Stachys annua

05/08/2021 Quiconque apprécie le miel connaît les déclinaisons des miels dits monofloraux, i.e. produits à partir du butinage par les abeilles d’une seule espèce de plante mellifère : miel de lavande, de châtaignier, de sapin (issu de la récolte du miellat des pucerons), de tilleul, de colza, … et bien d’autres. Mais qui connaît le miel d’éteule ? Rappelons qu’une éteule est un champ de chaumes de céréales, la partie des tiges qui restent sur pied après la moisson : que peuvent bien butiner des abeilles dans un tel milieu ?  Ce miel était produit autrefois en grandes quantités dans les pays du Sud-Est de l’Europe avec un bastion central en Hongrie dans les plaines céréalières steppiques ; nous disons « était » car cette production a complètement cessé (sauf peut-être encore très localement en Serbie) depuis plusieurs décennies … suite à la très forte raréfaction ou disparition de la plante mellifère au cœur de cette production : l’épiaire annuelle, une espèce qui se développait massivement dans les éteules de céréales. Son déclin s’inscrit dans le changement global qui touche toute la biodiversité animale et végétale associée aux zones agricoles dont les plantes dites adventices qui vivent essentiellement dans les cultures. Cette plante vit en France, dispersée sur presque tout le territoire, devenue rare et irrégulière dans ses apparitions, méconnue du grand public comme tant d’autres. Partons donc à la rencontre de cette belle des moissons et du cortège floristique qui l’accompagne et découvrons cette histoire étonnante du miel d’éteule hongrois ce qui nous donnera peut-être des idées et des perspectives pour l’avenir de cette flore messicole si malmenée par l’agriculture intensive. 

Épiaire

La flore de France compte seize espèces d’épiaires (genre Stachys) dans la famille des Labiées ou Lamiacées dont certaines sont communes comme l’épiaire des bois ou ortie puante aux fleurs rouge foncé ou l’épiaire laineuse ou oreille d’ours, une espèce cultivée naturalisée un peu partout avec son feuillage feutré très dense et argenté. 

Comme la grande majorité des labiées, l’épiaire annuelle possède : une tige « carrée » à quatre angles bien marqués ; des feuilles simples, opposées par paires et sans petites feuilles (stipules) à leur base ; des fleurs groupées en paquets denses (glomérules) à l’aisselle des paires de feuilles supérieures ; ces fleurs sont   irrégulières avec un calice en tube formé de 5 sépales soudés terminés chacun par une dent et une corolle à deux lèvres (bilabiée) et en tube à la base engoncée dans le calice ; il y a quatre étamines en deux paires inégales et au fond du tube de la corolle un ovaire qui, à maturité, donne un fruit sec qui se partage en quatre fruits-graines secs ou akènes (tétrakène) au fond du calice persistant. 

Avec les autres épiaires, elle partage : de longs épis floraux interrompus formés de nombreux glomérules superposés (d’où le nom épiaire dérivé de épi) ; un calice non à deux lèvres et à cinq dents étroites un peu épineuses ; une corolle nettement à deux lèvres (l’inférieure à trois lobes) avec le tube resserré au-dessus de sa base et présentant à ce niveau, à l’intérieur, un anneau de poils (qui bloque en partie l’entrée des intrus)  ; quatre étamines toutes fertiles qui sortent en partie du tube de la corolle et avec des filets parallèles dès la base : la paire extérieure est plus longue et se trouve déjetée sur le côté en fin de floraison. 

Restent maintenant les critères distinctifs en tant qu’espèce. Comme son nom l’annonce clairement, il s’agit d’une plante annuelle (parfois bisannuelle), i.e. une plante qui boucle son cycle complet (de la germination à la fanaison après reproduction) sur moins de douze mois et en gros sur une saison ; concrètement, sur le terrain, ce caractère se manifeste de deux manières : sa racine grêle pivotante qui s’arrache facilement (à ne pas faire !) ; sa tige unique dressée, souvent ramifiée dès la base et qui ne dépasse pas au grand maximum 50cm de haut. Le feuillage vert jaunâtre, finement velu, se compose de feuilles ridées à nervures saillantes, crénelées dentées sur un pétiole court. La floraison ne passe pas inaperçue en dépit de sa faible taille : des épis de glomérules écartés de 3 à 6 fleurs blanc jaunâtre avec un calice velu glanduleux à cinq dents longues et pointues et une corolle qui en dépasse nettement via le tube allongé ; la lèvre supérieure est entière. 

Messicole 

L’habitat principal de l’épiaire annuelle se situe donc dans les chaumes, essentiellement des céréales, après les moissons. Elle commence son cycle annuel dès le milieu de printemps en germant et développant des tiges feuillées mais cachée sous le haut couvert des céréales ; elle attend la moisson qui va « ouvrir » le milieu à la lumière pour fleurir rapidement et boucler ainsi son cycle. Mais, tous les champs moissonnés ne lui conviennent pas, loin s’en faut. L’agriculture intensive et ses pratiques (voir ci-dessous) l’excluent pratiquement de facto sauf sur les bords des champs qui ont (peut-être par chance) reçu moins d’intrants dont des herbicides.

Par ailleurs, elle exige des sols non acides, riches en bases, et assez fertiles : elle est donc typique des grands bassins céréaliers calcaires ou marneux mais dans des sites secs en été (espèce xérophile) et chauds (thermophile), de préférence sur des sols de texture argileuse ou argilo-limoneuse. Dans ce contexte, elle côtoie une riche communauté d’autres espèces messicoles aux exigences très proches et qui connaissent globalement pour une bonne part le même déclin dramatique : le bugle petit-pin, le mouron bleu, le réséda jaune, les linaire élatine et bâtarde, le petit muflier, l’euphorbe exiguë, la morelle noire, la germandrée botryde, la renouée liseron, l’héliotrope d’Europe … et bien d’autres. Elle se retrouve aussi dans des communautés d’adventices associées aux friches ou jachères juste après abandon d’une culture mais en disparaît si ces milieux se pérennisent. 

En dehors de ce milieu principal, on peut aussi la rencontrer de manière ponctuelle dans des sites récemment perturbés comme des fonds de carrières, des décombres de chantiers, des bancs de sable enrichis en calcaire d’une rivière, le long d’une voie ferrée, … Mais il ne s’agit là que de milieux de substitution secondaires. 

Le berceau originel de cette espèce semble se situer aux confins de l’Anatolie et de l’Arménie où elle prospère sur les pentes montagneuses sèches ; de là, elle se serait adaptée aux terres cultivées et aurait suivi l’espèce humaine dans son expansion générale depuis le Néolithique (espèce archéophyte). Elle a ainsi trouvé une niche idéale sur les marges de son aire originelle dans le bassin des Carpates où elle est devenue une adventice majeure et très répandue des chaumes de céréales ; des restes archéologiques attestent de sa présence dans cette zone depuis la fin du Néolithique et très fortement au Moyen-âge. Elle a sans doute su profiter du système traditionnel alors prédominant de l’assolement triennal : chaque finage était partagé en un tiers de céréale d’hiver, un tiers de céréale de printemps ou de légumineuse (lentille, pois, ..) et un tiers en jachère ; dans ce système, les chaumes n’étaient labourés que très tardivement (voire en fin d’hiver) ce qui laissait le temps à l’épiaire et ses acolytes messicoles de boucler leur cycle et produire une abondante banque de graines, gage de la survie à moyen terme de l’espèce. Même le pâturage alors pratiqué couramment sur ces chaumes (et qui apportait la fumure organique) ne la gênait pas et devait participer à sa dispersion. L’espèce a colonisé par ailleurs une bonne partie du reste de l’Europe mais en populations bien moins fournies et de manière dispersée. 

Adventices dans une éteule récente

Confusions 

On peut assez facilement confondre cette épiaire avec une autre espèce aux fleurs blanc jaunâtre et bien plus commune, l’épiaire dressée (S. recta) qui habite les talus et pelouses et friches sèches notamment sur des substrats calcaires. L’épiaire annuelle s’en distingue par : sa taille basse (moins de 40cm en général) ; sa tige unique à la base versus de nombreuses tiges partant d’une touffe étalée ; ses feuilles inférieures au pétiole assez long (court chez l’E. dressée) ; les dents presque épineuses du calice sont ciliées ; la corolle est plus jaunâtre et moins marquée de points rouges. Elles peuvent parfois se côtoyer sur les bordures de champs à la faveur d’un talus herbeux occupé par l’épiaire dressée mais cette dernière ne pénètre pas dans les cultures dont elle se trouve exclue par son cycle de plante vivace incompatible avec les perturbations culturales. 

Un épi fleuri d’épiaire dressée a été glissé au milieu d’une touffe d’épiaire annuelle : saurez-vous le retrouver ?

Dans les moissons, on peut trouver une autre labiée à fleurs blanc jaunâtre, annuelle elle aussi : le galéopsis des moissons. Ce dernier a des fleurs avec un très long tube redressé et, surtout, il possède à l’entrée de la gorge de la corolle deux renflements coniques très typiques. Par ailleurs, il n’a pratiquement aucune chance de croiser l’épiaire annuelle car lui recherche exclusivement les moissons sur des sols secs mais siliceux acides (sables, granites, ..) ! 

Mellifère 

L’épiaire annuelle, comme ses cousines et la grande majorité des labiées (lavandes, romarin, menthes, thyms, origan, sarriettes, …) est une plante fortement mellifère, i.e. qu’elle produit un nectar abondant (et aussi du pollen) très recherché par les insectes pollinisateurs. Effectivement, elle reçoit de nombreuses visites d’abeilles et de bourdons essentiellement : la longueur du tube au fond duquel est produit le nectar, l’anneau de poils qui l’obture en partie vers sa base (voir ci-dessus) et l’entrée rétrécie de la gorge de la corolle limitent l’accès aux seuls insectes dotés d’une langue assez longue pour l’atteindre. Même les abeilles qui butinent ces fleurs doivent enfoncer leur tête bien dans la gorge de la corolle pour espérer atteindre le nectar ; ce faisant, la tête bute sur la lèvre supérieure ce qui tend à laisser sur le front de l’insecte une marque blanche (la couleur du pollen) plus ou moins en forme d’étoile. Les apiculteurs hongrois avaient depuis longtemps repéré cette tache blanche surnommée localement « hoka » et rapprochée culturellement de l’étoile blanche portée par certains chevaux sur leur front. Juste après les moissons, ils surveillaient les abeilles revenant aux ruches proches des champs : si elles portaient cette marque blanche, cela signifiait que la floraison des épiaires commençait et qu’il fallait déplacer les ruches au plus près des éteules colonisées ! 

Miel divin 

Ceci nous amène donc à la Hongrie et à l’exploitation apicole intensive des éteules de céréales colonisées par des populations incroyablement nombreuses d’épiaires annuelles, l’espèce dominante de la communauté des messicoles des éteules et la production d’un miel monofloral très original, le miel d’éteule. Une étude très documentée (1) a reconstitué cette histoire incroyable d’une ressource naturelle aujourd’hui complètement disparue. 

Illustrations extraites de l’article 1 (bibliographie)

Au Moyen-âge, en Europe de l’Est, l’apiculture était essentiellement forestière, exploitant les floraisons des arbres. L’histoire du miel d’éteule remonte a minima au 16ème siècle avec l’occupation turque du pays : ordre est alors donné aux apiculteurs de verser l’impôt sur la production de miel pour moitié au maître de la ferme dont relevait l’apiculteur et pour moitié au maître des terres où étaient placées les ruches au moment des floraisons. Cette loi suggère donc la présence de plantes mellifères sur les champs et le déplacement des ruches, qu’on appelle la transhumance. Un écrit du 18ème siècle atteste vraiment de son existence dans le sud de la Hongrie : « Le miel récolté sur les terres cultivées est meilleur et plus abondant que tous les autres … C’était comme si la « fleur des chaumes » (donc l’épiaire annuelle) posait un tapis blanc sur les champs … Les ruches étaient simplement placées au sol dans les champs. ». En 1816, dans un guide d’apiculture, il est écrit que « La fleur des chaumes pullule, surtout lors des années humides et chaudes, dans les éteules de blé et d’orge non pâturés par le bétail et les abeilles peuvent y récolter un miel extraordinairement odorant ». Cette mention suggère que l’on devait exclure les troupeaux de certains chaumes pour les dédier à l’exploitation apicole. Tout ceci est corroboré par l’important développement de l’apiculture hongroise aux 17 et 18ème siècle. Au milieu du 19ème siècle, deux tiers de la production de miel en Hongrie était du miel d’éteule à base de nectar d’épiaire annuelle. 

Un succès fou 

L’histoire va s’amplifier jusqu’au 20ème siècle où l’épiaire annuelle est qualifiée en 1910 de « reine des plantes mellifères ». Dans la seconde moitié de ce siècle, la Hongrie est réputée comme « la terre aux éteules blanches comme la neige » ou « l’eldorado des fleurs des chaumes ». En 1929, la production est telle que les apiculteurs locaux se plaignent de ne plus avoir assez de pots pour stocker le miel. Il faut dire qu’une ruche pouvait accumuler 8kg de miel par jour en conditions favorables avec une moyenne autour de 2-3 kg/jour (quand même !). Cette production par contre ne durait que six à huit semaines, temps suffisant pour une famille de récolter de 50 à 100 kg de miel. Néanmoins, la production fluctuait énormément d’une année à l’autre selon la météorologie estivale (sécheresse, chaleur,  ..) qui agit sur la qualité et la quantité du nectar et la densité des populations d’épiaires. On estimait que sur dix ans, on avait en moyenne trois très bonnes années, quatre moyennes et trois très mauvaises. 

Plusieurs facteurs ont concouru au succès de ce miel hors normes. La floraison des éteules survenait à une période de l’année, la fin de l’été, connue pour être un « grand creux » pour les pollinisateurs faute de ressources florales. Ainsi, les ruches avaient la possibilité non seulement de produire massivement pour l’homme mais aussi de garnir leurs rayons pour passer l’hiver, assez rude dans ces plaines hongroises. Mais la principale raison restait la qualité de ce miel : clair, sans eau et avec un arôme intense. A cause de sa forte teneur en dextrose, il cristallisait vite pour donner un miel crémeux, blanc à jaunâtre. L’usage populaire voulait que ce miel héritât des propriétés médicinales de la plante productrice, connue notamment contre les fièvres ou les problèmes respiratoires. Surtout, on lui prêtait des vertus magiques de combattre « l’œil du Malin » sous forme de fumigations. En fait, ce folklore populaire très ancien concernait sans doute originellement l’épiaire dressée (voir ci-dessus) sa proche cousine bien plus répandue ; au fil du temps et de l’usage apicole croissant de l’épiaire annuelle, celle-ci aurait endossé les mêmes vertus. 

Le grand virage 

Au début du 20ème siècle, on commence à observer un certain déclin de l’espèce déjà amorcé depuis le milieu du 19ème à cause de l’apparition d’une nouvelle pratique agricole : le labour des éteules après la moisson. Ceci permettait de cultiver de plus vastes surfaces et aussi de labourer plus profondément les sols lourds argileux (qu’affectionne l’épiaire annuelle !). Ainsi, elle perdait toute possibilité de se reproduire et d’alimenter la banque de graines du sol qui lui permettait de survivre à long terme en tant qu’annuelle. Le passage progressif vers un labour mécanique (avec des tracteurs) et non plus à traction animale conduit à enfouir plus profondément les graines qui sont ensuite incapables de germer. L’épiaire commence donc à disparaître des zones où l’agriculture intensive (ou ses prémisses) s’installe et persiste dans les campagnes plus reculées où, de plus, l’apiculture fournit des compléments de revenus décisifs. 

Après la chute de l’empire austro-hongrois, l’essentiel des forêts de plaine en Hongrie va disparaître ; les apiculteurs se tournent alors vers un arbre mellifère bien connu, le robinier faux-acacia (voir la chronique), qui va être planté massivement en plaine entre les cultures. Ainsi, l’épiaire perdit son statut de mellifère principale au profit du robinier qui permet une production encore plus abondante. D’ailleurs en 2017 la Hongrie était en tête des pays européens pour la production apicole (juste devant la Roumanie) grâce à ce miel dit « d’acacia ».

La fin de la Seconde Guerre Mondiale et l’avènement de l’agriculture intensive « chimique et mécanique productiviste » va sonner le glas de l’épiaire. Les labours ou le hersage des chaumes deviennent systématiques à peine la moisson terminée (on connaît cela toujours !). A partir des années 1950-60, comme partout ailleurs en Europe, la flore adventice des cultures va entrer dans un irrésistible déclin qui s’accélère avec l’usage croissant des herbicides sélectifs ; tant et si bien qu’à la fin du 20ème siècle, le miel d’éteule n’était plus qu’un souvenir culturel même si l’épiaire annuelle n’a pas disparu complètement mais ne persiste (comme chez nous) qu’en petites populations peu nombreuses et très ponctuelles. En soixante ans, l’aire de répartition moyenne de l’épiaire en Hongrie a régressé de 90% ! 

Le coup de grâce 

Une autre plante va amplifier ce déclin : l’ambroisie à feuilles d’armoise, une redoutable invasive originaire d’Amérique du nord qui colonise elle aussi les cultures dont les chaumes et de manière massive. Comme cette plante, outre la compétition qu’elle exerce sur les cultures, produit un pollen hautement allergène qui pose de vrais problèmes sanitaires, le gouvernement hongrois a édicté en 2006 un règlement strict qui impose le labour rapide des chaumes pour éviter la multiplication de l’ambroisie. En cas de non-respect, de lourdes amendes sont infligées si bien que les agriculteurs appliquent scrupuleusement cette nouvelle pratique anéantissant toute chance de retour de l’épiaire. A cela commencent à s’ajouter de plus en plus fortement les effets du changement climatique avec des sécheresses estivales virulentes très défavorables pour la communauté des messicoles. Ainsi, même en 2020 où la Hongrie a connu un été exceptionnellement pluvieux pendant que nous cuisions sous la canicule, on n’a pas observé de tapis blanc comme neige de retour dans les éteules ! 

Il n’y a pas que les apiculteurs qui ont beaucoup perdu avec la raréfaction de l’épiaire. Par ses fleurs, elle servait de ressource florale à de nombreuses autres espèces d’insectes pollinisateurs sauvages (même si les abeilles domestiques devaient considérablement entrer en compétition avec eux !) eux-mêmes sources de nourriture pour la faune des cultures : insectes prédateurs, araignées et oiseaux des champs notamment. Mais après la floraison, elle produit de plus des graines abondantes riches en matières grasses (oléagineuses), source de nourriture pour divers oiseaux dont les cailles et les perdrix grises en fin d’été. Quand les éteules étaient laissées tout l’hiver, ces graines profitaient aussi aux oiseaux hivernants dont les perdrix mais aussi les alouettes des champs nombreuses en hiver dans ces milieux. Des études récentes démontrent que l’essentiel des graines consommées par ces oiseaux sont celles des adventices et non pas des grains de céréales restés au sol comme on le croit communément. 

Renaissance ? 

Les auteurs de l’article hongrois largement « pillé » pour écrire cette chronique sont de fervents militants qui harcèlent les médias pour réhabiliter l’épiaire annuelle et le miel d’éteule. Ils s’appuient notamment sur quelques apiculteurs encore en vie ayant connu les heures de gloire de ce miel et avancent un certain nombre de propositions qui vont au-delà du seul cas de l’épiaire mais concernent toutes les adventices des cultures.  

Publications hongroises pour faire renaître le miel d’éteule (extraites de 1)

L’idée centrale serait de promouvoir dans le cadre de mesures agro-environnementales financées par la Communauté Européenne des modes de gestion retardant le labour des chaumes en fin d’automne voire au début du printemps et d’adopter des modes moins intensifs. L’adoption de l’agriculture biologique sans usage de pesticides serait un prérequis pour créer ainsi des sites « hot-spots » de biodiversité messicole à partir desquels les espèces pourraient se disperser ce qui augmenterait la diversité génétique et limiterait les risques d’appauvrissement génétique liés à la consanguinité imposée par la fragmentation des populations. Une association étroite avec les apiculteurs serait à envisager même si des garde-fous seraient à installer pour éviter « l’étouffement » des autres pollinisateurs par les abeilles domestiques apportées massivement par transhumance. 

Une autre option serait d’utiliser l’épiaire (et d’autres espèces de la communauté des éteules) pour les semer dans les bandes fleuries préconisées en bordure des champs au lieu d’utiliser des mélanges « modernes » à base de plantes cultivées ou de cultivars sans intérêt et produits souvent par de grands groupes semenciers dont on connaît les méthodes ! Ainsi, ces espèces sauvages pourraient recoloniser les champs depuis ces bordures ce qui renforcerait les populations. Mais cela suppose de produire en grandes quantités des graines sans modifier l’espèce pour créer un éventuel cultivar « exotique ». On se heurte dans le cas de l’épiaire annuelle à un obstacle majeur : la dormance des graines. Des siècles de vie dans des champs soumis à l’assolement triennal ont sélectionné des graines avec une dormance de trois ans au moins capables « d’attendre » la culture suivante. Or, si on les sème sur des bandes fleuries, on attend qu’elles fleurissent dans l’année ! 

En 2020, en Hongrie, l’équipe mentionnée ci-dessus a semé des graines d’épiaire sur vingt hectares semés en phacélie (pour l’apiculture), une culture (artificielle !) favorable à l’espèce en vue de refaire du miel d’éteule et produire des graines en essayant de sélectionner des variétés peu dormantes. 

Le salut de l’espèce se trouve dans l’immédiat dans des milieux de substitution comme ces vignes conduites en bio et qui hébergent de belles populations (Gimeaux 63)

BIBLIOGRAPHIE

  1. Rise and fall of Stachys annua (L.) L. in the Carpathian Basin: a historical review and prospects for its revival Gyula Pinke et al. Genet Resour Crop Evol 2021
  2. Floristic composition and conservation value of the stubble-field weed community, dominated by Stachys annua in western Hungary Gyula Pinke & Robert Pál Biologia 64/2: 279—291, 2009 
  3. Phenotypic and genotypic variation of declining segetal flora: the case of Stachys annua (Lamiaceae) populations established in North-Eastern Poland Teresa SKRAJNA et al. Pol. J. Ecol. (2018) 66: 23–35