10/11/2023 Les bourdons font partie des groupes d’insectes qui ont connu et connaissent un effondrement majeur de leurs populations avec des espèces en voie d’extinction. Face à ce déclin massif, diverses mesures de conservation ont été mises en place notamment dans les pays anglo-saxons et nordiques. L’accent a beaucoup été mis, à juste titre, sur la mise à disposition de ressources florales variées dans l’espace et dans le temps pour assurer le bon développement des colonies.

Plus récemment, on a aussi réalisé l’importance des sites de nid disponibles pour les reines bourdons au printemps, à la sortie de l’hibernation. Cette étape clé du cycle de vie s’avère souvent compliquée pour les reines qui y passent beaucoup de temps et parcourent des kilomètres avant de choisir un site favorable … si elles le trouvent !

Exemple de nichoir à bourdons fabriqué avec des pots de fleurs et installé sur une ferme bio.

De ce fait, on a commencé à concevoir des « nichoirs à bourdons » et à les implanter dans leur environnement pour les aider lors de la phase d’installation du nid. Des entreprises commerciales (jardineries,) se sont engouffrées dans cette opportunité et proposent divers modèles ; des associations diffusent des modèles artisanaux à fabriquer soi-même. Mais que valent vraiment ces dispositifs ? Sont-ils effectivement adoptés par celles à qui ils sont destinés (les reines) ? Quelles sont les règles à respecter dans leur conception et dans le choix du site et du moment de leur implantation ?

Capture d’écran d’une recherche sur Google montrant la diversité des modèles vendus ou proposés à la construction

Une étude anglaise de grande ampleur, pilotée entre autres par le super spécialiste des bourdons, Dave Goulson, auteur de plusieurs excellents ouvrages sur ce thème, a testé pendant deux ans des centaines de nichoirs de modèles différents.

Nichoirs ?

Avant d’entrer dans cette étude, précisons d’abord ce que nous entendons par « nichoirs à bourdons » car le mot nichoir prête à quelques confusions. Les anglo-saxons d’ailleurs parlent plutôt de « domiciles artificiels ».

Le grand public associe automatiquement le mot nichoir aux « boîtes » pour oiseaux cavernicoles. Il se trouve qu’une espèce de bourdon au moins, le B. des mousses, adopte volontiers ces nichoirs à oiseaux quand ils ont été occupés par des oiseaux puis non réutilisés. Certaines espèces peuvent aussi nicher dans d’anciens nids d’oiseaux. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des espèces de bourdons qui nichent soit au sol parmi des touffes de grandes herbes, soit sous terre, le plus souvent dans d’anciens terriers de petits rongeurs.

De ce fait, une bonne part des « domiciles à bourdons » sont conçus pour être installés sous terre (en principe …) ou à la surface et s’éloignent alors de l’idée classique qu’on se fait des nichoirs, c’est-à-dire des objets accrochés ou suspendus dans les arbres.

En parallèle s’est répandue la grande mode des hôtels à insectes destinés aux abeilles et guêpes solitaires et dans lesquels les bourdons ne s’installent pas … sauf exceptions ! On a aussi développé des versions plus petites qualifiées et commercialisées sous le vocable de nichoirs à insectes mais toujours destinés aux abeilles et guêpes solitaires.

Donc, ici, nous allons employer par commodité le terme de nichoirs à bourdons mais nous allons voir qu’il s’agit de constructions spécifiques bien différentes de celles évoquées ci-dessus (sauf les nichoirs à oiseaux adoptés par certains bourdons).

Outre favoriser la reproduction, ces nichoirs permettent un suivi rapproché des populations notamment sur le devenir des colonies et leur succès relatif ; certains, équipés de dispositifs permettant d’observer à l’intérieur sans déranger, ouvrent une porte précieuse sur la connaissance de la vie des colonies, très difficile d’accès autrement.

Succès puis échecs

Les premiers nichoirs à bourdons ont été inventés au début du 20ème siècle (1912) au Royaume-Uni : un trou rempli de matériaux pour le futur nid et recouvert d’une planchette. Testés sur le terrain, ils ont eu un taux d’occupation de 30% et ont accueilli six espèces différentes, soit un résultat honorable.

Depuis, avec le déclin accéléré des populations de bourdons notamment dans les paysages agricoles, plusieurs pays ont lancé de vastes programmes de pose de nichoirs à bourdons dès les années 70-80 : au Canada, aux USA par exemple. Et à cette époque, dans ces pays, les études de suivi montraient une certaine efficacité avec des taux d’occupation tournant autour de 30 à 50%.

Plus récemment, au Royaume-Uni, lui aussi confronté à un effondrement massif de ses populations de bourdons, de nombreuses initiatives de pose de nichoirs en grand nombre ont vu le jour avec l’enthousiasme communicatif dont peuvent faire preuve les anglo-saxons en matière de conservation. Or, très rapidement, on a constaté que les résultats escomptés n’était pas du tout au rendez-vous : le taux d’occupation de ces nichoirs était très bas voire nul et réellement décevant. Plusieurs études de cas ont confirmé ce fait avec, par exemple, 400 nichoirs posés sur un campus et … zéro occupation ! D’où l’émergence d’un questionnement scientifique quant à la pertinence de ces nichoirs.

Ainsi, on a montré que la forme et la taille du nichoir ainsi que les matériaux utilisés pour le construire (bois, pvc, terre cuite, …) semblent peu influer sur le choix des reines en quête d’un site de nid. Par contre, quatre éléments clés apparaissent : l’habitat naturel choisi pour l’implantation ; la position relative par rapport au sol ; le moment de l’installation ; la présence et la nature des matériaux destinés à la construction du nid par la reine, mis à disposition à l’intérieur du nichoir.

D’où cette étude à grande échelle destinée à tester leur efficacité et à dégager des critères d’optimisation quant à la conception et à la pose de ces nichoirs.

Modèles

Au cours de cette étude, cinq modèles différents ont été testés, la plupart correspondant aux modèles utilisés par le passé dans d’autres pays. Une partie sont des modèles commerciaux, très populaires en Grande-Bretagne : en 2010 (période de l’étude), plus de 10000 exemplaires se sont vendus dans les jardineries britanniques ! Les autres sont artisanaux et plus ou moins élaborés. Nous allons les présenter successivement avec les plans fournis dans la publication.

Nichoir-boîte

En haut : modèle installé sur le mode préconisé par le vendeur : a) plexiglas permettant de voir à l’intérieur b) couvercle relevable (charnières) c) trou d’entrée (2cm diamètre) d) cales surélevant le nichoir par rapport au sol e) matériau : foin grossièrement haché f) boîte en bois 17 x 26 x15cm

En bas : le même modèle adapté en mode semi-souterrain : a) tube d’entrée de 30cm de long et 2cm diamètre avec un clou en travers excluant les limaces b) grillage à poule pour maintenir les matériaux hors du contact avec le sol c) 2 gr de matériaux (4 parts de kapok pour une part de mousse végétale d) nichoir (voir ci-dessus).

Ce sont les modèles largement commercialisés, avec des variantes de forme. Mais, dans cette étude, on a modifié le mode d’emploi classique préconisé : au lieu de les poser sur le sol (plan a), on les a à moitié enterrés dans le sol en connectant l’entrée au sol avec un tuyau d’accès et en modifiant le matériau interne et sa disposition. En fait, les chercheurs ont en amont intégré déjà des préconisations élémentaires pour une meilleure efficacité. On trouve aussi des variantes commerciales en poterie ou même en céramique (produits de luxe très chers !).

Nichoir-cocon

En haut : modèle commercialisé a) nichoir cocon de 12cm de diamètre b) 2 gr de matériau (laine de viscose et mousse sèche) c) trou d’entrée de 4cm de diamètre. En bas le même adapté pour l’étude avec a) un couvercle protecteur en feutre anti-précipitations

Il s’agit d’un modèle de nichoir très en vogue outre-Manche (roosting pocket) et destiné aux oiseaux ou petits mammifères, notamment pour qu’ils s’y abritent en hiver. Le plus souvent en osier, parfois en fil de fer, ils sont suspendus dans les arbres et ne concernent donc que les espèces de bourdons qui adoptent des sites de nids en hauteur. Dans l’étude, on l’a « amélioré » en mettant par-dessus un couvercle protecteur pour l’isoler des précipitations. Les modèles qui suivent ci-dessous sont des modèles artisanaux.

Nichoir dalle

a) dalle en béton (45 x 45 x 4cm) b) tube en PVC noir de 30cm de long et 2cm de diamètre avec un clou en travers pour exclure les limaces c) cavité creusée dans le sol 25 x 25 x 20cm d) grillage à poule surélevant les matériaux du nid e) 2 gr de matériaux (kapok/mousse végétale)

Un trou creusé dans le sol et recouvert d’une dalle ou pierre plate lourde ; ce modèle ressemble beaucoup au tout premier modèle testé au début du 20ème siècle (voir ci-dessus).

Nichoir pot de fleur

a) Tube d’entrée avec un clou enfoncé en travers pour exclure les limaces ; b) grillage à poule pour maintenir les matériaux hors du contact avec le sol ; c) cavité creusée dans le sol (25 x 25 x 10cm) ; d) niveau du sol ; e) 2 grammes de matériaux de nid (4 parts de kapok pour une part de mousse végétale ; f) deux pots de fleur emboîtés (diamètre 23cm au plus large), celui à l’intérieur avec le fond découpé ; g) plaque imperméable placée sur des cailloux la surélevant un peu (ventilation).

C’est celui le plus souvent proposé sur les sites d’associations et de jardinage proenvironnemental

Nichoir-cité

a) tuile de toit (17 x 27cm) pour empêcher l’entrée d’eau : celle de droite laisse un passage en dessous mais invisible du dessus b) tuyau plastique noir de 30cm de long et 2cm de diamètre c) trous de 5mm de diamètre pour permettre le drainage de l’humidité et les excréments (recouverts d’un fin tissu nylon maillé) d) billes de 4 x 7mm qui séparent les chambres interne et externe e) chambre interne faite de deux pots de fleur plastiques perforés (diamètre de 13cm au plus large) et associés pour former une cavité laissant circuler l’air f) 2 gr de matériaux (laine de viscose naturelle et mousse sèche 4/1) g) chambre externe imperméable : deux pots associés de 16cm de diamètre h) cheminée de ventilation : tuyau de 30 x 2cm avec l’entrée obturée par un tissu nylon maillé pour empêcher toute intrusion

Ce modèle très complexe a été conçu par un des chercheurs de l’équipe qui travaille sur les bourdons.

Sites d’étude

Quatre grands sites différents dispersés entre le sud de l’Angleterre et le centre de l’Ecosse ont été retenus pour effectuer ce méga-test entre le printemps 2008 et l’été 2009, donc sur deux années :

  • 13 jardins suburbains en Ecosse avec des nichoirs-boîtes ; on sait que les zones périurbaines hébergent de riches populations de bourdons avec des densités importantes.
  • Un grand jardin botanique avec une vaste gamme de plantes à fleurs qui fleurissent toute l’année, donc a priori très favorable aux bourdons : des nichoirs-cocons et des nichoirs-cités ont été installés dans des zones boisées avec des rhododendrons  
  • Un paysage agricole avec des fermes engagées dans des mesures agroenvironnementales en faveur des bourdons (gestion des haies et des bordures de champs et prairies riches en fleurs) ; on sait que les bourdons connaissent le plus fort déclin dans les zones agricoles
  • Un campus universitaire (Stirling) avec 100 nichoirs de quatre types

Sur chaque site, un suivi régulier avec inspection des nichoirs en fin de saison a permis de déterminer les taux d’occupation des nichoirs en en retenant comme positifs que ceux avec les restes d’une colonie avancée. Ce point est important car, dans les études antérieures, on a souvent surévalué l’occupation en considérant que la simple présence au moins une fois de bourdons était signe d’occupation. Or, ici, les chercheurs ont observé à plusieurs reprises des cas de début d’installation avec la reine qui déplace les matériaux mais non suivis d’une installation effective.

Décevants

Tous les nichoirs testés ici correspondent à des modèles auparavant utilisés avec des taux d’occupation conséquents. Or, ici, pour les modèles testés le taux d’occupation moyen tourne entre 0 et 3%, sauf pour le modèle nichoir-cité (le plus complexe) qui, dans cette étude, a atteint un taux d’occupation de 13%.

Ainsi, le modèle nichoir-dalle avait été testé au début du 20ème siècle avec 30% d’occupation contre, ici, seulement … 2% ! Les nichoirs-cocons testés autrefois au Canada, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas avaient donné des taux d’occupation de 33 à 43% contre 3% ici. Dans les nichoirs pots de fleur, aucune colonie n’a été trouvée sur un des sites tests. Idem pour les nichoirs boîtes pourtant commercialisés et vantés à grande échelle. Seul les nichoirs-cités obtiennent un score modeste mais au-dessus de cette moyenne très basse et ressortent comme le seul modèle potentiellement efficace.

Pour expliquer ces résultats, il faut revenir sur les études antérieures qui donnaient des résultats nettement positifs. Elles ont été menées il y a plusieurs décennies à une époque où l’effondrement massif des populations de bourdons ne faisait que s’amorcer. Or, entre temps, les populations ont considérablement régressé : d’où l’hypothèse toute simple que les nichoirs posés ici ne seraient pas occupés faute de … bourdons !

Et pourtant, l’analyse site par site ne colle pas avec cette hypothèse. Le jardin botanique (voir ci-dessus) est un site potentiellement très favorable où au cours de l’année antérieure à l’étude de nombreuses reines en recherche de sites avaient été observées ce qui indique sans doute au contraire un déficit de sites de nid : dans ce cas, les nichoirs auraient dû être adoptés massivement s’ils avaient été favorables ! Même dans les zones agricoles testées, six espèces sont restées communes et abondantes, comme un peu partout ailleurs en Europe (dont le B terrestre ou le B. des pierres). 840 reines avaient été comptées en 50 heures d’observations sur les dix fermes ayant servi de sites tests. Enfin, sur le campus, une recherche active des nids a révélé de belles densités de 28 nids/hectare. Donc, la désaffection ne viendrait pas de l’absence de bourdons.

Peut-être que …

Néanmoins, comme le soulignent eux-mêmes les chercheurs impliqués, cette étude présente un biais potentiel : sa durée sur deux ans. Or, on sait par des études et diverses observations que le taux d’occupation s’accroît au fil des ans dans les nichoirs artificiels mis en place.

Ainsi, dans une étude néo-zélandaise, le nombre de nichoirs occupés est passé d’un à … 27 en quatre ans sur un total de 80 posés. Une corrélation positive a été montrée entre le fait qu’un nichoir soit occupé une première fois une année et occupé l’année suivante. Mais le contexte néo-zélandais est particulier car il s’agit de bourdons introduits et, là-bas, les sites de nid semblent être une facteur clé du fait de la rareté relative des petits mammifères (tous des espèces introduites) !

Un autre facteur qui pourrait malgré tout jouer sur le long terme en faveur des nichoirs artificiels concerne leur occupation possible par des petits rongeurs. Dans ce cas, après abandon, ces nichoirs pourraient alors devenir bien plus attractifs puisqu’on sait que l’odeur d’urine de souris semble constituer un attractant clé pour les reines en recherche de sites de nid.

Au final, les chercheurs de cette étude affichent un net pessimisme quant à l’efficacité globale de ces nichoirs sauf le modèle nichoir-cité (mais complexe à mettre en place) et sauf dans des contextes particuliers où les sites de nid sont rares et décisifs. Autrement dit, on peut toujours en installer mais en sachant que leur efficacité risque d’être très relative et limitée. Diversifier en parallèle l’environnement (tas de pierres, tas de branches, herbes en grosses touffes, …) reste un déterminant clé tout comme favoriser la présence de populations de petits rongeurs.

Mode d’emploi

Forts de leur expérience, les chercheurs préconisent un certain nombre de conseils d’utilisation à respecter pour espérer augmenter l’efficacité, surtout pour les modèles commercialisés (mode d’emploi fourni souvent inadapté !).

L’ajout de matériaux utilisables par les reines est impératif car elles ne transportent pas de matériaux depuis l’extérieur . Les matériaux préconisés sont de la mousse et des fibres végétales : des herbes sèches fines, faciles à « tresser » ou des fibres du type kapok. Souvent dans les modèles commerciaux, le matériau est de la paille grossière que les reines ne savent pas utiliser.

Si le nichoir est occupé par un petit rongeur, surtout ne pas enlever la litière mise en place et souillée : c’est un excellent appât ! (voir ci-dessus).

La majorité de nos bourdons nichent sous terre ou juste en surface dans de grandes touffes denses d’herbe. Donc, il faut a minima enterrer partiellement le nichoir et non pas le poser à l’air libre. Par contre, il faut compléter avec un tuyau pour la connexion avec la surface et celui-ci doit être percé pour le drainage et avec une pointe en travers pour bloquer les limaces.

A partir d’autres sources d’informations dont des particuliers, il ressort que peindre en jaune le nichoir serait plus attractif. L’aération interne du nid semble aussi importante. Penser à percer des trous dans les tuyaux d’entrée pour que l’eau s’écoule et ne noie pas le nid. Si on a un rongeur de compagnie, incorporer de la litière souillée par l’urine et les crottes augmente l’attractivité du nichoir.

Faites-nous part de vos propres aventures si vous avez déjà installé ou crée de tels dispositifs : nous diffuserons les observations susceptibles d’améliorer l’usage de ces nichoirs.

Bibliographie

Assessing the efficacy of artificial domiciles for bumblebees Gillian C. Lye et al. Journal for Nature Conservation 19 (2011) 154–160

Bumble bee Conservation Trust : site anglais grand public très bien fait et riche en informations