Hymenoptera

29/09/2020 Avec près de 150 000 espèces connues actuellement, les Hyménoptères font partie du club restreint des ordres de la classe des insectes réunissant un nombre considérable d’espèces. Pour mieux expliciter qui ils sont, on les cite souvent sous la forme d’une périphrase « l’ordre des abeilles, des guêpes, des bourdons et des fourmis » ; mais, derrière chacune de ce ces quatre composantes, en apparence connues de tous, se cache en fait une extraordinaire diversité, notamment pour les guêpes, de loin les plus diversifiées. Nous allons donc ici faire connaissance avec ce mastodonte du vivant en essayant de dresser un portrait robot de « l’hyménoptère moyen » et entrer un peu dans les arcanes de la classification complexe de cet ordre pléthorique. 

Ichneumon (Parasitica)

Mégadivers 

Le terme méga-divers apparu en 1988 qualifiait initialement un pays ou une région du globe qui concentre un nombre très élevé d’espèces vivantes ; on l’a étendu aux groupes de la classification (dont les ordres) particulièrement riches en nombre d’espèces et très diversifiés en formes et modes de vie. Si on prend comme référence la barre symbolique des 100 000 espèces connues, seuls trois autres ordres d’insectes peuvent alors aussi être qualifiés de méga-divers comme les Hyménoptères : les Coléoptères (« scarabées »), leader incontesté avec 350 000 espèces ; les Lépidoptères (papillons de jour et de nuit) avec 160 000 espèces et les Diptères (mouches, moustiques, …) avec 125 000 espèces ; les Hémiptères (punaises, cicadelles, cigales, …) s’en approchent avec 90 000 espèces. 

Gasteruption à javelot (Parasitica) et son ovipositeur démesuré

Mais ces chiffres ne concernent que les espèces connues actuellement. Or, tout le monde sait qu’un bonne part de la biodiversité, surtout dans les groupes très diversifiés avec des espèces de petite taille , reste à décrire (tant qu’elle n’a pas disparu !). Pour les Hyménoptères, on estime de manière raisonnable que le nombre réel d’espèces doit se situer entre 600 000 et 1 200 000 espèces ; certains entomologistes avancent même (arguments à l’appui) le chiffre étourdissant de 2 500 000 espèces. Autrement dit, au mieux on connaît 20 à 40% de la biodiversité des hyménoptères et au pire seulement … 4% ! Cet écart considérable provient essentiellement d’un sous-groupe dit de micro-hyménoptères parasitoïdes, souvent très spécifiques quant à leurs hôtes et très difficiles à observer vu leur taille minuscule (de l’ordre du millimètre, voire du dixième de millimètre) ; de même, chez les ichneumons, pourtant plus grands en moyenne, on découvre sans cesse des espèces lors des inventaires exhaustifs conduits dans des régions tropicales peu prospectées. Il se pourrait donc qu’au bout du compte, les hyménoptères ne surpassent en diversité réelle les coléoptères plus étudiés par ailleurs. Ainsi, dans les régions tempérées bien échantillonnées, on constate que le nombre d’hyménoptères dépasse toujours celui des coléoptères ; même dans certaines régions tropicales (plus propices aux coléoptères a priori), on observe la même tendance ! 

Maîtres du vol

Un des points forts des hyménoptères concerne leurs capacités voilières remarquables telles qu’on peut les apprécier en observant des abeilles en vol par exemple, sachant qu’elles peuvent parcourir des distances considérables (au regard de leur taille) en très peu de temps, faire du vol sur place, se poser avec une précision remarquable, … Ces aptitudes reposent sur deux paires d’ailes entièrement membraneuses (transparentes même quand elles sont teintées) avec trois originalités. 

Première innovation : les ailes antérieures sont toujours sensiblement plus grandes que les postérieures ; on retrouve cette dissymétrie chez des papillons de nuit très bons voiliers comme les sphinx par exemple. Elle semble donc apporter un plus dans l’efficacité et la rapidité. Pour activer ces ailes, les muscles du vol très développés se concentrent dans le segment médian du thorax (mésothorax) nettement plus grand que le troisième (métathorax) ; ceci donne un air « bossu » au thorax de la majorité des hyménoptères. 

Seconde innovation : la présence sur les ailes antérieures d’un ptérostigma. On nomme ainsi une petite aire pigmentée contenant des cellules délimitées par des veines très serrées sur le bord avant des ailes antérieures vers l’extrémité. La concentration de veines et de pigment rend cette petite zone plus lourde que les zones avoisinantes et aussi plus résistante et interfère donc forcément avec les battements des ailes. En fait, ce ptérostigma n’est pas propre aux seuls hyménoptères puisqu’on le retrouve très développé chez les libellules (odonates) mais sur les deux paires d’ailes ou bien sur la seule paire d’ailes antérieures par exemple chez les panorpes ou mouches-scorpions (mécoptères : voir la chronique sur cet ordre) mais il s’agit à chaque fois d’une innovation apparue indépendamment puisque ces lignées se trouvent éloignées dans l’arbre de parentés des insectes. 

Cet organe a beaucoup été étudié chez les libellules : si on le supprime, des vibrations apparaissent au delà d’une certaine vitesse, créant une agitation des ailes qui rend les glissades en vol typiques de ces insectes impossibles ; sa localisation en avant et dans l’angle supérieur correspond à une position optimale pour assurer ce rôle. Mais les hyménoptères ont d’une part des ailes bien plus petites que celles des libellules et d’autre part ne pratiquent pas les glissades ou planés en vol. Chez eux, le ptérostigma augmente l’efficacité du battement d’aile et la capacité à faire du vol sur place, technique très utilisée par ces insectes, sans dépense d’énergie associée puisqu’il agit de manière passive par sa masse. 

Ailes mariées 

Reste la troisième innovation majeure des ailes : quand on observe rapidement de nombreux hyménoptères, on a souvent l’impression qu’ils n’ont qu’une seule paire d’ailes ce qui conduit à les confondre notamment avec d’autres insectes n’ayant eux réellement qu’une seule paire d’ailes comme les syrphes chez les diptères qui « imitent » physiquement les guêpes. Cette illusion tient au couplage physique des deux paires d’ailes qui battent ainsi forcément de concert. Une rangée de minuscules crochets (hamuli) rigides faits de chitine (la substance qui durcit la peau et les ailes des insectes), disposés tout au long de la bordure supérieure des ailes postérieures viennent s’agripper dans une gouttière renforcée sur le bord inférieur des ailes antérieures. On pourrait comparer ce dispositif à celui qui accroche entre elles les barbes des plumes des oiseaux. On voit tout de suite l’intérêt d’un tel couplage quant à l’efficacité des battements d’ailes forcément coordonnés sans supprimer la souplesse de l’ensemble. Là encore, cette innovation n’est aps exclusive des hyménoptères puisqu’on la retrouve de manière convergente chez certaines phryganes (Trichoptères). Dans d’autres ordres d’insectes, il existe d’autres mécanismes de couplage des ailes : un lobe de l’aile postérieure qui s’appuie sur l’aile antérieure (notamment chez de nombreux papillons) ou bien les bords des deux paires d’ailes qui se chevauchent ou bien encore une soie ou un faisceau de soies raides (frein) sur une aile retenues par une gouttière sur l’autre aile (rétinacle) comme chez de nombreux papillons de nuit. 

Le nom hyménoptères fait référence aux ailes. S’il n’y pas d’ambiguïté quant à la racine grecque pteron qui désigne l’aile, deux écoles s’opposent quant au choix de l’autre racine, hymen. L’hypothèse la plus plausible serait que hymen fait référence à la consistance membraneuse des ailes. Mais d’autres étymologistes avancent une autre origine : Hymen désignait le dieu du mariage et donc, la racine hymen renverrait au couplage des ailes « mariées » entre elles par les hamuli. Même si cette seconde origine semble moins probable, je la trouve personnellement plus « belle » et plus riche en information que la première ! 

Mâles « diminués » ! 

Ammophile (Aculéate Sphécidé)

Tous les hyménoptères partagent un caractère génétique et sexuel très particulier : l’haploidiploïdie. Les femelles possèdent dans leurs cellules deux lots de chromosomes homologues (que l’on peut réunir par paires) : elles sont diploïdes (comme la majorité de nos cellules). Par contre, les mâles ne possèdent qu’un seul lot de chromosomes : ils ont donc la moitié du nombre total de chromosomes dans chacune de leurs cellules : il sont dits haploïdes (chez nous, seules les cellules sexuelles, ovules et spermatozoïdes sont ainsi). Pourtant, les mâles comme les femelles naissent bien à partir de l’éclosion d’un œuf. L’œuf qui donne une femelle a été fécondé : l’ovule a reçu un spermatozoïde et leur fusion rétablit le double lot de chromosomes. Par contre, l’œuf qui donne un mâle n’est pas fécondé ce qui ne l’empêche pas de se développer (impossible pour notre espèce) : le mâle n’aura donc que les chromosomes issus de l’ovule, soit un sur deux de chaque paire ; on nomme cette particularité arrhénotoquie (grec arrhenotokos = qui engendre un mâle) qui est en fait une forme de parthénogénèse.  Ces mâles produisent des spermatozoïdes avec un seul lot de chromosomes sans réduction au moment de leur formation. Cette origine suppose que les femelles (ou la reine pour les espèces sociales) soit capable de contrôler la fécondation des ovules juste avant la ponte : à l’issue de l’accouplement, elle stocke les spermatozoïdes et contrôle donc, de l’intérieur, la libération de ces derniers ou pas au moment de la descente des ovules ! 

De ce fait, les mâles ont souvent un aspect sensiblement différent des femelles, notamment pour les espèces sociales. Ainsi, chez les abeilles domestiques, les femelles sont les ouvrières et la reine alors que les mâles sont connus sous le nom de faux-bourdons (drones en anglais !) à cause d’une certaine ressemblance avec ces autres hyménoptères, notamment par leur vol bruyant). Ils pèsent en moyenne deux fois que les ouvrières avec un abdomen plus gros et plus arrondi ; leurs yeux se composent de plus de facettes (omnatidies) que chez les femelles ; leurs antennes possèdent un segment de plus (13 au lieu de 12) ; par contre, ils sont quasiment incapables de se nourrir par eux-mêmes car leurs pièces buccales sont réduites. 

Ce système génético-sexuel existe chez d’autres insectes comme les thrips (Thysanoptères) ou chez une espèce de coléoptère mais les hyménoptères sont le seul ordre de grande taille où ce système soit ainsi généralisé. 

Appendices 

Au niveau des pattes articulées, on note une originalité subtile propre aux hyménoptères : le tibia (la « jambe ») de la première paire de pattes porte une aspérité, un peigne tibial, servant au toilettage des antennes qui renferment des capteurs sensoriels cruciaux. 

Les pièces buccales restent plutôt « primitives », i.e. proches du type ancestral des insectes tout en offrant une vaste palette de diversité mais sans ultra-spécialisation comme la trompe enroulée des papillons ou le rostre piqueur suceur des hémiptères. Sur la tête large, les mandibules sont conservées mais servent selon les familles à capturer, à tuer, à mastiquer, à se toiletter, à se battre, à évacuer des débris ou saisir des matériaux,  ou à malaxer des substances végétales comme la cire ou des résines. Le labre (pièce unique située en avant de l’appareil buccal) et les maxilles (« mâchoires ») fusionnent plus ou mois pour former un complexe. Ce sont les maxilles qui connaissent le plus souvent des transformations plus avancées vers un système permettant de laper des substances nutritives. Cette spécialisation relative s’est développée dans le groupe des « abeilles»  (Anthophila) en lien avec l’exploitation du nectar des fleurs.  Ainsi chez les abeilles, les appendices du labre (glosses), allongées et soudées, forment une longue langue velue terminée par un petit lobe (flabellum) ; grâce à ces poils, elle retient des substances liquides comme le nectar, le miel ou le jus des fruits. Cette langue est entourée d’un fourreau déterminé par les pièces des maxilles : les mouvements de la langue dans ce tunnel, avec la sécrétion de salive, font monter les aliments vers la bouche à la manière d’une trompe. 

Les mandibules broyeuses imposantes d’un frelon européen !

Œufs guidés 

Qui dit mieux ? Ovipositeur d’ichneumon.

Guêpes et abeilles cristallisent l’attention, et souvent l’aversion, du grand public en raison de leur capacité à infliger des piqûres à l’aide d’un organe abdominal spécialisé, l’aiguillon à venin. Mais la plupart ignorent que d’une part tous les hyménoptères (souvent agrégés sous le terme vague de guêpes et abeilles) ne piquent pas et n’ont pas d’aiguillon et que d’autre part cet aiguillon résulte d’une transformation profonde de l’organe de ponte des insectes ancestraux ou ovipositeur (ou oviscapte) ; autrement dit, l’aiguillon est un caractère dérivé chez les hyménoptères. Pour le premier point, signalons juste que seuls les membres du groupe des aculéates (voir ci-dessous la classification) possèdent cet aiguillon. Pour éclairer le second point, intéressons-nous à cet ovipositeur chez les lignées d’hyménoptères non aculéates. 

Chez les hyménoptères où il est présent, l’ovipositeur reste de facture assez classique. Les pièces de cet organe de ponte dérivent toutes d’appendices des segments abdominaux terminaux réduits (le n°8 et le n°9). Il se compose de trois paires de valves : la troisième forme un étui dans lequel la première et la seconde peuvent aller et venir tout en étant maintenues fermement entre elles par un système de jonctions empêchant les mouvements latéraux. Ces mouvements associés souvent à la présence de denticules vers l’extrémité permettent à cet organe de forer le substrat choisi pour la ponte. La descente des œufs dans cet étui est rendue possible par des microscluptures internes (comme des écailles) orientées vers le bas en forme de plaques ou d’épines, imposant la progression de l’œuf vers l’extrémité. Chez les lignées basales, l’ovipositeur prend la forme d’une lame qui coupe les tissus des végétaux comme chez les tenthrèdes au surnom évocateur de « mouches-à-scie »,. Mais, rapidement, dans les lignées dérivées, l’ovipositeur a évolué vers un affinement extrême, permettant de percer notamment les tissus animaux chez les espèces parasitoïdes qui pondent les œufs dans le corps de leurs hôtes-proies des futures larves. Il peut atteindre des dimensions remarquables, plus long que le corps, chez nombre de ces hyménoptères parasites, capables de se contorsionner de manière à le diriger verticalement entre leurs pattes ; c’est le cas chez les ichneumons comme les rhysses de nos régions. Les œufs qui doivent traverser ce tube hyper fin ont une forme comprimée et étirée leur permettant de transiter malgré l’étroitesse du canal interne.

Sirex en train de percer le bois avec son ovipositeur

Dans le groupe des aculéates où l’ovipositeur s’est secondairement transformé en aiguillon à venin, l’œuf est éjecté à la base de l’aiguillon depuis l’orifice de la chambre génitale

Classification 

On se doute bien qu’avec une telle diversité numérique d’espèces, la classification des hyménoptères n’a rien de simple et c’est peu de le dire ! Pour s’y retrouver (un peu !), on divise l’ordre en sous-ordres et infra-ordres réunissant des superfamilles composées parfois de centaines de familles ! Nous allons ici présenter les hyper-grands groupes traditionnels sachant que tous ne sont pas des groupes de parenté réels (monophylétiques) mais des regroupements artificiels sur la base de ressemblances apparentes en partie. 

Apocrite typique : un ichneumon

On distingue donc deux grands ensembles, équivalents à des sous-ordres : 

– les apocrites caractérisés par la taille de guêpe, cette constriction typique vers l’extrémité du thorax (du grec apocritos = séparé) qui représentent près de 90% de la diversité ; il s’agit d’un groupe de parenté réel

Sirex géant : ces symphytes sont en fait plus apparentés aux apocrites

– les symphytes qui n’ont pas la taille de guêpe (sym = ensemble) : cette seule façon de les définir par la négation indique tout de suite qu’il ne s’agit pas d’un groupe de parenté réel ; parmi eux, par exemple, la superfamille des siricidés avec les grands Sirex est en fait plus apparentée aux apocrites qu’elle ne l’est au reste des symphytes. Une chronique particulière présentera ce groupe diversifié qui inclut notamment les tenthrèdes. 

Au sein du méga-groupe des Apocrites, on distingue à nouveaux deux sous-ensembles : 

– les térébrants (Parasitica) qui ont conservé leur ovipositeur non transformé en aiguillon (terebrans = qui perce) et caractérisés dans leur majorité par un mode de vie parasitoïde ; eux aussi ne forment pas un groupe de parenté réel et nous leur consacrerons aussi une chronique particulière

– les aculéates (du latin acuminatus = pointu) dotés d’un aiguillon à venin issu de la transformation de l’ovipositeur ; on y trouve abeilles et guêpes sociales et solitaires, bourdons, fourmis, … eux aussi feront l’objet d’une chronique à part ! 

Bibliographie 

Evolution of the insects D. Crimaldi ; M. S. Engel. Cambridge University Press 2006

The insects. An outline of entomology. P.J. Gullan ; P.S. Cranston. Blackwell Publishing. Third edition. 2005

Classification phylogénétique du vivant. Tome II. G. Lecointre ; H. Le Guyader. 4ème édition. Ed. Belin. 2017