Tichodroma muraria

Le bel oiseau-papillon d’apparence exotique (cliché Kookaburra81 ; C.C. 4.0.)

17/11/2023 Certains oiseaux intriguent dès qu’on prononce leur nom : le tichodrome échelette est un champion dans cette catégorie avec son nom ésotérique ! Cette espèce de passereau, méconnue du grand public, est strictement inféodée milieux rocheux, naturels et/ou artificiels : on parle d’espèce rupestre (de rupes, paroi de rocher). Cet oiseau niche en haute montagne, dans des sites difficiles d’accès, mais descend en hiver dans les plaines et les massifs de piémont et va jusqu’à fréquenter des édifices dans les grandes villes : il devient alors relativement plus facile à observer. Mais il se mérite car ses effectifs restent très modestes. Cette chronique va donc s’attarder sur les mœurs hivernales de cet oiseau mystérieux et discrètement étrange.

NB : les dessins noir et blanc ci-dessous sont extraits de l’article 4 en Bibliographie (M. Slaniga)

Grimpeur

Mâle nuptial en haut (gorge noire) et femelle en bas (plumage hivernal du mâle aussi)

Les noms vernaculaires français (noms « communs ») sont souvent très académiques et directement inspirés des noms latins scientifiques. Ainsi tichodrome, version francisée du nom de genre Tichodroma, n’a rien d’un nom populaire : il vient des racines téichos, mur et dromos, coureur (voir dromadaire inspiré des méhara, ces « chameaux qui courent »). Donc, il est le « coureur des murailles » ce que confirme l’épithète latin du nom d’espèce muraria (voir la rue-de-muraille Asplenium ruta-muraria, fougère rupestre). Chez nos voisins anglais toujours plus pragmatiques dans leur choix de noms, il est le « wallcreeper », le grimpeur des murailles, nom nettement plus transparent (de même en espagnol treparriscos) !

En France, on a rajouté le qualificatif d’échelette, certes de belle consonance, mais qui n’éclaire pas plus … sauf pour les spécialistes de mots rares anciens. Il existe effectivement dans la langue française le verbe écheler, détaillé sur le site CNTRL de la langue française : escalader avec une échelle et, par extension, grimper, escalader. On y signale son emploi dans le superbe livre de J. Giono Que ma joie demeure avec cet extrait : Au bout d’un moment, la jument échela péniblement le talus et prit à travers champs un petit pas douloureux ! Une échelette désigne une petite échelle attachée à côté du bât d’une bête de somme ou une ridelle placée à l’avant d’une charrette pour en retenir la charge.

Finalement, ce qualificatif d’échelette a le don de poétiser le nom de ce bel oiseau et de contrebalancer la froideur technique du tichodrome !

Transhumance

L’aire de nidification du tichodrome échelette s’étend sur les grands massifs montagneux du sud de l’Eurasie : Monts Cantabriques, Pyrénées, le grand arc alpin jusque dans les Balkans et les Apennins puis en Asie mineure et centrale jusqu’en Chine avec l’Himalaya comme bastion où il est très présent au-dessus de 3600m d’altitude.

En France, il niche en Haute-Corse, dans les Pyrénées et les Alpes (au sud jusque dans les Gorges du Verdon) où la majorité des couples nicheurs se trouvent entre 1400 et 2900m d’altitude. La population française est estimée autour de mille couples.

Sur l’ensemble de son aire de nidification, le tichodrome quitte les hautes montagnes où il a niché, vite inhospitalières dès l’automne (voir le régime alimentaire). Soit il se contente de descendre vers les massifs de piémont très proches : on parle alors de transhumance altitudinale ; soit il effectue une migration partielle : la majorité des individus ne se déplacent guère au-delà de 200 kms mais on connaît des exemples de déplacements plus importants (420kms en Espagne). On voit des individus en migration active franchir des cols alpins en automne.

En France, le gros bastion hivernal, avec plusieurs centaines d’individus, se situe dans les Préalpes méridionales, la Provence et le Massif Central et sa bordure. D’autres gagnent les plaines, en direction du sud et de l’ouest, jusqu’à la Côte Atlantique et fréquentent de manière assez constante certains sites. On pense qu’il s’agit de la population nicheuse des Alpes proches. Côté pyrénéen, on observe une transhumance sur le versant français et une migration plus lointaine vers le sud sur le versant espagnol.

Cette migration commence dès la fin septembre. Les tichodromes s’installent sur leurs sites d’hivernage entre la dernière décade d’octobre et la première décade de novembre et ne circulent plus alors que sur un secteur restreint. Fin mars, ils désertent assez brusquement leurs sites d’hivernage et rejoignent les hautes montagnes.

Bizarre

Comme annoncé ci-dessus, vous ne pourrez observer le tichodrome en hiver que sur des parois rocheuses naturelles ou artificielles (grands édifices en pierre).

Le tichodrome se situe dans la gamme de taille dite moyenne pour un passereau, à mi-chemin entre un moineau et un merle avec 16-17cm de long pour un poids de 16-20 grammes. Sa taille équivaut à peu près à celle de sa plus proche cousine, la sittelle torchepot.

Une image furtive : le tichodrome immobile ! (Cliché Raman Kumar ; C.C. 4.0.)

Si vous arrivez à le saisir immobile au repos (c’est très rare !) vous allez être déçus : l’oiseau est assez terne, d’un gris cendré terne, plus ou moins foncé, pour une bonne partie du plumage, dessus et dessous, avec la gorge et le haut de la poitrine noir foncé chez les mâles en période nuptiale. Cette coloration unie le rend très peu visible sur le fond rocheux dans lequel il vit en permanence et se déplace. Par contre, le regard est attiré vers le bec sombre, long (2,3 à 4,2cm), fin et nettement courbé : ce dernier trait inhabituel ne se retrouve guère chez d’autres passereaux de nos contrées. Et puis, on note une vague tache rougeâtre le long de l’aile depuis l’épaule.

Tichodrome en train de « cligner » des ailes et de révéler les taches colorées (Cliché Alpenzoo1000 ; C.C. 4.0.)

En général, cette vision « terne » ne dure que quelques secondes car le tichodrome est un énervé permanent, toujours en mouvement : il ne cesse de « papillonner » en ouvrant à moitié et en refermant aussitôt ses ailes. A chacun de ces mouvements ultra-rapides, il expose brusquement les taches rouge vif à rose carmin qui couvrent une partie de ses ailes et des gros points blancs sur les rémiges externes (les grandes plumes des ailes). En même temps, il étale sa queue qui porte elle aussi des taches invisibles quand elle est fermée. Un effet clignotant très surprenant !

Insectivore rupestre

Le tichodrome explore inlassablement les parois rocheuses (ou les murs de pierre) pour y chercher sa nourriture. Cet insectivore éclectique consomme toutes sortes d’insectes et invertébrés petits à moyens, (adultes, larves et œufs) : petites libellules (demoiselles) ; perles (insectes liés aux rivières) ; sauterelles et criquets ; perce-oreilles ; punaises ; pucerons ; mouches ; abeilles et guêpes ; petits scarabées ; araignées et opilions (proies importantes) ; tiques ; cloportes ; mille-pattes ; petits escargots ; …

Mâle nuptial (gorge noire) en train de chasser dans les rares touffes herbacées de son habitat (Cliché Pierre-Marie Epiney ; C.C. 2.0.)

Il capture ces proies à la surface des rochers ou dans la maigre végétation rupestre, et inspecte méthodiquement tous les creux, crevasses, fissures, surplombs d’où il extirpe avec son long bec fin œufs, larves, nymphes, araignées, … Plus rarement, il happe des proies en vol soit en les poursuivant brièvement, soit en vol sur place bref. Sur les zones végétalisées, il peut aussi chercher au sol en retournant des cailloux et des feuilles mortes, utilisant son bec fermé comme un levier. Les proies plus grosses sont emportées vers un replat rocheux sur lequel il les frappe pour les désarticuler.

Le temps des cathédrales

Trouver suffisamment de telles proies en hiver de plus lui impose une grande sélectivité quant au choix de ses sites d’hivernage. Il a besoin d’y trouver réunis un certain nombre de critères : une grande surface rocheuse très diversifiée et irrégulière ; des zones ombragées en alternance avec des zones bien éclairées, soit des variations d’orientation de la paroi ; des vires ou replats végétalisés avec leur diversité d’invertébrés terrestres ; la proximité de rivières est appréciée comme source de biodiversité complémentaire.

En hiver, en plaine ou sur les piémonts donc, le tichodrome trouve de telles conditions sur des sites souvent ponctuels (relief oblige) qu’il fréquente régulièrement. Ce peuvent être des sites naturels ou semi-naturels : falaises maritimes ; grandes carrières abandonnées ; talus rocheux ; falaises et gorges avec une préférence pour les substrats calcaires ou volcaniques. Mais, le tichodrome adopte volontiers de grands édifices anciens offrant les critères requis (voir ci-dessus) : châteaux-forts, de préférence partiellement en ruine et implantés sur des sites rocheux ; monastères ; barrages hydroélectriques ; viaducs et jusqu’au cœur des villes sur les cathédrales et grands monuments. Ainsi, en Auvergne, on l’observe presque chaque hiver sur des monuments urbains tels que la cathédrale de Clermont-Ferrand (en pierre volcanique) en Limagne ou la basilique d’Orcival aux portes du Sancy. A Paris, il a été observé dans les années 2000 sur le Panthéon ou au Mont Valérien par exemple.

Escalade et voltige

Le tichodrome explore les parois rocheuses en mode grimpeur. Il se déplace par bonds saccadés sur ses deux pattes fortes aux longs ongles crochus qui agrippent les aspérités du rocher en s’aidant de ses battements d’ailes comme support et propulsion. Juste avant chaque saut, il appuie sa poitrine contre le rocher ce qui rapproche son centre de gravité puis volète et se projette vers le haut. Il peut aussi sauter en avant d’une vingtaine de centimètres sans s’aider de ses ailes. Il donne ainsi l’impression de voleter en permanence alors qu’il est accroché au rocher, même quand il ne se déplace pas.

Les capacités voilières du tichodrome n’ont rien à envier à ses talents de grimpeur. Ses ailes assez grandes (relativement à sa taille), larges et aux extrémités arrondies, ont les proportions de celles de grands papillons … Avec les taches rouges révélées en vol ceci lui a valu le surnom populaire de papillon de roche.

Quand il veut se déplacer sur une certaine distance, il adopte un vol saccadé papillonnant, rappelant celui de la huppe (oiseau non-passereau). Il peut aussi plonger depuis une grande hauteur, ailes rabattues contre le corps ou bien descendre en vol plané, ailes étalées, comme une « feuille morte qui tombe ».

Ces capacités voilières lui servent tant pour migrer que pour parcourir les vastes sites rocheux qu’il exploite, notamment pour changer de face selon la météorologie. Mais, elles lui sont aussi précieuses face aux prédateurs aériens compte tenu de son mode de vie très exposé en permanence. Le faucon pèlerin, qui fréquente les mêmes sites et surtout l’épervier d’Europe le prennent très souvent en chasse. S’il est en vol, il se met à papillonner en toutes directions au plus près de la paroi pour décourager l’attaquant. Mais s’il aperçoit le rapace avant l’attaque alors qu’il arpente une paroi, il cesse de grimper et se fige, immobile, bec et tête pointés vers le haut, misant sans doute sur son relatif mimétisme dans cette position.

Énigmatique

Le tichodrome a longtemps été et reste en partie une énigme taxonomique (science de la classification) pour les scientifiques. Il est la seule espèce dans ce genre.

On l’a longtemps placé aux côtés des grimpereaux, passereaux grimpeurs arboricoles, (famille des Certhiidés) mais les données génétiques plus récentes ont définitivement écarté cette affiliation. Le nom anglais de wallcreeper tend d’ailleurs à le rapprocher des grimpereaux puisque ceux-ci sont aussi nommés creeper en anglais (treecreeper).

Un consensus se dégage pour le considérer comme fortement apparenté aux sitelles (Famille des Sittidés). Pour autant, il en diffère nettement par divers traits morphologiques (dont le bec long et courbé), la manière de grimper très différente et plusieurs traits comportementaux (parade nuptiale, vocalisations, …). Notons qu’il existe parmi les sittelles des espèces strictement rupestres et même notre sitelle torchepot peut s’observer en hiver sur les vieux édifices, prospectant fissures et crevasses.

Tichodrome et Sittelle torchepot (Gravure Traviés dans le dictionnaire universel d’histoire naturelle de Charles d’Orbigny (1867) ; Rvalette ; C.C. 3.0.)

De ce fait, selon l’importance relative que l’on accorde aux différences versus les ressemblances, on le place soit dans une sous-famille au sein des Sittidés soit dans une famille à part (Tichodromidés) où il est alors la seule espèce représentante (famille monotypique).

Bibliographie

1)Issa N. et Muller Y. (coord.) (2015). Atlas des oiseaux nicheurs de France métropolitaine. LPO/SEOF/MNHN. Delachaux et niestlé.

2) Dupuy J. et Sallé L. (coord.) 2022 Atlas des oiseaux migrateurs de France. LPO Rochefort ; Biotope Ed. ; M.N.H.N. Paris.

3)Billerman, S. M. (2020). Wallcreeper (Tichodromidae), version 1.0. In Birds of the World (S. M. Billerman, B. K. Keeney, P. G. Rodewald, and T. S. Schulenberg, Editors). Cornell Lab of Ornithology, Ithaca, NY, USA.

4)Characteristic types of flight and climbing and variability in coloration of the throat and breast of the Wallcreeper Tichodroma muroria Miroslav SANIGA Internationalen Arbeitsgemeinschaft für Alpenornithologie,MONTICOLA Band 8. 225-233. 1996-2001