Buteo buteo

12/02/2023 Champ cultivé où étaient posées dix buses (dérangées par un joggeur …St-Myon 63)

12/02/2023 Ce jour, lors d’une courte balade dans la plaine agricole près de chez moi, je tombe en arrêt devant un champ emblavé sur lequel sont posées dix … buses variables. En hiver, on ne croise guère les buses que solitaires ou par deux (certaines commencent alors à recomposer les couples). Un rapide coup de jumelle confirme ce que je pensais : elles sont en train de chasser des … vers de terre.

Buse en pleine chasse aux vers … pour l’instant, elle scrute …

C’est un comportement classique des buses mais très largement ignoré ou passé sous silence : d’ailleurs, pour rédiger cette chronique, j’ai longuement cherché dans la bibliographie pour ne trouver que des bribes éparses dans quelques articles. L’hiver dernier, j’avais déjà assisté d’assez près à ce manège très particulier de trois buses et j’avais pu prendre pas mal de photos depuis ma voiture garée sur l’accotement. Je me suis dit que j’avais malgré tout assez de matière pour en faire une chronique, même assez courte. 

08/02/2022 Trois buses en train de véroter dans une éteule de céréale (Effiat ; 63) au bord d’une route

Vérotage 

Le verbe véroter désigne l’action de chercher des vers pour la pêche mais a été repris dans le langage cynégétique pour décrire la prédation des vers par la bécasse qui pioche avec son bec dans le sol mou et humide pour en extraire des vers. 

Les buses variables chassent les vers de terre essentiellement en hiver, quand ils sont en activité et très proches de la surface. Normalement, les gros vers de terre ou lombrics ne sortent que la nuit : j’ai souvenir d’avoir « chassé » les vers à la lampe dans les allées du jardin familial avec mon père la veille d’une journée de pêche. Mais en hiver, par temps humide, dans les sols un peu gorgés d’eau ou très humides, ils s’activent de jour et restent près de la surface sans doute pour trouver de l’oxygène.

Cette buse vient de capturer un ver qu’elle est en train d’avaler

Mes quelques observations ont toutes été faites dans des champs labourés dans la grande plaine agricole ; selon l’étude anglaise citée en bibliographie, la seule qui aborde vraiment ce sujet, les buses le font encore plus dans les prairies permanentes à végétation rase en hiver et bien plus riches en vers de terre (les travaux agricoles dérangent les vers). 

La technique de chasse des buses est bien rodée. Tout se passe au sol : la buse reste immobile et scrute attentivement autour d’elle en tournant la tête ; brusquement, soit elle se met à courir en se dandinant comme une poule et se précipite sur la proie repérée qu’elle saisit avec son bec ; on la voit alors tirer en étirant son cou vers le haut pour extirper le ver qui cherche à s’enfoncer. Aussitôt sorti, le ver est avalé : tout va très vite. D’autres fois, elle s’envole à peine ou écarte ses ailes pour se jeter sur le ver repéré. Ainsi, quand elles sont plusieurs, on assiste à un ballet du plus bel effet. J’en ai ainsi observé jusqu’à quinze ensemble ce qui laisse à penser qu’il doit y avoir un effet attractif quand l’une se met à véroter : son comportement typique doit attirer l’attention d’autres buses plus ou moins loin qui, avec leur vue perçante, doivent détecter de tels mouvements inhabituels. 

Court envol très bas pour tomber sur le ver

Complément alimentaire

Buse avec une taupe, une proie assez fréquente à la belle saison (diorama du Musée Lecoq, Clermont-Ferrand)

La littérature sur le régime alimentaire de la buse dit classiquement qu’il se compose à 90% de petits mammifères dont des petits rongeurs du type campagnols très communs dans les champs cultivés et sujets à des pullulations régulières. Généralement, on ajoute qu’elle « chasse aussi des invertébrés dont des vers » mais sans guère en dire plus. Ceci tient avant tout au fait que la détermination du régime alimentaire se fait avant tout à partir des analyses des restes alimentaires trouvés dans les pelotes de régurgitation. Compte tenu de leur consistance molle, les vers une fois avalés sont pratiquement entièrement digérés et on n’en retrouve aucune trace dans les pelotes qui concentrent les restes animaux non digestibles (os, poils, écailles, dents,  ..).

Aire de buse : une source de restes alimentaires (pour les naturalistes grimpeurs …) mais en dehors de l’hiver

D’autre part, comme cette chasse ne se pratique apparemment qu’en hiver si bien que l’on ne trouve pas plus de restes de vers au niveau des nids (aires), une autre source de données pour établir le régime. Tout ceci indique que la consommation des vers de terre doit donc être très largement sous-estimée et passe complètement « sous les radars » des analyses. En Angleterre, Newton qui a publié en 1982 une grosse synthèse sur le régime alimentaire de la buse variable n’en a trouvé qu’une fois l trace dans des pelotes ; et pourtant, cet auteur ajoute avoir souvent observer lui aussi des buses entrain de véroter en hiver. 

Cette buse à l’affût en été sur un piquet chasse des petits rongeurs ou de gros insectes mais pas des vers

Vu la richesse en protéines des lombrics et leur haute valeur énergétique, ils doivent constituer en plein hiver une ressource majeure qui en plus ne demande aps une dépense énergétique excessive à part courir un peu. Mis, cette ressource n’est accessible que par des conditions météorologiques favorables : un temps doux et humide ; peut-être que le réchauffement climatique en cours favorise cette activité en réduisant les jours de gel défavorables ?

La buse ne chasse pas du tout en vol : elle se déplace ou parade et défend son territoire

Risqué ? 

On sait que les vers de terre se trouvent en première ligne des victimes directes des épandages de pesticides qui se retrouvent dans les sols, vu qu’ils se nourrissent des débris végétaux en surface. Ils tendent donc à concentrer de nombreux polluants présents dans le sol. On peut donc s’interroger sur les risques d’exposition indirecte à ces polluants pour les buses qui en consomment beaucoup. 

Une étude allemande réalisée en 1995 confirme largement ces craintes suite à la découverte de buses mortes près de champs de betteraves fourragères traitées avec un insecticide du groupe des carbamates, le carbofuran et épandu sous forme de granulés. Les chercheurs ont analysé les vers des parcelles traitées et les contenus stomacaux des buses récupérées mortes. Les lombrics contenaient des doses de carbofuran allant jusqu’à 3,2mg/kg ; les restes de vers trouvés dans les estomacs des buses étaient aussi contaminés mais avec des concentrations encore supérieures. Les chercheurs expliquent cette surconcentration au fait que les buses doivent ingérer un peu de terre qui colle aux vers extirpés et renfermerait des granulés non dissous de ce pesticide. Sur la base d’une consommation estimée à 100 grammes de vers par jour, contaminés avec des doses moyennes de 2 mg/kg on arrive à une exposition indirecte des buses de l’ordre de 0,2mg/kg en ne comptant que les vers eux-mêmes. 

Certes, le carbofuran est interdit en France depuis 2008 compte tenu de sa haute toxicité (il aura eu le temps de sévir ….), mais on sait trop le nombre élevé d’autres pesticides tout aussi toxiques (et souvent rémanents, i.e. persistant très longtemps dans le sols) qui sont toujours utilisés avec sans cesse de nouvelles formules (voir la chronique sur la sous-estimation de l’impact des pesticides). 

Regard fixe, cou relevé : la frappe ne va pas tarder …

Donc, si en hiver en circulant dans les zones cultivées, vous voyez plusieurs buses posées dans un champs, arrêtez-vous à distance et observez-les : vous aurez la chance de les voir véroter à votre tour. 

Bibliographie 

THE COMMON BUZZARD IN LOWLAND UK: RELATIONSHIPS BETWEEN FOOD AVAILABILITY, HABITAT USE AND DEMOGRAPHY Kathryn H. Hodder A thesis submitted for the degree of Doctor of Philosophy 2001 

Mortality of Birds of Prey Following Field Application of Granular Carbofuran: A Case Study D. R. Dietrich et al. Archives of environnemental Contamination and Toxicology 29 (1995) 140-145