AVERTISSEMENT : Cette chronique est dédiée au public enseignant et traite de pédagogie. Cependant, elle peut intéresser aussi les non-enseignants soucieux de dialoguer par exemple avec des enfants à propos de l’évolution.

Les arbres de parenté sont un outil essentiel et incontournable pour enseigner l’évolution et tout particulièrement pour appréhender la macroévolution, i.e. les processus évolutifs au-dessus du niveau de l’espèce qui se situent dans un temps long non directement accessible. De leur bon usage dépend donc en grande partie la compréhension de la macroévolution et l’acceptation intellectuelle de la théorie de l’évolution. Ils sont de deux grands types : les arbres dits en escaliers et ceux en diagonales (voir la chronique : Lire les arbres : l’importance de l’orientation) : ils sont totalement équivalents et portent les mêmes informations évolutives.

Or, tout enseignant de biologie a eu l’occasion de constater des interprétations erronées, des incompréhensions, voire des renforcements d’idées fausses ou préconçues lors de l’usage de ces arbres. On a tendance à croire naïvement que, vu qu’ils représentent une information scientifique de manière rigoureuse, ils sont transparents pour les novices. De nombreuses études en Sciences de l’Education démontrent l’inverse et étendent ces difficultés aux « déjà-initiés » voire aux enseignants eux-mêmes. Alors, pourquoi ces difficultés et comment les expliquer pour espérer les atténuer ou les contourner ?

Trois grands obstacles

Un article paru dans un ouvrage de synthèse sur l’enseignement de l’évolution (1) fait le point sur ces problèmes et identifie trois grands facteurs qui affectent la capacité à lire correctement un arbre de parenté, c’est-à-dire à être capable de lire les degrés relatifs d’apparentement, d’identifier les ancêtres communs les plus récents, de constituer des groupes selon les critères de la classification moderne (monophylétiques, i.e. tous issus d’un ancêtre commun) et de faire des inférences ou prédictions (par exemple : si untel a tel caractère, qui d’autre pourrait partager le même caractère ?).

Ces facteurs agissant comme des freins à la bonne lecture sont de deux types :

– un facteur lié à la perception visuelle dit « de bonne continuation » (que nous avons déjà évoqué dans la chronique sur l’orientation des arbres en diagonale)

– deux facteurs liés à la compréhension (facteurs cognitifs) : le biais de confirmation et les connaissances préalables.

Nous allons les expliciter successivement et envisager leurs conséquences et les moyens d’y faire face.

La bonne continuation

Derrière ce nom ésotérique se cache un principe de la psychologie de la perception visuelle ou Gelstat : nous avons une préférence innée à percevoir des formes continues (par leurs formes, leurs tailles, leur espacement, leur disposition répétée, ..) plutôt que les changements abrupts ; il s’agit en fait d’un système d’économie cérébrale : dès lors que le cerveau a repéré une structure « continue » il s’appuie dessus ce qui évite de balayer avec attention tout l’ensemble. Conséquence pratique : nous percevons comme étant continues des représentations avec des bords adoucis, arrondis, droits alors que la présence d’angles abrupts induit l’idée de discontinuité. En matière d’arbres de parenté, suivez mon regard vers les diagrammes en diagonale et vous allez vite comprendre : que voit-on d’emblée, à la première seconde où notre regard se pose sur un tel arbre ? Une longue ligne droite montante qui attire irrésistiblement le regard ! Un apprenant novice (ou même déjà initié à l’évolution) interprétera donc cette ligne droite comme représentant une continuité, une seule unité hiérarchique. Catastrophe ! En effet, cette ligne droite n’est qu’un « artefact » lié à la construction de tels arbres (voir la chronique sur l’orientation des arbres en diagonale) et doit être lue comme une succession de nœuds où se situent les ancêtres communs. Si on présente maintenant le même arbre en version « escaliers », là les discontinuités prédominent et « obligent » le cerveau à les suivre ce qui rend la lecture a priori plus adéquate.

De nombreuses études confirment ce biais de manière indirecte : les élèves et étudiants trouvent à une forte majorité que les arbres en diagonale sont plus difficiles à lire que ceux en escaliers ; de même on a montré que l’interprétation des données évolutives représentées par ces arbres était plus précise et plus approfondie avec les arbres en escaliers qu’avec ceux en diagonales, y compris pour des étudiants déjà chevronnés.

Moralité : mieux vaut réserver ces diagrammes en diagonale à des élèves déjà un peu formés (donc au minimum au niveau Lycée) ou alors s’atteler à fournir un mode d’emploi accessible et à fournir des astuces de lecture (voir la chronique sur l’importance de l’orientation).

Le biais de confirmation

Encore nommé « biais de confirmation d’hypothèse » ou « stratégie du test positif », ce biais cognitif fait que dans de nombreux domaines (pas seulement en sciences), nous avons tendance à fonder notre jugement en sélectionnant en priorité les informations disponibles susceptibles de confirmer notre hypothèse a priori au détriment de celles pouvant infirmer cette hypothèse. C’est un biais sélectif qui « tord la réalité ».

Un exemple testé dans l’étude (1) avec des étudiants en biologie (donc pas des novices) va illustrer ce biais. On leur fournit cet arbre de parentés des araignées en format escaliers car on sait qu’il existe sur ces arbres un autre biais perceptif : celui de la proximité qui consiste à rapprocher les objets selon leur proximité spatiale.

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On pose la question : « Araignées terrestres et araignées-crabes forment-elles un groupe monophylétique ? ». Ces étudiants savent comment il faut précéder : vérifier si ces deux taxas partagent un ancêtre commun plus récent qu’avec les autres. Or, une proportion importante des étudiants testés répondent néanmoins : « Oui, car elles partagent un ancêtre commun qui leur a légué deux griffes/patte ». Que s’est-il passé ? Les étudiants ont été induits d’une part par le biais de proximité (qui amène à mettre ensemble A. terrestres et A. crabes) et par le biais de confirmation qui les pousse à chercher une preuve allant dans le sens suggéré par la question (ils forment un groupe monophylétique).

Moralité : la manière dont on pose la question change tout. Si on avait demandé «  Démontrez que A. terrestres et A. crabes ne forment pas un groupe monophylétique » les étudiants auraient cherché « à l’insu de leur plein gré » à démontrer cette négation et auraient probablement mieux réussi. L’autre enseignement est l’importance de demander d’apporter une preuve valide : si avec la question sous la forme ci-dessus, on n’avait pas demandé une preuve, beaucoup auraient répondu juste mais avec peut-être une interprétation fausse !

Les connaissances antérieures

Aucun apprenant n’est vierge de toute connaissance face à un sujet fût-il complexe. Ceci vaut largement pour tout ce qui touche à l’évolution : les élèves savent déjà tout un ensemble de faits ou ont de nombreuses images en tête véhiculées par les médias, leurs lectures, … et on sait que nombre d’entre elles sont soit fausses, soit imprécises, soit imprégnées de divers biais, notamment liés aux croyances. Donc, ces connaissances antérieures peuvent à tout moment interférer avec l’activité mentale déployée lors de la lecture d’un arbre.

Là encore, un exemple tiré de l’étude (1) éclaire cet aspect. A des étudiants qui savent faire des inférences (voir premier paragraphe) à partir d’un arbre, on propose un arbre de ce type.

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Cet arbre nous dit que le tyrannosaure et le pigeon partagent un ancêtre commun plus récent qu’avec le Triceratops ou avec le crocodile ; si le pigeon est homéotherme, on peut inférer que le tyrannosaure a pu l’être car il aurait pu hériter ce caractère de leur ancêtre commun.

La question posée est : « Sachant que les oiseaux sont homéothermes (gardent une température constante), quel autre taxon (extrémité de branche) présente sur cet arbre pourrait avoir été lui aussi homéotherme ». Notez qu’on a employé volontairement le terme « oiseaux » sans mentionner l’espèce qui les représente ici, le pigeon. Résultat : un grand nombre d’entre eux répondent … le pigeon. Il aurait fallu dire Tyrannosaure car il partage avec le pigeon un ancêtre commun plus récent qu’avec les deux autres taxas. Pourquoi ne proposent-ils pas tyrannosaure alors qu’ils ont les connaissances scientifiques pour répondre correctement ? Par interview, il s’avère qu’ils ont raisonné sur le mode suivant : le tyrannosaure est un dinosaure ; or, « je sais » que les dinosaures sont des reptiles et que donc ils ne peuvent pas avoir été homéothermes !!!

Moralité : il va falloir « faire avec » car les connaissances antérieures varient d’un individu à l’autre et il est impossible de toutes les prendre en compte d’autant que leur intensité peut aussi varier. On pourra juste travailler sur les représentations erronées les plus connues ou les plus courantes comme cette fausse notions de reptiles.

P.R.A.C. et règle de 3

Les auteurs de cette étude insistent, à l’issue de l’examen de ces trois biais (et il y en a d’autres moins prégnants), sur l’extrême importance de s’appuyer sur la notion de PRAC ou Plus Récent Ancêtre Commun (MRCA en anglais). Il faut apprendre les élèves à recourir systématiquement à ce point de repère essentiel à partir duquel on peut définir les apparentements, constituer les groupes monophylétiques et faire des inférences ou des prédictions. Pour identifier à chaque fois le PRAC, on peut activer la règle de 3 (three-taxa statement) : si les taxas A et B partagent un PRAC qu’avec le taxon C, alors A et B sont plus proches parents entre eux qu’ils ne le sont avec C. Ils forment un groupe au sens de la classification (monophylétique) car ils partagent de manière exclusive certains caractères (synapomorphies).

BIBLIOGRAPHIE

  1. The promise and challenges of introducing tree thinking into evolution education. K. M. Catley ; L.R. Novick ; D.J. Funk. Chapitre 5 dans EVOLUTION CHALLENGES. Integrating research and practice in teaching and learning about evolution. Ed. by K.S. Rosengren, S. K. Brem, E.M. Evans, G. M. Sinatra. Oxford University Press ; 2012

A retrouver dans nos ouvrages

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Page(s) : Guide critique de l’évolution
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Page(s) : Comprendre et enseigner. La classification du vivant.