Equus

Zèbres des plaines. Photo D. Bermudez (Kenya)

Qui ne s’est jamais vu poser cette question: le zèbre est-il rayé de noir sur fond blanc ou rayé de blanc sur fond noir ? ». Elle fait partie des grands classiques au même titre que celle de l’œuf et de la poule ! Cette question en cache une autre bien plus complexe : Pourquoi les zèbres ont-ils des rayures aussi visibles et aussi contrastées ? Traduit en langage scientifique : qu’est ce que de telles rayures apportent aux zèbres comme avantages en termes de survie et de succès reproducteur ? Cette question est peu souvent posée car tout le monde croit en connaitre la réponse : c’est pour se camoufler aux yeux des prédateurs ! Pas si simple, loin de là ! En périphérie de ces deux questions biologiques, il en est deux autres qui n’émergent pratiquement jamais et qui touchent à la nature même du zèbre. Faut-il dire le zèbre ou les zèbres ? (autrement dit, y a t’il une ou plusieurs espèces de zèbres ?) Qui sont les zèbres par rapport aux chevaux (leurs parentés) ?

Dans cette chronique nous allons donc répondre à la première (le dilemme noir/blanc) et aux deux dernières (singulier/pluriel et zèbres/chevaux). A propos de la question épineuse « A quoi servent ces zébrures des zèbres ? » nous consacrerons une autre chronique à l’hypothèse du camouflage et une troisième à l’hypothèse désormais la plus retenue dans le monde scientifique quant à leur fonction.

Question fatale

Depuis le 19ème siècle, le mot zèbre reste attaché en langage familier à l’idée d’un individu bizarre : drôle de zèbre ; c’est qui ce zèbre ? En américain, zebra est utilisé en argot médical pour désigner un diagnostic tiré par les cheveux quand il existe une explication probable bien plus facile et connue ; cet usage de zebra vient d’un aphorisme d’un médecin américain dans les années 1940 à destination des étudiants américains «  Quand vous entendez des bruits de sabots, pensez d’abord à des chevaux avant de penser à des zèbres ». Cette aura d’étrangeté ou de bizarrerie tient à ce fameux motif de rayures unique en son genre par son intensité et son contraste. Ils ne sont pas si nombreux les noms de mammifères qui ont donné ensuite naissance un verbe et un nom : zèbre/zébrure/zébrer ; nombre d’animaux et même de plantes porteurs de tels motifs ont hérité de ce nom : le poisson-zèbre, espèce modèle en biologie, en est un des exemples les plus connus.

En 1974, S. Silverstein (1930-1999), auteur (entre autres) de livres pour enfants, publie dans le recueil Where the sidewalk ends un poème intitulé « Zebra question » ; le voici en traduction personnelle (donc imparfaite pour une poésie !) :

Je demandai au zèbre

Es-tu blanc avec des rayures noires ? / Ou noir avec des rayures blanches ?

Et le zèbre me demanda,

Es-tu bon avec de mauvaises habitudes ? / Ou es-tu mauvais avec de bonnes habitudes ?

Es-tu agité entre des périodes calmes ? / Ou es-tu calme avec des périodes agitées ?

Es-tu heureux et triste quelques jours triste ? / Ou es-tu triste et heureux quelques jours?

Es-tu soigné avec quelques manières négligées ? / Es-tu négligé quelques des manières soignées ?

Et ainsi de suite et ainsi de suite / Et ainsi de suite il poursuivit,

Je ne poserai plus jamais de question à un zèbre

A propos de ses rayures

Une fois encore.

Ainsi il ne ferait pas bon poser cette question à propos des rayures du zèbre : la prise de tête vous attend ! Effectivement, la réponse n’est pas si simple et a demandé du temps à être élucidée.

Pyjama !

Arbre de parentés des Equidés actuels. Les pastilles indiquent l’âge estimé de la divergence des différents sous-groupes (en millions d’années).

Au cours de l’Ere Tertiaire, la famille des Equidés a connu une formidable diversification pendant 55 millions d’années (radiation évolutive) avec des dizaines de genres différents fossiles éteints et des centaines ou des milliers d’espèces. Actuellement, de ce vaste ensemble, il ne reste que sept espèces que nous connaissons sous les noms populaires de zèbres, chevaux et ânes. Leurs noms suffisent à générer dans notre tête trois images bien différentes stéréotypées laissant à penser qu’ils forment trois entités distinctes au sein de leur famille ; or, toutes les études génétiques et anatomiques convergent (et depuis longtemps) pour dire que ces trois « groupes populaires » sont en fait extrêmement proches : les scientifiques les rattachent tous au même genre Equus. Ainsi le cheval domestique est nommé Equus caballus et le zèbre des plaines Equus quagga ! Etre rangé sous le même genre n’exclut pas une certaine disparité morphologique et relève d’ailleurs d’un certain arbitraire puisque ce sont les scientifiques qui fixent ces délimitations. On en connaît de nombreux autres exemples dans le monde animal (une partie des mouettes et de goélands relèvent du même genre Larus) ou végétal (violettes et pensées appartiennent au même genre Viola). Le seul mot du langage courant qui pourrait traduire cette parenté serait celui de l’adjectif Equin qu’il faudrait élever au rang de nom : alors le cheval serait l’Equin cheval ! Faire un mot valise avec zèbre/cheval/âne semble compliqué !

Une des preuves de leur proximité génétique se retrouve dans la possibilité d’obtenir des hybrides viables entre ces trois « groupes » : à cette occasion, on a commis des noms valises pour le moins étranges comme zorse (zebra + horse) pour désigner un hybride de cheval et de zèbre ou zébrane (plus transparent !) ! Mais, on le sait bien avec les bardots et les mulets (cheval x âne), ces hybrides sont stériles ce qui s’explique en partie par des nombres de chromosomes différents.

Le tarpan est une sous-espèce éteinte du cheval (E. caballus) : il vivait dans les forêts d’Europe jusqu’à l’époque historique. Ces animaux ont été « reconstitués » par des croisements entre races domestiques actuelles descendantes de ce cheval sauvage.

Donc dire sous forme de blague que le zèbre est un cheval en pyjama n’est pas si faux mais reste à déterminer si le pyjama a des rayures noires sur un tissu blanc ou l’inverse !

Espèces de zèbres !

Les progrès considérables grâce aux études génétiques (1) permettent d’y voir plus clair au sein de ce groupe complexe. Aux cotés des deux espèces de chevaux (aussi considérées comme deux sous-espèces d’une même espèce) et des trois espèces d’ânes, nous trouvons donc trois espèces de zèbres. Donc, on ne peut pas dire « le » zèbre mais « les » zèbres ! Ce sont :

– le zèbre des plaines ou zèbre commun (le plus répandu des trois) (E. quagga) (ex E. burchellii)

– le zèbre impérial ou zèbre de Grévy (E. grevyi) confiné aux montagnes de l’Afrique de l’Est, reconnaissable à ses rayures très nombreuses et très serrées

– le zèbre des montagnes (E. zebra) de l’Ouest de l’Afrique du sud.

Mais, dans le détail, selon l’étendue de l’aire de répartition, on observe de fortes variations géographiques notamment dans les dessins rayés de la robe, induites entre autres par l’isolement relatif des populations séparées par de grands fleuves. Ceci conduit à distinguer au sein de l’espèce zèbre de plaine au moins cinq sous-espèces dont une éteinte célèbre, le quagga d’Afrique du sud (E. quagga quagga) remarquable par sa robe brune et un motif rayé localisé seulement à l’avant de l’animal. On constate que du nord au sud du continent africain, le motif rayé se réduit progressivement (atteignant un « maximum » chez feu le quagga !). Le zèbre des montagnes est lui divisé en deux sous-espèces.

N/B ou B/N ?

La question fatale arrive donc, en dépit des avertissements à la prudence ! Insoutenable suspense que nous allons trancher de suite : la réponse est B/N ! Un certain nombre d’arguments assez simples plaident en faveur de cette solution. A la naissance, les zébreaux sont bien rayés mais au stade fœtal, les rayures ne deviennent visibles qu’à partir du huitième mois (sur les 11 à 12 mois de la gestation) : auparavant, la peau est … noire ! sur de jeunes zèbres atteints d’une maladie qui fait tomber les poils localement, on peut voir que la peau sous-jacente est bien noire ou sombre en tout cas. Le quagga, cette sous-espèce de zèbre disparu qui n’avait des rayures que sur la moitié antérieure, avait le reste du corps brun. Enfin, penser que les zèbres ont la peau naturellement blanche ne tient pas la route face à leur environnement naturel.

Donc les rayures blanches proviennent du fait que les poils des zones concernées sont dépigmentés et ne renferment pas de mélanine : les gènes qui codent la mélanine seraient désactivés pour les follicules pileux développés sur ces zones.

Notons que indépendamment des différences de motif zébré entre espèces et sous-espèces, chaque individu pour une espèce donnée possède un dessin qui lui est propre (à condition de regarder dans les moindres détails). On a ainsi pu, à partir de milliers de photos de zèbres prises sur un site donné, mettre en place un algorithme (StripeCodes) d’identification individuelle. Ainsi, sur une photo nouvelle, l’algorithme permet de dire si cet animal a déjà été photographié et l’identifier ; cela permet de suivre individuellement des zèbres et connaître ainsi leurs mouvements ! Même les zèbres vont devoir subir l’identification faciale !

Le jeu des sept erreurs : ces deux zèbres des plaines n’ont pas les mêmes dessins ! Photo D. Bermudez (Kenya)

Casse-tête … africain

Reste la question latente de la mise en place ce motif aussi complexe ? Eh bien, là, lors de mes recherches bibliographiques, j’ai saisi le sens de la mise en garde de S. Silverstein de ne plus poser cette question : il faut en effet se saisir de concepts de morphogénèse et de physique très ardus et auxquels, je l’avoue, je n’ai pas tout compris !

Pour comprendre, il faut aller voir ce qui se passe pendant l’embryogénèse ; là, tout semble se jouer entre la 3ème et la 5ème semaine de gestation alors que l’embryon mesure entre 1 et 2 … cm ! A ce moment, le futur motif est initié sous forme de bandes parallèles de même largeur (0,4mm) et perpendiculaires à l’axe longitudinal. Les motifs dépigmentés seraient générés par des « vagues » de diffusion de substances activatrices ou inhibitrices (au sens de la morphogénèse) et ces vagues suivraient un modèle mathématique de réaction-diffusion dit de Turing et proposé par ce dernier en 1952 ; ces vagues génèrent des « structures de Turing » (rayures, dessins réticulés, taches, …). La diffusion des molécules s’accompagne de réactions des cellules sollicitées qui peuvent par exemple se mettre ponctuellement à sécréter des substances inhibitrices et engendrer ainsi des motifs hyper complexes mais répétés. Nous n’irons pas plus loin dans les explications faute de tout comprendre mais retenons que c’est en tout cas fascinant !

Variations sur un thème

Photo D. Bermudez (Kenya)

Ce qui est encore plus fascinant c’est de comprendre à partir de ce modèle comment diffèrent les motifs de rayures selon les espèces (3). Chez les trois espèces de zèbre, un modèle, construit en se basant sur le développement ultra-connu du fœtus des chevaux, montre tout se joue sur le moment de l’initiation du motif (identique au départ pour tous : voir ci-dessus) qui peut avoir lieu entre la troisième et la cinquième semaine selon les espèces.

Chez le zèbre de plaine, l’initiation du motif a lieu dès la troisième semaine alors que l’embryon ne mesure que 1cm de long ce qui laisse peu de place pour 26 rayures ; leur initiation précoce fait qu’elles vont ensuite s’écarter et s’élargir en suivant l’agrandissement du corps. Chez le zèbre des montagnes, l’initiation se passe presque à la fin de la quatrième semaine sur un embryon de 17mm d’où les 43 rayures ; l’arrière-train se développant par la suite, ses rayures sont repoussées et écartées mais pas celles de l’avant. Chez le zèbre de Grévy, l’initiation se fait tardivement à la cinquième semaine alors que l’embryon a atteint déjà 3,2cm de long ce qui laisse beaucoup de place pour 80 rayures très serrées et régulièrement espacées ; elles vont rester ainsi car la morphogénèse du corps est bien avancée sauf sur le cou et l’arrière train qui vont se développer : ainsi s’expliquent ses rayures du cou plus épaisses !

Finalement, çà valait le coup de « se prendre la tête » avec cette question mais en retenant qu’elle n’a rien d’anodin comme pour tout ce qui se touche au vivant !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Reassessing the evolutionary history of ass-like equids: Insights
from patterns of genetic variation in contemporary extant populations. Sónia Rosenbom et al. Molecular Phylogenetics and Evolution 85 (2015) 88–96
  2. Biometric Animal Databases from Field Photographs: Identification of Individual Zebra in the Wild. Mayank Lahiri et al. ICMR ’11, April 17-20, 2011
  3. A unity underlying the different zebra striping patterns : J. Bard Jonathan Journal of Zoology ; 1981.