Corvus monedula

Quatre espèces de « corbeaux » (genre Corvus, famille des Corvidés) se rencontrent en France : le grand corbeau, le corbeau freux, la corneille noire et le choucas des tours. Tous partagent un plumage uni entièrement noir chez les deux sexes identiques.

Tous ont un œil à l’iris sombre que l’on a du mal à distinguer sur le fond sombre du plumage : tous sauf une exception notable : le choucas des tours. Au premier coup d’œil, outre sa nuque grise, on remarque son œil si clair qui contraste avec le reste du plumage : l’iris presque blanc lui donne ce regard vif et pétillant si particulier. Comment expliquer cette particularité propre à cette seule espèce au milieu de ses cousins au regard sombre ?

Cavernicole

Milieu typique à choucas : des étendues agricoles pour se nourrir ; des falaises et des villages pour nicher (Vallée de la Dordogne/Périgord Noir)

Le choucas peuple (1) toutes sortes de milieux non boisés, ouverts avec des arbres épars et notamment les paysages agricoles mais pour nicher il a besoin soit de sites rocheux naturels ou artificiels soit de grands arbres avec des cavités. Car, et c’est sa seconde particularité, le choucas est un des rares membres de sa famille à nicher dans des cavités ; le grand corbeau niche souvent dans des parois rocheuses mais choisit de larges cavités ouvertes sur l’extérieur. Le choucas, lui, recherche des cavités profondes ne communiquant avec l’extérieur que par une entrée juste à sa taille : anciens trous de pic noir (le seul pic de taille suffisante qui creuse des loges à la taille du choucas : voir la chronique sur les pics fournisseurs de cavités), anfractuosités dans des parois rocheuses et, le plus souvent en Europe occidentale, des cavités dans des bâtiments anciens avec un goût certain pour les cheminées abandonnées. Ceci explique son nom de choucas des tours.

Il niche en petites colonies de quelques couples (on parle d’oiseau semi-colonial) assez proches les uns des autres. Dans la cavité adoptée, le couple entasse une grosse masse de branches mélangée avec de la boue et du crottin tandis que l’intérieur est tapissé d’un matelas de plumes, de crins, de paquets de laine de mouton, de mousses et de bois pourri sec.

Donc, pour ces oiseaux, trouver une cavité est un enjeu capital et souvent cette ressource s’avère parcimonieuse notamment ne termes de qualité suffisante (sécurité, protection des intempéries). De ce fait, il existe une certaine tension permanente au sein des colonies pour la possession des meilleures cavités.

Signal ?

Autre exemple de milieu à choucas : une vieille abbaye en ruines pour nicher et des cultures pour chasser (île de Ré)

En observant le comportement des choucas au sein des colonies, les chercheurs avaient remarqué que les choucas tendent à ne visiter des cavités déjà occupées en vue de les investir qu’en l’absence du congénère propriétaire. Si celui-ci est présent, ils s’approchent de l’entrée et ne vont pas plus loin. Rarement, quand ils insistent, cela se termine par une violente dispute, le propriétaire, sûr de son « bon droit » agressant l’intrus. Autrement dit, les choucas semblent éviter les visites à risque pouvant mal se terminer avec des blessures ; mais comment font-ils pour savoir s’il y a quelqu’un à l’intérieur alors que souvent la cavité est profonde et dans l’obscurité ? Mais oui, c’est bien sûr ! L’œil « blanc » qui se détache sur fond noir et qui brille au fond du trou : ce serait le signal qui dit « Stop, on n’entre pas ; j’occupe les lieux ; passe ton chemin ! ».

Mais ce n’est qu’une hypothèse même si elle semble bien tenir la route du fait justement de la concomitance de ces deux caractères uniques au choucas : cavernicole et œil clair. On sait par ailleurs que les choucas, oiseaux avec un intellect particulièrement développé comme la majorité des corvidés, sont très sensibles au regard et aux yeux des « autres » : ainsi, ils réagissent au regard d’une personne non familière dans leur environnement et dirigé vers eux ; mieux encore, ils sont capables, dans des expériences, de trouver de la nourriture cachée en suivant le regard d’une personne informée du lieu ! Les choucas possèdent donc un sens certain « du regard » !

L’épreuve des photos

Il restait à vérifier cette hypothèse des yeux clairs comme signal de défense anti-intrusion scientifiquement de manière expérimentale. A Cambridge en Angleterre, (2) des chercheurs suivent une population de choucas installée dans des nichoirs ce qui permet un suivi rapproché. Pour vérifier l’hypothèse, ils ont suspendu dans des nichoirs, à 5 cm en arrière de l’entrée des photos en taille réelle représentant soit :

– une tête de choucas avec donc des yeux clairs brillants

– une tête de choucas avec, par photomontage, des yeux de corbeau freux donc sombres

– deux yeux clairs brillants de choucas mais sans le reste de la tête pour vérifier si les choucas ne réagiraient pas en fait à ces yeux en pensant qu’il s’agit de ceux d’un prédateur

– deux cercles noirs pour vérifier si les choucas ne réagissent pas ne fait simplement à tout objet non familier dans leur décor.

Sur chaque nichoir, on installe une plate-forme d’atterrissage latéral et deux baguettes-perchoirs à partir desquelles on peut « jeter un œil par l’entrée : une « lointaine » vers la base et une « rapprochée » juste sous le trou d’entrée. Chaque séance de mise en scène est filmée et on peut ainsi évaluer d’après le comportement des choucas l’intensité et le sens (fuite ou entrée) de leur réaction face à telle ou telle photo.

Les yeux revolver !

Il a le regard qui tue, le choucas ! (Photo J. Lombardy)

Les résultats démontrent clairement que les choucas évitent de pénétrer dans les nichoirs avec une photo de tête de choucas « normal » aux yeux clairs ; par contre, devant un nichoir avec une photo de choucas « trafiqué » aux yeux noirs, ils s’approchent et passent la tête dans l’entrée. Donc, le contexte d’une paire d’yeux clairs sur un visage de choucas semble bien déterminant comme signal de défense.

Avec seulement les yeux clairs (sans le visage), les choucas passent moins de temps près de l’entrée : la présence des yeux seuls réduit leur envie d’entrer. Ils ont donc bien une certaine prédisposition à éviter ces yeux là d’après leur forme et leur couleur.

Le fait qu’ils ne réagissent pas ou peu aux yeux d’un corbeau freux, une autre espèce proche, montre qu’il s’agit bien d’un signal intraspécifique, un signal de communication entre eux. Avec les cercles noirs, les choucas ne sont pas freinés ou arrêtés dans leur inspection de la cavité ce qui montre qu’ils font bien le distinguo entre une bizarrerie inhabituelle (des cercles noirs) et de vrais yeux de congénère.

Ainsi, cette étude démontre pour la première fois chez un vertébré, en dehors de la lignée des primates, que la couleur des yeux peut avoir une fonction de communication intraspécifique. Dans le cas des choucas, le mode de vie cavernicole a probablement exercé une pression de sélection forte en faveur d’yeux se détachant sur le fond sombre du plumage dans l’obscurité, évitant ainsi les bagarres inutiles et coûteuses en énergie pour des oiseaux semi-coloniaux dans un contexte de rareté de la ressource cavités. Quelques mutations (ou peut-être même une seule ?) suffisent sans doute à changer la coloration de l’ris ce qui doit en faire un caractère sensible à la sélection. Notons enfin que les jeunes choucas ont les yeux sombres : ils ne déclenchent pas ainsi de réaction intempestive de la part de leurs parents !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Handbook of the birds of the world : https://www.hbw.com/species/eurasian-jackdaw-corvus-monedula
  2. Salient eyes deter conspecific nest intruders in wild jackdaws (Corvus monedula). Davidson GL, Clayton NS, Thornton A. 2014 Biol. Lett. 10.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le choucas des tours
Page(s) : 306 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez le choucas des tours
Page(s) : 244 Le guide de la nature en ville
Retrouvez les Corvidés de France
Page(s) : 298-307 Le Guide Des Oiseaux De France