A chaque marée haute ou lors des tempêtes, les vagues et la houle déposent sur les plages de sable un étroit liseré de « débris » naturels issus de la biodiversité marine et le triste lot des innombrables déchets issus des activités humaines : la laisse de mer.

Parmi les « débris » naturels (voir l’exemple des coquilles de bivalves) déposés figurent en tête des algues, parfois en très grandes quantités. Leur accumulation, notamment en hiver, donne le varech ou goémon, bien connus des populations locales comme amendement pour les terres agricoles. Elles représentent pour les plages de sable un apport de matière organique crucial pour un environnement naturellement très pauvre en nutriments.

Trop souvent, on ne s’intéresse à cette laisse que pour s’en plaindre : pas beau, puant, gluant, insupportable, … et j’en passe. Dans cette chronique, nous allons au contraire montrer la richesse de ce dépôt en découvrant la diversité des algues que l’on peut observer à ciel ouvert dans les laisses de mer sur les plages.

Algues

Les laisses recueillent les macroalgues, i.e. les « grandes » algues marines visibles à l’œil nu (versus les innombrables algues microscopiques du plancton). Elles forment souvent (mais pas forcément) l’essentiel du volume des laisses de mer en petits paquets épars, ou en amas denses et conséquents donnant des cordons continus.

On distingue trois grands groupes de macroalgues marines : les algues vertes (Ulvophytes), les algues rouges (Rhodophytes) (voir la chronique) et les algues brunes (Phéophycées).

La majorité des algues marines vivent fixées sur des supports : elles colonisent donc essentiellement les fonds rocheux. Cependant, un certain nombre d’entre elles, surtout des algues rouges, s’accrochent sur d’autres algues plus grandes dont les laminaires (voir ci-dessous) vivant ainsi en mode épiphyte. On les retrouve donc fixées sur les grosses « fausses-tiges » (stipes) des laminaires échouées. Elles peuvent aussi s’ancrer sur des coquilles ou des objets susceptibles d’être déposés.

De la même manière, sur les algues échouées, surtout les laminaires, on peut trouver des animaux (souvent encore en vie si l’échouage est très récent) qui s’y trouvaient quand elles ont été décrochées : soit des animaux fixés (bryozoaires, hydraires) ou des gastéropodes en train de se nourrir.

Les algues des laisses se détachent des fonds marins où elles vivaient fixées, du fait notamment de phases de mortalité saisonnière dans leur cycle de vie, ou bien se brisent lors des tempêtes. La grande majorité vient des fonds marins proches de la plage y compris de la partie basse de l’estran découvert au plus bas des marées pour les algues qui supportent les émersions répétées (Fucus par exemple). Ceci explique la grande variabilité de la composition en algues des laisses de mer selon, notamment, que le fonds adjacent à la plage est sableux ou rocheux.

Pour les algues rouges, très nombreuses dans les laisses, nous renvoyons à la chronique publiée antérieurement sur ce groupe foisonnant de diversité.

Algues vertes

Dès que l’on parle d’algues vertes marines, on pense de suite aux sinistres marées vertes qui empoisonnent les côtes bretonnes. Ce sont des Ulves (laitues de mer), algues sous forme de lames très minces d’un beau vert, à vie courte éphémère et à croissance très rapide avec une succession de générations en cours d’été, quand l’eau se réchauffe. En vieillissant, elles se détachent et commencent aussitôt à se décomposer dans l’eau. Si les conditions de température sont favorables (chaleur), elles peuvent par contre rester en suspension et se casser en une multitude de fragments, capables chacun de redonner un individu. Elles finissent ainsi par constituer un banc flottant pouvant atteindre un mètre de hauteur.

A marée haute, entraînées passivement par le flux montant, elles s’échouent sur la plage en lourds amas non repris ensuite. Chaque marée dépose son fardeau qui s’ajoute, formant des accumulations colossales. Très fragiles, elles meurent et entrent aussitôt en décomposition en blanchissant de manière caractéristique. Dans les amas à l’air libre, la couche supérieure se dessèche au contact de l’air : une sorte de croûte blanchâtre à consistance de papier se forme et isole la masse en-dessous : celle-ci entre alors dans une phase de décomposition anaérobie (en absence d’oxygène) qui génère entre autres substances toxiques de l’hydrogène sulfuré (odeur d’œufs pourris). Ces marées vertes représentent donc pour l’écosystème côtier une forme de pollution considérable qui anéantit entre autres toute vie dans les laisses de mer qui se déposent par ailleurs.

Ces ulves vivent naturellement fixées à faible profondeur ; on les observe notamment dans les cuvettes découvertes à marée basse sur les estrans rocheux. Leur prolifération résulte des apports accrus de nutriments dissous (azote, phosphore), issus de l’agriculture intensive (cultures et élevage) sur les terres côtières et entraînés vers la mer via le ruissellement naturel. Comme les ulves supportent très bien les fortes variations de salinité propres aux zones d’estuaires ou les bas de plages (qui reçoivent des apports réguliers d’eau douce par ruissellement), elles vont proliférer dès que les températures augmentent. La crise climatique en cours vient donc s’ajouter à cette eutrophisation (enrichissement en nutriments) pour créer un cocktail explosif …

Ces pullulations d’origine humaine n’ont, heureusement, pas lieu partout, même si elles tendent à se répandre. On trouve donc dans les laisses « normales » des algues vertes mais en petites quantités : des ulves ; des cladophores en forme de filaments ramifiés ou pas ; les curieuses « cornes de velours » (Codium tomentosum), faisant penser à des éponges, avec des cordons ramifiés en fourches ; …

Algues brunes

Sur les côtes atlantiques, les laisses sont le plus souvent dominées par les algues brunes : elles sont les plus grandes et se reconnaissent à leur teinte générale brun doré à brun foncé ou vert olive brunâtre. En dépit d’une apparence physique convergente avec les algues vertes et rouges, les algues brunes n’ont rien à voir avec celles-ci : elles ont évolué dans une grande lignée évolutive très éloignée en termes d’apparentement alors que les deux autres s’insèrent dans la même grande lignée (Métabiontes : voir la chronique Algues rouges) d’où ont émergé les plantes terrestres. De ce fait, on utilise un vocabulaire scientifique spécifique pour les décrire : on parle ainsi de thalle pour nommer le « corps » de ces algues.

Elles renferment des substances de type gommes qui éloignent les herbivores : ainsi, quand elles se décomposent après échouage, elles tendent à devenir gluantes et glissantes. Leurs thalles ont par ailleurs la faculté de fixer certains éléments minéraux présents en très faibles quantités dans l’eau de mer comme l’iode qu’elles concentrent jusqu’à des valeurs 60 000 fois supérieures à celle de l’eau de mer. Lors des tempêtes, leur accumulation et leur fragmentation libère une partie de cet iode sous forme volatile ce qui donne des embruns aux senteurs iodées que l’on peut détecter jusqu’à plusieurs kilomètres en terre !

Les arrivages d’algues brunes se font surtout en hiver après les grandes tempêtes qui les arrachent des fonds où elles vivent solidement ancrées. Ce sont elles qui sont très recherchées comme engrais naturels à épandre sur les cultures sous les appellations bien connues de varech (d’un mot du 12ème siècle, werec signifiant algues de mer) et/ou de goémon (du breton goumon synonyme de varech). 

On distingue deux grands groupes : les Fucales avec les Fucus entre autres et les Laminaires.

Laminaires

Les laminaires sont en majorité des macroalgues « géantes » avec des genres pouvant atteindre 30 à 80 mètres de long ! Elles croissent en peuplements denses dans des eaux peu profondes (en majorité non découvertes sauf un peu aux marées extrêmes) sur des fonds rocheux dans des eaux riches en nutriments mais relativement froides (6 à 14°C). Au moins huit espèces peuvent être rencontrées dans les laisses de mer. Elles sont tellement spectaculaires et photogéniques que nous allons les détailler un peu.

Elles vivent fixées à un support solide par une structure de forme très variée, un crampon solidement collé ; pour bien signifier qu’il ne s’agit en aucun cas d’une racine, les algologues le nomment haptère (du grec hapto, accrocher). Celui-ci porte un « faux-tronc », un stipe (de steibh, bâton), surmonté d’une « fausse-feuille », une fronde en forme de grande lame (d’où le nom de laminaire) plus ou moins découpée ou de rubans voire de très longs cordages. Du fait de cette apparence arbustive et de leur robustesse, on parle souvent de forêts sous-marines de laminaires pour désigner leurs peuplements en mer.

La laminaire rugueuse (Laminaria hyperborea) se distingue par son thalle pouvant atteindre trois mètres de long avec une fronde lame découpée en lanières larges sur un stipe vigoureux mesurant jusqu’à 2m. Celui-ci a un toucher rugueux typique qui en fait un support recherché par de organismes épiphytes dont des algues rouges (voir ci-dessus). Chaque thalle peut vivre dix à quinze ans et on peut évaluer son âge par une section du stipe en comptant les stries d’accroissement. Chaque année, au printemps, à la jonction du stipe et de la fronde, se forme une nouvelle lame fraîche qui repousse l’ancienne, laquelle reste rattachée un temps par un étranglement étroit. Ce dernier finit par se rompre sous l’effet des courants et des vagues : ainsi, chaque année, en avril-mai, on voit arriver massivement sur les plages situées face aux peuplements ces anciennes frondes « éjectées » connues sous les noms populaires de mantelets ou de fleurs de Mai ! deux autres espèces proches peuvent être observées : la laminaire digitée (L. digitata) au stipe lisse ou la L. blanc-jaunâtre (L. ochroleuca).

La laminaire sucrée (Saccharina latissima) mérite bien son surnom populaire de courroie de Neptune avec sa fronde très allongée (jusqu’à 3m de long), étroite, en forme de baudrier non découpé mais fortement ondulé, comme gaufré. L’adjectif sucré (voir le nom de genre Saccharina) provient du fait que sur les thalles qui sèchent se forment des cristaux de sucres. Elle aussi renouvelle une partie de son thalle chaque année (plus clair et séparé aussi par un étranglement).

Même si vous n’êtes pas un fondu des laisses, vous connaissez forcément la laminaire suivante avec ses crampons qui rappellent irrésistiblement des jouets en plastique pour chiens : une grosse boule difforme (jusqu’à 50cm de diamètre), en forme de bulbe creux, de consistance caoutchouteuse et couvert de verrues. Il s’agit de la laminaire à bulbe (Saccorhiza polyschides) ; Saccorhiza signifie racine (Rhizo) en forme de sac (sacco). Très souvent on ne trouve que cet élément isolé qui a de quoi intriguer le novice quant à son origine !

La laminaire à bulbe entière est massive pouvant atteindre exceptionnellement jusqu’à 10m de long sur 3,5m de large ! Le crampon est accroché au support via des excroissances faisant penser à des racines mais elles n’ont aucune fonction de prélèvement de nutriments ou d’eau. Il entoure en fait la base du stipe qui émerge sous forme d’une lame épaisse, de dix centimètres de large sur un à deux mètres de long, bordée de plis ondulés (surnommés les « falbalas »). Il supporte la vaste fronde brun doré, en forme d’éventail découpé en lanières (d’où l’épithète latin polyschides), souvent trouée et qui porte des touffes de poils brunâtres.

Mais on n’observe que rarement ce thalle échoué car il est relativement fragile : contrairement à la plupart des laminaires, la L. à bulbe est annuelle. Par contre, il grandit très vite ce qui en fait une algue dite opportuniste capable de coloniser, voire d’envahir des espaces libérés. La base du stipe et le bulbe, nettement plus robustes, persistent plus longtemps sur le support de fixation tout en subissant les assauts des brouteurs (gastéropodes notamment) ; ceci explique son aspect souvent troué quand on le trouve échoué. Tant qu’ils restent fixés, les bulbes servent de refuges pour divers animaux cherchant à s’abriter des prédateurs.

Fucales

Le second groupe d’algues brunes, les fucales, reste assez différent d’aspect tout en présentant une forte diversité. Il est représenté par huit genres sur les côtes atlantiques. Ce groupe colonise massivement la partie supérieure de l’estran, y compris celle découverte à chaque marée en supportant les émersions périodiques. Ces algues forment des ceintures brun foncé, très sombres, sur les zones rocheuses essentiellement. On les retrouve échouées surtout en hiver après les tempêtes.

Au moins six espèces de fucus (nom latin équivalent du varech), assez proches, peuvent s’observer. Ils partagent des thalles aplatis ramifiés en fourches (dichotomes). Certains portent des grosses vésicules remplies d’air servant de flotteurs. Les organes reproducteurs ou conceptacles se trouvent au bout des ramifications des thalles et libèrent en période de reproduction une gelée (orangée chez les mâles et verte pour les femelles) renfermant les cellules sexuelles.

Fucus et Himanthalia (en bas à droite) avec sa base en disque. Phycologia Brittanica 19ème siècle

Le haricot de mer (Himanthalia elongata), espèce annuelle, se démarque par son mode de croissance très rapide et original. Les jeunes apparaissent sous forme de vésicules arrondies qui élaborent un disque de deux centimètres porté sur un petit pied. De là, va ensuite émerger l’appareil reproducteur sous forme de deux épaisses qui ensuite se bifurquent (jusqu’à 3m de long) et qui portent les réceptacles. Cette partie est récoltée et consommée sous l’appellation de haricots de mer. Cette algue forme des chevelures glissantes très denses qui recouvrent entièrement les rochers. Souvent, on ne trouve que les lanières échouées.

L’ascophylle noueuse (Ascophyllum nodosum), espèce pérenne, se reconnaît facilement à ses thalles en lanières aplaties, à consistance de cuir souple, d’un brun verdâtre foncé et parsemées de sortes de renflements pleins d’air, des flotteurs. En principe, le nombre de flotteurs le long d’un thalle indique l’âge de l’algue qui peut atteindre 15 ans. Sur les côtés des lanières, on trouve des conceptacles reproducteurs pédonculés.

Sargasses

Toujours au sein des Fucales, on trouve des algues au nom familier : les sargasses. Leur nom vient d’un mot espagnol sargasso qui signifie varech. On les connaît pour deux raisons. D’une part à cause de la mer des Sargasses située dans l’Atlantique à l’Ouest des îles Canaries où ces algues qui vivent en flottant près de la surface de l’eau forment de gigantesques radeaux, sièges d’une riche biodiversité en pleine mer. C’est là que les anguilles viennent pondre et où naitront les larves qui migreront ensuite vers les rivières qu’elles remonteront (civelles). D’autre part, elles font beaucoup parler d’elles aux Caraïbes depuis les années 2010 où elles sont devenues un problème écologique majeur par leur prolifération, donnant de gigantesques marées brunes.

En France, une seule espèce de sargasse s’observe de plus en plus fréquemment : la sargasse du Japon (Sargassum muticum), une espèce introduite depuis 1975 avec l’importation de larves d’huîtres du Japon (Crassostrea gigas). Elle a rapidement colonisé tout le littoral grâce à sa résistance au dessèchement et aux variations de température et de salinité. Le thalle fragmenté redonne autant de nouveaux individus après avoir été dispersé. Elle peut atteindre plusieurs mètres de long et se distingue par la présence d’une multitude de petits flotteurs latéraux portés chacun par un pédoncule. Elles échouent en gros paquets denses, jaune verdâtre à brun rougeâtre, sur les plages.  Vite recouverts par le sable, ils virent au noir en se desséchant.

Les flotteurs se détachent assez facilement et échouent eux aussi formant des lignes de billes brunes (2 à 6mm de diamètre) insolites. Contrairement aux sargasses citées ci-dessus, elle est fixée sur les fonds sableux et abrités grâce à un disque basal.

Voleuse d’huîtres !

Terminons cet inventaire très partiel des algues des laisses de mer avec une dernière algue brune en dehors des deux groupes ci-dessus, au nom populaire qui interpelle ! Son nom de genre, Colpomenia, vient du grec signifiant « qui reste creux ». En effet, cette algue annuelle se présente sous forme de boules brunes creuses assez irrégulières (cabossées) avec une paroi lisse et mince très fragile. Elles sont soit pleines d’eau ou d’air, prenant une coloration plus ou moins foncée selon leur contenu. La plupart ne dépassent guère les 7 à 8cm de diamètre. Elles se fixent sur des supports variés grâce à un crampon fait de filaments : chez les individus bien développés, ces derniers deviennent cachés par les replis à la base de la grosse vésicule.

L’épithète latin du nom d’espèce peregrina signifie voyageuse ; en effet, comme les sargasses ci-dessus, elle aurait été introduite dans les années 70 avec les huîtres japonaises depuis les côtes pacifiques d’Amérique du nord. Elle a désormais colonisé l’ensemble des littoraux européens.

Initialement, elle a explosé au sein des parcs à huîtres. Là, souvent, elle se fixe sur les coquilles d’huîtres. A marée basse, la vésicule peut perdre son eau et se remplir d’air ; après le retour de la mer, la poche pleine d’air se comporte comme un ballon qui soulève alors l’huître porteuse et l’entraîne dans sa dérive : d’où ce surnom de voleuse d’huîtres.

Dans d’autres chroniques à venir, nous aborderons le devenir de ces algues échouées, un élément capital dans l’écologie de l’écosystème plage de sable ; nous découvrirons aussi la biodiversité terrestre et marine qui exploite ce filon nutritif apporté inlassablement par les marées.

Bibliographie

Guides des algues des mers d’Europe. J.Y. Floc’h et al. Ed. Delachaux et Niestlé. 2006

Site internet DORIS (Données d’Observations pour la Reconnaissance et l’Identification de la faune et la flore Subaquatiques)