Euonymus europaeus

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Si les fruits du fusain d’Europe sont très connus du grand public pour leur aspect décoratif, on ignore souvent qu’ils représentent une manne vitale pour la survie de nombreux passereaux en hiver. Partons donc à la découverte de ces fruits originaux à plus d’un titre et de leurs relations avec leurs consommateurs ailés (2).

Les bonnets carrés

Les fruits sont des capsules rose clair à rose vif à quatre loges (très rarement trois seulement), larges de 8 à 15mm, chacun sur un pédicelle mais groupés par trois sur un pédoncule commun de 2cm de long. Cette forme particulière leur vaut depuis longtemps les surnoms de bonnets carrés ou bonnets d’évêque, allusion à la ressemblance avec une barrette, la coiffe des évêques.

Chaque loge ovale arrondie est assez épaisse et luisante à l’intérieur ; elle porte une ligne en long qui s’ouvrira à maturité. Normalement, il y a deux graines par loge ce qui ferait en théorie 8 graines par fruit mais c’est très rare. Dans la pratique, il y a souvent au moins une loge vide, voire deux et dans chaque loge, il peut très bien n’y avoir qu’une graine et pas deux. La moyenne tourne autour de 5 graines par fruit. Une astuce pour compter les graines sur un fruit encore fermé, c’est de le couper en travers ce qui donne de très belles images colorées comme celles jointes.

Des graines hautes en couleur

L’aspect bigarré des fruits coupés provient du fait que chaque graine se trouve entièrement enrobée par une sorte de peau charnue orange vif, un arille. Ce beau terme (de arillus pour grain de raisin) comme en réserve la botanique désigne une excroissance charnue qui se développe à partir d’un point du tégument de la graine ; un autre exemple que tout le monde connaît sans forcément savoir que c’est un arille est celui la chair blanche du litchi accrochée au noyau brun luisant. D’ailleurs, si on l’épluche, ce qui est facile car cet arille adhère à peine, on constate qu’il reste accroché à la graine en un point.

Quand il y a deux graines dans une loge et qu’on les extrait, on a d’abord l’impression qu’il n’y en a qu’une car les deux arilles se moulent l’un l’autre pour n’en former en apparence qu’un ; extérieurement, cependant, on note deux points blancs correspondant aux points d’insertion des deux arilles. Une section en hauteur dans une loge révèle la « supercherie » ! De toutes façons, si on appuie fermement on sépare facilement les deux graines ; on découvre alors qu’elles sont d’un beau blanc ivoire et d’une consistance relativement molle et tendre.

Des graines exhibitionnistes !

Les fruits apparaissent en cours d’été à partir des fleurs verdâtres et virent progressivement du vert au rose verdâtre avant d’atteindre ce beau rose intense début octobre.

A partir de fin octobre, la maturité progressant, les fruits commencent à s’entrouvrir, loge après loge, selon les lignes « prédécoupées » observées ci-dessus. Et là, le grand spectacle commence car, évidemment, l’ouverture offre à la vue l’arille orange vif des graines nichées dans leur loge. Si ce n’est pas pour être vu, on ne comprend pas ! Effectivement, un tel contraste coloré attire l’attention des consommateurs « très visuels » que sont les oiseaux frugivores, lesquels vont assurer « à l’insu de leur plein gré » la dispersion des graines dans l’environnement (voir la suite).

La maturité atteint un pic en novembre et décembre avec toutes les loges largement ouvertes ; les graines restent plus ou long enfermées dans leur loge mais certaines d’entre elles se décrochent tout en restant suspendues par une sorte de fil associé à l’arille. Celles qui ne sont pas consommées finiront par sécher et se coller dans leur loge ; les vents violents ou la neige les feront tomber au sol ou les décrocheront en les projetant sur quelques mètres seulement.

Il est remarquable que sur l’ensemble de la vaste aire européenne de l’espèce, la période de maturation reste presque partout la même et coïncide avec la période hivernale, un premier indice de la relation étroite qui lit le fusain aux passereaux hivernants.

Une bombe calorique

Tant que les capsules restent fermées, rien n’est consommable car les parois sont toxiques et dures. Par contre, une fois ouvertes, elles offrent les graines enveloppées de leur aille charnu très voyant. Si la graine entière pèse entre 80 et 130mg, l’arille en représente plus de la moitié (58%). Et quelle moitié : une incroyable richesse en lipides ou matières grasses (36 à 54% de la masse sèche), substances nutritives idéales pour l’hiver et réchauffer les organismes, une bonne teneur en protéines et un contenu très élevé en caroténoïdes ; par contre, les arilles restent pauvres en sucres (moins de 9%). Voilà donc un mets idéal pour de petits oiseaux comme les passereaux compte tenu de la taille modeste de ces graines (4 à 5mm de diamètre sur 6 à 7,5mm de long).

On pourrait penser au premier abord que se faire manger ses graines par des oiseaux n’est vraiment pas un bon plan pour un arbuste ; mais, il y a une autre donnée capitale : la toxicité aigüe des graines sous l’arille. Celles-ci sont chargées de substances cardiotoniques aux effets proches de la digitale et des principes purgatifs ; elles ont un goût âcre très dissuasif. D’ailleurs, leur consommation y compris chez les humains peut provoquer de graves intoxications et on a utilisé ces graines autrefois comme insecticide en usage externe (contre la gale ou contre les poux). Les passereaux qui avalent les graines arillées les digèrent rapidement, « récupèrent » les arilles, et rejettent les graines intactes dans leurs déjections ; comme entre temps, ils se sont plus ou moins déplacés, les graines peuvent ainsi voyager selon le principe de l’endozoochorie (voir la chronique consacrée à ce mode de dispersion des graines « à l’intérieur des animaux »).

Un vrai-faux fruit

Comme en fait les oiseaux ne consomment que les graines (le vrai fruit étant la capsule immangeable), on considère qu’elles ont, biologiquement parlant, valeur de « fruits », les guillemets servant à rappeler que botaniquement, ce n’est pas correct ! Sous cet angle de vue, la graine arillée de fusain devient le plus petit de nos « fruits » charnus en climat tempéré et celui qui contient le plus de matières grasses ! Pourtant la graine toxique occupe un gros volume mais le jeu en vaut la chandelle pour les petits consommateurs en termes de rendement énergétique.

Diverses études dans l’Ouest de l’Europe (1) ont permis de dresser la liste des principales espèces consommatrices qui varient quelque peu d’un pays à l’autre. Quatre espèces se dégagent nettement comme consommateurs principaux : le rouge-gorge familier, très dépendant de cette ressource en hiver en pleine nature ; la fauvette à tête noire là où elle est hivernante (une partie de ces oiseaux migrent) ; le merle noir et la grive musicienne. Viennent ensuite de manière plus sporadique : le rouge-queue noir (là où il hiverne), les grives draines et mauvis.

Il reste le cas des mésanges un peu à part ; en effet, elles se contentent si on peut dire d’arracher l’arille sur place et de laisser tomber la graine ; elles sont donc elles aussi consommatrices mais, par contre, du point de vue de la dispersion, leur rôle est quasi nul puisque les graines vont retomber au pied de l’arbre parent. Exceptionnellement, on a observé un transport d’un fruit à quelques mètres avant qu’il ne soit décortiqué. Les espèces concernées sont les mésanges bleue, charbonnière, nonette et la mésange à longue queue.

Signalons pour être complets que les rongeurs tels que les mulots consomment quand même les graines en dépit de leur toxicité et se comportent donc en prédateurs !

D’un fusain à l’autre

Dans une étude menée dans le nord-ouest de l’Espagne (3), un ornithologue a cherché à comparer quatre pieds de fusains en fruits situés chacun dans des contextes différents de végétation environnante en les suivant régulièrement (séances d’affût) pour savoir qui venait consommer les fruits, à quel rythme, de quelle manière, … pendant la période hivernale de début novembre à mi janvier (ensuite, il n’y a pratiquement plus de « fruits » exploitables). Il a ainsi pu observer dix espèces de passereaux consommateurs (voir ci-dessus) qui ont avalé 1577 « fruits » au cours de 330 visites ! Beau travail d’observation ! La fauvette à tête noire vient en tête (41%), suivie du rouge-gorge (34%) et de la grive musicienne (14%).

Un premier résultat intéressant c’est que l’assemblage d’espèces visiteuses varie d’un pied de fusain à l’autre (les quatre sont dans le même secteur) selon la structure de la végétation. Ainsi, l’un des pieds près d’une peupleraie dense a reçu nettement plus de visites de grives musiciennes, rassurées sans doute par la présence d’un couvert dense à proximité. A l’inverse, un autre pied en lisière d’une forêt de chêne clairsemée a attiré surtout des fauvettes à tête noire.

Les visites s’intensifient en seconde partie de l’hiver (décembre janvier) car les fruits des fusains se font plus rares tandis que les autres fruits charnus disponibles dans l’environnement immédiat (13 espèces dont ronces, cornouillers, nerpruns, viornes, sureaux, …) se raréfient très rapidement (la densité passe de 31 fruits/m2 en novembre à 1/m2 en janvier !). En même temps, pour un pied donné, l’assemblage d’espèces visiteuses se modifie. L’intensification du froid joue aussi, les « fruits » de fusain devant alors encore plus intéressants.

Autre enseignement intéressant : la technique de récolte de ces « fruits » change pour certains oiseaux au cours de l’hiver. En temps normal, les fauvettes à tête noire récoltent ces « fruits » en étant perchées ; dans le seconde partie de l’hiver, au moins sur un pied, elles se sont mises à utiliser beaucoup plus la technique de cueillette en vol sur place sans doute du fait de l’accessibilité de plus en plus difficile des fruits dont les rangs s’étaient éclaircis. Elles vont même jusqu’à recourir à la méthode privilégiée des mésanges consistant à se suspendre pour récolter les graines.

Toutes ces variations qui peuvent paraître anecdotiques n’en ont pas moins des répercussions certaines sur la plus ou moins grande efficacité de la dispersion selon qui mange et comment. Autrement dit, la pression de sélection varie subtilement d’un pied à l’autre ! C’est une mosaïque à une échelle très locale et même temporelle puisque des changements s’opèrent en cours d’hiver.

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Birds and Berries. SNOW, B. K. & SNOW, D. W. Poyser. Calton. 1988
  2. Biological Flora of the British Isles: Euonymus europaeus L.Peter A. Thomas, M. El-Barghathi and A. Polwart. Journal of Ecology 2011, 99, 345–365
  3. VARIATIONS IN SPINDLE EUONYMUS EUROPAEUS CONSUMPTION BY FRUGIVOROUS BIRDS DURING THE FRUITING SEASON. Ángel HERNÁNDEZ. Ardeola 50(2), 2003, 171-180

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le fusain d'Europe
Page(s) : 118-119 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus