Meconema meridionale

Au cours des dernières décennies, on a assisté à l’expansion vers le nord et l’ouest de l’Europe de nombreuses espèces d’insectes à l’origine confinées dans la bassin méditerranéen : le méconème fragile en est un bel exemple et elle a conquis une bonne partie de l’Europe en s’installant préférentiellement dans les villes. D’ailleurs, si vous habitez en ville, vous la côtoyez très certainement mais souvent sans le savoir car la belle se montre très discrète.

Une proche parente de la sauterelle des chênes

Cette petite sauterelle ressemble beaucoup à une autre espèce indigène largement répandue en France, le méconème varié ou sauterelle des chênes (Meconema thalassinum) et elles peuvent cohabiter (1). Elles possèdent en commun de très longues antennes (quatre fois plus longues que le corps), des pattes claires, une coloration générale vert clair et mesurent entre 1 et 1,5cm de long ; le dessus du thorax porte de deux taches brunes sur un fond jaune. Le critère distinctif le plus sûr entre les deux espèces chez les adultes concerne les ailes quasi absentes chez le méconème fragile et bien développées (dépassant le bout de l’abdomen) chez la sauterelle des chênes. Il n’y a que deux moignons d’ailes à la base du thorax : on parle d’espèce brachyptère, ce qui la rend incapable de voler.

Les femelles se reconnaissent facilement, comme chez toutes les sauterelles, à leur organe de ponte ou oviscapte en forme de sabre (complètement inoffensif !) : il est plus court chez le méconème fragile (7,5mm) que chez le méconème varié (9mm) ; par contre, les mâles dépourvus de ce « sabre » possèdent deux petits appendices au bout de l’abdomen, des cerques courbés qui au contraire sont plus longs (4mm versus 3mm).

Une sauterelle très discrète

Le méconème fragile, comme sa proche cousine, vit dans les cimes des arbres feuillus ou des arbustes et mène une vie nocturne ; le jour, elle se tient cachée sous les feuilles. On peut la trouver sur toutes sortes de feuillus avec une préférence pour les érables, les frênes, les chênes, les pruniers et pommiers d’ornement, … Associé à sa capacité à se fondre dans le feuillage grâce à sa coloration verte, ce mode de vie rend sa rencontre peu fréquente sauf à la nuit tombée, quand elle montre une forte attraction vis-à-vis des lumières vives ; elle peut alors entrer dans les maisons. Nos voisins britanniques l’ont d’ailleurs surnommée « la sauterelle des salles de bain » à cause de ce comportement. En fin d’automne, avec l’arrivée des premiers froids, les adultes tendent à quitter les arbres pour se réfugier sur des murs bien exposés, sur des véhicules en stationnement encore chauds ou même rentrer dans des maisons.

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Femelle adulte de méconème fragile

Les adultes s’observent à partir de la mi-août et surtout de septembre à octobre ; son cycle de vie se trouve décalé par rapport à celui de la sauterelle des chênes surtout présente au cœur de l’été.

Essentiellement prédatrice, cette espèce se nourrit surtout de petits insectes dont des pucerons et des aleurodes (« mouches blanches ») ; elle peut aussi exploiter d’autres proies localement abondantes.

Comme sa cousine, et contrairement à la majorité des sauterelles, les mâles de méconème fragile ne stridulent pas au moment de la reproduction pour attirer les femelles du fait de la régression des ailes (surtout chez cette espèce). Ils émettent un son particulier, assez fort, en tambourinant en courtes rafales avec une patte postérieure sur une feuille ou une brindille.

Une expansion assez ancienne qui s’accélère

L’aire d’origine du méconème fragile était restreinte à la région méditerranéenne depuis le sud de la France jusqu’au nord des Balkans et de la Sicile au nord de l’Italie.

A la fin des années 1950, puis surtout dans les années 1960, il a entamé une rapide expansion vers le nord et l’ouest. Dès les années 1970, on le signale dans le nord de la France, le sud de l’Allemagne, en Slovénie, en Autriche ; dans les années 1980, il gagne le centre de l’Allemagne, la Belgique, la Hongrie, les Pays-Bas. La Suisse d’abord occupée dans sa moitié sud le voit s’installer largement dans toute la partie nord.

Puis, dans les années 2000, une nouvelle vague d’expansion va le conduire plus au nord et plus en Europe centrale. En 2001, trois observations le situent en Angleterre avec une colonie déjà établie : depuis il a colonisé tout le sud et plus particulièrement le grand Londres. En 2002 c’est le tour de la Bulgarie au bord de la Mer Noire ; 2007-2008 : il atteint le nord de l’Allemagne, la Tchéquie et en 2014 il débarque en Pologne (3), etc….

Notons par ailleurs que le méconème fragile a aussi gagné les U.S.A. et conquis un certain nombre d’états tant à l’Est qu’à l’Ouest !

Le point commun à toutes ses nouvelles conquêtes reste l’altitude inférieure à 400m (pour l’instant en tout cas) ce qui reflète son caractère méridional d’insecte ayant besoin de chaleur (thermophile) même si il réussit désormais à bien se maintenir dans des pays nordiques.

On pourrait penser que le réchauffement climatique en cours soit le facteur déclenchant mais la précocité de son expansion laisse entrevoir d’autres causes possibles dont le mode de dispersion (voir le dernier paragraphe).

De la campagne à la ville

Son habitat originel correspond à des habitats boisés ou buissonnants en situation bien exposée : lisières forestières, bordures buissonnantes, arbres isolés au milieu de prairies, haies avec de grands arbres. Or, très rapidement, on a constaté que, majoritairement, les nouveaux sites conquis se situaient dans des villes : parcs et jardins urbains essentiellement. Il profite sans doute là du microclimat plus chaud propre au cœur urbain (effet « ilot de chaleur ») et développe des colonies florissantes jusqu’au cœur des villes.

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Espace vert urbain (campus universitaire) très favorable au méconème fragile avec ses allées d’arbres feuillus.

Néanmoins, on a aussi noté dans de rares cas la colonisation de milieux semi-naturels loin de la ville mais dans des contextes climatiques régionaux favorables comme dans la vallée du Rhin et ses coteaux bien exposés ou en Hongrie connue pour son climat steppique.

Une dispersion par bonds

Rappelons que notre sauterelle ne vole pas du tout ce qui d’emblée pose la question du comment a t’elle pu ainsi progresser aussi vite à travers toute l’Europe ou presque. Le suivi de la colonisation en Allemagne avait montré une progression de ville en ville mais souvent à grande distance avec des sauts dans l’espace laissant entre deux villes occupées des villes temporairement inoccupées. Ceci indique clairement une dispersion assistée involontairement par l’homme. Outre-Atlantique, on pense qu’elle est arrivée via des arbres d’ornements importés. Mais en Europe, le principal mode de transport, c’est …. l’auto-stop ! Attiré par la chaleur des carrosseries ou par les phares allumés, notre méconème se réfugie sous les ailes ou le capot et peut donc se voir transportée ainsi sur des centaines de kilomètres. Un cas documenté en 1989 en Allemagne a montré qu’un individu avait ainsi parcouru 300km sous le capot d’une voiture entre deux villes allemandes.

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Un parking citadin avec des arbres : un point de départ idéal pour le méconème pour conquérir d’autres lieux en auto-stop.

En Europe centrale, on a remarqué que la colonisation de l’Allemagne de l’Est ne s’est faite qu’après la chute du mur de Berlin (alors que l’Allemagne de l’ouest était colonisée depuis longtemps) et le rétablissement d’un flux de véhicules important entre les deux Allemagnes réunies. De même, la Bulgarie et la Hongrie n’ont été atteintes que tardivement (années 2000) alors que le méconème fragile occupait depuis plusieurs décennies l’Autriche ou la Suisse !

En république tchèque, des chercheurs ont entrepris dans les années 2009-2011 (4) une prospection systématique en ciblant les grands parkings urbains de camping-cars, les terrains de campings, … et ont pu constater sa présence régulière jusqu’alors méconnue.

Si vous voulez vérifier la présence du méconème fragile près de chez vous et l’observer de près, il existe une méthode simple : « battre » le feuillage d’arbres en ville en plaçant un tissu tendu en dessous ; mais, il faut le faire en automne avant les premiers froids. J’ai pu découvrir ainsi des dizaines méconèmes fragiles avec des élèves dans les espaces verts d’un collège en Limagne auvergnate à l’occasion de sorties nature dans le cadre des programmes scolaires dès les années 2008 !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Guide des sauterelles et criquets d’Europe occidentale. H. Bellmann ; G. Luquet. Ed. Delachaux et Niestlé. 1995
  2. Atlas des orthoptères et des mantides de France. J.F. Voisin. Pub.sc. du Muséum. 2003
  3. Meconema meridionale COSTA, 1860 (Orthoptera: Tettigonioidea: Meconematidae) – the first record in Poland. ANNA LIANA, JAKUB MICHALCEWICZ POLISH JOURNAL OF ENTOMOLOGY VOL.
  4. Distribution of the Southern Oak Bush-cricket Meconema meridionale (Orthoptera, Tettigoniidae) in the Czech Republic and Slovakia. Robert Vlk, Ondřej Balvín, Anton Kriští, Pavel Marhoul, Vladimír Hrúz FOLIA OECOLOGICA – vol. 39, no. 2 (2012).

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le méconème fragile
Page(s) : 304 Le guide de la nature en ville
Retrouvez la sauterelle des chênes
Page(s) : 304 Le guide de la nature en ville