Robinia pseudacacia

Le robinier faux-acacia, populairement connu sous le raccourci d’acacia (mais qui prête à confusion), originaire d’Amérique du nord, fait partie du club des quarante espèces d’arbres ou arbustes classés comme les plus invasifs dans le monde : il est naturalisé dans 154 régions sur un total de 843 à l’échelle planétaire. En Europe, il figure dans les listes noires des espèces indésirables de plusieurs pays dont l’Allemagne, la Suisse, la Norvège, la Tchéquie ou l’Italie par exemple. En 2010, on estimait à plus de 30 000 km2 la surface couverte par les peuplements de robiniers (en dehors de son aire originelle) en Europe, Asie tempérée, Amérique du sud et Afrique du Sud. Dans cette première chronique consacrée à cet arbre très répandu et connu de tous en principe, nous allons chercher à comprendre les raisons de ce « succès » planétaire en tant qu’envahisseur. 

Haie de vieux robiniers en bocage

Erreur historique ?

Le robinier est une essence spontanée dans l’Est des U.S.A. , essentiellement dans la région montagneuse des Appalaches et des monts Ozark-Ouachita où il habite, de manière disséminée et pas en peuplements purs, divers bois de feuillus. Il y a depuis étendu son aire de répartition en colonisant des espaces ouverts toujours dans l’Est. 

Le robinier n’a longtemps été qu’un arbre d’ornement planté pour son ombrage, sa rusticité et sa floraison

Voyons donc l’histoire de son arrivée du robinier sur le continent européen. Classiquement, et sur une majorité de sites et d’ouvrages, on prétend que le premier robinier fut planté à Paris en 1601 par Jean Robin (1550-1629), arboriste du Roi, directeur du jardin des apothicaires ; il aurait reçu les graines du botaniste anglais J. Tradescant. L’emplacement de l’implantation reste controversé ; certains auteurs avancent qu’un robinier vénérable toujours sur pied dans le Square René-Viviani à Paris serait cet arbre originel. Par ailleurs, en 1636, son fils Vespasien en a planté un autre exemplaire dans l’actuel Jardin des Plantes (alors Jardin du Roi) où il existe toujours. La paternité de la « découverte » du robinier revient sans conteste à J. Robin et Linné attribua Robinia comme nom de genre en son honneur. Par contre, plusieurs chercheurs (non français !) contestent la date de 1601. En effet, en 1623, J. Robin publie une liste des espèces plantées par ses soins et le robinier n’y figure pas ; de plus, la première description de l’espèce, sous le nom de Acacia americana robini, faite par un autre auteur, ne date que de 1635. La vraie date d’introduction se situerait donc entre 1623 et 1635 ! Peut-être que J. Robin avait bien reçu des graines en 1601 mais soit elles n’ont pas germé, soit les plantules ont échoué ? Côté britannique, la première date d’introduction est 1634 et à partir de graines introduites indépendamment de celles de J. Robin ; on pressent bien que nos voisins auraient une grande envie de revendiquer la vraie paternité de cette introduction !

Longue attente 

En fait, le robinier figure parmi les tous premiers arbres nord-américains introduits en Europe de l’Ouest. Au début, il va connaître une très lente expansion géographique mais uniquement comme arbre d’ornement exotique dans les grandes villes ou parcs avec Paris comme centre ; on le trouve aux Pays-Bas à partir de 1641, en Italie en 1642, à Berlin en 1672, en Ecosse en 1683, en suède en 1685, … A partir de la fin du 18ème et début du 19ème siècles, on commence à entreprendre des plantations à grande échelle comme arbre forestier cette fois à cause de la forte demande en bois de chauffage et bois d’industrie ainsi que pour le contrôle de l’érosion des terres dégradées par la déforestation ou le surpâturage ou l’exploitation minière.

Un journal entièrement dédié à cette essence considérée alors comme miraculeuse est lancé par F. C. Medicus, médecin botaniste allemand  et sera à l’origine de nombreuses plantations en Allemagne. Dès 1798, G. L. Hartig, célèbre forestier allemand, tempère les ardeurs de ses contemporains en pointant le fait que le robinier seul ne suffirait à résoudre les problèmes d’approvisionnement énergétique. En tout cas, cette phase de plantations à grande échelle va sonner le glas de la longue phase de latence de près de deux siècles pendant laquelle le robinier était sagement resté confiné là où on le plantait en arbres isolés, s’étalant au plus par voie végétative à quelques mètres. En Allemagne, la première mention de robiniers « échappés » de plantations et naturalisés à partir de graines remonte à 1824 dans le Brandebourg. Ce « réveil » relativement tardif pourrait s’expliquer en partie par le début du réchauffement climatique et la multiplication des perturbations engendrées par l’industrialisation et l’urbanisation croissantes. En France, en Limagne auvergnate par exemple, dès la fin du 19ème siècle, on se mit à le planter en grand comme source de piquets de vignes pour le vignoble auvergnat alors en pleine expansion et là aussi il se mit à se répandre très rapidement. Les bombardements de la seconde guerre mondiale auraient favorisé son expansion urbaine et péri-urbaine en créant des sites perturbés favorables à son installation. En tout cas, désormais, le robinier a colonisé de manière durable une grande partie de l’Europe et l’accentuation du réchauffement climatique ne va sûrement pas le freiner, bien au contraire ! 

Parcourons donc maintenant les atouts dont dispose le robinier pour expliquer ce remarquable potentiel invasif. 

Cloneur fou 

Drageons déchaussés dans une dune avec des rejets feuillés

Le robinier s’appuie sur un système racinaire remarquable à tous égards ; celui-ci comporte un réseau de racines superficielles capables de s’étaler dans un rayon de 15m autour de l’arbre : on estime que le rayon de l’étalement équivaut en général à une fois à une fois et demi la hauteur de l’arbre ; depuis ces racines étalées partent des racines secondaires qui peuvent s’enfoncer comme des pivots jusqu’à 8m de profondeur. Ainsi solidement et profondément ancré, le robinier peut survivre sur des terrains secs et très érodés, même en pente. Ce fut d’ailleurs longtemps l’un de ses usages majeurs : fixer et restaurer des terrains gravement dégradés par les activités humaines en bloquant l’érosion (et en modifiant la nature du sol par un autre processus).

Mais le plus surprenant reste la capacité des racines superficielles à émettre sur toute leur longueur des rejets feuillés qui vont devenir autant de nouveaux jeunes arbres ; elles se comportent donc comme des stolons de fraisiers (voir la chronique sur la notion de stolon ) mais souterrains (on parle de drageons) et produisent des colonies clonales de pieds connectés entre eux dont la vitesse d’expansion atteint un mètre par an.  Même arrivés à l’âge avancé de 70 ans, les robiniers restent aptes à produire ces rejets, lesquels croissent plus vite (jusqu’à 4m par an) et plus haut que des pieds issus de germinations de graines et commencent à fleurir bien plus tôt. Ainsi, cette armée de clones fournit au robinier un incroyable potentiel d’expansion et de maintien sur place. Ce processus s’amplifie à l’occasion des coupes forestières qui libèrent les ressources accumulées dans l’appareil souterrain au seul profit des rejets alors produits. Moins de deux ans après une coupe à ras, une parcelle de robiniers redevient un fourré impénétrable (épines obligent) encore plus dense que le peuplement originel ! 

Graines voyageuses 

La floraison abondante et spectaculaire des robiniers

Mais cette expansion clonale ne permet que de s’étaler autour et de grignoter laborieusement l’espace disponible. Une essence doit pouvoir installer de nouvelles colonies à distance à l’aide des graines. Dès l’âge de six ans et en moyenne tous les ans ou les deux ans, les robiniers produisent une grande quantité de fruits secs, des gousses aplaties, gris noirâtre à brun rougeâtre, aux parois assez fines et qui commencent à s’ouvrir en automne ; elles peuvent persister à demi ouvertes une bonne partie de l’hiver jusqu’au début du printemps et libèrent ainsi progressivement leurs 3 à 15 graines par gousse. Ces graines aplaties, assez lourdes, d’un brun noir brillant sont protégées par une enveloppe très dure comme une coque qui les rend momentanément inaptes à la germination immédiate (dormance tégumentaire). Elles peuvent rester ainsi en attente pendant 3 à 4 ans (jusqu’à dix ans) dans le sol et germer à la faveur d’une éclaircie perturbatrice. Du fait de leur poids, soit elles tombent directement au sol quand la gousse s’ouvre progressivement, soit elles sont au plus légèrement déplacées par le vent. Il existe pourtant quelques modalités rares mais très importantes de dispersion à plus longue distance : via l’eau au bord des rivières (jusqu’à 20% des gousses flottent et dérivent dans ce cas), via le vent sur la neige en hiver comme on l’a observé au Japon ou consommées par des animaux tels que des sangliers ou des oiseaux et rejetées intactes (parfois) dans les excréments (endozoochorie).

En dépit de cette abondante production de graines qui peut atteindre 12 000/m2 dans les peuplements purs, on observe peu de germinations in situ (moins de 20%) ; les plantules germées craignent l’ombrage et la compétition locale. Autrement dit, la provende de graines ne deviendra efficace qu’en cas de destruction partielle ou totale du peuplement (donc une perturbation naturelle ou liée à l’homme) qui ouvre le milieu et offre de bonnes conditions de germination pour la banque de graines accumulée dans le sol. 

Amateur de perturbations 

Le robinier se comporte comme une essence forestière  pionnière, exigeante en lumière pour s’installer par graines. Dans un contexte forestier, cela suppose donc des espaces momentanément ouverts par des perturbations telles que des coupes forestières, des incendies ou des tempêtes avec du sol à nu et plus ou moins retourné. Ses graines assez chargées en réserves lui confèrent une capacité de croissance initiale rapide qui lui permet d’avoir un avantage décisif dans la compétition avec d’autres essences pionnières indigènes aux graines par contre très légères (donc avec peu de réserves) et transportées par le vent telles que celles des saules, peupliers, bouleaux ou pins. Même les jeunes chênes pourtant issus de glands lourds se font battre au départ ! Cependant, sans intervention humaine, le robinier va assez rapidement (au bout de quelques décennies) devenir désavantagé avec l’évolution naturelle du couvert forestier des essences indigènes qui vont finir lentement par lui imposer l’ombrage de leurs canopées qu’il ne supporte pas longtemps. A l’inverse, des coupes répétées à courts intervalles de 20 à 30 ans (pour la production de bois de chauffage par recépage) favorisent fortement le maintien du robinier qui drageonne alors de plus belle et intensifie sa suprématie. D’ailleurs, au début du 20èmesiècle, la surexploitation des boisements en taillis pour produire du charbon de bois (voir l’exemple de la Chaîne des Puys) a favorisé l’expansion du robinier dans divers pays européens car nous avons vu que les rejets fleurissent plus vite et deviennent plus grands donc avec un fort potentiel reproductif par graines ! 

Le robinier rejette abondamment depuis la souche d’un arbre coupé ce qui permet son exploitation en coupes régulières

Ceci explique aussi pourquoi le robinier n’a pas tardé historiquement à quitter les plantations forestières pour gagner des espaces ouverts : cultures et pâtures abandonnées, sites miniers, vastes chantiers et périphérie des villes jusque dans le cœur des centre-ville. Le robinier a ainsi largement élargi sa niche écologique originelle ; cependant, là encore, pour s’installer, il lui faut une couverture herbacée au sol assez clairsemée. 

Dans son aire naturelle, le robinier habite des sites plutôt humides et doux à chauds ; pour autant, hors de son aire, à basse altitude, il se montre capable d’une forte adaptabilité via notamment son appareil souterrain qui lui ouvre des terrains secs en surface mais avec une nappe souterraine. Deux facteurs le limitent néanmoins : l’excès d’eau dans le sol qui annihile sa capacité à rejeter (sauf sur les terrasses alluviales perchées « hors d’eau ») et le froid intense et le gel qui l’endommagent assez facilement. Avec le réchauffement climatique, ce dernier verrou risque donc de sauter ! 

Son meilleur ami ? 

Arbre populaire par excellence notamment pour sa généreuse floraison odorante et très attractive pour les abeilles

Mais il est un autre agent de dispersion bien plus efficace que tous ceux cités jusque là : l’homme ! Déjà, les plantations initiales l’ont installé dans le paysage mais le processus ne s’est pas arrêté là car cet arbre bénéficie d’une sorte d’immunité populaire comme faisant partie de notre identité culturelle. Son introduction ancienne et ses multiples usages dont ceux liés au bois l’ont définitivement placé dans la catégorie des arbres sympathiques. En Hongrie où l’exploitation du robinier atteint des sommets on en a même fait presque un symbole national ! Les arbres isolés plantés en ville avec leur magnificence lors de la floraison sont devenus souvent des icones paysagers, des repères culturels. Des toponymes ont déjà immortalisé sa présence et on le trouve dans des poèmes ou des chansons. Son haut pouvoir mellifère pour la production du miel d’acacia et les recettes de beignets de fleurs d’acacia ont aussi contribué à sa grande popularité. Le robinier est donc perçu comme un arbre bénéfique et bien veillant, à favoriser et sa naturalisation n’a fait que renforcer l’idée qu’il s’agissait en fait d’un arbre autochtone.  

J’ai déniché un exemple de cet engouement pour le robinier dans ce texte intitulé « Lettre sur le robinier connu sous le nom impropre de faux acacia » du comte Nicolas Louis François de Neufchâteau en 1807 où il parle d’un poète jésuite : « Vanière n’a pas oublié le robinier, qu’il nomme improprement acacia. Il en fait mention parmi les arbres destinés à décorer les avenues des maisons de campagne. C’était le seul usage auquel cet arbre, si nouveau pour nous, eût servi jusqu’alors … » Suit un poème du dit Vanière avec ce passage : « Et vous, acacias, qui, d’un autre hémisphère,Vintes nous enrichir d’une tige étrangère, Beaux arbres qui croissez avec rapidité, … »

Face à cette popularité, méritée en fait sur d’autres points de vue, il faut donc que les conservateurs qui crient haro sur le robinier comme destructeur de biodiversité à proscrire impérativement prennent en compte cet aspect et tempèrent leurs désirs d’éradication généralisée ; il faut accepter que dans un certain nombre de situations le robinier puisse être en fait une essence plutôt bénéfique. Ceci sera évoqué dans une autre chronique à venir où nous interrogerons son impact réel sur la biodiversité ainsi que sa vraie nature : est-il vraiment toujours un redoutable envahisseur à proscrire, image de paria qui lui colle à … l’écorce.

 Bibliographie 

Biological Flora of the British Isles: Robinia pseudoacacia. No. 273.Arne Cierjacks et al. Journal of Ecology 2013, 101, 1623–1640 

Forest plant diversity is threatened by Robinia pseudoacacia(black-locust) invasion. Renato Benesperi et al. Biodivers Conserv (2012) 21:3555–3568 

Mature non-native black-locust (Robinia pseudoacaciaL.) forest does not regain the lichen diversity of the natural forest.Juri Nascimbene , Pier Luigi Nimis, Renato Benesperi. Science of the Total Environment 421–422 (2012) 197–202 

Responses to the black locust (Robinia pseudoacacia) invasion differ between habitat specialists and generalists in central European forest birds.Jan Hanzelka • Jirı Reif. J Ornithol (2015) 156:1015–1024 

Black locust (Robinia pseudoacacia) beloved and despised: a story of an invasive tree in Central Europe.Michaela Vítková et al. For Ecol Manage. 2017 January 15; 384: 287–302 

A retrouver dans nos ouvrages

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