Bryonia dioica

vrille-pano

La bryone, plante très commune et bien visible (voir la chronique consacrée à ses racines) se reconnaît instantanément à ses vrilles qui s’enroulent sur toutes sortes de supports, le plus souvent sur des tiges végétales mais aussi volontiers sur les grillages ou les clôtures. Le mode de fonctionnement de ces vrilles fascine les scientifiques depuis le 19ème siècle avec notamment les descriptions détaillées de C. Darwin dans son ouvrage entièrement consacré aux plantes grimpantes et paru en 1875 (On the movements and habits of climbing plants) ; dès le 18ème, Linné lui-même semble s’y être aussi intéressé dès 1751.

En fait, il faut distinguer deux temps : la recherche et l’arrimage à un support que nous allons décrire ici, suivi d’une seconde phase d’enroulement en double spirale qui fera l’objet d’une autre chronique tant ce processus est original et fascinant.

Une vrille, c’est quoi ?

On appelle vrille tout organe ou structure utilisé par une plante grimpante pour s’enrouler ou s’arrimer autour d’un support ; il s’agit le plus souvent d’une tige ou d’une feuille modifiée en forme de filament flexible susceptible de s’allonger et de s’enrouler. Il ne faut pas confondre avec les tiges volubiles qui s’enroulent directement autour d’un support comme celles des ipomées (voir chronique consacrée à ces plantes) ni avec les crampons du lierre qui sont des racines modifiées collant au support (voir la chronique sur le lierre). Dans le cas de notre bryone, chaque vrille se trouve opposée à une feuille et s’insère à sa base aux côtés des pédoncules des inflorescences s’il y en a. Elle se présente comme un long fil souple avec une base plus épaisse qui reste toujours droite, le suspenseur.

On a du mal à interpréter la nature de cet organe dans le cas de la bryone ; en apparence, on le prendrait pour une tige à l’aisselle d’une feuille mais il semblerait qu’il s’agisse de la pré-feuille transformée d’un bourgeon à l’aisselle d’une feuille (la première feuille réduite à la base d’une pousse). Chez de nombreux autres cucurbitacées, la famille de la bryone, on trouve de telles vrilles mais souvent bien plus complexes et ramifiées notamment comme celles des gourdes pèlerines ou des courges par exemple.

L’effet papillon

Quand les tiges apparaissent, les jeunes feuilles se trouvent plaquées contre elle et cachent alors un temps les jeunes vrilles ; dès que l’allongement de la tige se précise, on voit alors apparaître les vrilles complètement enroulées en une spirale hyper serrée dans un plan ; à sa surface, on remarque des poils raides fins. La ressemblance avec une trompe de papillon enroulée au repos est alors des plus frappantes et offre de belles images photogéniques !

Rapidement, la vrille va se dérouler entièrement et s’allonger telle un fouet souple avec au plus son extrémité légèrement recourbée en crochet. Des enregistrements vidéo montrent que la vrille entreprend alors de larges mouvements de rotation en décrivant un cercle large de 10cm de diamètre et à raison de 25 à 30 rotations par jour et ce, tout en s’allongeant. Ce mouvement exploratoire ou circumnutation, pour surprenant qu’il soit, n’est pas l’apanage des vrilles mais s’observe pratiquement sur toutes les jeunes plantes venant de germer et dont l’extrémité de la tige décrit des rotations mais souvent bien plus réduites.

A l’abordage !

La vrille s’allonge et tourne ainsi jusqu’à entrer, au hasard, en contact avec un support autour duquel elle va rapidement s’enrouler s’il convient (pas trop gros ni trop lisse), assurant ainsi la tête de pont nécessaire à l’arrimage ; si elle n’en trouve pas, elle finit par s’enrouler en spirale désordonnée à son extrémité et retombe.

La vrille présente effectivement une sensibilité au toucher et cesse ces tours en l’air dès qu’elle touche un support ; elle change alors complètement de mode de croissance et s’enroule. On appelle thigmotropisme (sensibilité au toucher) ce type de réaction que l’on retrouve d’ailleurs avec les tiges des plantes volubiles comme les ipomées (voir chronique).

Pour que l’arrimage ait lieu, la vrille doit non seulement toucher un support mais en plus glisser et frotter un peu le long (sous l’effet du vent par exemple), ce qui lui permet en plus sans doute d’apprécier la rugosité du support. Si on lui applique une simple pression, elle ne s’enroule pas au bout : ce dispositif de perception sophistiqué dans l’espace et le temps évite un enroulement « pour rien » déclenché par le simple passage par exemple d’un animal qui effleure la vrille un instant.

La vrille ne devient sensible au toucher que lorsqu’elle dépasse les 10-15cm de long ; elle présente alors une structure asymétrique avec un côté dorsal et un côté ventral et des structures cellulaires différentes. L’enroulement ne se produit que si c’est la face ventrale (celle qui se trouvera « à l’intérieur » après l’enroulement) qui touche le support ; ce côté commence à subir alors une croissance différentielle qui provoque la courbure et donc l’enroulement et ce de manière très rapide puisque le processus s’enclenche dans les secondes qui suivent le contact ! Si on stimule le côté dorsal d’une vrille déployée, cela ne déclenche pas d’enroulement mais, par contre, si on le fait alors qu’elle a commencé à s’enrouler, elle cesse le mouvement. Ceci montre donc que les deux côtés sont sensibles mais avec des réactions différentes.

En moins de 24 à 36 heures, pourvu que le contact persiste avec le support, l’enroulement devient irréversible et donne une spirale serrée autour du support. Cela donne de nouveau lieu à des scènes photogéniques cocasses quand il s’agit de pédoncules floraux d’autres plantes ou de tiges de graminées par exemple.

Des coussinets tactiles

Depuis la fin du 19ème siècle, on avait noté la présence à la surface des cellules épidermiques du côté ventral de micro-aspérités, de petites bosses qui sont le siège de la sensibilité tactile et surnommés coussinets tactiles ; ce sont donc des mécanorécepteurs. Dans ces structures, au microscope électronique, on a mis en évidence un système complexe d’épaississements membranaires, de microfibrilles formant un anneau, de microtubules, des filaments ; ajoutez à cela des échanges importants d’ions calcium et l’intervention de substances chimiques qui affectent la croissance (des phytohormones) dont le jasmonate et vous aurez une approche de la complexité incroyable de ces dispositifs très étudiés.

En fait, à son émergence, l’épiderme ventral de la vrille ne possède pas de coussinets tactiles ; ceux-ci n’apparaissent qu’à partir d’une certaine longueur (voir ci-dessus) et alors que les cellules se sont allongées et leurs parois se sont considérablement épaissies. Notons aussi que la partie basale ou suspenseur (voir ci-dessus) ne s’enroule pas et reste droit sans se différencier dessus/dessous.

Ensuite, la vrille, dans sa partie libre, va se mettre à s’enrouler sur elle-même donnant naissance à ces fameuses structures en ressorts à boudins à double sens d’enroulement qui vont assurer la prise, rapprocher la tige du support et ainsi mieux résister au vent et aux secousses. Ce processus riche en surprises fera l’objet d’une autre chronique.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Functional anatomy of the mechanoreceptor cells in tendrils of Bryonia dioica Jacq. Jiirgen Engelberth, Gerhard Wanner, Beate Groth, Elmar W. Weiler. Planta (1995) 196 : 539-550
  2. In touch : plant responses to mechanical stimuli. J. Braam. New Phytologist. Vol. 165 ; 2005 ; p. 373-38

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la bryone
Page(s) : 28-29 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus