Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

Lac des Bordes ; 18 juillet 2019 ; 13H-15H

Nous sommes ici aux confins des massif du Sancy et du Cézallier en Auvergne avec un paysage très ouvert de plateau volcanique couvert d’herbages (les estives) à perte de vue, fait de buttes arrondies et de creux occupés par des marais à reines des prés ou des tourbières. Des lacs occupent les dépressions les plus marquées ; ils sont soit d’origine volcanique (maar d’explosion) comme le Pavin ou le lac de la Godivelle d’en Haut ou d’origine post-glaciaire comme le lac de Bourdouze. Le lac des Bordes que nous allons découvrir ici se distingue par son histoire originale liée à l’action de l’Homme. 

Radeaux flottants 

Dès le point de départ (A), on dispose d’un superbe panorama sur le lac de près de quinze hectares et l’œil même non exercé y repère aussitôt un élément très particulier : une série d’îles verdoyantes de végétation herbacée avec quelques massifs de saules. Si on y avait accès et que l’on cherche à s’y déplacer, on découvrirait très vite à son insu que ce ne sont pas des îles mais des radeaux flottants qui  tanguent littéralement d’où leur surnom de tremblants tourbeux. Danger extrême : à tout moment, on peut passer à travers cette couche végétale qui flotte en fait sur l’eau libre ! Ces radeaux très originaux se composent des longues tiges rampantes (rhizomes) de quelques plantes semi-aquatiques typiques des tourbières : des laîches (les carex des botanistes), le comaret des marais, une potentille aux fleurs rouge vineuse et le trèfle d’eau  aux jolies fleurs blanches toutes frangées.

Sur ce lacis de tiges enchevêtrées s’installent des sphaignes, des mousses qui forment des coussinets spongieux absorbants De petits sous-arbrisseaux très spécialisés de la famille des bruyères (Ericacées) colonisent ces tremblants dont les canneberges  et l’andromède  accompagnées des célèbres droséras, des plantes carnivores (voir la chronique sur ces plantes), de linaigrettes aux épis fructifères cotonneux, de violettes des marais, de la rare Scheuchzérie des marais… Une arche de biodiversité végétale posée sur l’écrin calme du lac !

Tourbière noyée 

Normalement, de tels tremblants se forment au sein de tourbières en cours d’évolution depuis le retrait des derniers glaciers qui recouvrait la région il y a un peu moins de 15 000 ans. Dans les dépressions du relief l’eau de fonte des glaciers s’est accumulée : une eau froide (nous sommes à plus de 1000m d’altitude) et très pauvre en éléments nutritifs (oligotrophe) et acide. Seules des espèces de laîches, plantes voisines des graminées, réussissent au début à coloniser les berges y formant une ceinture végétale (voir balade au point B). Là, sur la vase des berges, vont s’installer les comarets et trèfles d’eau cités ci-dessus : leurs longues tiges progressent vers l’eau libre donnant naissance à ces radeaux dont certains finissent par se détacher et mènent leur vie autonome. Ensuite, au fil du temps, l’accumulation de matière organique engendrée cette végétation conduit au comblement progressif de la dépression ; les sphaignes se développent de plus en plus : une tourbière bombée se forme en s’asséchant peu à peu, ne devenant plus alimentée que par les précipitations. 

Tremblant dominé par la laîche à ampoules ; au premier plan, un immature de goéland leucophée.

Mais ici, au lac des Bordes, les tremblants ne correspondent pas à ce stade pionnier d’évolution vers une tourbière. A l’origine, dans cette dépression, il y a avait une tourbière vieille de près de 10 000 ans, donc déjà très évoluée. A la fin du 18èmesiècle, pour en faire un site de pisciculture, une digue fut construite au nord de la dépression, noyant ainsi la tourbière. Et sur cette eau libre, depuis les berges, de nouveaux radeaux se sont développés. On pourrait ainsi dire que l’Homme, sans le savoir, a réinitialisé un processus naturel très ancien qui, cette fois, a progressé bien plus vite compte tenu du climat bien plus chaud et de la matière organique abondante déjà présente. Il n’empêche que ces néo-radeaux n’en sont pas moins des bijoux de biodiversité, plaisants pour l’œil de surcroît ! 

Ingénieures paysagères 

La piste longe une vaste pâture qui descend vers les berges du lac avec son troupeau de vaches laitières, des montbéliardes et quelques Holstein, flanquées d’un taureau charolais ; leurs pis énormes gonflés de lait témoignent de leur appétit et de leur efficacité à transformer la biomasse végétale !  Promesse de divins fromages Saint-Nectaires à venir ! Ce sont elles les maîtresses des lieux et du paysage, hormis la tourbière et le lac.

Superbe pré fleuri non pâturé en bordure du lac

Pour s’en convaincre, il suffit de comparer le pré où elles paissent avec le suivant, ni fauché ni pâturé. Chez elles, tout est tondu, rasé et il ne reste guère que une ou deux touffes invulnérables de cirses. A côté, au contraire, tout n’est que couleurs vives de floraisons multiples : le jaune vif des touffes de séneçons à feuilles d’adonis, le blanc des achillées millefeuilles, le rose des mauves musquées, le pourpre des bétoines ou des centaurées jacées, le bleu des campanules à feuilles rondes, … mises en valeur sur le fond « paille » des graminées déjà sèches ; un paradis à papillons de jour : paons du jour, mélitées, nacrés, myrtils, demi-deuils, …

Mais l’impact des vaches ne s’arrête pas là : sur les buttes tout autour, à perte de vue, tous les prés sont fauchés, mis en bottes : les réserves de foin sont prêtes pour nourrir les vaches en hiver à l’étable… ou, malheureusement sans doute pour cette terrible année de sécheresse en cours, dès la fin de l’été dans les prés déjà grillés. Ainsi, les vaches, directement ou indirectement, contrôlent les trois quart de ce paysage qui leur est entièrement dédié. Sans elles, nous aurions probablement ici des forêts naturelles de hêtres, de sorbiers, de pins ou bien ces immenses plantations austères d’épicéas comme on peut en voir sur les sommets plus rocheux. 

Grandes carnassières 

En moins d’une minute de marche, le long du chemin, nous notons déjà trois espèces de « grandes » libellules (anisoptères versus les zygoptères, les « petites libellules » ou demoiselles) qui se déplacent au fur et à mesure que nous avançons. Là, c’est un belle chlorocordulie métallique tout de vert sombre qui se repose sur une herbe ; ici, un beau sympètre jaune aux ailes transparentes délicatement tachées d’orange ; sur le chemin, trois orthétrums bleus ne cessent de se poser sur les cailloux qui dépassent et se chauffent un court instant. Ceci n’est qu’un petit panel de la riche diversité de libellules de ce site qui en héberge au moins … 22 espèces ! Parmi elles figurent au moins deux espèces remarquables au moins à l’échelle régionale : l’agrion à lunules très localisé dans les tourbières du Massif Central et l’agrion hasté typique des massifs montagneux. Cette richesse tient tout autant à la qualité protégée des eaux du lac qu’à la diversité des sites favorables au développement de leurs larves aquatiques : radeaux, herbiers flottants (voir ci-dessous), peuplements inondés de laîches des berges, …

Agrion à lunules sur le panneau pédagogique de la digue

Leur présence le long du chemin, à l’écart du lac, n’a rien de surprenant : ces belles chassent activement de leur vol puissant et précis les innombrables insectes qui visitent les bords du chemin encore très fleuris. Elles bénéficient de plus de la présence de nombreux perchoirs d’affût depuis les arbustes des haies et de sites pour se chauffer comme le sol nu du chemin. La proximité des vaches doit aussi leur être favorable car celles-ci attirent mouches et taons, proies favorites des libellules.

Avifaune

Une petite troupe d’une vingtaine de vanneaux huppés se lève à notre approche. Une nuée d’une centaine d’étourneaux jaillit du milieu du troupeau de vaches : ils exploitent à la fois les insectes qui harcèlent le bétail, ceux qui sont dérangés par leurs déplacements (comme les criquets) ou les larves dans le sol, accessibles grâce à l’herbe tondue. Ils rappellent en cela leurs plus proches cousins africains, les pique-bœufs, qu’ils imitent parfois en se posant carrément sur le dos du bétail pour y récolter des proies ! Sur le lac, deux taches blanches ressortent au bord d’un radeau flottant : deux goélands leucophées adultes (espèce jumelle du goéland argenté) ; un peu plus loin, la tache grise correspond à un immature de la même espèce … Ce lac est bien connu des passionnés d’oiseaux (ornithologues) pour sa riche faune assez inhabituelle de la part d’un plan d’eau à cette altitude avec des eaux pauvres en éléments nutritifs donc peu riches en nourriture. Les oiseaux nicheurs restent rares (24 espèces recensées) et peu nombreux en effectifs (grèbes castagneux et huppé, mouette rieuse ou bruant des roseaux par exemple). Par contre, les oiseaux migrateurs de passage au printemps (avril-mai) et surtout en automne (août-septembre) surprennent par le nombre d’espèces différentes observées (plus de 100 !). Ce sont des canards (canard pilet, canard siffleur, canard colvert, sarcelle d’hiver et des raretés comme le fuligule nyroca) et surtout des limicoles, des « petits échassiers » attirés par les vasières qui se découvrent avec la baisse du niveau en fin d’été : bécassines des marais, chevaliers divers (guignette, aboyeur, gambette, …), courlis cendrés, vanneaux huppés, … Le site du lac des Bordes occuperait la sixième position en terme de fréquences d’observations des limicoles en Auvergne ! Il faut dire que dans ces immensités herbagères moutonnantes, le lac doit attirer l’attention des migrateurs qui se déplacent souvent assez haut : une tache bleu dans un océan de verdure ! 

Ceintures végétales  

A mi-parcours (B), on touche presque le bord du lac et on peut s’approcher de la cariçaie, cette ceinture vert bleuté qui suit les bords du lac ; elle est dominée par une espèce, la laîche à ampoules reconnaissable à son feuillage assez fin, teinté de bleu (glauque disent les botanistes) et ses épis de fruits renflés. Elle colonise la vase tourbeuse des berges grâce à ses rhizomes rampants qui émettent régulièrement des tiges séparées qui ne forment donc pas de touffes. On trouve aussi le comaret des marais, l’un des acteurs des radeaux que l’on voit en face. Plus en avant dans l’eau libre, de vastes taches rougeâtres émergent en surface : des herbiers flottants de renouée amphibie aux épis rose ; ils constituent de précieux refuges pour les larves de libellules qui y trouvent un terrain de chasse et un abri des attaques des poissons. Une espèce rare en auvergne, le joli flûteau nageant s’y rencontre. 

Herbier flottant de renouées amphibies

On évitera soigneusement d’aller plus en avant en évitant de piétiner la vase et la végétation sensible au piétinement ou de détruire un nid d’oiseau ou d’écraser des larves de libellules. Cette précaution vaut pour l’ensemble du tour du lac d’autant, nous l’avons vu, que ces milieux sont instables et qu’on s’y enfonce rapidement ! Rester à distance : ouvrir les yeux et les oreilles, fouiller la végétation avec des jumelles : tel doit être le mot d’ordre pour ce site acquis depuis 2008 par le département et classé Espace Sensible (voir le site Internet). Les berges et prés attenants sont une zone tampon à respecter impérativement, garante du maintien d’une riche biodiversité : il y a beaucoup à voir rien que sur le chemin comme nous allons le voir ! 

Fluteau nageant

Digue 

Finalement, on atteint la digue en ciment (C) qui barre la dépression et a créé le lac. Une nouvelle perspective s’ouvre avec les radeaux au premier plan. Un panneau pédagogique nous apprend que la loutre fréquente les lieux depuis les ruisseaux qu’elle habite. On remarque que les radeaux sont bien colonisés par des massifs de saules et même des bouleaux. Ceci laisse à penser que d’ici quelques milliers d’années, le lac sera sans doute de nouveau comblé mais bien d’autres facteurs nouveaux risquent d’ici là d’interférer : la rupture ou démolition de la digue, le réchauffement climatique en cours, les transformations agricoles dans les estives environnantes qui risquent d’enrichir les eaux drainées par le lac et de modifier profondément la végétation ? 

Capitule non fleuri de cirse avec son revêtement de poils aranéeux

Sur une touffe de cirses à capitules laineux (voir la chronique sur cette superbe plante) encore non épanouie, nous découvrons quatre jolis petits papillons nocturnes blancs piquetés de noir : des cribles (Coscinia cribaria)  dont les chenilles vivent sur les bruyères et les myrtilles. Du coup, cela attire notre attention sur cette plante qui semble bien plaire aux insectes et au retour, nous inspectons systématiquement les nombreuses touffes qui bordent le chemin. Belle occasion de constater qu’à l’aller, faute de vigilance, nous avons « raté » nombre d’espèces : là, des toiles de soie et des excréments indiquent que des chenilles ont du consommer la plante ; ici, des gros pucerons noirs luisants se font traire par des fourmis ; ils attirent aussi leur lot de prédateurs dont des coccinelles : la classique coccinelle à sept points mais aussi la petite coccinelle des friches ; sur un épi de graminée près d’une touffe de cirse, la coccinelle de l’épicéa se tient en embuscade ; un faucheux réussit à progresser au milieu des épines redoutables ; et clou de la galerie, un gros charançon du genre Larinus ( peut être ?) en train de creuser la base d’un capitule ! … La biodiversité ordinaire foisonnante s’offre ainsi à nous dans cet environnement globalement protégé de nombre de nuisances classiques. 

Nous retrouvons sur le chemin du retour les libellules qui patrouillent sur le chemin et les vaches viennent renifler notre chienne de leur gros museau baveux ! Une belle balade toute simple mais riche en biodiversité se termine ainsi au pays des estives. 

Accès

Depuis Compains (63) à 10km de Besse-en-Chandesse, rejoindre par la D 36 (direction St Alyre) le village de Brion avec sa butte (la Motte) qui culmine à 1277m ; emprunter sur la gauche la petite route qui mène vers les Fonts : la balade démarre au point A 1193m sur la carte jointe : la piste caillouteuse longe à distance le lac avant de le toucher dans sa partie Nord et s’achève au niveau de la digue. Balade très facile et accessible à tous, ponctuée de plusieurs panneaux pédagogiques.

Bibliographie

Site des Espaces Naturels Sensibles du Puy-de-Dôme : https://ens.puy-de-dome.fr/les-ens/lac-des-bordes.html

Formulaire ZNIEFF du site :  https://inpn.mnhn.fr/zone/znieff/830005689