Inachis io

Le paon de jour est une vanesse dont les adultes nés en été hibernent pour se reproduire au printemps suivant. Pour hiberner, les paons de jour choisissent souvent des bâtiments désaffectés comme des greniers où ils s’installent parfois en grand nombre. Des chercheurs suédois ont montré qu’ils subissaient alors une forte pression de prédation de la part des mulots, rongeurs capables de grimper et qui se réfugient aussi en hiver dans ces abris.

Deux chroniques ont été consacrées à cette hibernation et à la prédation associée : l’une porte plus sur le comportement du prédateur ; l’autre qui compare deux espèces de vanesses face à cette prédation montre que le paon de jour résiste mieux à celle ci que sa proche parente, la Petite-Tortue. Cela suppose donc l’existence de mécanismes de défense efficaces contre les attaques des mulots de la part des paons de jour. Comme tout se passe de nuit et dans des abris non éclairés, les signaux de défense de type visuel et notamment l’utilisation des gros ocelles colorés sur les quatre ailes (capables d’effrayer des oiseaux quand ils sont brusquement déployés) ne peuvent être invoqués.

Enquête sous vidéo-surveillance

En installant des caméras infra-rouge (2), les chercheurs ont pu observer en détail l’interaction mulot/paon de jour. Les paons de jour se tiennent immobiles, posés sur une poutre, sous des tuiles ou sur un mur, les ailes repliées. Tant que le mulot se déplace, le papillon ne réagit pas. Dès qu’un mulot le touche à peine pour le renifler, le paon de jour écarte brusquement ses ailes et les agite nerveusement (de 1 à 10 battements/5 secondes) ce qui provoque le plus souvent une réaction de fuite du mulot tout aussi brutale.

L’explication de cet effet est fournie par des enregistrements sonores simultanés. La brusque ouverture des ailes entraîne un frottement entre la base des ailes antérieures qui chevauchent un peu le bord supérieur des ailes postérieures ce qui génère un sifflement audible ; en plus, sur l’aile antérieure, des parties membraneuses, sous l’effet de torsion, produisent des cliquetis de type ultra-sons de haute et basse fréquences. Ces deux types de sons émis étaient en fait connus depuis assez longtemps mais on les avait associés à un mécanisme de défense anti-chauve-souris comme il en existe chez de nombreux papillons nocturnes confrontés à ces prédateurs nocturnes.

Comment couper le son ?

Les chercheurs suédois (1) ont élevé des mulots sauvages en captivité dans des cages avec un tube de communication conduisant vers une « chambre » entièrement noire et isolée du point de vue phonique qui reconstitue le « grenier d’hibernation ». Des paons de jour hibernants sont installés un par un à 10cm de hauteur sur une paroi de la chambre, la tête vers le haut avec un ver de farine comme appât placé juste en dessous pour attirer le prédateur. On libère un mulot dans cette chambre en filmant avec une caméra infra-rouge ce qui se passe avec des repères gradués pour évaluer les distances entre protagonistes.

Pour tester l’effet des sons émis, les chercheurs « aménagent » les paons de jour en deux catégories :

  • des paons de jour « muets » : la membrane génératrice des ultra-sons est perforée (aile antérieure) ce qui la rend inefficace ; de plus, ils découpent un petit morceau du bord inférieur de l’aile antérieure ce qui supprime la possibilité d’émettre le sifflement ; ces modifications ne changent pas le rythme de battements des ailes
  • des paons de jour « bruyants » faux-muets : pour s’assurer que les transformations physiques ne modifient pas le comportement du prédateur, on enlève un petit morceau du bas de l’aile postérieure et on perce l’aile antérieure en dehors de la membrane à ultra-sons ; ainsi, ces papillons peuvent émettre des sons tout en ressemblant aux muets.

Un réel effet dissuasif !

A chaque interaction ainsi provoquée (un mulot avec un paon de jour muet ou bruyant selon les cas), c’est le contact direct du mulot qui renifle le papillon qui déclenche chez ce dernier le mouvement des ailes : 8 paons de jour réagiront ainsi dès le premier contact et 14 au second ou troisième contact avec le mulot, qu’ils soient « muets » ou « bruyants ».

Dans 75% des cas, le mulot s’éloigne brusquement d’au moins 10cm dès que le papillon agite ses ailes. Sur les huit mulots qui ont eu la réaction de fuite la plus forte (au delà de 60cm du papillon), sept se trouvaient au contact de paons de jour « bruyants ». Dans un cas extrême, la caméra a enregistré une scène éloquente : un mulot effrayé au premier contact par les battements d’ailes d’un paon de jour « bruyant » s’est éloigné de plus d’un mètre au point de sortir du champ de la caméra ; il est revenu à quatre reprises à environ 50cm avant de repartir plus loin à chaque fois que le papillon rebattait des ailes.

Tout ceci indique clairement que ce sont bien les sons émis (le sifflement et/ou les ultra-sons) qui effraient les mulots ; le cas mentionné ci-dessus montre que ce n’est pas le contact direct des ailes avec le corps du mulot ou le courant d’air généré qui l’effraient puisqu’il se sauve alors qu’il se trouve à 40cm du papillon.

Une dissuasion bien ciblée

Sur 24 paons de jour testés, 23 ont survécu au premier contact dès lors qu’ils ont battu des ailes. Sur 12 « muets », 4 sont tués dans les 30 minutes alors que sur 12 « bruyants », un seul fut tué. Après une première attaque, une partie des papillons se déplacent en marchant vers un point moins accessible ce qui augmente les chances de survie ultérieure. Ils peuvent aussi conserver leur position initiale ; 15 d’entre eux qui ont ainsi procédé ont subi une seconde attaque de mulot dans les trente minutes ; pour autant leur réaction n’a pas été plus forte en intensité : il s’agit donc d’une réaction réflexe liée au simple contact avec un petit prédateur « renifleur ».

Par comparaison, en plein jour en été, le paon de jour utilise une autre forme de défense envers les oiseaux : celle qui consiste à déployer brusquement ses ailes ce qui expose ses quatre ocelles colorés qui réussissent par effet de surprise à effrayer l’oiseau. Or, dans ce cas, le paon de jour n’adopte ce comportement qu’en cas de forte sollicitation et sa réponse sera graduée en fonction de l’insistance du prédateur ailé.

On a donc là affaire à une toute autre tactique, adaptée à un type de prédateur bien particulier agissant dans l’obscurité (d’où l’usage d’un répulsif sonore) et qui reste en alerte permanente même quand il est en « chasse » (il est lui-même soumis à une forte prédation de la part des rapaces nocturnes par exemple) : le moindre signal inquiétant suffit à lui faire peur et à l’éloigner. On appelle mésoprédateur ce genre d’animal (les musaraignes en font aussi partie) et on peut donc penser que c’est la pression de prédation exercée par ceux-ci pendant l’hibernation qui a pu sélectionner un tel comportement spécifique de la part des paons de jour.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Auditory defence in the peacock butterfly (Inachis io) against mice (Apodemus flavicollis and A. sylvaticus). Martin Olofsson & Sven Jakobsson & Christer Wiklund. Behav Ecol Sociobiol (2012) 66:209–215
  2. Winter predation on two species of hibernating butterflies: monitoring rodent attacks with infrared cameras. M. Olofsson ; A. Vallin ; S. Jakosson ; C. Wiklund. Animal Behaviour 81 (2011) 529-534

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le mulot sylvestre
Page(s) : 258 Le guide de la nature en ville
Retrouvez le Paon de jour
Page(s) : 293 Le guide de la nature en ville