Meconema meridionale

Le méconème fragile est une petite sauterelle verte arboricole, originellement confinée en région méditerranéenne et qui au cours des dernières décennies a connu une forte expansion vers le nord , en colonisant essentiellement des sites urbains. Cette « nouvelle » espèce n’est pas la seule à connaître une telle progression et, dans son milieu urbain, elle tisse de nouvelles interactions avec ces autres « étrangers ».

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Femelle de méconème fragile.

La compétition alimentaire d’une asiatique

Le méconème se nourrit essentiellement de pucerons et d’aleurodes ou mouches blanches qu’il chasse la nuit sur les feuilles des arbres dans les parcs et jardins des villes. Or, dans ce même milieu, une espèce prédatrice des pucerons (entre autres) connaît elle aussi un essor fulgurant : la coccinelle asiatique (Harmonia axyridis), introduite de Chine dans le cadre de la lutte biologique, devenue une véritable espèce invasive désormais considérée comme indésirable. Son abondance en milieu urbain laisse supposer qu’elle doit entrer en compétition avec notre méconème, même si la ressource pucerons ne manque pas. Elle se nourrit de jour et n’entre donc pas directement en conflit avec la sauterelle.

En termes de compétition alimentaire, on peut aussi se questionner sur l’impact de l’arrivée deu méconème fragile sur sa cousine indigène, la sauterelle des chênes, qui habite les mêmes milieux , même si elle se montre moins citadine. Peut être que le méconème fragile va exclure la sauterelle des chênes des milieux périurbains : à suivre !

La terreur noire américaine

Sur son chemin, le méconème croise aussi un redoutable prédateur spécialiste des orthoptères (le groupe des criquets et sauterelles), originaire d’Amérique du nord, la guêpe mexicaine (Isodontia mexicana). Cette grande guêpe noire (jusqu’à 2cm de long) aux ailes enfumées est apparue en France dans les années 1944-1960 dans le Midi de la France où elle est restée longtemps cantonnée. Puis à partir des années 2000, peut-être à la faveur d’épisodes caniculaires, elle a entamé une expansion généralisée gagnant une bonne partie de la France et d’autres pays européens en Europe centrale et du nord.Elle fait partie de la famille des « guêpes fouisseuses » ou Sphécidés. Les adultes se nourrissent de nectar et peuvent facilement être observés en train de butiner les fleurs au jardin.

La femelle construit des nids d’herbes sèches (les américains la surnomment « la guêpe qui ramasse de l’herbe ») dans des cavités naturelles : tiges creuses, nichoirs à insectes, rainures de fenêtres, … Elle élabore plusieurs « cases » qu’elle remplit de corps d’orthoptères paralysés d’une piqûre de son aiguillon et pond un œuf dessus ; quand le nid est complet, elle bouche l’entrée avec un bouchon de paille (qui dépasse souvent à l’extérieur) et l’abandonne. Les œufs éclosent et donnent des larves en forme d’asticots qui se nourrissent des proies paralysées donc restées vivantes.

Or, dans la liste de ses proies favorites, outre certains grillons du genre Oecanthus , figurent diverses sauterelles dont les méconèmes. Sa période d’activité (août-septembre) coïncide avec celle du méconème.  J’ai pu observer ainsi à plusieurs reprises, dans les rainures de mes fenêtres en Limagne auvergnate, des nids garnis de dizaines de méconèmes fragiles (mais aussi des sauterelles des buissons) ! Reste à savoir si ce comportement est généralisé à l’ensemble du territoire mais la loi de l’offre abondante laisse à penser que çà doit être le cas ?

Une nouvelle chaîne alimentaire s’est donc mise en place au moins localement entre ces deux « envahisseurs ». On peut d’ailleurs se demander si, outre le réchauffement climatique, la progression plus tardive de la guêpe mexicaine n’a pas à voir avec celle du méconème fragile. En tout cas, leurs chemins se sont bien croisés, pour le malheur du méconème !

La provende venue des Balkans

Une autre vraie envahisseuse cohabite avec le méconème fragile : la mineuse du marronnier (Cameraria ohridella). Ce minuscule papillon nocturne originaire des Balkans s’est répandu sur l’ensemble de l’Europe à partir des années 1990 en s’attaquant aux marronniers d’ornement.

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La belle mineuse du marronnier, originaire de la région du lac Ohrid dans les Balkans et inféodée sur le marronnier, lui aussi originaire de cette région.

Sa chenille creuse des galeries ou mines dans l’épaisseur des feuilles entre les deux épidermes, donnant aux feuilles un aspect marbré typique et provoquant leur chute prématurée. A la fin de son développement, la chenille se transforme en chrysalide dans un cocon tissé à l’intérieur de la mine.

Dans le cadre d’une étude pour explorer les moyens de lutte biologique contre cet envahisseur très agressif vis-à-vis des marronniers, une équipe de chercheurs autrichiens (1) a testé l’action des divers prédateurs. Ils ont repéré ainsi deux grands groupes de prédateurs : les mésanges (dont les mésanges bleues) qui déchirent les mines par dessus pour accéder aux chenilles ou aux cocons et en seconde position quant aux dégâts infligés à la mineuse, le méconème fragile qui laisse des trous ronds réguliers sur le dessus des mines après son passage. Ils ont pu observer le comportement de recherche active du méconème, un véritable « tueur de mineuses » !

Là aussi, on peut se demander si la progression du méconème n’est pas facilitée au minimum par celle de la mineuse du marronnier ?

Cet exemple illustre bien en tout cas la complexité des interactions entre espèces dans des écosystèmes perturbés par l’arrivée d’espèces nouvelles !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Predator complex of the horse chestnut leafminer Cameraria ohridella: identification and impact assessment. G. Grabenwege, P. Kehrli, B. Schlick-Steiner, F. Steiner, M. Stolz and S. Bacher. JEN 129 (7) 2005
  2. FIRST RECORDS OF THE INVASIVE AMERICAN WASP ISODONTIA MEXICANA (HYMENOPTERA: SPHECIDAE) IN SERBIA. A. ĆETKOVIĆ, B. ČUBRILOVIĆ, M. PLEĆAŠ, A. POPOVIĆ, D. SAVIĆ and L. STANISAVLJEVIĆ. Acta entomologica serbica, 2012, 17(1/2): 63-72

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le méconème fragile
Page(s) : 304 Le guide de la nature en ville
Retrouvez la coccinelle asiatique
Page(s) : 307 Le guide de la nature en ville