lors de leurs processions et pourquoi descendent-elles au sol ?  En plus, ce nom n’est souvent associé qu’à la seule chenille mais celle-ci, comme chez tous les Lépidoptères, n’est qu’une étape d’un cycle à quatre étapes : œuf-chenille (larve)-chrysalide-papillon (adulte ou imago). A quoi ressemble le papillon justement : papillon de jour ou papillon de nuit ? et sa chrysalide ? Nous allons donc résumer ici toutes les étapes du cycle de vie de cette espèce pour lever toutes ces zones d’ombre. 

Notodontidé 

Histoire de rompre justement avec les habitudes, nous allons commencer la narration du cycle par le papillon. Comme chez tous les papillons, le même nom d’espèce s’applique à tous les stades du cycle, donc aussi bien aux chenilles qu’aux papillons ; en fait il faudrait même dire « les chenilles de la processionnaire du pin » (et non pas la processionnaire du pin) ou « le papillon de la processionnaire du pin » pour être vraiment rigoureux. Pour l’entomologiste, la processionnaire du pin est le nom commun d’une espèce de papillon « de nuit » (voir la chronique sur l’écaille chinée à propos de ce terme) ayant pour nom scientifique latin Thaumetopoea pityocampa. L’épithète du nom d’espèce pityocampa vient du grec pytis pour pin et kampê pour chenille. 

Le nom de genre Thaumetopoea a été créé en 1820 par J. Hübner à partir de deux mots grecs et signifie « création merveilleuse » … un choix qui laisse un peu perplexe mais bon, c’est un compliment. Ce genre referme au moins neuf espèces dont la processionnaire du chêne (T. processionea) très proche mais vivant sur les chênes ou la processionnaire du pistachier (T. solitaria) du bassin méditerranéen oriental. La processionnaire des pins, sujet de cette chronique, a deux espèces « jumelles » très proches : une en Afrique du nord, la processionnaire du cèdre (T. bonjeani) au cycle temporel différent et une autre qui la remplace dans le sud-est et le centre de l’Europe, la processionnaire orientale (T. pinivora) qui vient jusque dans les Alpes en France. 

Les papillons des processionnaires appartiennent à la famille des notodontidés qui compte près de 3800 espèces. Ce sont des papillons de nuit au corps lourd et qui tiennent leurs ailes au repos croisées en oblique sur le dos ; la plupart ont des couleurs ternes dans les gris et les bruns. Ces papillons ne se nourrissent pas. 

Papillon de nuit 

Processionnaire du pin (cliché D. Hobern, C.C. 2-0)

Les papillons processionnaires du pin sont des papillons de nuit d’apparence très banale : d’une envergure de 3 à 4cm, ils présentent des ailes gris cendré parcourues de bandes transversales diffuses plus sombres ; la tête et le thorax sont très velus. Les femelles sont plus grandes et plus grosses que les mâles qui, eux, se distinguent aisément à leurs antennes plumeuses. 

Ce papillon émerge en été de fin juin à mi-août selon les régions depuis une chrysalide enclose dans un cocon qu’il déchire en se servant de sortes de crêtes durcies sur sa tête. Sa durée de vie est très brève (quelques jours au plus) vu qu’il ne se nourrit pas et toute sa courte vie est dédiée à la reproduction. Pourtant, à peine éclos, ces papillons parcourent souvent de grandes distances de nuit à la recherche d’un partenaire : les femelles peuvent ainsi aller jusqu’à 3km alors que les mâles, eux, peuvent parcourir jusqu’à … 25km. 

Les femelles se posent sur un support et déploient au bout de leur abdomen leurs organes génitaux ; elles libèrent une substance volatile très attractive pour les mâles, une phéromone sexuelle d’appel. Les mâles réussissent à les localiser de loin grâce à leurs antennes plumeuses capables de détecter quelques molécules de cette substance circulant dans l’air. Aussitôt l’accouplement consommé, le mâle meurt. 

Il reste à la femelle la tâche de pondre ses œufs fécondés (environ 200) : elle choisit un conifère hôte (voir ci-dessous) et les dépose sous forme de manchons gris argentés de 2 à 5cm de long, qui enveloppent les paires d’aiguilles des pins. Elle recouvre le tout avec des écailles de son abdomen velu pour les protéger. Pour trouver les arbres convenables, elle peut être amenée à parcourir plusieurs kilomètres, toujours de nuit. Elles repèrent leurs « cibles » via divers signaux sensitifs. Elles se dirigent préférentiellement vers des conifères dont la silhouette se découpe sur un fond clair ce qui l’amène à pondre surtout sur des arbres isolés ou non ombragés par des voisins ou sur des lisières ; ainsi, les futures chenilles bénéficieront de conditions optimales d’ensoleillement propices à leur développement (espèce d’origine méditerranéenne). Même sur l’arbre retenu, elles pondent surtout sur des branches orientées au sud. Par ailleurs, les substances volatiles (dont les terpènes) émises par les pins les attirent sélectivement ce qui leur permet de choisir les espèces et même les individus. Des études en laboratoires montrent que leurs antennes ne réagissent qu’à certains des terpènes émis par une espèce donnée ; ainsi sur le pin sylvestre, elles « sentent » quatre terpènes différents mais curieusement sont indifférentes aux autres bien plus abondants. Les femelles sont aussi sensibles au toucher des aiguilles, notamment à leur longueur au moment de pondre.

Parmi les essences choisies pour pondre figurent des pins avec par ordre décroissant de préférence : pin noir d’Autriche, pin sylvestre, pin laricio, pin parasol, pin d’Alep, pin maritime et pin des Canaries. Plus rarement, elles pondent sur des cèdres de l’atlantique et encore plus rarement sur des mélèzes. 

Chenilles 

Selon la température ambiante et l’emplacement choisi, l’éclosion des œufs a lieu d’un mois à un mois et demi plus tard. Toutes les jeunes chenilles issues d’une ponte, non urticantes au début, adoptent tout de suite le comportement grégaire typique des processionnaires : autour du site de ponte choisi par leur mère, elles tissent un réseau lâche de fils de soie qui englobe des aiguilles ; on parle de pré-nid, un abri sommaire qui passe facilement inaperçu. Aussitôt, elles se mettent à grignoter les aiguilles de pin : la nuit, elles quittent leur tente sommaire pour aller « brouter » autour et se déplacent déjà en processions : chacune d’elles garde sa tête en contact avec les poils de d’abdomen de celle qui la précède. Chaque jeune chenille tisse un fil de soie si bien que la colonie entière élabore ainsi un « cheminement » de soie en forme de ruban. Comme chacune d’elles dépose sur son fil une substance odorante, une phéromone de piste, ce ruban servira de fil d’Ariane pour le retour à l’abri au petit matin. J.H. Fabre a ainsi décrit le spectacle étonnant d’une procession de ces chenilles qu’il avait initié en plaçant la première sur le rebord d’un gros pot : les autres emboîtent le pas si bien que rapidement tout le groupe se met à tourner en rond sans réaliser ce qui lui arrive : 7 jours durant, elles vont ainsi tourner en vain ce qui lui inspira cette conclusion : « A l’école en honneur aujourd’hui, si désireuse de trouver l’origine de la raison dans les bas-fonds de l’animalité, je propose la Processionnaire du pin. » 

Bourse d’hiver sur un pin sylvestre ; noter l’accumulation d’excréments verts frais à la base

A trois reprises avant l’hiver, ces chenilles muent et grandissent à chaque mue mais le rythme dépend du climat local. Au début de l’hiver, le groupe, souvent fort d’une centaine d’individus au moins, entreprend la construction d’un gros nid d’hiver, en général sur la face sud de l’arbre hôte, bien connu sous la fausse appellation de « cocon » (terme qui désigne normalement l’enveloppe de soie autour de chaque chrysalide) : on l’appelle nid d’hiver ou bourse. Le tissage très serré et dense le rend opaque, étanche au vent, et ne ménage aucune ouverture. Pourtant, chaque nuit favorable, les chenilles peuvent le quitter en se faufilant entre les mailles et aller brouter des aiguilles.

Le tissage dense et serré ne laisse même pas entrer l’eau

De jour, cette bourse sert d’abri de repos où les chenilles s’agglomèrent et digèrent leur repas nocturne, d’où les amas de crottes qui s’y accumulent. La bourse fonctionne comme un capteur solaire et la température interne peut y atteindre 20°C en plein hiver. Ainsi, grâce à ce « phénotype étendu » qu’est la bourse de soie, les chenilles réussissent à poursuivre leur développement en hiver puisque les pins conservent leur feuillage. Évidemment, le réchauffement climatique en cours qui atténue considérablement les rigueurs hivernales a considérablement favorise l’expansion géographique de cette espèce méditerranéenne vers le nord, là où auparavant même avec les bourses, elles ne pouvaient survivre en hiver. 

Processions 

Une fois la cinquième mue effectuée, entre février et mai selon les localités, les chenilles arrivées au bout de leur développement entreprennent leur célèbre procession dite de nymphose : une chenille de la colonie (un futur papillon femelle) quitte la bourse et descend le long du tronc de l’arbre qu’elles ont méticuleusement tondu tout l’hiver. Tous « ses frères et sœurs » (attention : en fait, les chenilles n’ont pas d’organes sexuels : ceux-ci ne se formeront que lors de la métamorphose), fidèles à leur mode de déplacement grégaire, la suivent en file indienne. Enfin, on peut les voir sans trop de risque (ne pas les toucher ni s’approcher très près) et découvrir leurs belles couleurs d’un brun chaud avec des taches orangées, le tout au milieu d’une toison cendrée de soies urticantes. 

Ainsi se forme cette procession qui va gagner le sol et se mettre en marche à la recherche d’un endroit favorable à la métamorphose en chrysalide (nymphose) : du sol facile à creuser (sablonneux de préférence) et bien éclairé pour bénéficier de la chaleur des rayons du soleil. Cette recherche peut prendre des jours (jusqu’à 5) au cours desquels la caravane linéaire déambule, apparemment sans but, mais en fait en recherche active. Quand un site favorable est trouvé, la chef de file s’arrête et tout le monde s’entasse autour d’elle et s’enterre par des contorsions jusqu’à 5 à 20cm de profondeur. 

Dans les deux semaines qui suivent l’enfouissement, chaque chenille se tisse un cocon (un vrai cette fois) à l’intérieur duquel elle se métamorphose en chrysalide. Aussitôt après, elle entre en vie ralentie (diapause), une sorte d’hibernation qui peut durer quelques mois à plusieurs années (jusqu’à cinq ans). Au cœur de l’été, soit donc la même année ou des années plus tard, la chrysalide éclot et libère un papillon adulte qui va déchirer le cocon et sortir de terre pour s’envoler. Cette diapause explique pourquoi on a du mal à prédire les épisodes de pullulations faute de savoir combien de temps durera la vie ralentie de telle génération. 

Ecopiège sur un pin dans un parc urbain

NB Cette procession descendant de son arbre a inspiré un écopiège dit à collier : ce dernier en creux empêche les chenilles d’aller plus bas ; elles se trouvent canalisées vers un sac de collecte où elles sont piégées. On dispose ces pièges surtout dans les parcs urbains où le risque sanitaire est très élevé

Défoliatrice 

Comme ces chenilles vivent en groupes nombreux exploitant un secteur de l’arbre depuis leur abri refuge, leur consommation d’aiguilles aboutit à la défoliation partielle des arbres porteurs. Une colonie d’une centaine de chenilles consomme de 1 à 2 kg d’aiguilles (en poids sec) ; 4 à 5 groupes sur un jeune pin peuvent le défolier entièrement. L’arbre pourra régénérer ses aiguilles mais avec un retard de croissance d’autant que ces épisodes durent parfois sur deux ou trois ans. La conjugaison avec les aléas climatiques dont les sécheresses intenses peuvent conduire à la mortalité des arbres ou les affaiblir et les rendre vulnérables aux attaques de champignons pathogènes. 

Même les aiguilles autour de la bourse y passent

Trois grands facteurs liés aux aiguilles des pins hôtes déterminent les préférences de ces chenilles. La qualité nutritive des aiguilles dépend notamment de la quantité d’azote (acides aminés, protéines) qu’elles renferment. ! ainsi, on a observé que ces chenilles survivent bien mieux sur des pins maritimes élevés en pépinière (et ravitaillés en engrais azotés) que sur des arbres en pleine nature. Les défenses chimiques des pins (phénols, terpènes, résine), spontanées ou acquises suite à l’attaque, peuvent limiter l

La digestibilité ou causer même une mortalité chronique. Il semble que les femelles papillons, lors de la ponte, soient capables d’apprécier l’intensité de ces défenses et choisissent donc des arbres avec des défenses faibles. Enfin, la consistance des aiguilles, leur rigidité, influent beaucoup sur leur appétence. 

Les arbres isolés se repèrent plus facilement de loin et sont plus éclairés

Finalement, les femelles papillons sont capables de distinguer les habitats propices (avec des arbres ad hoc) des habitats hostiles en utilisant les composés volatiles émis à l’échelle des peuplements d’arbres : par exemple, la fertilité du sol va déterminer un taux d’azote meilleur et une moindre rigidité des aiguilles ce qui en retour modifie le « bouquet » de substances volatiles émises. Ensuite, quand elles s’approchent des arbres individuellement, elles se basent sur d’autres signaux comme la vue des silhouettes des arbres (voir ci-dessus) de manière à repérer les conditions microclimatiques optimales pour le développement des chenilles. Enfin, une fois posées sur l’arbre, le toucher des aiguilles (et donc la possibilité d’apprécier leur rigidité) va entrer en jeu. Ainsi, au fil du temps, s’est mis en place un long processus de coévolution qui se poursuit évidemment. 

Chenilles trouvées mortes suite à un coup de froid tardif : l’espèce est bien thermophile et d’origine méditerranéenne

Bibliographie

Insect – Tree Interactions in Thaumetopoea pityocampa. Chapter 6/Insect – Tree Interactions in Thaumetopoea pityocampa Hervé Jactel et al. 2015 Ed. Quae

Les Processionnaires – 1ère partie La Processionnaire du pin A. Fraval. Insectes 35 n° 147. 2007 (4)