Chrysaora hysoscella

03/07/2021 A l’occasion d’un séjour en Vendée, j’ai observé de nombreuses méduses échouées sur les plages, d’une espèce que je ne connaissais pas auparavant : la méduse-boussole. Bonne occasion donc d’en savoir plus sur cette espèce et sur le monde si étrange de ces animaux pélagiques qui, pour moi strict terrien, ne sont accessibles qu’à l’occasion de leur échouage sur la plage.   

Rayonnée 

Rien de plus facile que de reconnaître cette espèce de méduse d’une taille moyenne à grande de 10 à 30cm de diamètre : son ombrelle un peu aplatie, la « cloche » qui lui permet de nager, porte un motif unique en son genre : seize bandes brunes rayonnant depuis le centre marqué d’une tache brune et se divisant en deux en forme de V. Ce motif qui rappelle celui des boussoles antiques avec la rose des vents lui vaut son surnom de méduse-boussole repris en anglais (compass-jellyfish) ou bien de méduse rayonnée.

Motif de boussole antique

C’est souvent tout ce que l’on voit des individus échoués depuis un certain temps et déjà dégradés, la face ventrale vers le sable. Sur les méduses fraîches, on peut noter en plus tout autour de l’ombrelle 32 festons arrondis tachés de brun. La teinte générale de l’ombrelle varie fortement de brun foncé à presque blanc selon les individus mais toujours avec une forte  transparence liée à la consistance gélatineuse du corps de ces animaux. 

Les 32 festons sombres tout autour de l’ombrelle

Le dessous de l’ombrelle n’est accessible que sur les individus très frais et pas encore complètement échoués (mais alors, soyez très prudents pour les observer plus en détail !) : les tentacules urticants typiques des méduses se trouvent ici tous distribués au bord de l’ombrelle en trois paquets de huit, avec un organe sensoriel (rhopalie) inséré entre deux groupes successifs. Cette disposition particulière signe l’appartenance à la famille des Pélagidées. Ces tentacules transparents représentent un réel danger (voir ci-dessous) si on les touche.

Dessin de Ernst Haeckel publié en 1904

Au centre de l’ombrelle, s’ouvre la bouche au centre d’une sorte de trompe pendante (le manubrium) qui porte quatre longs bras, des tentacules buccaux brun foncé, épais et très plissés pouvant atteindre deux mètres de long. Ce sont eux qui recueillent les proies « tuées » par les tentacules externes et les portent vers la bouche et la cavité centrale. Les longs bras buccaux sont une seconde signature de la famille des Pélagidées. 

Restes des bras buccaux sombres et festonnés

Vous aurez sans doute noté la « précision » des nombres de tentacules, de bras, de festons, tous en nombre pair. Ceci reflète la structure rayonnée de ces animaux qui appartiennent au grand groupe des Cnidaires (voir la chronique générale).

Autres méduses 

Méduse chou-fleur sur la plage

Sur les côtes atlantiques, si les échouages sont méduses sont fréquents, le nombre d’espèces couramment observées reste assez limité mais ceci pourrait changer rapidement avec le changement climatique qui amène de plus en plus en plus souvent des espèces d’eaux chaudes jusque sur nos côtes. Deux autres espèces dominent souvent sur les plages : la méduse lune et la méduse chou-fleur, très différentes de la méduse-boussole. Plus rarement, la méduse à crinière de lion peut aussi être trouvée.

Méduse à crinière de lion

La clé ci-jointe permet de les identifier assez facilement à condition de disposer d’individus pas trop abimés. 

1a : Grosse méduse épaisse en forme de dôme. Bord de l’ombrelle divisé en nombreux lobes, sans tentacules. Jusqu’à 90cm de diamètre : Méduse chou-fleur (Rhizostoma pulmo

1b : En forme de soucoupe ; bord de l’ombrelle avec des tentacules : voir 2

2a : Bord de l’ombrelle avec 16 lobes et 8 groupes de tentacules, chaque groupe comptant 40 à 150 tentacules : voir 3

2b : bord de l’ombrelle différent : voir 4

3a : Bord de l’ombrelle avec 8 groupes de tentacules, chacun avec 70 à 150 tentacules : Méduse à crinière de lion (Cyanea capillata)

3b : Bord de l’ombrelle avec 8 groupes de tentacules, chacun avec 40 à 60 tentacules : Cyanée bleue (C. lamarckii)

4a : Bord de l’ombrelle avec 8 encoches et de nombreux tentacules courts. Quatre taches violettes semi-circulaires ou en forme de fer-à-cheval (organes sexuels ou gonades) visibles sur le dessus : Méduse commune ou M. lune (Aurelia aurita)

4b : Bord de l’ombrelle avec 32 lobes tachés de brun ; 24 tentacules en 3 groupes de 8 ; sur le dessus de l’ombrelle 16 marques brun foncé en forme de V rayonnant depuis le centre : Méduse-boussole (Chrysaora hysocella).

Échouages

Les méduses-boussoles débarquent régulièrement sur les côtes de la Méditerranée et de l’Atlantique jusqu’en Mer du Nord sous forme d’échouages au gré des vents et des courants ; elles se manifestent souvent sous forme d’arrivages massifs suite à des proliférations locales depuis surtout les années 1990. On les observe surtout au printemps avec des apports jusqu’en septembre. Elle vit dans des eaux froides à tempérées dont la température varie de 4 à 28°C. le réchauffement global lui est probablement favorable et expliquerait l’augmentation de la fréquence des épisodes d’échouages massifs sur les côtes. Elles viennent du large, progressant entre deux eaux, proches de la surface, se déplaçant sur de longues distances. Ses apparitions varient d’une année à l’autre avec peut-être des cycles d’abondance tous les trois ans.

Le réchauffement global agirait surtout via leur nourriture principale, le zooplancton, dont le développement est favorisé dans des eaux plus chaudes sous ce contexte tempéré. Ces minuscules animaux nageurs dans les eaux de surface sont paralysés lors de leur contact avec les tentacules externes armés de cellules urticantes capables d’injecter leur venin (voir la chronique sur les cnidaires) ; ces proies sont ensuite transmises vers les quatre bras buccaux qui les guident vers la bouche. Au large des côtes de la Namibie, dans le courant froid de Benguela, la surexploitation des sardines et anchois, gros consommateurs de zooplancton au cours des années 60, a libéré cette niche alimentaire et permis indirectement une prolifération exponentielle de la méduse-boussole. Parallèlement, le fort déclin de leurs principaux prédateurs, les tortues marines, doit amplifier ce processus de prolifération générale. 

Il ne reste plus qu’un fantôme encore reconnaissable !

A noter que sous l’ombrelle et le manubrium central (voir ci-dessus) des méduses flottantes viennent se réfugier de jeunes poissons de la famille des Carangidés tels que les chinchards qui semblent apparemment immunisés contre le venin des tentacules à l’instar des poissons-clown (Nemo !) avec les anémones de mer. 

Dangereuse

Comme la majorité de leurs congénères, les méduses-boussoles sont très urticantes et peuvent provoquer des réactions violentes chez les personnes sensibles. Même échouées, elles restent dangereuses car tout contact avec leurs tentacules déclenche automatiquement la décharge des cellules urticantes et de leur venin ; elles réagissent (tant qu’elles sont encore en vie) comme s’il s’agissait d’une proie. 

En 1997, suite à un échouage massif dans le Golfe de Trieste en Italie, plus de 90 personnes furent touchées ; dans les 48 heures qui suivent le contact, on observe un érythème puis un œdème, accompagnés de sensations de brûlures et de démangeaisons ; chez certaines personnes la réaction peut être très rapide dans les 40 secondes suivant le contact avec le développement de vésicules cutanées et la sensation de brûlure. En fait, comme cette espèce était longtemps restée rare, on commence seulement à disposer de données sur sa toxicité de contact avec la peau. En cas d’envenimation, il est conseillé de ne pas frotter la peau directement avec la main et de retirer les tentacules en rinçant la peau à l’eau de mer, en appliquant de la mousse à raser (à défaut du sable sec) puis en les décollant avec un carton rigide.

Donc, sur la plage, si vous rencontrez l’un de ces animaux échoués et que votre curiosité vous pousse par exemple à vouloir la retourner pour examiner le dessous de l’ombrelle, il ne faut le faire qu’avec un long morceau de bois en maintenant bien une distance de sécurité et tout contact ! 

Demi-vie fixée 

Le cycle de vie des cnidaires comporte deux formes très différentes qui alternent successivement : le polype, forme fixée non sexuée et la méduse, forme sexuée libre nageuse (voir la chronique) ; mais selon les nombreux groupes qui composent cet embranchement animal, l’importance relative de ces deux formes varie considérablement avec des extrêmes où seule la forme polype existe (comme les anémones de mer). Chez la méduse-boussole, la forme méduse prédomine tandis que la forme polype devient réduite tant en taille qu’en durée. 

Cycle de vie de la méduse Aurelia aurita
a) Polype entrain de se scinder
b) Méduse éphyra
c) Méduse adulte
d) Larve planula

Contrairement à la majorité des méduses où les deux sexes sont clairement séparés (des méduses mâles et des méduses femelles différentes), la méduse-boussole connaît une sexualité évolutive au cours de son année de vie moyenne : mâle au stade jeune, elle devient hermaphrodite au stade adulte puis finalement femelle. Les ovules sont fécondés à l’intérieur du corps (probablement par autofécondation interne) et donnent des larves nageuses très simples dites planulas, libérées en été ou automne. Elles se déplacent pendant quelques jours puis se fixent sur le fond pour se transformer en petit polype. Ce dernier se développe en hauteur tout en subissant un découpage transversal (strobilation) donnant un empilement de nouveaux individus. Ceux du sommet se détachent à partir du printemps sous forme de « larves » dites ephyra qui rapidement se transforment en jeunes méduses à huit tentacules. Celles-ci grandissent rapidement tout en se transformant et deviennent matures au cours de l’été. 

A noter que dans le groupe des Discoméduses où se situe la famille de la méduse-boussole (tout comme les quatre autres méduses citées ci-dessus), les polypes possèdent une forme de résistance capable de s’enkyster (podocyste).

Bibliographie 

Classification phylogénétique du vivant. G. Lecointre et al. Ed. Belin 2017

A student’s guide to the seashore. J.D. Fish ; S. Fish. Cambridge University Press. 2011

A note on the diet and feeding of Chrysaora hysoscella in Walvis Bay Lagoon, Namibia, during September 2003.BA Flynn and MJ Gibbons African Journal of Marine Science 2007, 29(2): 303–307