Galium aparine

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Tiges et feuilles du gaillet gratteron portent des crochets.

Le gaillet gratteron, plante très commune, a une solide réputation, nettement justifiée, « d’accrocheur » qui se scratche sur les vêtements dès qu’on l’effleure ou qui gratte la peau par son toucher râpeux. En témoignent ses innombrables noms populaires : outre celui de gratteron, citons gaillet accrochant, herbe collante, prend-main, râpe-main, gloutteron (voir à ce propos la chronique sur la bardane, une autre « accrocheuse ») ; ajoutons en anglais le nom populaire de cleavers (« qui reste accroché ») ou de gentleman’s tormentors ou sticky grass ; terminons par l’épithète latin aparine qui dérive du grec aparein, s’accrocher.

Il fait partie de ces plantes grimpantes qui ne disposent d’aucun organe spécifique d’arrimage du style vrille, crampon ou tige volubile : il grandit en s’appuyant sur la végétation environnante ou un support quelconque (clôture, mur, grillage, ….). Mais grimper ne suffit pas car sinon, au premier coup de vent violent, la plante souvent exubérante qui déploie des mètres de tiges en tous sens serait balayée et jetée à terre. Le gaillet gratteron dispose donc d’un système d’accrochage par le biais de minuscules crochets qui hérissent ses tiges et surtout ses feuilles. Nous allons voir que ce système d’accrochage est bien plus sophistiqué qu’il n’y paraît et que le gaillet possède en plus sur deux autres bottes secrètes.

Pas du côté obscur !

Au départ, les tiges du gratteron s’allongent classiquement mais, comme elles ne possèdent que très peu de tissus de soutien, très vite elles ont besoin d’un appui faute de pouvoir se maintenir à la verticale. Toute la plante est couverte de petits crochets, aussi bien sur les tiges que sur les feuilles, et ce sont surtout les crochets foliaires qui assurent cet accrochage par frottement avec les plantes avoisinantes ou sur le support physique retenu.

Les tiges quadrangulaires ne possèdent des crochets que sur les quatre angles, sous forme d’aiguillons raides, et orientés vers le bas (rétrorses) ; elles portent par ailleurs, régulièrement sur toute leur longueur, des étages (verticilles) de feuilles longues et étroites disposées par groupes de 6 à 9.

En fait de feuilles, seules deux d’entre elles en sont vraiment, les autres étant considérées des stipules (petites feuilles à l’aisselle des feuilles) aussi développées qu’elles. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la ramification des tiges au niveau des nœuds : seuls deux rameaux latéraux se forment à chaque fois, un par « vraie » feuille (il y a toujours un bourgeon par feuille mais pas au niveau des stipules).

Dès que l’on touche une feuille (ou une stipule), on saisit immédiatement sa capacité à s’accrocher sur les supports dont les feuilles d’autres plantes. Or, à l’observation, on constate qu’elles s’accrochent essentiellement par la face inférieure, gardant presque toujours la face supérieure vers le haut, et donc vers la lumière ; on comprend tout de suite l’intérêt pour la plante : exposer ses feuilles de la manière la plus optimale pour assurer la photosynthèse et se nourrir. Mais comment fait-il pour orienter ainsi l’accrochage de ses feuilles ?

Dessus, dessous : çà change tout

A l’œil nu ou à un faible grossissement, on note déjà une allure différente des deux faces de chaque feuille. Une équipe allemande a étudié en détail les crochets des feuilles à l’aide du microscope électronique à balayage et a testé leur résistance à la rupture en les soumettant à des tractions orientées (1). Leurs observations confirment une répartition différente des crochets sur les deux faces mais aussi des formes et orientations différentes.

Sur la face inférieure (le dessous de la feuille), les crochets se trouvent alignés uniquement le long de la nervure centrale proéminente et sur les bords de la feuille enroulés vers l’intérieur. Ces crochets courbés sont orientés vers la tige (ou dit autrement la base de la feuille) et sont lignifiés (durcis) sur toute leur longueur ; ils possèdent une large base circulaire formée de cellules épidermiques, ce qui leur donne une assise résistante.

Sur la face supérieure, le dessus de la feuille, les crochets se trouvent répartis sur toute la surface, sont orientés vers la pointe de la feuille et lignifiés seulement vers leur pointe, avec une base circulaire plus étroite.

Des deux côtés, ces crochets sont creux et présentent une densité moyenne de 1, 2 à 2, 2 par mm2. C’est dans la différenciation dessus-dessous (anisotropie) que réside la solution à la question de l’orientation préférentielle des feuilles accrochées, ce que confirment les tests mécaniques.

Des crochets différenciés

Quelque soit l’angle de traction retenu lors des expérimentations, les chercheurs ont constaté que les crochets inférieurs avaient une force de résistance supérieure à celle des crochets supérieurs. Les crochets inférieurs présentent la plus forte résistance quand on tire dessus selon un angle de 45° et dans la direction opposée au crochet ; les crochets supérieurs, eux, se montrent plus résistants quand on leur tire dessus à la verticale. Si on traîne une feuille détachée sur un support test plus ou moins rugueux, on constate que la friction reste plus élevée dessous que dessus ; dans de telles expériences, plus on laisse s’écouler du temps après la section de la feuille et moins la friction est forte ce qui semble indiquer que l’état de turgescence (de « gonflement ») des cellules constitue un point important. Donc, à partir de toutes ces observations anatomiques et mécaniques, on peut comprendre ce qui se passe sur le terrain :

– quand la plante se trouve poussée vers son support par un fort vent, elle va se rapprocher encore plus de celui-ci car, dans ce sens, la face inférieure glisse presque sans exercer de friction vu l’orientation des crochets

– quand la plante est au contraire tirée vers l’extérieur par le vent et risque d’être arrachée de son support, les crochets inférieurs résistent au maximum et empêchent l’arrachement

– si une feuille de gratteron s’accroche à une autre plante par sa face supérieure, c’est l’inverse qui va se produire !

Ainsi, les feuilles du gratteron se trouvent presque toujours « du bon côté », pas du côté obscur ! Tout ceci éclaire aussi la capacité étonnante du gratteron à conquérir toutes sortes de milieux en s’appuyant sur des supports les plus variés, aussi à l’aise sur des buissons dans les haies que sur des tiges de blés ou des clôtures en milieu urbain. De même, sa réticence à occuper des milieux très secs provient peut-être de la nécessité d’avoir des tissus bien gonflés pour que le mécanisme soit efficace.

Recordman de l’extension !

Mais notre gratteron possède d’autres atouts en sa possession. Même si la plante se trouve arrachée de son support par le vent ou le passage d’un gros animal (ou d’un humain !) sur lequel il s’accroche au passage, tout n’est pas perdu. Le gratteron réussit à regagner son support et se remettre plus ou moins en place en modifiant la courbure de ses tiges au niveau des nœuds (les entre-nœuds restent droits) (3) ; en moins de dix heures, une tige au sol peut ainsi se redresser à 40-50° et se rapprocher du support. La courbure a lieu dans une zone renflée très courte (1 à 2mm) juste au-dessus de l’insertion des feuilles. Ce mode de courbure reste très rare chez des herbacées ; on le connaît par exemple chez le vulpin genouillé aux tiges coudées.

Enfin, le gratteron possède une autre adaptation qui lui permet de résister au risque de rupture des tiges à leur base (voire même de déracinement) par très fort vent compte tenu de la prise au vent qu’offre cette plante volumineuse. Les tiges vers leur base (sur à peu près dix centimètres) présentent une structure différente : au lieu d’être quadrangulaires, elles sont rondes sans angles renforcés, avec une moelle pleine. Elles résistent de manière remarquable en cas de traction forte vers l’extérieur : elles s’étirent de manière élastique et reviennent à leur position initiale (comme un ressort) dès que la traction cesse ! Des mesures en laboratoire (2) montrent qu’elles peuvent résister à des tensions de 24% ce qui est le chiffre le plus fort observé chez des plantes terrestres : même une liane grimpante telle qu’une aristoloche à grandes feuilles ne dépasse pas 7% ; on atteint des valeurs de 15% pour des tiges de renoncules aquatiques soumises aux forces du courant. Seule une laminaire géante (algue brune) des côtes pacifiques, soumise dans son milieu à des très violents courants marins possède un stipe (une « tige ») qui résiste à des tensions de 38% ; mais ce n’est pas une plante et elle est marine.

Au final, face à cette plante ultra-banale, souvent honnie pour son caractère envahissant (et accrocheur !), je n’aurai qu’un seul mot : respect !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Always on the bright side: the climbing mechanism of Galium aparine. G. Bauer ; M-C. Klein ; S.N. Gorb ; T. Speck ; D. Voigt ; F. Gallenmüller. Proc. R. Soc. B. 2010.
  2. Mechanical Adaptations of Cleavers (Galium aparine). ADRIAN M. GOODMAN. Annals of Botany 95: 475–480, 2005
  3. Galium aparine L. K. Taylor. Journal of Ecology. Vol. 87 ; p. 713-730. 1999.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le gaillet gratteron
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