08/06/2022 A 50km au sud de l’estuaire de la Loire, face à l’Océan, s’étend le Marais Breton, le Marô en patois, sur 45000 hectares, à cheval sur la Vendée essentiellement et la Loire-Atlantique ; cette zone humide majeure, classée Natura 2000 et labellisée d’intérêt international (convention de Ramsar), se compose dans sa partie « terrestre », en arrière du littoral puis des polders, terres récemment gagnées sur la mer par endiguement, de vastes marais façonnés par l’homme depuis des siècles et sillonnés par un inextricable réseau de cours d’eau et de canaux et fossés (au moins 7000km). 

Le circuit sur le blog de Roland (VisuGPX)

Le circuit des oiseaux et des marais sur la commune de Bouin, dans le nord du Marais, traverse ces marais sur une douzaine de kilomètres et permet d’en découvrir l’extrême richesse. 

Je l’ai parcouru le 17 mai en compagnie de mon frère ainé Roland, grand marcheur qui arpente en tous sens les chemins de la Loire-Atlantique notamment et dont vous pouvez retrouver les comptes-rendus de balades sur son blog ; il avait déjà visité ce circuit en hiver et publié une page disponible ici. Nous y consacrons deux chroniques : une (n°1) sur les marais (paysages et flore : à lire en premier) et celle-ci (n°2) consacrée aux oiseaux nicheurs, un des points forts de la biodiversité animale du site. 

NB Si tous les oiseaux mentionnés ici ont été effectivement observés au cours de notre balade, une partie des photos provient d’autres sites de Vendée. 

Canards and co

La famille des anatidés (canards, oies et cygnes) est bien représentée ici avec une série d’espèces nicheuses originales. 

Dès les premiers pas, on repère des taches blanches bariolées de noir dans le paysage : les tadornes de Belon qui alarment à notre passage par des cancanements à sonorité nasale tout en nous survolant en cercles ; sur un plan d’eau, une nichée de canetons adorables se hâte tandis que le couple nous survole en cancanant très fort. Curieusement, ce gros oiseau, mi-oie mi-canard niche classiquement dans des terriers de lapins creusés dans des talus ou plus rarement des arbres creux ou des tas de paille. Plusieurs couples peuvent regrouper leurs jeunes en crèches surveillées collectivement. 

Femelle colvert et sa nichée

Une cane colvert s’éloigne sur un fossé avec sa traîne de canetons qui la suivent : c’est le canard le plus commun dans tout le pays ; en patois local, on nomme ces nichées des guerouaïe : ça ne s’invente pas.

Couple de souchets en vol ; noter le bec « volumineux » qui alourdit la silhouette
Deux mâles de souchets

Plus loin, des mâles de canards souchets s’envolent, reconnaissables à leur plumage bariolé rappelant un peu celui des tadornes et surtout leur gros bec massif un peu aplati : leur présence ici à cette saison correspond clairement à des individus nicheurs et les canes, toutes brunes, doivent couver quelque part ou se cacher avec leurs nichées. Effectivement, les marais de littoraux de l’Ouest dont le Marais Breton hébergent un des gros noyaux de population de cette espèce globalement rare comme nicheuse en France.

Mâle de souchet en avant et mâle de sarcelle d’été

Surprise au retour en zoomant les photos : avec les souchets en vol, figurait un beau mâle de sarcelle d’été, reconnaissable à son gros sourcil blanc : plus rare que le souchet, elle niche aussi dans ces marais et va hiverner dans la zone sahélienne (d’où son nom « d’été »).

Femelle au premier plan et mâle en arrière-plan

Comme pour flatter nos talents de photographes très amateurs, un couple de cygnes tuberculés flanqué de ses six cygneaux en duvet gris pâle, adorables petites peluches s’offre à nous. On peut distinguer le mâle très semblable à la femelle par son tubercule noir plus gros au-dessus du bec. Il ne faut pas se fier à leur allure débonnaire : les cygnes peuvent se montrer très agressifs si on s’approche trop de leurs jeunes en infligeant des coups de bec et surtout de violents coups d’ailes. Cette espèce connaît une forte augmentation générale en France puisqu’on est passé de 1000 couples nicheurs dans les années 80 à 6-7000 au début des années 2010. Pour en savoir plus sur cette espèce, vous trouverez 4 chroniques à la page Ansériformes du site.

Gris et blancs 

Héron cendré à l’affût au bord d’un fossé
En vol : cou replié entre les épaules (contrairement aux grues et aux cigognes)

La famille des hérons (Ardéidés) compte ici au moins trois espèces faciles à observer. Le plus commun est le grand héron cendré, omniprésent en individus isolés ; comme le fait remarquer Roland « dès que l’on pointe l’appareil photo dans sa direction, même s‘il est loin, il s’envole aussitôt » : il s’agit là sans doute d’un réflexe hérité des nombreuses persécutions (dont le tir) dont ont été longtemps victimes ces oiseaux ; bien que protégés, ils continuent régulièrement d’essuyer des tirs malveillants car on leur reproche de capturer des poissons : en fait, ils pêchent effectivement mais chassent aussi des petits rongeurs, des grenouilles et des écrevisses.  Ils nichent dans des arbres et les colonies les plus proches (héronnières) se trouvent a priori dans la forêt côtière du pays de Monts.

A propos de poissons, nous assistons au long des canaux à des scènes impressionnantes de frai des carpes (préludes à la ponte et à la fécondation des œufs par les mâles) : plusieurs individus se pourchassent près de la surface à renforts de gros remous et d’éclaboussures ; on ne voit émerger quelques secondes que des queues qui fouettent l’eau. Tout le monde disparaît aussi brutalement puis la scène recommence quelques mètres plus loin. 

Aigrette gazette au milieu des salicornes
En vol : noter les pieds jaunes et le bec et pattes noirs

Deux « petits hérons blancs » fréquentent ces marais sans y nicher car eux aussi ont besoin de grands arbres pour y bâtir leurs nids en colonies mixtes (plusieurs espèces qui cohabitent). L’aigrette garzette fréquente aussi bien les marais doux que salés et y chasse petits poissons, grenouilles, insectes et crustacés en marchant à grands pas en eau peu profonde et en frappant de son bec noir et fin. Les individus nuptiaux nicheurs portent une longue aigrette de plumes fines sur la tête et deux groupes de plumes « vaporeuses » sur le dos et en bas de la poitrine. Il y a un critère infaillible pour l’identifier à coup sûr : quand elle lève ses pattes noires ou qu’elle vole, pattes étirées derrière elle, on voit ses longs doigts jaunes, contrastant nettement avec le reste des pattes noires. 

Gardes-boeufs : indissociables (ou presque) du bétail

L’autre héron blanc est le garde-bœuf, une espèce en nette expansion depuis les années 1970. En partie sédentaire (restant sur place en hiver), il recherche les prairies pâturées par le bétail où il déambule au milieu des vaches, souvent en petites troupes, pourchassant les petits animaux dérangés ou attirés par le bétail. Les individus nicheurs ont le dessus de la tête teinté de roux pâle et le bec coloré de rouge. 

Limicoles 

Sous ce nom informel, on regroupe des oiseaux qualifiés de « petits échassiers », appartenant à plusieurs familles, qui fréquentent marécages, zones humides et vasières (de limus, boue et cole, aimer) : vanneaux, bécasseaux, bécassines, barges, pluviers, chevaliers, échasses, … Si la plupart des espèces s’observent parfois en grand nombre en hiver notamment sur le littoral (vasières et estuaires), seules quelques-unes nichent en France, souvent en populations réduites et menacées par la disparition des zones humides. Le Marais Breton constitue de fait une zone refuge majeure pour ces limicoles nicheurs qui installent leurs nids au sol dans la végétation humide. 

Vanneaux nicheurs dans un pré pâturé (un tadorne au fond)

Le vanneau huppé ne manque pas de se faire voir et de se faire entendre en effectuant ses vols de parade spectaculaires avec des piqués tangués et des remontées, ponctués de cris sifflés très sonores ; il niche ici dans les prés pâturés. Globalement en France, le vanneau a considérablement régressé à l’intérieur des terres et les marais atlantiques représentent un de ses bastions où il est encore prospère, nichant en petites colonies lâches. 

Poste de chant et de marquage de territoire typique du « tirançon »
Noter les pattes orange et le bord arrière de l’aile blanc

A trois reprises, nous traversons, sans le savoir, le territoire d’un chevalier gambette cantonné qui aussitôt sonne l’alarme avec des cris durs répétés : kip, kip, … Il adore se poster sur un piquet ou une barrière en hauteur notamment pour délivrer son chanté flûté et rythmé : on peut alors noter le plumage brun, grivelé de noir dessous et le bec et les pattes orange vif. Ce comportement typique a attiré l’attention des locaux qui le connaissent bien sous le surnom de tirançon. Dans l’atlas des oiseaux nicheurs de France, on découvre que ce limicole ne niche que sur les façades littorales atlantique et méditerranéenne et que « la Vendée accueillait à la fin des années 2000 environ 75 % des effectifs nationaux (autour de 1200 couples) majoritairement localisés dans le Marais Breton (1000 couples environ) ». 

Couple d’échasses
Un oiseau très bruyant qui domine l’espace sonore du marais

Deux autres espèces ne cessent de se manifester bruyamment tout au long du circuit là où il y a des plans d’eau ou des marais inondés saumâtres : les échasses et les avocettes, impossibles à rater et à confondre. Les échasses, juchées sur d’interminables pattes rouges, portent un manteau noir et un long bec fin droit rouge ; elles picorent de petits insectes, crustacés et mollusques et nichent en petites colonies au milieu des eaux peu profondes à la faveur de banquettes surélevées dépassant de l’eau. Sans cette protection relative envers les prédateurs terrestres, elles ne nichent pas. Elles crient beaucoup en vol en insultant copieusement de leurs cris stridents les intrus (nous en l’occurrence) qui passent à proximité. La façade atlantique abrite 50 % des populations nicheuses. (Voir la chronique sur ces oiseaux).

Avocettes dans un marais salé le long du circuit
Les pattes sont bien plus courtes que celles des échasses mais les cris tout aussi sonores

Quant aux avocettes, elles arborent un plumage bariolé de noir et blanc, des pattes « de longueur normale » bleutées et surtout un bec effilé remarquablement retroussé au bout. Pour se nourrir, tout en marchant, elles l’entrouvrent et sabrent la surface de l’eau par des mouvements latéraux pour récolter de petits crustacés. Elles nichent en colonies nombreuses et se montrent elles aussi très bruyantes en criant fort : des kluitsonores flûtés répétés à tue-tête. Là encore, le Marais Breton, associé à la baie de Bourgneuf et Noirmoutier, héberge l’essentiel des effectifs de la Vendée, « premier département pour l’espèce avec près de 1300 couples ». En dépit des apparences, avocettes et échasses sont de très proches parents et se classent dans la même famille restreinte des Récurvirostridés. 

Mouettes et goélands 

Goéland « argenté » pourchassé par un vanneau : le goéland est un pilleur de nids ou de poussins

Dans le ciel, on voit passer quelques goélands au plumage clair : ce sont soit des adultes de goélands argentés aux pattes roses (pas facile à voir en vol), soit des goélands leucophées aux pattes jaunes, deux espèces dites jumelles très proches mais bien séparées. Le marais est leur terrain de chasse et ils nichent surtout sur la côte. 

Belle surprise en fin de balade : nous tombons sur un petit marais salant avec une colonie nicheuse de mouettes rieuses juste au bord du chemin. Grand spectacle sonore assuré : elles crient tout en allant et venant, bien que nous restions à distance sur le chemin. Les couples sont installés sur des petites digues de vase, sans doute héritées du temps où ce marais était exploité en saline ; ainsi, comme les échasses ci-dessus, elles bénéficient d’une certaine sécurité envers les prédateurs terrestres (renards, …) ; pour les prédateurs volants, elles savent se défendre en attaquant vivement en masse tout rapace ou corneille qui ose s’approcher. En zoomant, nous pouvons voir les œufs dans certains nids et les poussins ne semblent pas éclos. L’espèce a beaucoup progressé et a profité notamment des aménagements de banquettes de vase dans les anciens marais salants destinés à favoriser l’installation des avocettes (voir ci-dessus).

Colonie en bord de route ; noter la végétation bleutée (des arroches pourpières)
Cacophonie infernale de criaillements

En repartant en voiture après notre balade depuis Bouin par la D21 vers le port des Brochets, vers la Martinière, nous découvrons au bord de la route une autre colonie encore plus nombreuse installée sur une digue tapissée d’arroches pourpières (voir la chronique n°1 sur la flore) et d’une graminée halophyte, la puccinelle. Là encore, les individus couvent paisiblement (nous les photographions depuis la voiture sans descendre) … sans oublier de crier sans cesse. Plutôt que rieuse, on dirait la surnommer … mouette crieuse.

Diurnes et nocturnes 

Milan noir en vol

Régulièrement, des milans noirs survolent le marais de leur vol souple et élégant. Ils patrouillent à la recherche de cadavres de poissons ou d’autres animaux dont ils se nourrissent préférentiellement. Curieusement, au cours de notre balade, nous notons de « nombreux » cadavres de toutes sortes que Roland se plaît à noter : qui un lapin, une couleuvre à collier, un poisson, un tadorne dont il ne reste plus que les ailes (le travail d’un renard ?) et même un cygne en train de pourrir dans un canal.

Le petit faucon crécerelle fait le Saint-Esprit en vol au-dessus des prés pâturés ou bien chasse à l’affût depuis un poteau ou une barrière ; il recherche les petits rongeurs ou les gros insectes (courtilières, sauterelles, …).

Mâle de crécerelle à l’affût sur un câble

Au début de la balade, au-dessus d’un immense pré, j’aperçois, très loin, un rapace qui vole avec des battements d’ailes souples et appuyés à faible hauteur : un hibou des marais ou brachyote, une espèce très rare en France comme nicheur. Ce rapace nocturne, proche du hibou moyen-duc mais avec des aigrettes plus courtes chasse en plein jour les petits rongeurs et niche au sol dans les marais. Là encore, selon l’Atlas des oiseaux nicheurs, « le Marais Breton constitue son principal bastion. Il regroupe l’essentiel de la population nicheuse française, soit 75% à 90% de l’effectif total. Le nombre de couples y est estimé entre 30 et 60 à la fin des années 2000, avec cependant de fortes variations interannuelles. » Observation brève mais intense pour un ornithologue que cette présence discrète. 

Brochure avec un dessin du hibou des marais

La petite chouette chevêche (non vue) est citée comme assez commune sur le Marais et elle aussi se montre en plein jour, perchée sur un piquet ou une cabane.  

Le busard des roseaux est signalé comme nicheur régulier sur le site mais nous ne l’avons pas vu non plus. 

Passereaux 

Ici, compte tenu de la rareté voire de l’absence d’arbres (voir la chronique sur paysages et flores du Marais), pas de concert matinal de merles, fauvettes à tête noire, rouges-gorges ou grives musiciennes, habituées des zones bocagères. Les passereaux sont ici représentés par des espèces nichant au sol comme les alouettes des champs ou les pipits farlouses mais ils ne sont guère observables qu’en vol et d’assez loin.

A la faveur de fourrés plus denses, je note une fauvette grisette chanteur et dans une zone à tamaris, explose le chant puissant de la bouscarle de Cetti : cette petite fauvette toute brune, très difficile à voir, est un des rares oiseaux qui défend vocalement son territoire quand des humains le traversent ; sa strophe très rythmée en trois temps retentit et peut faire sursauter : tsip tipitipitipi tip.

Bruant proyer

Un chant curieux, peu sonore, comme une cascade de billes qui tombent, signale un oiseau perché sur une grande herbe sèche : tout brun et rayé, il fait penser à une femelle de moineau mais son bec fort interpelle. C’est le bruant proyer, une espèce des prairies en net déclin qui niche aussi dans les cultures. 

Bergeronnette printanière sur un panneau de balisage du circuit

Pour les observateurs non aguerris côté oreille, il y a deux espèces qui se montrent bien en vue, perchées sur des barrières ou des piquets, et se montrent assez confiantes : des bergeronnettes ou hoche-queues, bien nommées à cause de leur habitude d’agiter leur queue relativement longue en permanence. La bergeronnette printanière frappe par la teinte jaune assez vif du dessous et sa tête bleutée avec un sourcil clair ; elle recherche les prés humides avec de la végétation semi-aquatique développée. Elle alarme avec des cris brefs répétés avant de s’envoler d’un vol onduleux. La bergeronnette grise, plus commune, mais toujours en couples dispersés, occupe souvent des sites non loin des habitations, près d’une mare par exemple. Elle aussi se poste sur des barrières et exprime son inquiétude avec des tchisic sonores. 

Bergeronnette grise sur une barrière de marais

Voici donc un aperçu, incomplet mais néanmoins consistant, de ce que l’on peut observer très facilement, sans être un ornithologue expert depuis les chemins du circuit et sans déranger la faune dès lors qu’on ne quitte pas les chemins. Il reste encore bien d’autres espèces nicheuses à voir, plus rares ou beaucoup plus discrètes. Pensez à vous munir de jumelles pour mieux observer et identifier les espèces rencontrées. 

Trois espèces en une seule vue : une idée de la richesse de ce Marais

Bibliographie 

Site internet du Marais Breton Vendéen : le Marô ; centré sur l’écotourisme responsable. 

Le Marais Breton sauvage et naturel. E. Barbelette, J-G robin. Ed. La Geste 2018. Livre album de superbes photos animalières (dont une majorité d’oiseaux) mais avec des infos intéressantes sur les paysages. 

Atlas des oiseaux nicheurs de France métropolitaine. N. Issa ; Y. Muller. Ed. Delachaux et Niestlé. 2015

Dépliant sur le circuit des oiseaux sur le site Challansgois