Picidae

Dans les milieux forestiers on trouve de nombreuses espèces de mammifères et d’oiseaux cavernicoles, i.e. se reproduisant ou s’abritant/hibernant dans des cavités des arbres. Cette « ressource » indispensable pour la reproduction et la survie de ces espèces reste le plus souvent limitée en termes d’offre, surtout dans les forêts exploitées par l’homme : les cavités naturelles étant souvent peu nombreuses et inadéquates en taille et en ouverture, et la majorité de ces animaux étant incapables de creuser par eux-mêmes des cavités, la communauté des cavernicoles dépend fortement des fournisseurs de cavités que sont les pics. Ces derniers creusent des cavités dans des arbres vivants, dépérissant ou morts pour leurs propres besoins de nidification et/ou d’abri pour dormir (voir la chronique sur la guerre des cavités). Ainsi se tissent des liens très complexes au sein de ces communautés présentes dans tous les milieux forestiers de la planète avec des richesses en espèces et des structures très variables. L’étude de ces interactions arbres/pics fournisseurs/utilisateurs opportunistes à l’échelle de toute la communauté n’a commencé que récemment dans le nord-ouest du Canada (1 et 2) ; ces recherches remarquables ont permis de dégager le surprenant concept de réseau de nids pour cavernicoles.

Trois guildes

Situons d’abord le décor de ces études : le nord-ouest du Canada en Colombie Britannique avec des forêts plutôt sèches, à l’intérieur des terres, dominées par les sapins de Douglas et divers autres conifères (des épicéas et des pins) et quelques feuillus. Ce sont les fournisseurs de base du « matériau bois » ! Dans ces forêts vivent des communautés de vertébrés cavernicoles particulièrement riches en espèces puisque 25 à 30% des espèces présentes nichent ou s’abritent dans des cavités d’arbres, la plupart de manière obligatoire.

On peut répartir ces espèces en trois guildes (ensembles d’espèces partageant une même fonction écologique) en fonction de leurs rapports avec les cavités d’arbres. Les différentes espèces de pics forment la guilde capitale des creuseurs primaires de cavités (ou loges) qu’ils occupent quelques années avant d’en creuser de nouvelles, laissant ainsi la place libre pour les squatters. Au Canada, dans la zone étudiée, ce sont pas moins de huit espèces de pics qui coexistent (sur les douze potentiellement existant dans le pays), chacune avec son mode de creusement, ses préférences et des cavités de taille en fonction de celle de l’oiseau. Ce sont le pic doré (Colaptes auratus), le pic à nuque rouge (Sphyrapicus nuchalis) et le pic à poitrine rouge (S. ruber) , le grand pic (Hylatomus pileatus), le pic tridactyle (Picoides tridactylus) et le pic à dos noir (P. arcticus), le pic mineur (Dryobates pubescens) et le pic chevelu (Leuconotopicus villosus) !

Une autre guilde originale regroupe quelques espèces capables de creuser des cavités mais seulement dans du bois décomposé (ou pouvant utiliser aussi des cavités déjà creusées par des pics) : nous les appellerons les creuseurs faibles ; ce sont une espèce de sittelle et trois espèces de mésanges (voir ci dessous). En France, nous avons la mésange boréale qui appartient à cette guilde.

Vient enfin la vaste communauté des cavernicoles secondaires, ceux qui occupent des cavités déjà creusées ou naturelles. On y trouve des oiseaux : divers passereaux avec notamment l’étourneau sansonnet introduit d’Europe et omniprésent, des rapaces diurnes (Crécerelle d’Amérique) ou nocturnes et des canards ou apparentés tels que des garrots ou des harles (voir à propos des canards arboricoles la chronique sur le canard mandarin) ; il y a aussi des mammifères : l’écureuil roux d’Amérique, l’écureuil volant et diverses espèces de chauves-souris. Au total, sur la zone étudiée, cette guilde compte 32 espèces : belle diversité !

Un arbre clé

Alors qu’ils ne représentent que 15% des arbres présents dans ces forêts, les trembles américains (ou peuplier faux-tremble) se trouvent au cœur du réseau avec une écrasante majorité des cavités creusées par les pics dans cette essence ; les conifères variés très présents sont quant à eux quasiment inutilisés comme sites de cavités. Mais attention, si on s’intéresse à la recherche de nourriture (insectes xylophages) par les pics, alors ce sont les conifères qui prédominent largement. Il y a donc là une nette séparation d’avec les réseaux alimentaires.

Le tremble présente un triple avantage qui explique ce choix quasi exclusif de la part des pics pour creuser leurs cavités : un bois tendre (bois blanc) comme tous les peupliers ; la grande fréquence d’arbres atteints de pourriture du cœur rendant encore plus facile leur creusement ; la présence d’une écorce relativement imputrescible formant un manchon protecteur autour des arbres en décomposition encore sur pied, permettant leur maintien prolongé et la sécurité des cavités creusées. Comme 45% des trembles présents sont morts ou en voie de dépérissement sur pied, compte tenu de leur relative rareté, cela ne fait que 7% des arbres qui sont potentiellement propices au creusement de cavités et encore les tempêtes en abattent-elles souvent un grand nombre, devenus trop fragiles. D’emblée, on a donc une situation de « tension du marché de l’immobilier » !

Outre la taille des cavités et la conformation de leur entrée, déterminantes dans le choix des occupants secondaires, les préférences écologiques des pics creuseurs induisent une seconde contrainte. Ainsi, le pic à nuque rouge tend à creuser ses loges près des lisières (à moins de trente mètres) alors que le pic chevelu, au contraire, fuit leur présence nichant au moins à cent mètres à l’intérieur.

La meilleure cavité possible

Les pics ont l’avantage initial de choisir le meilleur emplacement possible en tenant compte des contraintes liées aux essences car creuser demande de fortes dépenses énergétiques même avec un bec ad hoc ! Ainsi le choix d’une essence au bois tendre ou vermoulu économise des forces mais peut apporter des inconvénients en terme d’isolation thermique (il peut faire très chaud dans une cavité d’arbre en été pour les jeunes). Les creuseurs faibles (voir ci-dessus) qui utilisent du bois pourri courent le risque d’une piètre isolation et d’une certaine vulnérabilité par rapport aux prédateurs. Les pics tendent à creuser des cavités assez profondes ce qui augmente le volume (plus de place pour les jeunes) et limite l’accès des mammifères prédateurs tels que les martres ; le diamètre du trou d’entrée est ajusté le plus possible à la taille de l’oiseau ce qui, là aussi, limite l’entrée des prédateurs arboricoles plus gros, un risque majeur pour ces oiseaux en période de reproduction.

Les occupants secondaires doivent ensuite faire leur choix dans le « parc de logements » créés par les pics. Ils recherchent les cavités les plus adaptées à leur taille au niveau de l’entrée et au volume nécessaire pour leur nichée. Au final, l’offre se trouve donc encore plus réduite et les places sont très chères avec des situations de compétition parfois importantes. Ainsi, les étourneaux sansonnets, espèce européenne introduite, se montrent-ils très agressifs usurpant des cavités de pics (voir la chronique sur la guerre des cavités) ou d’occupants secondaires bien plus gros qu’eux comme les crécerelles et, plus étonnant, les garrots (gros canards) dont ils étouffent les œufs en les couvrant de matériaux !

Les creuseurs faibles

Ce petit groupe d’oiseaux qui creusent des cavités dans du bois pourri se distingue par quelques originalités. Le fait qu’ils puissent souvent aussi utiliser les cavités déjà creusées leur donne une place un peu hybride au sein du réseau de logements : ils sont liés à la fois aux arbres choisis qu’ils peuvent creuser et aux creuseurs primaires que sont les pics. Les quatre espèces concernées sont la sittelle à poitrine rousse (Sitta canadensis), très proche de notre sittelle européenne et trois espèces de mésanges dites grises (genre Poecile), proches des mésanges nonette et boréale présentes chez nous : la mésange à tête brune (P. hudsonicus), la mésange à tête noire (P. atricapillus) et la mésange de Gambel (P. gambeli). On constate qu’il y a un fort chevauchement entre elles par rapport à l’exploitation de la ressource cavités. Par exemple, dans la zone étudiée, la mésange de Gambel ne creuse pas de cavités comme elle peut le faire ailleurs : elle adopte le plus souvent les cavités du pic à nuque rouge ; elle se retrouve ainsi à nicher dans des cavités bien plus grandes que celles creusées par sa proche cousine la mésange à tête noire (ayant la même taille) qui, elle, creuse ses cavités. Les mésanges de Gambel souffrent ici d’une assez forte pression de prédation du fait sans doute de cette option pour des cavités plus grandes et de ce fait plus accessibles à des prédateurs !

La sitelle à poitrine rousse entre quant à elle souvent en compétition avec le pic mineur qui choisit les mêmes arbres qu’elle pour creuser ses cavités ; elle a élargi sa gamme de choix à au moins cinq espèces d’arbres et se montre capable aussi d’adopter les loges déjà creusées d’au moins trois espèces de pics. Elle a évolué vers une voie intermédiaire entre les creuseurs faibles et les occupants secondaires.

Un réseau très structuré

Réseau de nids de la communauté de cavernicoles des forêts de Colombie Britannique (Canada). Les chiffres entre parenthèses après chaque espèce indiquent le nombre de cavités creusées dans l’arbre ou habitées par tel vertébré. Prenons l’exemple du petit garrot (canard) : 22 cavités occupées ont été suivies lors de cette étude ; plus de la moitié étaient des cavités creusées par le pic doré (trait noir gras), une part inférieure à 50% était des cavités creusées par le grand pic (trait fin bleu) et une toute petite part était des cavités naturelles. Adapté (et colorisé !) d’après (2)

Quand on réunit toutes ces interactions très subtiles et complexes sur un même schéma, on obtient cette figure ésotérique et fascinante de réseau de nids entre cavernicoles et arbres. On voit que la force des interactions varie beaucoup selon les espèces. Trois d’entre elles se détachent nettement dans la structuration de ce réseau. Le tremble américain évidemment apparaît en position de force comme fournisseur presque exclusif de cavités (95% des cavités creusées !). A noter que l’étude a confirmé la place réduite occupée par les cavités naturelles (du fait de la décomposition naturelle du bois), sans doute parce que les cavités ainsi générées (rares par ailleurs) s’avèrent le plus souvent inutilisables à cause des prédateurs ; celles des pics présentent un très fort biais favorable puisqu’ils les ont creusées avec un objectif de sécurité maximale ! Les occupants secondaires, les plus nombreux dans la communauté, dépendent donc fortement des creuseurs primaires pour leur reproduction et leur survie (et aussi du tremble).

Parmi les creuseurs, deux pics se détachent très nettement. Le pic doré, de taille moyenne (28-36cm de long) est le plus abondant et creuse des cavités relativement grandes ce qui offre un choix élargi de cavités accessibles à une large gamme d’occupants secondaires. Son rôle s’avère même plus étendu dans la mesure où il peut ne plus se comporter aussi en utilisateur secondaire de cavités entrant ainsi en compétition avec ces derniers ! Le grand pic est une de la taille d’une corneille (40-49cm de long) et beaucoup plus rare. Pour autant, il joue un rôle essentiel pour certaines espèces occupants secondaires, de grande taille elles, aussi comme les deux espèces de garrots (G. à œil d’or et G. d’Islande), ou le crécerelle d’Amérique mais aussi pour le petit garrot qui par ailleurs utilise aussi les cavités du pic doré. On peut qualifier ces deux espèces de pics d’espèces ingénieurs de l’écosystème de par leur importance dans la structuration de la communauté. Ces ingénieurs transforment la ressource brute (les arbres vivants ou morts sur pied) en une ressource exploitable par les autres espèces associées.

On reste subjugué en tant que naturaliste devant la richesse de telles communautés car, en Europe, dans la majorité des zones forestières, la diversité est moindre sans être négligeable ; dans les forêts nordiques et boréales, on trouve des richesses plus fortes avec par exemple en Norvège sept espèces de pics qui produisent des cavités utilisées par 21 espèces de mammifères et oiseaux occupants secondaires mais pas présentes en même temps en un endroit donné. En plaine en France, l’expansion récente du pic noir (de la taille du grand pic américain) a considérablement élargi l’offre de cavités pour des occupants de taille moyenne comme les chouettes forestières ou le pigeon colombin. Il reste encore beaucoup à découvrir au niveau de cette communauté notamment du côté des mammifères avec notamment les chauves-souris arboricoles

méconnues.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Nest webs: A community-wide approach to the management and conservation of cavity-nesting forest birds. K. Martin ; J. M. Eadie. Forest Ecology and Management 115 (1999) 243-257
  2. NEST SITES AND NEST WEBS FOR CAVITY-NESTING COMMUNITIES IN INTERIOR BRITISH COLUMBIA, CANADA: NEST CHARACTERISTICS AND NICHE PARTITIONING. K.MARTIN et al. The Condor 106:5–19. 2004

A retrouver dans nos ouvrages

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Page(s) : 318-325 Le Guide Des Oiseaux De France