Cette chronique s’inscrit dans le cadre très particulier du confinement général lié à l’épidémie de Covid 19. Sous la rubrique générale « Jardin de déconfinement » je propose des « idées » d’activités dans votre jardin, si vous avez l’immense privilège d’en avoir un, même hyper modeste, où vous pouvez vous échapper un peu. Il s’agit de « profiter » de cette occasion pour (re)découvrir son environnement immédiat et mieux appréhender la biodiversité ordinaire (condamnée à l’être de moins en moins). 

20/03/2020. Dans la chronique « Bioblitz végétal sur un carré de pelouse », nous avons présenté le principe de ce défi et les premiers résultats du recensement des espèces de plantes à fleurs. Deux jours plus tard et toute une série de visites régulières plusieurs fois par jour, les nouveautés affluent dans les deux mètres carrés de pelouse inventoriée. 

Nouveautés végétales

Hier, en me couchant carrément au pied de mon carré et en scrutant méthodiquement toute la surface, centimètre par centimètre, j’ai découvert de nouvelles plantes qui m’avaient échappé lors de mon premier blitz, un peu trop éclair semble t’il ! 

Un pied malingre de véronique à feuilles de lierre porte haut une maigre fleur bleu pâle. Juste sur un des bords, deux plantes côte à côte : des rosettes velues hérissées d’un myosotis pour lesquelles il faudra attendre la floraison pour l’identification spécifique et un petit pied de lamier pourpre ou ortie rouge aux feuilles opposées ridées et tiges carrées. Deux rosettes nouvelles pas faciles à voir : une de lapsane (une composée) et une de brunelle toute menue ; là encore, je dois attendre car je sais qu’il y a deux espèces de brunelles dans ma pelouse : la vulgaire aux fleurs bleues et, plus rare, la brunelle laciniée aux fleurs blanches ! 

Ce matin, nouvel examen et encore une nouvelle espèce : des feuilles de lotier corniculé. Bilan : je dépasse déjà la trentaine d’espèces ! Ah, j’allais oublier, je dois ajouter une rosette de cardère commune implantée hors carré mais qui déborde juste à la frontière (qui n’est pas fermée!) !  

Rosette de cardère devant un plantain lancéolé

Floraisons 

Avec ce temps chaud très printanier, les floraisons démarrent vite. La pâquerette en bouton a déployé son capitule jaune et ses ligules blanches. Belle occasion d’admirer les fleurs en bouton centrales (fleurons) qui s’insèrent en suivant des spirales entrecroisées.

La véronique de Perse (énigme 1 d’avant hier !) a progressé avec trois pieds fleuris. La plante énigme 3 a progressé et ses capitules jaunes sans ligules deviennent bien apparents : peut-être cette nouvelle photo vous aidera à trouver maintenant son nom ? Une minuscule crucifère naine avec à peine deux fleurs est peut-être une arabette des dames : mais elle est tellement fluette que je n’arrive pas à voir les feuilles de la base et je ne veux pas écarter les herbes autour de peur qu’elle ne s’abime !

Sur les feuilles de porcelle, je note sur certains pieds la présence de taches noires et la surface granuleuse et hérissée à souhait ; dans le détail, il n’y a pas deux pieds identiques … comme chez nous en quelque sorte.

Petit peuple 

Turricules

Des amas noirâtres tortillés signent la présence invisible des vers de terre, les maîtres du sol : ce sont des turricules, leurs excréments faits de la  terre qu’ils ont ingérée pour en extraire les fines particules organiques. Des fourmis s’activent discrètement circulant au ras du sol ; j’en distingue deux espèces au moins ; des minuscules brunâtres et d’autres un peu plus grosses et noirâtres, moins nombreuses. Elles aussi participent au travail du sol en creusant des nids souterrains. Un minuscule coléoptère déambule sur une feuille de porcelle : 3mm à tout casser : aucune idée de son identité même pas de sa famille ?

Une petite cicadelle brune rayée à grosse tête pointue se déplace sur une herbe tandis qu’une mouche se chauffe au soleil.

11H ce matin : Une petite abeille solitaire vient à deux reprises survoler le carré et se poser quelques instants ; à peine le temps de voir son corps velu roussâtre : une osmie ?? J’espère bien la revoir. Alors que j’essaie de la photographier en vain, mon œil dans le viseur est attiré par une créature incroyable près d’un plantain lancéolé ! 

Punaise à échasses ! 

Heureusement que j’avais déjà vu cette espèce une seule fois il y a deux ans à un kilomètre d’ici dans une friche tellement elle est « évanescente », surtout ici dans ce décor d’herbes et de feuilles au ras du sol ! Un long corps filiforme brunâtre clair perché sur de hautes pattes délicates comme des échasses (stilt bug en anglais) complété en avant par une paire d’antennes coudées démesurées, tout aussi fines que les pattes. Une fragilité incroyable et pourtant elle file à toute allure et j’ai bien du mal à la cadrer ; délicatement, je réussis à la faire monter sur ma main pour tirer un portrait plus détaillé et je la repose dans sa jungle herbacée. 

Contre toute apparence, il s’agit d’une punaise, d’une famille bien particulière, les Béritydés, toutes avec cet aspect étrange et décalé. Quand on réussit à la voir de profil, on peut voir son rostre en dessous qui signe son classement parmi les punaises. Celle-ci appartient au genre Neides (il n’y a pas de nom commun) dans lequel on trouve au moins deux espèces assez répandues : c’est pourquoi j’ai cherché à la photographier plus en détail pour arriver à l’identifier. Il faut regarder à l’avant de la tête l’espèce d’excroissance en forme de bec : ici, il est droit et l’espèce est donc Neides tipularius (faux-tipule, allusion aux « cousins » ces moustiques aux grandes pattes) ; l’autre espèce au bec un peu recourbé s’appelle N. aduncus ! En postant cette observation sur le site collaboratif Faune Auvergne (Voir les chroniques sur les Sciences participatives), j’ai pu voir que les seules données connues en auvergne à ce jour … étaient les deux miennes ; mais cela n’exclut pas que des spécialistes n’utilisant pas ce site ne la connaissent pas ailleurs ? 

Ces punaises vivent généralement près du sol dans des milieux herbacés ensoleillés. Elles seraient herbivores (ou omnivores capables de s’attaquer à des œufs d’insectes ou à de minuscules insectes). L’espèce observée serait liée aux plantes de la famille des œillets (Caryophyllacées) : pourtant aucune espèce de cette famille ne figure dans ma liste mais le carré ne représente qu’une petite partie de la pelouse. On sait très peu de chose sur ces espèces peu communes (d’où le conditionnel dans ma description), très localisées et difficiles à repérer comme j’ai pu le constater de visu. 

Jamais auparavant je n’avais observé cette espèce dans mon jardin. Moralité : sans le confinement et cet exercice du carré magique, je ne l’aurais sans doute jamais vue !