Cygnus olor

Le cygne tuberculé connaît une forte expansion généralisée y compris en France. Comme cette espèce a un statut incertain (origine domestique ou recolonisation ou extension d’aire), qu’elle est très voyante et s’adapte aux environnements humanisés, on a tendance à la taxer d’envahissante et déjà des demandes locales d’abattages d’oiseaux (appelés de manière très soft une « régulation » !) voient le jour. Parmi les griefs reprochés au cygne tuberculé figurent sa forte consommation de plantes aquatiques (voir à ce propos les chroniques « des girafes à l’envers ! » ou « des vaches trop gourmandes ?) et son comportement agressif envers les autres oiseaux d’eau qui conduirait à l’éviction de ces espèces sur les plans d’eau occupés par des cygnes nicheurs. Quelle est la part du vrai et du faux ou de l’excessif dans cette affirmation ?

Un caractère de cochon !

C’est vrai, les cygnes tuberculés, et tout spécialement les mâles, présentent un comportement agressif sur leur territoire en période de reproduction, ce qui en soi est assez classique chez nombre d’oiseaux. Chez cette espèce strictement monogame, les mâles se livrent régulièrement à des confrontations très « musclées » ; face à un congénère, le mâle lève ses ailes, frappe l’eau de ses palmures et avance le bec pointé en avant au bout du cou replié ; si l’intimidation ne suffit pas, le choc est violent : échange de coups d’ailes ; morsures au cou ; tentatives de noyer l’adversaire en montant dessus ! Il existe aussi une autre forme de parade agressive qualifiée de « patrouille » où le mâle parcourt son territoire les ailes relevées et le cou souvent un peu rabattu vers l’arrière, tout en nageant vigoureusement et rapidement mais sans se diriger vers une « cible » identifiée, juste pour se montrer !

Mais ce qui démarque vraiment le cygne tuberculé, c’est sa capacité à agresser d’autres espèces d’oiseaux (ne présentant pas de danger pour sa descendance !) ou d’animaux et même les humains ou des bateaux (notamment au moment où les jeunes commencent à circuler avec leur mère). Et un cygne qui vous fonce dessus en claquant des ailes et en sifflant, çà ne donne pas envie d’insister !

On ne sait pas exactement quelle est la signification de ce comportement agressif envers divers autres oiseaux d’eau : des oies, des canards, des foulques ; aux U.SA., on a signalé même des jeunes oisons tués par des cygnes lors d’agressions. La compétition alimentaire n’est certainement pas le moteur sous-jacent vu le quasi-monopole dont disposent les cygnes dans l’exploitation des herbiers aquatiques avec leur long cou (voir la chronique : les girafes à l’envers). Il apparaît clairement en tout cas que cette agressivité interspécifique varie beaucoup d’un individu à l’autre et qu’il existe des cygnes particulièrement intolérants qui « s’attaquent à tout ce qui bouge» ! Mais en milieu naturel (ou semi-naturel plutôt), quelles sont les réelles conséquences de ce comportement ?

Outre-Atlantique

Aux U.S.A où le cygne tuberculé a été introduit et est devenu une espèce problématique (et là apparemment pour des raisons recevables), une étude conduite en 1994 (1) a totalisé plus de 800 heures d’observations sur 5 ans. 870 interactions agressives ont ainsi été observées dont 410 entre cygnes, 460 envers d’autres oiseaux et 174 envers des humains (y compris parfois quand on cherche à les nourrir !). Trois espèces d’oiseaux se trouvent très nettement agressées : le canard colvert, le canard noir américain et surtout la bernache du Canada, espèce indigène aux U.S.A. (introduite et en expansion en France !), d’une taille conséquente. Quelques attaques ont été notées envers des hérons, des mouettes, des oies et canards domestiques.

cygne-bernaches

Bernaches du Canada

Lors de ces attaques, les oiseaux agressés se trouvent souvent pourchassés sur de longues distances et forcés à décoller ou à regagner les berges pour échapper à la vindicte du cygne ; des agressions répétées génèrent donc un certain coût énergétique chez ces espèces et les éloignent temporairement de lieux favorables à leur alimentation. Quand il s’agit de familles (une oie avec ses poussins), cela peut conduire à des perturbations dont peuvent profiter certains prédateurs opportunistes. Les agressions avec contact direct aboutissent à des morsures avec le bec mais sans véritables conséquences.

On voit donc ici un tableau assez négatif mais dans un contexte « non-indigène » et avec des populations de cygnes denses où le sinteractions entre cygnes eux-mêmes sont très fréquentes.

En France

Une étude très intéressante (2) a été réalisée en 2008 dans la Dombes, cette région au Nord-Est de Lyon, parsemée d’une multitude d’étangs riches en végétation aquatique et qui héberge des communautés d’oiseaux aquatiques diversifiées : des canards de surface (canard colvert et canard chipeau), des canards plongeurs (fuligule milouin et nette rousse) et des foulques macroules (rallidés plongeurs).

La population de cygnes tuberculés présents en saison de reproduction (3) est passée de 60 couples en 1996, à 250 en 2004 auxquels il faut ajouter les adultes non-nicheurs et les « jeunes » non en âge de se reproduire (les sub-adultes), soit un total d’un millier de cygnes !

Là aussi, l’étude a consisté à réaliser des séquences d’observation de 20 minutes au cours desquelles étaient notés tous les comportements agressifs de cygnes sur 84 étangs. 104 observations, soit un total de 35 heures, ont été conduites. On peut ainsi mener une comparaison intéressante avec l’étude américaine.

Premier résultat radicalement différent : sur ces 104 séquences, seulement quatre cas de comportement agressifs envers d’autres espèces ont été observés et trois d’entre eux concernaient des « patrouilles » (voir ci-dessus) qui ne les ciblaient pas vraiment ! On aboutit donc à 0,1 interaction par heure contre plus d’une par heure aux U.S.A. Une des explications à cette différence tient peut être à l’absence ici d’espèces de grande taille (comme les bernaches du Canada) et au nombre d’étangs qui dispersent les couples de cygnes et limitent les interactions agressives entre eux et envers les autres espèces par effet collatéral ?

Le cygne, une espèce parapluie ?

Second résultat encore plus inattendu : la présence d’un couple de cygnes sur un étang a un effet significatif positif sur le niveau des populations des autres espèces : ainsi, milouins et nettes rousses sont souvent deux fois plus nombreux (ainsi que les foulques) quand il y a des cygnes alors que colverts et chipeaux semblent nettement plus indépendants de cette présence. L’explication tiendrait aux besoins écologiques des canards plongeurs qui exploitent eux aussi les herbiers recherchés par les cygnes. Autrement dit, la présence des cygnes signerait un milieu favorable avec une ressource très abondante (des herbiers submergés) et comme les méthodes d’accès à cette nourriture restent différentes, la compétition ne s’exprime pas. A cela, il faut ajouter que les canards plongeurs consomment en plus des insectes et crustacés aquatiques ce que ne font pas les cygnes.

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Foulque macroule

Il reste à déterminer si ces derniers modifient la répartition spatiale des autres oiseaux d’eau sur chacun des étangs en créant autour de chacun d’eux (ou pas) un « cordon » exclusif. J’ajouterais (remarque très personnelle !) qu’on pourrait aussi invoquer un effet « protecteur » des cygnes dont l’agressivité éloignerait des espèces prédatrices mais là aussi il faudrait une étude ciblée pour le vérifier.

Conclusion : il faut se garder d’extrapoler à partir d’observations factuelles (des cygnes en colère !) pour aboutir à des conclusions hâtives servant le plus souvent à justifier d’autres intérêts et à coller des étiquettes négatives sur certaines espèces.

Gérard GUILLOT : Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. Impact of Interspecific Aggression and Herbivory by Mute Swans on Native Waterfowl and Aquatic Vegetation in New England. MICHAEL R. CONOVER • AND GARY S. KANIA. The Auk 111(3):744-748, 1994
  2. Are Mute Swans (Cygnus olor) really limiting fishpond use by waterbirds in the Dombes, Eastern France. Guillaume Gayet ; Matthieu Guillemain ; Francois Mesleard ; Herve Fritz ; Vincent Vaux ; Joel Broyer. J. Ornithol. (2011)
  3. Expansion démographique du cygne tuberculé en France et conséquences. Carol Fouque, Maurice Benmergui, Guillaume Gayet, Matthieu Guillemain & Vincent Schricke. ONCFS-Rapport scientifique 2007

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le cygne tuberculé
Page(s) : 68 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les canards des étangs
Page(s) : 80-92 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez la foulque macroule
Page(s) : 280-281 Le Guide Des Oiseaux De France