Maillage régulier de haies dans un paysage de bocage herbager

Dans la chronique « Infiltration/ruissellement : le couple clé face à la sécheresse », nous avons abordé l’importance de la structure des sols vis à vis du processus d’infiltration de l’eau de pluie et de sa rétention pour la croissance des plantes cultivées. Parmi les solutions (non abordées lors de cette chronique) pour améliorer ces processus, , les haies sont souvent citées non seulement comme moyen de freiner le ruissellement mais aussi par rapport à leur action sur la structure des sols à leurs pieds et donc leur influence sur le couple infiltration/ruissellement. Pour le néophyte ou le jardinier, cet impact des haies ou des arbres peut paraître contre-intuitif car on aurait tendance à penser que la haie va surtout faire de l’ombre et pomper de l’eau au détriment donc des cultures voisines. Mais il faut raisonner globalement et peser les bénéfices par rapport aux inconvénients et surtout raisonner autrement en posant comme condition première l’importance des aspects environnementaux : qualité de l’eau, impact sur la biodiversité, piège à carbone, amélioration des sols, … En dépit de nombreuses études au cours des dernières décennies, il reste encore de nombreuses incertitudes dans cette action des haies qu’une étude anglaise très complète vient de lever partiellement. 

Même dans les régions bocagères, on continue de constater le déclin du réseau de haies.

Bilan complet 

L’étude conduite sur un peu plus de deux ans (2016-2017) concerne une ferme en activité appartenant à l’université de Leeds et située dans le nord de l’Angleterre. Là, six parcelles cultivées, chacune bordée de haies, ont été retenues : trois sont des champs de céréales et/ou colza, cultivés depuis plus de vingt ans de manière conventionnelle et les trois autres des pâtures à moutons. Les haies suivies ont une hauteur entre 2 et 5m et une largeur de 0,3 à 1,30m ; elles se composent à 60% d’aubépines, à 10% de sureau noir et de houx et pour le reste des noisetiers, cornouillers et églantiers. Tous ces champs possèdent par ailleurs une bande herbeuse de 1 à 2,50m de large qui sépare la haie de la partie cultivée : cette bande « intermédiaire » a fait l’objet elle aussi d’un suivi attentif car les bandes herbeuses font partie des éléments semi-naturels souvent invoqués dans les problématiques environnementales. Il s’agit donc bien d’un contexte relativement banal et qui n’a rien d’exceptionnel notamment en termes de qualité des haies : ce point est important pour généraliser les résultats obtenus à d’autres contextes ordinaires ; on n’a pas de grands arbres exceptionnels ni de haies de grande largeur et la gestion de la ferme suit un mode conventionnel et pas biologique. 

Le protocole scientifique mis en place sur ces parcelles vise à contrôler six paramètres à chaque fois sur les trois éléments adjacents : la haie, la bande herbeuse et la culture ou la pâture. Ont ainsi été mesurés et analysés : la structure du sol à partir de prélèvements jusqu’à 50cm ; l’humidité de ces sols et leur capacité à faire circuler l’eau dont l’infiltration ; le contenu en carbone organique du sol (COS) et en azote ; la composition en éléments minéraux de solutions de sol ; l’échantillonnage des vers de terre tant en quantité qu’en diversité ; et enfin, à partir d’analyses ADN de prélèvements de racines de plantes poussant dans les trois parties, la quantité et la diversité de champignons microscopiques associés aux racines.

Sol et eau 

Cette haie a une importance accrue du fait de sa position en bas de pente au contact d’une zone humide

Sur l’ensemble des six paramètres mesurés, il ressort très nettement que les sols sous les haies fonctionnent de manière significativement différente de ceux des terres cultivées ou des pâtures adjacentes. L’absence de passage d’engins agricoles ou de piétinement des moutons au droit des haies ainsi qu’une plus grande incorporation de matière organique (voir ci-dessous le bilan carbone) les rendent moins compactés ce qui est confirmé par une densité en profondeur bien moindre sous les haies. Ces différences retentissent très fortement sur leur comportement vis-à-vis des précipitations en favorisant le stockage d’eau de pluie. En effet, au ruissellement au sol (voir la chronique sur infiltration/ruissellement), s‘ajoute l’interception de pluie par la canopée de la haie : cette eau « capturée » ruisselle le long des troncs et feuillages et rejoint le sol. De plus, du fait des prélèvements par les arbres et arbustes, les sols sous la haie sont plus secs que ceux des champs avoisinants y compris en hiver : ainsi, en moyenne, les sols des haies requièrent une heure de plus avant d’atteindre la saturation en eau lors de pluies intenses. Le taux d’infiltration (voir la chronique) dans les sols des haies, même humides, atteint plus de 100mm/h contre … 3,5mm/h pour les cultures (et 20-30mm/h pour les bandes herbeuses) ! Pas besoin de commentaire sauf pour en expliquer les origines abordées avec la faune du sol. 

Ces chiffres nous conduisent vers la crise climatique en cours et notamment la fréquence accrue des épisodes orageux violents en plein été de plus en plus fréquents. Lors des deux années de l’étude, les chercheurs ont relevé six épisodes de pluies intenses au-dessus de 20mm/h avec un record à 40mm/h ; ils ajoutent que ces valeurs nous rapprochent « d’un climat tropical » ! Voilà un aspect peu pris en compte dans l’agriculture intensive obsédée par l’irrigation à tout prix ; or, ces épisodes engendrent des risques de crues et inondations en aval et génèrent une érosion intense en surface des sols cultivés. Les haies, à condition d’être orientées en travers de la pente s’il y en a une, peuvent absorber et retenir ces quantités d’eau lors des orages et réduisent ainsi les risques en aval en tamponnant le ruissellement et en piégeant les sédiments entraînés par le ruissellement.  Alors pourquoi continue t’on régulièrement à détruire des haies ou à les tailler tellement basses et minces qu’elles ne fonctionnent presque plus et pourquoi ne replante t’on massivement des réseaux de haies sur les zones cultivées en pente à minima ? 

Puits de carbone

Feuilles mortes sur un sol cultivé, venues de la haie de saules voisine

On connaît l’importance désormais accordée au piégeage du dioxyde de carbone en augmentation constante dans l’air sous forme de carbone organique via son prélèvement par les plantes vertes lors de la photosynthèse et sa conversion en matière organique. La quantité de carbone organique du sol sous les haies est significativement plus élevé que celui du sol des cultures ; ceci recoupe les résultats d’une étude grecque où le sol des haies contenait 2,8% de carbone organique contre 1,5% dans le champ d’asperges cultivées adjacent. Cette accumulation de carbone s’explique facilement par la biomasse des arbres et arbustes feuillus dont la litière de feuilles et branches mortes (plus les fruits et fleurs fanées) se décompose au niveau du sol. Les sols cultivés, du fait de la récolte des céréales ou du retournement par labour, voient le taux de décomposition augmenter tandis que le taux d’apport diminue : ainsi libèrent-ils plus de CO2 qu’ils n’en stockent. On sait que les pertes moyennes en carbone organique du sol lors de la conversion d’une surface forestière en culture sont de l’ordre de 48% contre 28% pour une conversion en pâtures ; ces dernières, dans cette étude, affichent effectivement un taux de carbone proche de celui des haies. Dans le cadre de cette étude, on a observé sur les deux ans une baisse de 40% du carbone organique au niveau des sols des cultures tandis que les haies restent à l’équilibre. Voilà un bel argument supplémentaire en faveur de la conservation des haies comme pièges à carbone très efficaces en zones cultivées … pour peu que l’on se soucie de l’avenir de la planète, bien sûr ! 

Nitrates et phosphore 

Ces sels minéraux restent étroitement associés à la problématique de l’eutrophisation, i.e. l’enrichissement des sols et des eaux souterraines du fait, entre autres, de l’usage des engrais, du fumier et des lisiers sur les cultures. Très curieusement de prime abord, les sols des haies contiennent des concentrations en nitrates et phosphore bien plus élevées que celles mesurées au niveau des pâtures ou des cultures qui, elles, reçoivent des applications continues de fertilisants ! Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour explique un tel écart contre intuitif. Avec plus de matière organique dans leurs sols, les haies pourraient être le siège d’un taux de décomposition (et donc de minéralisation) de cette matière organique mais d’autres études infirment cette hypothèse ; de même invoquer le fait que la flore sauvage des haies serait moins efficace que les plantes cultivées dans le prélèvement de ces minéraux ne tient pas la route si les taux de minéralisation sont identiques. Nous avons vu que les sols des haies restaient nettement plus secs ce qui pourrait conduire à une concentration des minéraux en solution dans le sol, renforcée par l’intense évapotranspiration des ligneux des haies. Il reste enfin une dernière piste, sans doute malheureusement la plus crédible : la pollution généralisée de l’atmosphère par les nitrates notamment ; or, la canopée des haies constitue un super piège qui intercepte bien plus cet apport aérien : lors des pluies, tous ces éléments déposés sur le feuillage et l’écorce sont lessivés et entraînés vers le sol des haies. Justement, sur la ferme étudiée, on note la présence dans un rayon de 25km d’une grosse centrale thermique et de plusieurs porcheries industrielles ! 

Les haies de grands arbres constituent de formidables surfaces d’interception du vent, de la pluie mais aussi de la pollution atmosphérique.

Super ingénieurs 

On sait que les vers de terre représentent un élément clé de la faune du sol de part leur activité de creusement de galeries et d’enfouissement de la matière organique tombée au sol. L’étude confirme l’importance du couvert végétal sur les communautés de vers de terre, laquelle prévaut même sur les fluctuations fortes de pluviométrie observées lors de la période d’étude. La densité, la biomasse et la diversité en nombre d’espèces sont maximales dans les sols des bordures herbeuses des haies (voir ci-dessus) et des pâtures, suivi de près par les sols des haies et deviennent minimales sous les cultures. La proximité des valeurs pour haies, pâtures et bordures traduit des conditions proches en humidité, en température et surtout en absence de labour perturbateur ; les haies se trouvent pénalisées par des sols plus secs en moyenne. Non seulement les cultures hébergent moins de vers mais en plus il s’agit essentiellement de jeunes individus alors que sous les haies, on atteint les maximas pour les proportions d’adultes : ainsi la proportion de jeunes passe de 58% au niveau des haies à 65% dans les bordures et monte à 76% dans les cultures. Ceci traduit le manque de ressources nutritives (exportation des récoltes) dans les cultures. 

Or la composition des communautés de vers de terre détermine fortement la capacité du sol à permettre l’infiltration de l’eau car ils entretiennent physiquement un réseau de galeries agissant comme des pores pour la circulation de l’eau. Ici, pâtures et bordures hébergent plus de grandes espèces (telle que le lombric terrestre) qui creusent des terriers verticaux peu ramifiés, engendrant ainsi une forte densité de macropores (voir la chronique infiltration/ruissellement) qui facilité l’infiltration de l’eau. Les sols des haies restent de loin les plus perméables via notamment un important réseau en profondeur de micropores généré par leur communauté équilibrée de vers avec des espèces petites entre autres creusant des galeries aussi bien verticales que horizontales. Au delà de l’effet direct sur l’eau, ces résultats mettent en avant un autre avantage des sols des haies du fait de cette densité de pores : une meilleure capacité à retenir minéraux et pesticides entraînés par le ruissellement, un service écosytémique de plus à ajouter en faveur des haies ! 

Les haies encerclant les pâtures résistent un peu mieux à la destruction généralisée.

Fonge 

Deux haies très altérées : celle du haut est trop dégarnie à sa base (effet brise vent nul) et celle du bas est devenue un « squelette » symbolique !

L’étude a exploré une partie de l’univers mal connu des champignons microscopiques qui colonisent les racines des plantes et forment autour d’elles des manchons externes : les mycorhizes dits arbusculaires (par opposition aux mycorhizes internes qui pénètrent dans les tissus des racines). Ils jouent un rôle majeur dans l’absorption de l’eau du sol et dans le prélèvement des éléments minéraux et représentent une biomasse considérable qui affecte la structure du sol. L’analyse se fait de manière assez grossière mais permet de montrer que la diversité de ces champignons, proche de la diversité en macrofaune, dépend là aussi de la couverture végétale : elle est réduite sous les cultures annuelles labourées chaque année et bien plus élevée sous les haies, les bordures et les pâtures. Un facteur défavorisant majeur pour les cultures serait l’usage du glyphosate dont les effets négatifs sur la fonge du sol (les champignons) sont avérés. L’étude montre par ailleurs que les communautés peuplant les racines des sols des haies diffèrent sensiblement de celles des bordures : les haies forment donc au sein des espaces agricoles un réservoir d’une communauté distincte et hétérogène de mycorhizes essentiels pour la nutrition des plantes et la structuration des sols. 

Compromis 

L’effet négatif sur les cultures en bordure s’observe même à l’oeil nu !

Jusqu’ici, n’ont été envisagés que des effets positifs mais il faut prendre en compte aussi les effets négatifs sur les cultures en bordure des haies. Une méta-analyse à partir de soixante études a permis de mettre sur pied un modèle général pour dégager avantages et inconvénients. On se doute bien que la présence d’une haie, par la compétition au niveau des racines et par l’ombre projetée au sol, va impacter les rendements des cultures en bordure. Le modèle révèle que près de la haie, jusqu’à uje distance équivalente à deux fois la hauteur de la haie, le rendement de la culture baisse de presque 30% ; au delà de cette distance, jusqu’à une distance de 20 fois la hauteur de la haie, le gain de rendement est de 6%. Autrement dit, l’effet nettement négatif en bordure se trouve en grande partie gommé par l’effet positif au delà ; celui-ci s’explique par l’enrichissement des sols en carbone (notamment via les feuilles mortes), l’effet brise-vent qui réduit l’évapotranspiration de la culture, la réduction de l’érosion des sols et donc la perte de matière organique en surface, l’ombrage qui à l’inverse en période de fortes chaleurs apporte un avantage, … A cela, il faut ajouter l’effet bénéfique de la riche biodiversité hébergée par la haie et la bande herbeuse qui apporte un service essentiel dans la régulation des populations des insectes dits ravageurs des cultures comme les pucerons ; cet effet dépend la largeur et de la hauteur de la haie et des dimensions de la parcelle adjacente : des haies rabougries trop taillées et trouées n’assureront qu’un service minimal ! De même la bande herbeuse en avant de la haie apporte encore plus de services quand elle est plus large. 

Les noyers ont un système racinaire très profond qui ne concurrence presque pas la culture voisine

Il ressort nettement de cette étude approfondie que haies et bordures herbeuses associées améliorent le fonctionnement des sols et fournissent divers services écosystémiques bénéfiques pour les cultures en bordure. Elles agissent non seulement sur les sols eux-mêmes mais aussi sur la circulation de l’eau, un aspect critique dans le cadre de la crise climatique en cours et une vraie solution aux problèmes de manque d’eau et d’érosion des sols agricoles. L’influence sur l’eau, partiellement abordée ici, fera l’objet d’une autre chronique en se référant à plusieurs études menées en France, dans le bocage breton notamment.  

La destruction des haies se poursuit toujours y compris dans les zones herbagères

Bibliographie

The role of hedgerows in soil functioning within agricultural landscapes .J. Holden et al. Agriculture, Ecosystems and Environment 273 (2019) 1–12 

Ecosystem service delivery of agri-environment measures: a synthesis for hedgerows and grass strips on arable land.Van Vooren, L., Reubens, B., Broekx, S., De Frenne, P., Nelissen, V., Pardon, P., Verheyen, K., 2017. Agric. Ecosyst. Environ. 244, 32–51.