Cette chronique s’inscrit dans le cadre du confinement général lié à l’épidémie de Covid 19. Sous la rubrique générale « Jardin de déconfinement » je propose des activités dans votre jardin, si vous avez l’immense privilège d’en avoir un, même hyper modeste, où vous pouvez vous échapper un peu. Il s’agit de « profiter » de cette occasion pour (re)découvrir son environnement immédiat et mieux appréhender la biodiversité ordinaire (condamnée à l’être de moins en moins). Pour voir l’ensemble de ces chroniques, cliquer sur ce lien

Pavots subspontanés qui se ressèment partout comme les pieds d’alouette (bleus, en arrière plan) et poussent librement

12/04/2020

Pied de bryone qui va grimper sur le Callicarpa en arrière aux côtés d’une belle touffe de chélidoine

Avec le confinement, de nombreux observateurs s’accordent pour dire que « la nature » a rarement connu un tel calme s’est débarrassée en grande partie  des stress habituels : piétinement, dérangements, cueillettes, chasse, … Par contre, il est un milieu qui, au contraire, du fait du confinement, a vu la pression humaine décupler : je veux parler des jardins et espaces verts attenant aux maisons. Les tondeuses, les faucheuses, les débroussailleuses, les motoculteurs vrombissent comme jamais et semblent être devenus des échappatoires au désœuvrement … surtout pour la gent masculine ! Dur de voir des fleurs émerger des pelouses tondues et retondues tous les trois jours parfois ou des bordures manucurées et désherbées avec un zèle inhabituel ! Et si on arrêtait cette activité compulsive dont on ne sait plus trop le sens ni la raison d’être : et si, au contraire, on faisait une pause et que l’on décide désormais d’accorder le plus de place possible aux sauvages : les herbes folles, les « mauvaises herbes », les échappées de culture, les colonisatrices, … Que l’on déconfine enfin notre environnement le plus proche de notre emprise de fer : redonner à la biodiversité végétale locale toute sa place ! On essaie ? 

J’avais récolté ils a vingt ans des graines de pastel des teinturiers en Dordogne ; depuis, chaque année, j’en vois sortir des dizaines de pieds un peu partout ; comme c’est une bisannuelle, elle va disparaître d’ici pour réapparaître ailleurs.

NB La majeure partie des photos a été prise dans mon jardin depuis le début de la période de confinement ; j’essaie de le gérer sur la base de ces principes. 

Ne plus faire 

Dans le village, cette pelouse héberge des orchis boucs que la propriétaire évite soigneusement de tondre !

Pour cela, la première résolution doit consister à dire stop à un certain nombre d’activités mécaniques au sens de automatiques et totales. Désherber : peut-être mais laisser ça et là telle ou telle plante qui semble de premier abord intéressante. Même si vous ne la connaissez pas, et bien justement, laissez la grandir et fleurir rien que pour savoir qui elle est et juger, alors, s’il convient de la conserver. Au moins vous saurez faire le lien ensuite entre cette petite touffe de feuilles que vous avez épargnée et la plante entière qui en a émergé. Combien de pieds d’orchidées sauvages (orchis boucs et ophrys abeilles) s’installent dans les pelouses sous forme de rosettes de feuilles et n’ont jamais l’opportunité de pousser et de fleurir à cause de la tondeuse. Accepter que la pelouse ne soit pas un sinistre « gazon anglais », désert de biodiversité, gourmand en eau : en finir avec les critères esthétiques de la pensée unique du « tout propre et tout uni » ! 

Ceci vaut aussi pour le potager ! Les soi-disant mauvaises herbes apportent aussi des bénéfices : elles attirent des pollinisateurs, des auxiliaires prédateurs qui s’attaquent aux insectes ravageurs comme les pucerons. Evidemment, il vaut mieux ne pas laisser se développer les vivaces prolifiques comme les liserons ou le cirse de champs mais les annuelles restent très faciles à contrôler avec du paillage par exemple. 

Tondre, oui il faut bien si vous utilisez la pelouse comme lieu de récréation … mais espacez les tontes : laissez le temps aux « ras-du-sol » comme pâquerettes et pissenlits au moins de fleurir et attirer leurs lots de pollinisateurs ; ces plantes récupèrent vite du passage de la tondeuse. Ou bien décidez de ne pas tondre un carré réservé pendant tout le printemps : grand spectacle assuré avec l’apparition d’espèces dont vous ne soupçonniez absolument pas la présence. 

Si vous avez une partie verger ou au « fond » de votre jardin, ménagez un espace jamais tondu où vous laisserez se développer la flore locale ; les abords des composteurs sont des endroits idéaux pour cette fonction de « réserve naturelle » : avec de la chance, des orties s’installeront et serviront de nourriture pour des chenilles de vanesses paon-du-jour ou petite-tortue. 

Les grands coquelicots viennent tous seuls dès qu’il y a de la terre remuée

Vive le vagabondage !

Euphorbe des garrigues issue d’un semi naturel partir d’un pied introduit acheté en jardinerie : elle s’est installée au coeur de la murette, là où je n’aurais jamais pu la planter !

Certaines plantes cultivées ornementales tendent à se ressemer spontanément : si elles vous conviennent, , apprenez à les reconnaître aux stades plantules et préservez les où qu’elles s’installent ou bien transplantez les jeunes plants vers d’autres endroits du jardin. Ainsi, cela évite de réacheter des plants en jardinerie et des plantes ressemées par elles-mêmes se développeront bien plus vite et bien mieux. Laissez les s’installer un peu partout même aux endroits les plus incongrus : l’effet de surprise vaut largement la perte éventuelle de la sacro-sainte esthétique psycho-rigide. 

On peut aussi introduire certaines espèces sauvages via des graines récoltées dans la nature. Ne vous préoccupez pas de savoir si telle espèce va réussir à pousser dans votre jardin ; tentez votre chance : vous verrez bien ! Semez au hasard, un peu partout et prenez patience ! Parfois, certaines espèces ainsi semées n’apparaissent qu’au bout de deux ou trois ans à la faveur de terre retournée ou d’une pluie orageuse par exemple ! Parmi les espèces qui s’y prêtent bien et intéressantes par ailleurs tant pour leur beauté que leur intérêt écologique, citons les onagres, les molènes, les cardères, les linaires, les chélidoines, les coquelicots, … 

Parfois, des plantes cultivées réputées difficiles deviennent des afficionados de votre jardin, souvent pour des raisons qui échappent ; ainsi, dans mon jardin, j’avais introduit un pied de géranium sanguin récolté lors d’un chantier sur un talus de route : depuis, j’en ai des dizaines de touffes installées dans la rocaille et ailleurs au point que je dois ponctuellement en arracher car sa vigueur menace d’autres plantes que j’ai envie de conserver : il n’est pas interdit de réguler ! 

Cette scène (pavot de Californie et pastel des teinturiers) ne se reproduira pas l’an prochain : elles se ressèmeront ailleurs … peut-être ; il faut accepter l’incertitude !

Conservatoire 

L’ensemble des jardins et espaces verts représentent à l’échelle du pays une surface considérable qui échappe à la bétonisation, destruction, urbanisation, aspersion de pesticides (bannis désormais dans les jardins)  et autres maux actuels. Alors, si on en faisait des refuges, des relais pour la flore sauvage locale menacée. Là aussi, on utilise la méthode simple des graines récoltées ce qui demande une certaine organisation et une programmation en été/automne. Il faut repérer dans votre environnement proche des touffes de plantes peu communes (même sans les connaître) qui vous plaisent bien au niveau de leur aspect et de leur floraison, ou pour leur feuillage ou pour leur odeur, … et revenir bien après la floraison et récolter un peu de graines que l’on dispersera aux quatre coins du jardin dans des endroits a priori propices. 

Népéta cataire rescapé et ressemé ; ici devant un galéga ou lias d’Espagne spontané lui aussi

Ainsi, dans mon jardin, j’ai réussi à introduire une plante localement éteinte : le népéta cataire ; il ne restait plus que deux pieds le long d’un mur du village ; j’ai récolté les graines juste à temps car une semaine plus tard la sulfateuse à glyphosate était passée (c’était il y a quinze ans). Depuis, elle s’est acclimatée et multipliée au hasard des parcelles et je vais pouvoir envisager de la réintroduire dans le village ! Même chose pour le marrube (voir la chronique) quasiment disparu sur la commune : j’en ai désormais plus de huit touffes au pied de ma rocaille. Pour que ça fonctionne, il y aune condition indispensable : ne pas couper les inflorescences après leur floraison sous prétexte qu’elles sont fanées : en laisser au moins une bonne moitié former leurs fruits et disperser leurs graines ! 

Vous pouvez aussi devenir « producteur de graines » pour ces plantes et en proposer à des amis ou voisins : plus il y aura de refuges, plus cette plante aura des chances de revenir dans ses milieux naturels par dispersion spontanée. 

Voici donc quelques idées en vrac sur une autre approche du jardin, bien plus valorisante pour vous-même et surtout pour la biodiversité ; protéger celle-ci commence devant chez nous et avec nous ! La crise de la biodiversité touche autant notre flore indigène que celles des forêts tropicales !