15/09/2023 Nous avons récemment publié une chronique sur les arbres face à la sécheresse soulignant leur importance dans le cadre de l’atténuation de la crise climatique en cours via le stockage de carbone. Mais, toujours dans ce même contexte de climat de plus en plus extrême, les forêts remplissent d’autres fonctions cruciales comme la régulation du cycle hydrologique à l’échelle des bassins versants. Ce rôle a toute son importance vis-à-vis notamment des risques de crues dévastatrices lors d’épisodes pluvieux intenses. Un rapport sur ce sujet a été publié en 2015 par l’agence Européenne de l’Environnement : nous en proposons ici un résumé simplifié. 287 sous-bassins versants avec une couverture forestière supérieure à au moins 10% ont été analysés à partir des données hydrologiques recueillies entre 2000 et 2006

Couvert forestier en Europe

Comme il s’agit d’une synthèse à l’échelle européenne, les conclusions restent très générales mais néanmoins très instructives ; elles confirment le rôle majeur des espaces forestiers dans la régulation globale du climat.

Contexte européen

Cycle de l’eau autour des forêts (extrait de l’étude)
Soil surface = surface du sol ; water table = nappe souterraine ; stream = rivière
Les 3 flèches bleu foncé horizontales représentent de haut en bas : le ruissellement de surface, le r. de subsurface et l’écoulement des nappes

Les forêts couvrent plus d’un tiers du territoire européen avec six pays où la surface forestière surpasse celle de tous les autres types de couverture végétale (par ex. Suède et Finlande avec 80% de couverture en forêts).

Un bassin-versant très boisé (la Sioule 63)

Les forêts jouent un rôle important dans le cycle hydrologique, avec une influence majeure sur la quantité d’eau qui rejoint les nappes souterraines, les rivières et autres zones humides. Elles ont un impact crucial sur la quantité d’eau en surface tout comme dans le sol et les nappes. Une partie des précipitations n’atteint pas le sol des forêts car elle est retenue par les canopées des arbres, sièges de l’évaporation et de la transpiration. Ceci réduit la quantité d’eau qui ruisselle en surface à la sortie des bassins de captage. Le ruissellement inclut l’eau provenant de précipitations et qui s’écoule en surface ou à travers le sol vers les nappes ou les cours d’eau.

Les versants boisés tamponnent l’onde de crue

Environ 25% des rivières européennes coulent à travers des zones boisées. 33% des lacs se trouvent au cœur de bassins versants boisés. On estime le volume moyen annuel de l’eau ressortant des bassins boisés autour de 4,3km3, ce qui représente plus de 4% du total des ressources en eau renouvelables en Europe.

Forêts et rétention de l’eau

La rétention de l’eau correspond à l’eau absorbée ou utilisée par les forêts. Ce volume retenu dépend des caractéristiques des forêts telles que la superficie du couvert, la surface foliaire moyenne, la longueur de la période de végétation active, la composition en arbres et leur densité. Mais elle dépend aussi d’autres facteurs tels que l’âge et le nombre de strates de la végétation forestière.

Cette rétention de l’eau a une influence sur la quantité et la chronologie de son retour vers les rivières et les nappes en accroissant ou en maintenant l’infiltration et la capacité de stockage du sol. Les forêts peuvent éponger l’excès d’eau de pluie, prévenant ainsi le ruissellement et les dégâts liés aux inondations. En relibérant de l’eau pendant les périodes sèches, les forêts aident à produire de l’eau épurée et à atténuer les effets des sécheresses.

La répartition des forêts dépend largement des interactions entre climat, monde vivant, sol et gestion humaine. En général, les écosystèmes forestiers utilisent plus d’eau que les autres types de végétation. De plus grandes quantités d’eau sont « perdues » par les canopées et le sol par interception et évapotranspiration. Le ruissellement de surface est rare en milieu forestier et les écoulements de subsurface (voir schéma) se font habituellement bien plus lentement en forêt.

La consommation d’eau par les forêts varie selon les essences dominantes mais aussi selon les variations saisonnières climatiques. Autant la consommation d’eau pour la croissance des arbres que l’évapotranspiration croissante du fait d’une interception comparativement plus élevée ont des conséquences sur le ruissellement à partir de précipitations.

La gestion forestière peut avoir un fort impact sur cette capacité de rétention de l’eau selon la taille des zones exploitées. Les interventions induisent des changements dans la composition et la structure de la végétation des peuplements, tels que le diamètre, la hauteur et l’âge des arbres. Diverses études suggèrent que la quantité d’eau retenue est la réponse la plus évidente et la plus immédiate aux activités de gestion à cause de changements dans l’évapotranspiration.

Indicateurs

Beaucoup de ruisseaux naissent en milieu forestier sur les têtes de bassins

La rétention d’eau est estimée par le temps et la différence en quantité entre les précipitations et le ruissellement dans les bassins. Quatre indicateurs ont été retenus :

  • le coefficient de ruissellement :il permet de comparer directement le ruissellement aux précipitations sur un territoire donné et une période donnée. K = ruissellement en mm/précipitations en mm. L’entrée dans le bassin de captage vient non seulement de la pluie mais aussi de l’éventuelle nappe souterraine et du captage amont de la rivière. En plus, l’intervention humaine via des prélèvements et usage de l’eau impacte le cycle qui en dernier lieu influe sur le ruissellement.
  • le coefficient de ruissellement de surface : il se réfère à l’eau de pluie qui coule en surface pour rejoindre les cours et plans d’eau. On compare les volumes totaux mensuels de précipitations avec les volumes mensuels totaux de ruissellement de surface sur un territoire. SC = ruissellement de surface/ précipitation
  • le coefficient d’irrégularité du ruissellement : il analyse l’amplitude du ruissellement sur l’année Kd = ruissellement maxi/ ruissellement mini
  • le taux d’évacuation : il estime le temps de résidence entre la pluie et le ruissellement ; il dépend de nombreuses variables et pas forcément des caractéristiques des forêts. Par ex. les caractéristiques du bassin (taille, topographie, pente, types de sols) et le climat (type de précipitations, t°, évaporation) tout autant que la couverture végétale (forêts, agriculture, …) ont un impact sur ce taux. Il indique grossièrement le temps de résidence effectif de l’eau tombée dans le milieu. T = pluie entrée dans l’unité hydrologique/ruissellement sortant
Le dépérissement induit par les sécheresses à répétition menace le bon fonctionnement des massifs forestiers vis-à-vis de la rétention de l’eau

Les forêts réduisent le ruissellement global

Environ un tiers des précipitations contribuent au ruissellement en Europe avec de fortes variations selon les saisons. En hiver, les conditions de fort ruissellement se retrouvent surtout en montagne alors que les régions plus basses d’Europe centrale, occidentale ont un ruissellement moyen et/ou bas, comparé aux précipitations.

Dès que le couvert forestier dépasse 30% de la surface du bassin, la forêt impacte les conditions de ruissellement quel que soit la saison. Chaque ajout de 10% de couverture forestière abaisse le ruissellement de 2 à 5% et accroît ainsi la rétention d’eau par les forêts. De plus, quand la couverture forestière dépasse 70% de la surface du bassin, elle retient 50% d’eau en plus par rapport aux bassins avec seulement 10% de couvert. Les forêts abaissent le ruissellement de presque 25% de plus en été qu’en hiver. 

Le bassin méditerranéen connaît un régime différent : le ruissellement augmente ici avec la couverture forestière croissante contrairement aux autres régions. Les conditions de sol jouent ici un rôle significatif. Ainsi, on a étudié la rivière Aragon en Espagne dans deux bassins proches avec les mêmes sous-sol et topographie ; mais l’un a été cultivé de manière extensive par le passé et l’autre est couvert de forêt naturelle dense. En saison sèche, le ruissellement est plus fort sur le premier alors que, par temps humide, il devient plus fort sur le bassin boisé. Les sols forestiers épais stockent de l’eau comme des éponges ; à un certain seuil de précipitations, il y a un brusque dépassement de la capacité de rétention (du fait de leur faible perméabilité) et un écoulement dominant de subsurface se met en place ; toutes les pentes d’un bassin libèrent massivement de l’eau. En été, la présence d’arbres accentue le déficit hydrique et diminue la quantité d’eau qui atteint le sol ce qui diminue le ruissellement.

Le ruissellement de surface

Les sous-bois moussus (ici pessière plantée) retiennent beaucoup b’eau et favorisent l’infiltration

Comme ci-dessus, l’impact des forêts sur la réduction du ruissellement de surface ne peut être observé que si la couverture excède 30% dans les petits bassins. Les valeurs sont élevées aussi bien en été qu’en hiver dans la région alpine. Ailleurs, l’été est caractérisé par un faible ruissellement de surface dans les bassins forestiers. Là encore, le couvert doit excéder 30% de la surface du bassin pour impacter les ruissellements global et de surface. Quand le couvert passe de 30 à 70% de la surface, les forêts retiennent 25% d’eau de surface en plus. De même presque 10% de plus d’eau est retenue pendant les mois estivaux par rapport à l’hiver.

Le ruissellement de surface le plus fort se situe en région alpine : à cause de l’accumulation de neige et la fonte au printemps-été, les régions alpine et scandinave en altitude renvoient presque 80% des précipitations en ruissellement. Dans les autres régions, cette contribution n’est que de 50%.

En amont des petits bassins, les forêts jouent un rôle majeur de régulation quand le couvert excède 50% de la surface totale. En général, les conditions de fort ruissellement sont réunies dans les régions montagneuses en été et en plaine en hiver. La région alpine tamponne de plus de 30% l’irrégularité du ruissellement quand le couvert dépasse 50%. Dans les régions continentales et boréales, cet effet n’est que de 10% alors qu’en région méditerranéenne, le ruissellement augmente avec le couvert forestier. Cette dernière connaît le coefficient d’irrégularité du ruissellement le plus fort durant toute l’année en lien avec le régime des pluies.

Grâce aux chutes de neige en hiver, les régions montagneuses ont les conditions les moins irrégulières contrairement aux régions de plaine ou méditerranéenne qui, en hiver, ont une irrégularité bien plus importante.

Le couvert forestier a un impact significatif pour réduire l’ampleur de l’irrégularité du ruissellement sur l’année. Une étude polonaise a comparé 40 petits bassins naissant dans la forêt primaire de Bialowieza : elle montre une forte corrélation entre haute rétention et couvert forestier important.

Accroître le temps de résidence

Le temps de résidence est plus élevé dans les grands bassins que dans les petits. Il dépend effectivement de l’étendue du bassin et de la densité des précipitations. Mais d’autres conditions locales telles que le sol, le type de végétation, la couverture végétale et le degré d’intervention humaine influencent aussi la prolongation ou le raccourcissement du temps d’évacuation de toute l’eau effectivement tombée.

L’analyse montre que, sous des conditions de bassins comparables, la capacité des forêts à prolonger le temps de résidence n’est détectable que pour un couvert supérieur à 30%. Ce temps est prolongé de 15% dans les bassins de taille moyenne et de 35% dans les grands bassins avec un couvert de plus de 50% du territoire. Le temps de résidence le plus faible se trouve en région méditerranéenne.

Types de forêts

Les forêts de conifères dominent en Europe (44% des surfaces forestières, surtout dans les régions boréale et continentale) suivies des forêts de feuillus (34%) et le reste en forêts mixtes.

Selon la composition en espèces, la structure du sous-bois en strates et la localisation des forêts, les conifères consomment généralement plus d’eau : ils en interceptent plus et transpirent plus. Les forêts de conifères retiennent 10% d’eau en plus et régulent donc un peu mieux que celles de feuillus.

En été, les forêts de conifères réduisent de manière significative le ruissellement. En région méditerranéenne, les forêts de feuillus génèrent un moindre ruissellement que celles de conifères. Dans les régions continentale et méditerranéenne, les forêts mixtes connaissent les coefficients de ruissellement les plus bas.

Impacts de la gestion

Sauf pour la région méditerranéenne, nous avons vu que plus de couvert forestier régule mieux le ruissellement et la rétention.  Les coupes à blanc et la déforestation impactent le plus cette régulation.

Fossé de drainage en forêt : l’eau est évacuée très vite !

28% des surfaces étudiées sont couvertes par des forêts protégées soumises à une gestion extensive. La comparaison de forêts protégées ou pas fournit des résultats contradictoires. Certains exemples locaux en Suède et Finlande suggèrent que plus la forêt est protégée moins elle retient d’eau ! Mais les surfaces couvertes par les forêts protégées diffèrent significativement de celles des forêts gérées pour un basin donné ce qui rend la comparaison délicate quand on sait l’importance du pourcentage de la couverture forestière pour le bassin. Il a été montré qu’un cycle de gestion « en mosaïque » selon un mode proche du fonctionnement naturel avec des forêts structurés horizontalement et verticalement et composées d’espèces adaptées aux sites augmentent la rétention d’eau.

La destruction totale d’espaces forestiers (ici pour le passage d’une route) modifie complètement la capacité de rétention de l’eau

Bibliographie

Water-retention potential of Europe’s forests A European overview to support natural water-retention measures EEA Technical report No 13/2015