14/09/2020 Pic-maçon : joli nom pour un petit passereau assez répandu dans tout notre pays, la sittelle torchepot. Impossible à confondre avec sa silhouette trapue et surbaissée et sa tenue gris bleu dessus, rousse dessous et son masque noir en travers des yeux ! Mais le caractère le plus singulier de cet oiseau reste sa capacité à escalader à toute vitesse les troncs ou les branches des arbres, aussi bien en montant qu’en descendant la tête en bas : même les pics, grimpeurs hors pair, sont incapables d’une telle performance. Ajoutons à ce registre, un autre comportement unique en son genre : la « manie » de maçonner l’entrée des cavités naturelles trop grandes qu’elle investit pour y nicher. D’où ces appellations inattendues de maçon ou de torchepot. Découvrons donc deux grands aspects de la biologie de cette espèce attachante : ses déplacements et sa recherche de nourriture d’une part ; la construction et l’entretien du nid d’autre part avec d’autres comportements surprenants en prime.

Famille spécialisée 

La famille des sittelles (Sittidés) regroupe 28 espèces dans le genre Sitta, les sittelles ; on y adjoint un genre tropical assez différent d’aspect avec deux espèces, les Salpornis. Le nom de sittelle (aussi autrefois orthographié sittèle) a été « inventé » par Buffon (1778) à partir du nom de genre latin Sitta, dérivé du grec Sittê qui désignait peut-être le pic vert. 

La sittelle ne tient que par ses griffes puissantes !

Elles partagent toutes la même silhouette caractéristique : un corps compact, ovoïde avec un cou court et épais ; des ailes arrondies de taille moyenne ; une queue courte tronquée. Le bec n’a rien à voir avec celui des pics : court, fort et droit. Les pattes frappent par leur stature courte avec de grands doigts trapus pourvus de longues griffes aplaties latéralement. Elles assurent seules une prise ferme du support sans utiliser la pointe de la queue comme appui secondaire à la manière classique des pics. La silhouette ramassée, surbaissée, facilite ces déplacements tête en bas ; les sittelles peuvent à tout moment s’arrêter et relever la tête pour inspecter les alentours : ceci leur apporte une capacité d’inspection à 360° ! 

Réparties dans les régions tempérées d’Europe, d’Asie (dont l’Himalaya, un bastion de la famille), d’Amérique du nord et dans les régions tropicales asiatiques, la majorité des espèces sont forestières ou plutôt arboricoles habitant aussi bien des forêts tropicales humides que les savanes boisées, les forêts tempérées et les forêts boréales. Quelques espèces, dont la sitelle de Neumayer dans les Balkans (voir ci-dessous), ont adopté un environnement rocheux et nichent alors dans les fentes des rochers. 

En France, nous avons deux espèces : la sitelle d’Europe ou sittelle commune répandue dans toutes sortes de milieux boisés y compris dans les parcs urbains et les régions bocagères pourvu qu’il y ait des grands arbres ; la sitelle corse, plus petite et porteuse d’un sourcil blanc, endémique de l’île de Beauté (où la sittelle commune est absente) vit dans les vieilles forêts de pins laricios entre 800 et 1200m d’altitude. 

La famille des Sittidés a pour plus proche parente une autre famille de « grimpeurs », les grimpereaux (Certhiidés), représentés chez nous par deux espèces d’aspect très différent (bec fin et courbé ; queue pointue servant d’appui) et très spécialisés dans l’exploitation des troncs aux écorces fissurées. On plaçait autrefois parmi les Sittidés un oiseau haut en couleurs, nicheur dans les grands espaces rocheux des Alpes à haute altitude et qui descend l’hiver vers les plaines en fréquentant alors les grands édifices anciens comme substitut à son habitat : le tichodrome échelette. On tend désormais, au vu de ses nombreuses spécificités comportementales, à le classer, tout seul, dans la famille des Tichodromidés. 

Spécialiste … versatile

Sittelle dans un parc urbain (Jardin Lecoq : Clermont-Ferrand)

Pendant la belle saison, la sittelle d’Europe a un régime insectivore ou plutôt à base d’insectes et d’autres arthropodes dont des araignées. Elle recherche ses proies dans les fentes et fissures des écorces qu’elle sonde avec leur bec tout en progressant solidement accrochées par ses pattes, tête en haut ou tête en bas ! Mais, contrairement aux grimpereaux strictement liés à la seule écorce fissurée des troncs et branches, les sittelles savent aussi explorer les brindilles et le feuillage. Effectivement, le suivi des nourrissages des poussins au nid montre que les chenilles mangeuses de feuilles constituent souvent la nourriture de base ; dans une vieille forêt de Pologne, une étude pluriannuelle a porté sur 235 nichées : 53% des apports sont des chenilles ; puis viennent 14% d’insectes ailés, 11% de coléoptères du bois mort et 10% d’araignées. Les apports de chenilles augmentent quand leurs populations font de même : lors des pics d’abondance, elles peuvent représenter 90% des apports quotidiens. La part des chenilles apportées aux poussins varie avec leur âge : à 5 jours, les poussins reçoivent 52% de chenilles et beaucoup d’araignées ; puis, progressivement, la part des chenilles augmente pour atteindre 72% à 20 jours. 

Les sittelles montrent des préférences assez marquées envers certaines essences dont les épicéas, les érables sycomores, les sapins et les arbres secs morts sur pied. En leur absence ou si ces essences sont rares, elles exploitent volontiers les chênes et les hêtres. Sur ces derniers, on observe qu’elles chassent surtout dans la couronne de branches et la canopée : l’écorce lisse et peu fissurée du hêtre offre peu de refuges pour les « petites bêtes » et donc peu de ressources alimentaires. Inversement, sur les érables sycomores (à écorce très écailleuse se soulevant en plaques) ou sur les arbres morts sur pieds, elles prospectent significativement plus les troncs ou la jonction avec les branches principales.

Pour capturer leurs proies, elles utilisent leur bec court et trapu mais pointu ; sa longueur et sa hauteur varient selon les saisons : il connaît une certaine croissance en début de printemps avant de subir l’abrasion liée à son usage. Elles peuvent pratiquer la capture en vol, se laissant tomber aussitôt la proie saisie ; elles peuvent même effectuer des vols sur place ! Récemment (2013), on a apporté la preuve que la sittelle d’Europe pouvait utiliser un outil pour atteindre ses proies : dans un parc de Londres, on a observé une sittelle qui utilisait un éclat d’écorce de saule comme levier pour essayer de soulever d’autres morceaux d’écorce et espérer ainsi découvrir des proies ! On connaissait ce comportement identique depuis les années 1980 chez la sitelle à tête brune d’Amérique du nord. Cette capacité d’usage d’un outil, rare chez les oiseaux, n’a rien de surprenant car elle rejoint d’autres aptitudes à manipuler divers matériaux que nous allons le découvrir. 

Casse-noisettes cachotière et machiste 

Les sittelles se comportent, sous notre climat tempéré, en oiseaux assez strictement sédentaires qui restent en couple toute l’année sur leur territoire ; en hiver, elles recherchent leur nourriture soit en restant très proches l’une de l’autre, soit avec des liens plus distants ou en intégrant temporairement des bandes de mésanges (rondes) qui traversent leur territoire. Dès l’automne, du fait de cette sédentarité, le régime insectivore devient difficilement tenable et les sittelles changent alors complètement de régime passant en mode granivore/frugivore dominant. Elles recherchent surtout les noisettes, les faînes (fruits secs du hêtre) mais aussi des baies comme celles des aubépines. Leur appétence pour les noisettes leur vaut le nom anglais de nuthatch (qui casse les noix, au sens de fruits secs). Elles descendent alors bien plus souvent au sol et peuvent même explorer des endroits rocheux ou des vieux murs. On peut les observer occasionnellement sur les mangeoires approvisionnées en graines de tournesol près des maisons à la campagne ou en ville près des parcs urbains. 

Pour traiter les noisettes (ou les fruits secs des tilleuls), la sittelle utilise souvent la technique de la forge : elle coince le fruit sec dans une fissure de tronc pour ensuite la marteler à coups de bec, la défoncer et accéder à l’amande interne. Cette capacité rejoint l’utilisation d’outil mentionnée dvi-dessus. 

Dès la fin de l’été mais surtout en automne, les sittelles s’emploient à « cacher » des fruits/graines surtout dans des crevasses ou fissures d’écorces de vieux arbres mais aussi au sol ou dans des trous de murs. Elle recouvre souvent ces réserves de morceaux d’écorce, de mousse ou de lichens collectés à proximité. Ces réserves seront exploitées, de mémoire, à l’occasion des périodes froides ou en toute fin d’hiver. Cette collecte de graines et fruits occupe l’essentiel de leur temps en hiver. les populations nordiques (notamment sibériennes) stockent de grandes quantités de graines de cônes de pins qu’lles n’exploitent souvent que plusieurs mois plus tard, voire au bout d’un an, fait exceptionnel pour des oiseaux « cacheurs ». 

Ces caches font l’objet de piratage de la part d’autres sittelles et ce, même au sein des couples restant ensemble ! Chaque sexe fait ses propres réserves mais les mâles exercent un certain harcèlement de dominance sur les femelles. Celles-ci tendent donc à cacher plus de graines quand elles sont seules, hors de vue de leur conjoint, une manière d’éviter le pillage de leurs réserves ! En présence des mâles, les femelles préfèrent consommer de suite leur récolte, entretenant ainsi à court terme leurs réserves de graisse. 

Cavernicole maçonne 

Noter la puissance des pattes (par rapport à la taille de l’oiseau) et des griffes

Dans la famille des sittelles, on note selon les espèces trois grands types de comportements nidificateurs. Quelques espèces, comme la sittelle de Neumayer déjà citée, inféodées aux milieux rocheux qui s’installent dans des fentes ou crevasses au sein de parois rocheuses. Un autre groupe dont les sittelles nord-américaines creuse des cavités dans du bois mort ce qui semble être le comportement ancestral dans la famille. Les sittelles eurasiatiques dont la sittelle d’Europe, choisissent des cavités naturelles dans des arbres et plus rarement des loges de pics abandonnées ; elles adoptent aussi les nichoirs artificiels. Tout au plus, la femelle (qui choisit la cavité déjà existante) peut l’élargir dans un arbre pourrissant. Exceptionnellement, elles occupent un trou dans un vieux mur, une cavité à la base des racines voire même une meule de foin ou un nid de pie abandonné ! 

Le fait d’utiliser une cavité déjà existante complique son utilisation car le plus souvent celle-ci aura une ouverture plutôt grande, trop grande pour un petit oiseau : ce serait une porte ouverte aux intempéries et aux prédateurs ailés ou arboricoles ; de plus, d’autres espèces cavernicoles plus grandes et plus agressives comme les étourneaux peuvent les en déloger. 

Les femelles (vaguement aidées par les mâles !) entreprennent donc, si l’entrée s’avère trop grande, de maçonner cette entrée afin de la réduire à un diamètre adapté à leur taille. Pour ce faire, elles confectionnent un torchis à base d’eau, de boue et parfois de crottin voire de résines d’arbres ; en deux à quatre semaines, elles bâtissent donc cet emplâtre qu’elles peuvent même prolonger en tunnel court voire en monticule surmontant l’entrée. Les sittelles rupicoles (des rochers) mentionnées ci-dessus font de même, bâtissant une sorte de flacon avec un goulot devant la crevasse retenue comme site de nid ! Là encore, cette dextérité et cette « ingéniosité » se recoupent avec l’usage d’outil. Sans doute à cause de l’investissement en temps et en énergie, ces cavités rétrécies sont occupées plusieurs années de suite par un même couple avec l’avantage de disposer souvent à l’intérieur d’un vaste espace d’habitation ! 

De ce comportement si particulier, dérivent deux de ses noms communs. Torchepot est un condensé de torcher (ou torchis) et pot, une allusion peut-être au fait qu’autrefois on fabriquait les nichoirs en poterie (pratique remise à la mode d’ailleurs !). Selon Buffon, ce surnom provient d’une locution d’origine bourguignonne : torche-poteux ou torche-pertuid (un pertuis est une ouverture). L’autre nom plus transparent de pic-maçon lui convient bien sauf qu’il s’agit d’un passereau et pas du tout d’un pic. Ailleurs en Europe, on a aussi retenu ce comportement dans les noms vernaculaires : boomklever (maçon des arbres) en néerlandais ou picchio muratire (pic maçon) en italien. 

Nichoir en poterie

Aménagement intérieur

Mais l’activité industrieuse de nos sittelles ne s’arrête pas là et se poursuit dans la cavité une fois l’entrée plâtrée et rétrécie. Au fond de cavité (souvent grande au regard de ce petit oiseau !), la femelle accumule un tas de débris d’écorce formant un ensemble sans structure propre (pas d’arrangement particulier) ; elle choisit pour ce faire souvent des écorces de pins connues pour leur richesse en substances aromatiques (monoterpènes). Les œufs, puis les poussins, se retrouvent plus ou moins enfouis au sein de cet amas d’écorces ! Quand la femelle revient au nid, elle se pose sur sa couvée ou ses jeunes poussins et effectue des demi-cercles sur place jusqu’à les libérer de ces écorces. Quelle est la fonction de ce comportement là encore très singulier ? 

On pense de suite à une fonction antiparasite compte tenu du caractère insecticide des composés secondaires contenus dans ces écorces (dont le limonène) ; on pense aussi à l’exemple des mésanges qui ajoutent des herbes aromatiques dans leurs nids (voir la chronique sur ce sujet). Des études conduites en Suède montrent que les nids de sittelles hébergent moins de puces que ceux des mésanges charbonnières occupant les mêmes types de nichoirs dan le même environnement ; d’autre part, les nids remplis avec des feuilles renferment plus de puces que ceux complétés avec des écorces. Pour autant, d’autres études n’ont pas réussi à démontrer un tel effet sur les parasites externes des sittelles. Une étude expérimentale consistant à remplacer les débris d’écorces par d’autres matériaux tend à démontrer qu’il s’agirait plutôt d’une fonction de thermorégulation qui maintiendrait les œufs, puis les très jeunes poussins non emplumés (espèce nidicole) à une température supérieure à l’environnement de la cavité. Ces accumulations pourraient de plus dégager de la chaleur via un processus de début de décomposition (comme dans un tas de compost). Elles permettraient de réduire le temps d’incubation et augmenterait les chances de survie des jeunes notamment dans les régions froides. Il faut aussi relier ce point à la taille surdimensionnée des cavités occupées avec souvent des « fuites thermiques » quand il s’agit de cavités naturelles. Même le comportement des poussins intrigue : contrairement à ceux des autres passereaux, ils ne se serrent pas les uns contre les autres mais se « dispersent » dans le tas d’écorces. 

Cet habillage intérieur du nid implique un travail supplémentaire qui sera amplifié si les matériaux ne sont pas disponibles à proximité. En Espagne, dans une population occupant des nichoirs, les femelles ajoutent soit des écorces de pin (matériau préféré), soit des lanières d’écorce d’un arbuste très aromatique, le ciste à feuilles de laurier. Mais, elles n’ajoutent des écorces de pin que si il y a un tel arbre dans un rayon de moins de 100m et sinon se rabattent sur le ciste très répandu ; de même, elles occupent préférentiellement les nichoirs près de ruisseaux afin de disposer d’eau pour plâtrer l’entrée des nichoirs. Avant la ponte, les femelles passent 10 à 20% de leur temps à bâtir le nid (plâtrage puis intérieur) et réduisent leur temps de repos tout en consacrant plus de temps à la recherche de nourriture que les mâles (développement interne des œufs). Ainsi, le choix de sites disposant à proximité de matériaux ad hoc réduit ce temps passé à la construction du nid et améliore les chances de réussite des nichées. 

Gageons qu’après la lecture de cette chronique, vous ne regarderez plus les sittelles de la même manière … avec en tout cas une certaine dose d’admiration ! Apprenez à les repérer de loin via leur vaste gamme de cris et chants très sonores en les mémorisant sur des sites ornithologiques avec des sons ; une fois repérés, ces oiseaux se laissent très facilement observer avec une paire de jumelles. 

Bibliographie 

Site Birds of the world

Etymologie des noms d’oiseaux. P. Cabard ; B. Chauvet. Ed. Belin. 2003

Foraging ecology of two bark foraging passerine birds in an old-growth temperate forest. Peter Adamík & Martin Koròan Ornis Fennica 81:13􏰶22. 2004 

Food of Nuthatch Sitta europaea young in a primeval forest: effects of varying food supply and age of nestlings. Tomasz WESOŁOWSKI, Patryk ROWIŃSKI & Grzegorz NEUBAUER ACTA ORNITHOLOGICA Vol. 54 (2019) No. 1 

FOOD CACHING VERSUS IMMEDIATE CONSUMPTION IN THE NUTHATCH: THE EFFECT OF SOCIAL CONTEXT. LUIS M. CARRASCAL & EULALIA MORENO. ARDEA 81: 135-141 1993

The significance of nest structure and nesting material for hole-nesting passerines: an experimental study with Nuthatches Sitta europaea. Alejandro CANTARERO et al. ACTA ORNITHOLOGICA Vol. 49 (2014) No. 2 

Selection of nest-site and nesting material in the Eurasian Nuthatch Sitta europaea. Cantarero A., López-Arrabé J. & Moreno J. 2015. Ardea