14/12/2022 Pour la première fois, je vais consacrer une chronique centrée en grande partie sur mon site Zoom-nature. La majorité des gens le qualifient de blog et pourtant, à de très rares exceptions près, j’y parle très peu de moi ce qui est pourtant un des critères de définition d’un blog. Et même dans cette chronique, ce ne sera pas pour me mettre en avant mais pour vous soumettre mes interrogations sur le sens de ce « blog-site » et de son intérêt. Le déclencheur de cette chronique aura été la lecture d’un livre formidable, une vraie révélation : Manières d’être vivant de B. Morizot ; l’auteur, philosophe, y parle de notre rapport au vivant, aux non-Humains, qu’il est urgent de reconsidérer et de recomposer au regard de la violence de la crise écologique en cours. Dans le dernier chapitre de cet ouvrage, il développe une notion essentielle : celle des égards envers le vivant, ; il s’agit là d’un changement total d’attitude qui consiste à entrer en contact, établir des interactions, faire attention, prendre en compte, … tout le vivant dont nous faisons partie. Or, il termine cette présentation par un éloge des « blogs d’amateur » qui diffusent une masse considérable d’informations sur le vivant pouvant aider justement les novices ou les curieux à « entrer en contact », se connecter au vivant.

Empreinte 

En amont de cette lecture, j’avais commencé ces derniers temps à interroger le sens de mon activité sur le Net via ce site-blog : de multiples études et publications nous informent de la voracité énergétique de ce média. Or, conduire un blog-site, c’est charger des fichiers, stocker des images sur des serveurs, passer du temps en ligne à les installer ; puis, ce sont « vos » clics sur ce site (mais bon pas si nombreux que çà car je n’ai pas un blog d’influenceur ou de personne médiatique, loin s’en faut ?) pour consulter les chroniques … bref, tout ceci consomme de l’énergie et participe à la crise climatique (dans toute sa modeste dimension, mais qu’importe), que je passe mon temps à pointer du doigt comme menace pour notre avenir. 

Alors, après cinq ans d’activité et plus de 800 chroniques, je me pose la question de l’utilité d’un tel site ou plutôt je m’interroge ainsi : est-ce que j’arrive à générer chez un certain nombre de gens des actions, des changements d’attitudes, de nouveaux égards au vivant réels, tangibles, … qui compenseraient au moins virtuellement mon activité numérique en apportant indirectement quelques bénéfices pour le vivant. 

Car, je dois l’avouer, ce site est avant tout pour moi un espace de jeu, de loisir où je suis entièrement libre de déployer une de mes activités préférées : parler de nature, informer sur le vivant et les sciences tout en me formant moi-même à l’occasion des recherches bibliographiques. Mais si le site se limite à cela, à une activité centrée sur le bon plaisir de ma personne, alors il ne répond pas au critère de compensation du préjudice écologique qu’il engendre. 

De même, je reçois régulièrement des mels de lecteurs (merci) qui me disent avoir apprécié telle ou telle chronique et avoir pris du plaisir à les lire. Et c’est déjà une énorme satisfaction mais, là encore, ça ne suffit pas pour en faire un bénéfice envers le vivant si cela ne se traduit pas en acte concret en dehors du cadre du Net. 

Interactions

Et c’est là qu’intervient la prose lumineuse de B. Morizot dans son chapitre sur les égards au vivant : 

Mais comment savoir quels égards montrer envers qui ? De ce point de vue, la conjoncture actuelle est très puissante : les révolutions de l’accès à l’information et aux savoirs nous permettent de nous reconnecter en connaissance de cause au vivant.

C’est ce que nous montrent ces praticiens et ces naturalistes contemporains qui passent la nuit sur internet, sur des blogs « d’amateurs experts » pour apprendre à décrypter les comportements, les relations entre leurs poireaux et limaces d’un potager permacole, les comportements des ripisylves sauvages qui distillent l’eau de tous les nitrates et phosphates, du microbiote intestinal et des mycorhizes forestières- et qui le lendemain passent la journée sur le terrain, ou les mains dans la terre, à se poser de nouvelles questions, à décaler les savoirs qu’ils ont acquis. C’est cette circulation entre les pratiques de terrain et l’extraordinaires accès à l’information qui est permise par le web, notamment sous sa forme amateur, qui fonde un pistage philosophiquement enrichi susceptible de nous conférer des puissances exploratoires inouïes, pour nous apprendre à avoir des égards ajustés à chaque forme de vie, à chaque tissage de vivants. L’opposition répétée entre réalité authentique du contact avec la nature, d’un côté, et le monde « virtuel » de l’autre, ne permet pas de comprendre la donne contemporaine : internet est une prodigieuse machine d’enrichissement des relations au vivant, dès lors qu’il fonctionne comme un opérateur de sensibilisation, immédiatement réinvesti dans des pratiques incarnées. 

Quelle chance de pouvoir dire des choses compliquées de si belle manière … C’est la première fois que je lis une telle référence aux blogs d’amateurs ; d’habitude, quand on parle du Net dans le contexte d’agir sur le rapport au vivant, on ne fait allusion qu’aux sites de sciences participatives liés à des associations ou des structures officielles comme le Muséum d’Histoire Naturelle (voir la chronique). Or, ce que donnent à voir et à lire les blogs amateurs c’est autre chose je pense : on ne demande pas au lecteur de s’impliquer dans un programme de collecte de données, de suivre un protocole scientifique savamment élaboré, … ; on ne lui demande rien : c’est le lecteur qui vient chercher ce qu’il cherche dans une démarche active ou de curiosité. En cela, je dirais que nous sommes plutôt des sites de « SCIENCES INCITATIVES ». 

Alors, est-ce que certaines/certains d’entre vous, lecteurs de zoom-nature, avez ressenti que le fait d’avoir lu une chronique vous a conduit ou aidé ensuite à agir concrètement dans vos rapports au vivant sous toutes leurs formes ; est-ce que cela a suscité des égards envers tel ou tel être vivant parce que vous en avez découvert l’existence et acquis un savoir à son propos sur son mode de vie, ses interactions avec les autres vivants, … Si vous avez des témoignages assez précis, je serais vivement intéressé pour ensuite les publier dans une suite à cette chronique (avec votre autorisation) et par la même occasion pour me « dédouaner un peu » de mon impact énergétique négatif et me rassurer sur l’intérêt de mon travail. Vous pouvez m’envoyer ces témoignages sur le mel du site. 

Déformater et (ré)informer 

Je vois un autre impact indirect de ces blogs amateurs dédiés à nature et sciences : celui de donner à voir une autre information que celle classiquement offerte et formatée par des siècles de vision dualiste de séparation des Hommes et de la « Nature » : une vision d’une nature soit hostile et dangereuse, soit juste bonne à être pillée, exploitée, sans limites et sans aucun égard. Je pense tout particulièrement aux sites-blogs liés indirectement à la nature sur le jardinage, la pêche, la chasse et autres activités « nature » où trop souvent, celle-ci n’est qu’un décor, une ressource, une masse de « choses » en libre-service. Pour s’en convaincre, tapez par exemple sur un moteur de recherche un mot comme guêpe (voir la chronique sur ces insectes passionnants et admirables) et vous verrez le genre de sites qui viennent en premier : ceux qui vantent les moyens de détruire, combattre, lutter, écarter, piéger, … Alors, si par hasard, le questeur finit par tomber (s’il a eu la bonne idée de chercher assez loin dans la liste des propositions) sur un site amateur qui lui offre une autre vision et une approche basée sur des bases scientifiques d’une part (des données avérées et validées) et sur une approche sensible du vivant, alors il y a une petite chance que cela change un peu sa manière d’appréhender le vivant. 

Combien de fois ai-je reçu, via le mel de mon site, des messages du genre : « j’ai tel animal ou telle plante dans mon jardin, comment m’en débarrasser ? ». Il m’est même arrivé de me faire injurier (violemment) pour avoir écrit que le lierre pouvait être bénéfique aux arbres (voir la chronique). Si tous les blogs amateurs aident à changer cet état d’esprit entretenu par toute une machinerie économique (vente de produits destructeurs, entreprises d’interventions, …), alors ils ont indirectement un effet bénéfique non négligeable et même capital.

Libre accès 

Heureusement, je reçois aussi des messages du genre « j’ai trouvé ceci dans mon jardin ou au cours d’une balade : c’est quoi ? pouvez-vous m’en dire plus ? ». Ceci nous amène à un autre rôle des blogs amateurs dont zoom-nature : vous pouvez poser des questions accompagnées par exemple de photos via le mel du site ou bien demander une chronique informative sur tel ou tel sujet. En cela, nous sommes aussi des sites de « SCIENCES INTERACTIVES ». 

Dans le même ordre d’idée se situe la question du libre accès aux informations et illustrations fournies par le site. Je reviens vers B. Morizot qui poursuit ainsi : 

D’où l’importance de défendre une culture de l’internet libre, riche de partages d’expériences et de savoirs multiples, accessibles, gratuits (c’est le librisme). Ce qui est réactivé dans ce partage d’informations qui enrichit nos connexions au vivant, c’est une « culture du don », … : imaginez un monde social dans lequel vous seriez valorisé non pas par ce que vous accaparez et possédez, mais pour ce que vous donnez librement. C’est en capturant ces pouvoirs de circulation des savoirs intelligents, par la culture du don caractéristique du Net, qu’on peut démocratiser l’exploration des égards ajustés envers le vivant. La sensibilité y est nourrie par les savoirs, elle en devient plus intense, plus vibratile, plus intelligente. Elle se connecte spontanément aux luttes : des citoyens deviennent par là des experts des alliances écologiques avec les vivants sur les territoires qu’ils habitent. Et pour lesquels ils luttent, contre l’expertise des technocrates appointés par les firmes, ou au service des Grands Projets Inutiles qui les détruisent. Internet, avec sa circulation horizontale où chacun peut pister des savoirs multiples, est un amplificateur de sensibilité aux énigmes vivantes, et de lutte pour les alliances vitales, dont on n’avait jamais disposé dans l’histoire de l’humanité.  

Ce qu’il faut réinventer par-là, c’est une cosmopolitesse : il s’agit de retrouver et d’inventer les égardsajustés envers les autres formes de vie qui font le monde, d’être enfin un peu plus cosmopoli. 

Alors, j’ai très envie d’être cosmopoli et j’en profite pour redire que tout ce qui se trouve sur le site est en ACCES LIBRE et utilisable par quiconque veut s’en servir pour un usage éducatif, associatif, … Il suffit de mentionner sur les documents utilisés l’origine (zoom-nature.fr ; mon nom n’a aucun intérêt). Je fournis même régulièrement les clichés en format originel des photos publiées (hyper réduites) pour celles ou ceux qui veulent les intégrer dans une expo ou un document d’information. 

Accessible à tous … enfin presque .. Sauf à ceux qui veulent en faire un usage pour une cause n’ayant rien à voir avec celle des égards envers le vivant et la science ; ainsi, récemment, j’ai refusé à une revue nationale complotiste, révisionniste, adepte des pseudo-sciences, d’utiliser une de mes chroniques. 

Pour finir, si vous avez des commentaires, des réactions, des critiques à ce qui précède, je les attends avec intérêt pour, là encore, les intégrer dans une chronique faisant suite à celle-ci. 

Merci d’avance.  

Bibliographie 

Manières d’être vivant. B. Morizot. Ed. Actes sud 2020