Senecio cacaliaster

13/07/2022 La flore montagnarde connaît un certain succès auprès du grand public à l’occasion des vacances estivales et constitue souvent un sujet recherché des photographes amateurs.  Dans les guides sur cette flore montagnarde, on y présente généralement une sélection de « belles fleurs » (lis martagon, sabot de Vénus, astrances, chardon bleu des Alpes, …) et de « grandes plantes » voyantes faciles à repérer. Et pourtant, certaines espèces assez répandues n’y figurent jamais pour diverses raisons dont leur répartition : ainsi, les plantes montagnardes qui n’ont pas le privilège d’habiter a minima les Alpes en sont souvent exclues, la flore des Alpes étant considérée implicitement comme la quintessence de la flore montagnarde. Tel est le cas du séneçon fausse-cacalie, une espèce montagnarde assez répandue dans le Massif Central mais uniquement là en en France ; comme j’ai pu constater que même des botanistes amateurs éclairés ignorent souvent cette espèce, je lui consacre cette brève chronique pour lui redonner un peu de visibilité. 

Grand séneçon 

Ce séneçon vivace fait partie des « grandes » plantes montagnardes avec une taille entre 0,70 et 1,50m de haut au même titre par exemple que la prénanthe pourpre (voir la chronique) qui la côtoie souvent. De sa souche non rampante monte une tige dressée qui ne se ramifie que dans la partie supérieure au niveau de l’inflorescence.  La tige, pratiquement glabre (sans poils), très anguleuse (on sent les angles au toucher) porte de nombreuses feuilles alternes ovales allongées (lancéolées) terminées en pointe (acuminées), finement dentées en scie sur tout le pourtour ; vers le haut de la tige, elles tendent à devenir très étroites (linéaires) et embrassent un peu la tige. Ces feuilles n’ont pas de pétiole (sessiles) et se prolongent légèrement sur la tige (décurrentes) ce qui concourt à lui donner son aspect anguleux.  

En juillet-août, à l’aisselle des feuilles supérieures s’élèvent de longs pédoncules dressés en oblique et qui portent à leur sommet un ou plusieurs capitules (l’inflorescence élémentaire, typique des Composées ou Astéracées). Bien qu’issus de niveaux différents, ces pédoncules placent les capitules presque tous dans un même plan ce qui donne une inflorescence composée de type corymbe, faisant penser à une ombelle sauf que les pédoncules ne partent pas du même point. 

Chaque fleuron émet un pistil à deux stigmates encadré à sa base par les étamines

Chaque petit capitule se compose de nombreuses fleurs élémentaires, des fleurons en tube très serrés, avec deux particularités singulières qui rendent l’identification de cette espèce en fleurs très facile : il n’y a pas de languettes (ligules) périphériques (ou très rarement 1 ou 2) et les fleurons arborent une teinte jaune clair, discrète mais délicate, très différente du jaune vif à jaune orangé classique des autres séneçons. L’ensemble des fleurons est comprimé à l’intérieur d’un « étui » ou involucre formé de bractées (petites feuilles) très étroites, aiguës ; sous celui-ci, on notera une petite collerette (calicule) composée de 4 ou 5 bractées très étroites elles aussi. Ajoutons un troisième critère décisif propre au séneçon fausse-cacalie : les pédoncules, l’involucre et son calicule sont densément glanduleux ce qui leur donne un aspect poisseux. 

Les fleurons fécondés cèdent place à des fruits secs élémentaires ou akènes formés d’une « graine » glabre à côtes fines surmontée d’une courte aigrette qui permet la dispersion par le vent (anémochorie). 

Dans ses milieux de vie, il côtoie souvent une autre espèce de grand séneçon, bien plus commune, le séneçon de Fuchs. Celui-ci est généralement plus grand atteignant souvent presque les deux mètres et forme des colonies plus fournies et plus vigoureuses. Les feuilles se ressemblent beaucoup mais chez le séneçon de Fuchs les supérieures ont un pétiole assez net et les dents marginales sont plus épaisses, de consistance cartilagineuse ; elles sont aussi en moyenne plus larges. Quand ils sont fleuris, plus aucune confusion n’est possible : les capitules jaune vif du séneçon de Fuchs présentent une rangée de languettes bien développées (comme chez le séneçon jacobée commun en plaine) ; les corymbes de capitules sont bien amples et fournis. Bref, le séneçon de Fuchs dégage une impression de force sans commune mesure avec la grâce discrète du séneçon fausse-cacalie. 

Grande colonie de séneçons de Fuchs avec en sous-étage un autre séneçon nettement plus petit, à feuilles découpées, le séneçon des bois (S. sylvaticus)

Répartition originale 

Comme annoncé en introduction, le séneçon fausse-cacalie ne se trouve en France que dans le Massif Central entre 800 et 1600m d’altitude, i.e. au niveau des étages montagnard et subalpin. Il occupe une aire qui recouvre l’Auvergne, la Haute-Vienne, la Creuse et l’Aveyron jusque dans les Cévennes du Gard et de la Lozère. En Auvergne, son bastion central, où il est assez rare mais constant, il est présent de manière certaine dans trois départements (63, 15 et 42) dans les régions montagnardes suivantes : monts du Sancy, Livradois- Forez et Bois Noirs, Cézallier, massif du Cantal et Mézenc. De très rares stations sont connues à 400m d’altitude dans le bassin de la Dordogne : ce sont des stations dites abyssales, i.e. que la plante a « descendu » la rivière et profité de l’ambiance protégée des forêts riveraines pour s’implanter plus bas de manière très ponctuelle et marginale. En tout cas, le séneçon fausse-cacalie est bien une des plantes montagnardes les plus spécifiques du Massif Central et rien que pour cela elle mérite qu’on s’y intéresse. 

Si on quitte la France, on découvre que son aire globale est des plus surprenantes : en fait, elle est limitée à l’Arc alpin méridional : des Alpes bergamasques (Lombardie/Italie) aux Alpes Juliennes (Italie-Slovénie) et dans les massifs alpins du nord des Balkans. Cette répartition de montagnarde méridionale lui vaut le qualificatif géographique de franco-illyrienne : l’Illyrie correspond à une ancienne contrée sur les rives orientales de l’Adriatique recouvrant la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, le Monténégro et l’Albanie. Ceci explique un de ses noms populaires de séneçon de Croatie. 

Pourquoi n’est elle-pas présente entre les Alpes bergamasques et le Massif Central : mystère ; probablement qu’après les dernières glaciations, elle a regagné vers l’ouest depuis des refuges dans les Alpes méridionales et atteint le massif Central où elle a prospéré ; elle a peut-être ultérieurement disparu des Alpes occidentales qui avaient servi de relais ; ce scénario n’est qu’une hypothèse personnelle sans fondement scientifique. 

Semi-forestière 

Dans une tourbière avec les cirses des marais, en bordure de forêt

Ce séneçon a besoin de sols avec une certaine réserve d’eau donc des sites frais à humides mais non marécageux ; il préfère l’ombre mais se montre capable de persister en plein soleil notamment dans l’étage subalpin plus élevé où il bénéficie alors d’une ambiance plus fraîche et plus arrosée. 

Il habite les forêts montagnardes à base de hêtres (hêtraies) ou de hêtres et sapins (hêtraies-sapinières) où il s’installe soit sur les lisières et au bord des clairières (les ourlets) ou dans les formations de hautes herbes souvent associées à des suintements ou des ruisseaux sur des pentes nord (les mégaphorbiaies). Dans l’étage subalpin, on le retrouve dispersé dans les landes et fourrés à sorbiers juste au-dessus de la limite des forêts. Il se développe sur des substrats volcaniques ou granitiques soit des sols plutôt acides à neutres. 

Devant un sureau rouge dans une grande allée forestière

Avant que quitter ce séneçon, juste une mise au point sur son nom intriguant fausse-cacalie, traduit du nom latin cacaliaster. Ce nom désignait dans l’ancienne classification un genre de composées qui, à cette époque, recouvrait plusieurs genres aujourd’hui séparés dont les adénostyles, d’autres grandes plantes montagnardes des mégaphorbiaies aux capitules de fleurs roses et aux feuilles basales « géantes ». 

Séneçon fausse-cacalie au milieu d’adénostyles (grandes feuilles rondes) dans une mégaphorbiaie

Je profite de cette chronique à propos d’une plante montagnarde pour faire l’éloge d’un guide remarquable sorti récemment aux éditions Biotope : Plantes de montagne par F Le Driant, L. Ferrus et P. Pellicier ; il couvre tous les massifs montagneux du pays et toutes les espèces sans exception : pour chaque espèce, une fiche descriptive donne les critères clés, l’écologie, la répartition en France et des photos de très bonne qualité appuient le texte ; pour de nombreux genres, des clés résument les critères d’identification . Vraiment c’est LE guide que tout le monde attendait, alliant grande rigueur et haute qualité iconographique. Et dans ce guide, vous trouverez bien le séneçon fausse-cacalie (p 836) et son cousin le séneçon de Fuchs à la même page. A minima, une belle idée de cadeau pour Noël ? 

Bibliographie

Plantes de montagnes (voir ci-dessus)

Flore Forestière Française. Tome 2 Montagnes. JC Rameau, D. Mansion et G.Dumé. Ed. IDF 1993