Vespidae

Guêpes polistes sur leur nid

27/09/2020 Vous n’avez pas pu y échapper cet été à la petite musique sur ces maudites guêpes qui pullulent, nous envahissent, nous importunent, … Pire : il se pourrait qu’elles soient en augmentation ; il faut réagir, vite !!! Tels sont les messages assumés ou subliminaux assénés par les grands médias qui relaient ainsi une vielle histoire de désamour profond de la gent humaine envers les « guêpes », ancrée au plus profond de notre culture.  Et derrière revient l’éternelle ritournelle : « Les guêpes, ça sert vraiment à quelque chose ? » … sous-entendu, à part nous embêter ! Et pourtant, le rôle écologique des guêpes sociales dans l’environnement naturel ou cultivé est considérable et du même ordre que celui de leurs cousines adulées des médias, les abeilles mais dans des domaines complètement différents. Quel fossé entre ces dernières portées aux nues (avec de sérieuses justifications) et les premières honnies, traquées et complètement ignorées dans leur diversité ! Des chercheurs ont cherché à comprendre l’origine de cette « haine sociale » envers les guêpes et les moyens d’y remédier en s’appuyant justement sur une comparaison avec les abeilles mais aussi deux autres groupes iconiques, les mouches tout autant mal-aimées et les papillons sublimés pour leur beauté et leur importance. 

L’Eumène inguiculé, une superbe guêpe maçonne de belle taille inoffensive et très attractive !

Quelles guêpes ?

La haine et le rejet s’appuient très souvent au départ sur une méconnaissance profonde du groupe stigmatisé. Il convient d’abord de savoir exactement de qui parle-t-on. Les guêpes qui « posent problème » relèvent en fait d’un tout petit nombre d’espèces, membres de la famille des vespidés, avec une coloration noire et jaune : des guêpes sociales et des frelons. Ces espèces ne représentent en fait qu’une infime minorité (1%) parmi l’immense diversité du groupe dit des apocrites au sein des Hyménoptères (voir la chronique de présentation générale des hyménoptères). Les apocrites sont les hyménoptères (« ailes mariées ») avec un rétrécissement marqué au niveau de l’avant de l’abdomen (taille de guêpe) ; on y distingue des centaines de familles et une bonne partie d’entre elles, en dépit de leurs différences, présentent un aspect général qui leur vaut la dénomination populaire de guêpe.

Le terme guêpe n’a donc rien de scientifique et recouvre des milliers d’espèces différentes issues de familles parfois très éloignées en termes de parentés ; ainsi, on nomme guêpes les sirex (wood wasps en anglais = les guêpes du bois) qui n’ont même pas la taille de guêpe (groupe des Symphytes : voir la chronique) et dont les larves creusent le bois ; ou bien encore les chrysis surnommées guêpes de feu très différentes des guêpes sociales. Citons encore les guêpes maçonnes qui bâtissent des nids en forme de petits pots de terre, les guêpes des araignées qui paralysent des araignées pour y déposer leur œuf, les innombrables guêpes parasitoïdes souvent minuscules, les guêpes des galles (voir la chronique sur les bédégars)… et même des guêpes à pollen (les masarinées). 

On retrouve la même problématique avec le mot abeille qui, pour le grand public, ne recouvre en fait souvent qu’une seule espèce, l’abeille domestique ; la majorité des gens ignorent qu’il existe, rien qu’en France, des centaines d’espèces d’autres abeilles très diversifiées et que l’on réunit sous le terme général d’abeilles solitaires (voir la chronique sur ce sujet) : solitaire s’entend au sens de « qui se reproduisent chacune en bâtissant leur propre nid » car elles peuvent aussi vivre en colonies mais où chacune mène sa vie indépendamment. Néanmoins, on commence à en parler de plus en plus dans les médias avec la crise de la pollinisation et la mode des nichoirs à insectes installés dans les jardins. Les guêpes, elles, restent toujours aussi ignorées et laissées pour compte comme nous le confirme cette étude. 

Elles piquent

Les chercheurs sont donc partis d’une question initiale Pourquoi adorons-nous les abeilles et haïssons les guêpes ? Une raison centrale tient sans aucun doute au fait que les guêpes « piquent » comme on dit : sauf que les abeilles aussi ! Normal : guêpes et abeilles appartiennent au vaste groupe des aculéates chez lesquels l’organe de ponte ou ovipositeur s’est transformé en aiguillon à venin (voir la chronique sur les hyménoptères). Mais les guêpes restent perçues comme plus dangereuses que les abeilles. Dès l’antiquité, Aristote affirmait que l’aiguillon des guêpes est plus fort que celui des abeilles. Certes, sur une échelle de la douleur ressentie suite à une piqûre, graduée de 0 à 5, les abeilles se situent entre 0,5 et 2,5 alors que les guêpes vont de 0,5 à 4,5 : peut-être la seule bonne raison de craindre un peu plus les guêpes ! Pour autant, en termes de problèmes graves induits chez certaines personnes sensibles, les abeilles causent plus de problèmes que les guêpes notamment via les ruches. Ce rejet s’ancre donc sans doute dans une base évolutive : nos lointains ancêtres chasseurs-cueilleurs ont dû apprendre à reconnaître et éviter ces êtres vivants capables de blesser voire de tuer ; mais depuis nous avons progressivement perdu le discernement des espèces réellement concernées en l’étendant à tout ce qui ressemble de près ou de loin à des guêpes. 

Aiguillon de poliste

Notons que même parmi les guêpes sociales, les vespinés, toutes ne présentent pas ce risque ; ainsi, les polistes, guêpes vivant en petites communautés (voir la chronique) dans des nids pédonculés peuvent certes piquer mais elles sont très peu agressives et leur piqûre a des effets très limités ; on les voit pourtant figurer comme « à détruire » sur certains sites internet !

L’image sur-magnifiée de l’abeille domestique : on a même fait dire à Einstein que sans elles nous n’existerions plus (fake news ) !

En contrepoint de cette question de dissymétrie de perception, il y a par contre un manque d’appréciation total du rôle écologique des guêpes. Les abeilles, elles, sont magnifiées, portées aux nues, pour leur rôle majeur dans la pollinisation et aussi pour la production de miel, un aliment capital très apprécié pour sa valeur nutritive. Sauf que ce dernier point ne concerne que quelques espèces dont l’abeille domestique et des proches cousines sauvages des régions tropicales. La pollinisation par les abeilles représente pour l’homme via ses cultures un apport majeur récemment mis sur le devant de la scène médiatique avec le fort déclin des abeilles : ce qu’on appelle un service écosystémique. Or, les guêpes dans leur globalité apportent elles aussi un service écosystémique majeur pour l’homme en tant qu’agents de biocontrôle des populations d’insectes susceptibles de causer des dégâts importants aux cultures ; elles interviennent via la prédation directe ou en parasitant et tuant (guêpes parasitoïdes) ces insectes dits ravageurs. Ce service représente une valeur financière au moins égale à celle concernant la pollinisation et touche toutes les cultures (alors que les cultures non entomophiles sont peu ou pas concernées par les abeilles). Et comme les abeilles, les guêpes connaissent un déclin majeur mal évalué d’ailleurs faute d’études suffisantes. Il y a donc là hiatus considérable et deux poids deux mesures ; on ne parle des guêpes que pour leurs aspects négatifs en été ; on ne parle des frelons qu’à travers le frelon asiatique, une espèce exotique invasive qui pose de réels problèmes. Sur les sites des entreprises de destruction des nids de guêpes et de frelons, on les taxe de nuisibles : point de vue hallucinant et pourtant partagé par la majorité du grand public ! 

Double approche 

Afin de mieux percevoir les fondations de cette dissymétrie, les chercheurs ont retenu deux angles d’approche :

– recueillir les perceptions du grand public et leur connaissance du service écosystémique fourni par les guêpes via des questionnaires en ligne auprès de 750 personnes dont 70% étaient originaires du Royaume-Uni ; pour éviter des questions trop  orientées, les chercheurs ont ajouté dans leurs questionnaires, deux autres groupes d’insectes à perception contrastée : les mouches comme pendant des guêpes mal-aimées et les papillons pour le côté « on adore » des abeilles ! 

– interroger le monde de la recherche scientifique via l’analyse du nombre de publications portant sur les services écosystémiques de ces insectes ; ils ont ainsi parcouru toutes les publications entre 1980 et 2017 avec des moteurs de recherche : en entrant les mots clés « guêpe » ET « service écosystémique » ET « lutte biologique » d’une part et abeille ET service écosystémique ET pollinisation d’autre part. 

Derrière cette seconde approche, il y avait l’hypothèse que même chez les chercheurs il existait un biais manifeste envers les abeilles aux détriments des guêpes quant aux choix de sujets de recherche en matière de services écosystémiques rendus. On sait que les scientifiques représentent un relais majeur dans la diffusion des informations pertinentes et la transformation de la représentation sociale de ces insectes. La quasi absence des guêpes et la prédominance criante des abeilles dans les programmes de sciences participatives, bâtis d’après les données scientifiques et par des scientifiques, laissaient d’emblée présager un fort biais aussi du côte monde de la recherche. 

Perception grand public 

Les chercheurs ont ainsi recueilli via les questionnaires grand public plus de 7000 mots utilisés pour décrire leurs émotions envers ces insectes ; pour chacun des quatre groupes testés (abeilles/papillons et guêpes/mouches), ils ont dressé le top 10 des mots les plus utilisés pour chacun de ces groupes. Pour les abeilles, ce top 10 commence par le miel (24%) suivi de fleurs (7%), bourdonnement (7%), aiguillon (6%) ; pollinisation (6%) ; puis avec 3% et moins : jaune, bourdon, ruche et rayures. On note d’emblée que les mots en tête reflètent l’utilité des abeilles pour l’homme et les écosystèmes ; donc un vision positive dominante. Pour les guêpes, le top 10 offre une toute autre vision : l’aiguillon vient largement en tête (24%) ; puis viennent dans l’ordre décroissant avec 3,5% et moins : embêtante ; douleur ; nid ; dangereuse ; rayures ; bourdonnement ; agressive ; effrayante ! Vraiment, vous voyez quelque chose de positif dans cette liste … à part rayures ! Rien sur leur valeur écologique !  Sans surprise, les papillons suivent la même pente que les abeilles avec dans l’ordre : beau ; mignon ; ailes ; coloré ; fleurs ; chenille ; couleurs ; délicat ; été ; voleter : beaucoup de poésie positive ! Quant aux mouches, elles s’accordent plus avec les guêpes : embêtantes ; sales ; bourdonnement ; ailes ; noires ; insecte ; ravageur ; yeux ; petite ; maladie. Là encore beaucoup de négatif et rien sur leur rôle écologique soit comme pollinisateurs (voir par exemple la chronique sur les syrphes), soit comme prédateurs (larves des syrphes par exemple), soit comme transformateurs de déchets organiques. 

On oublie aussi que les guêpes participent aussi à la pollinisation notamment sur des fleurs généralistes comme les ombellifères

Donc on arrive à ce classement bipolaire où abeilles et papillons sont fortement appréciés positivement et adorés tout autant alors que les guêpes sont encore plus mal perçues que les mouches parmi les mal-aimées. 

Les frelons sont de redoutables chasseurs : celui-ci vient de capturer un criquet ; en quelques secondes, il a arraché les ailes et a déjà dépecé la tête ; en moins d’une minute, il ne reste plus rien !

Espoir 

Bref, la sombre impression de départ s’en trouve confortée et confirmée mais quid de l’avenir ? Dans leurs questionnaires, les chercheurs avaient inséré des questions à propos de leur intérêt général envers la nature. Ils ont ainsi pu évaluer pour chaque personne sondée un niveau d’intérêt envers la nature. Or, l’analyse montre que ce niveau d’intérêt est globalement corrélé positivement avec l’émotion ressentie : plus une personne développe de l’intérêt pour la nature, plus elle envisage de manière positive les différents insectes. Plus intéressant encore, il y a un effet « espèce » : les effets positifs les plus forts se manifestent pour les espèces les plus charismatiques (abeilles et papillons) et les effets les plus faibles pour les moins charismatiques (mouches et guêpes). Donc, il semble qu’un plus grand intérêt pour la nature accentue un sentiment favorable global plus fort envers les espèces les plus charismatiques. Autrement dit, même les personnes plus sensibilisées perpétuent ce biais ! 

D’autre part, dans les questionnaires, on demandait de noter la valeur de service rendu par les uns et les autres. bilan : les abeilles se voient systématiquement gratifiées d’une valeur supérieure à celle des guêpes. Là encore, l’intérêt pour la nature interfère : plus le niveau d’intérêt est haut, meilleure est la valorisation des services rendus. Mais cette fois, l’intérêt pour la nature ne relève pas la valorisation des abeilles (elles sont déjà au « sommet ») mais remonte le score des guêpes. Enfin, un espoir : plus on s’intéresse à la nature, plus on semble apprécier les guêpes pour les services rendus ! 

Ces effets semblent assez logiques : un investissement personnel dans l’histoire naturelle améliore la compréhension des interactions au sein du monde vivant et notamment l’importance des guêpes comme régulateurs des insectes bioagresseurs des cultures. D’où l’importance de remettre en avant les espèces moins charismatiques en expliquant mieux leurs rôles écologiques majeurs pour espérer changer progressivement la perception sociale de ces insectes. 

Mais à quoi servent-elles ? 

On ne se pose jamais la question « A quoi servent les abeilles ? » ; il faut dire que leur activité est bien plus facile à observer directement et se passe sur les fleurs, autre élément naturel iconique !

Telle est la question récurrente posée à propos des guêpes (what’s the point with wasps disent les anglais !) ; sous-entendu : elles ne servent à rien sinon à nous embêter et nous menacer ! Or, cette question ne se pose jamais à l’égard des abeilles ! Ceci tient sans aucun doute à leur surreprésentation dans le flux médiatique, leur importance comme pollinisateurs, leur lien avec les fleurs et leur déclin catastrophique qui attire l’attention et l’empathie. Même les personnes n’ayant qu’un intérêt très faible ou nul pour la nature placent toujours la valeur écosystémique des abeilles au-dessus de celle des guêpes ; par contre, on voit qu’un intérêt grandissant pour la nature grignote cette vision des guêpes « inutiles ». donc, si on réussit à plus engager le public en présentant mieux le rôle écologique des guêpes, on pourrait améliorer leur perception et leur valorisation en sachant que l’image des abeilles resterait au zénith de toutes façons. Pour atteindre cet objectif, cela suppose donc que les interactions avec la nature commencent dès le plus jeune âge pour espérer développer en grandissant des attitudes pro-environnementales plus équilibrées. 

En définitive, il faudrait que le grand public comprenne que la question n’est pas « A quoi servent-elles » mais « Pourquoi se pose t-on cette question à propos des guêpes et pas pour les abeilles ? ».

Chercheurs vespaphobes ? 

L’analyse des publications scientifiques avec les mots clés cités ci-dessus apporte de précieux éclairages sur la perception par le monde scientifique. Sur plus de 5200 publications épluchées, 64,3% portaient sur les abeilles et 35,7% sur les guêpes. Mais si on intègre les nombres respectifs d’abeilles et de guêpes, on aboutit à un biais considérable de l’ordre de 40 pour 1 ! De plus, au fil des années, ce fossé entre guêpes et abeilles n’a cessé de se creuser en parallèle de la crise des pollinisateurs. Si on se limite aux publications traitant des services rendus, seuls 2,4% des 908 publications concernent les guêpes : édifiant ! 

Ceci a une conséquence importante : on sait forcément beaucoup moins de choses sur les services rendus par les guêpes puisqu’on les étudie bien moins que les abeilles : spirale infernale ! Il y a donc un besoin urgent d’études scientifiques approfondies notamment sur une estimation financière de leur rôle naturel dans le biocontrôle des insectes bioagresseurs des cultures. Les chercheurs doivent s’employer à valoriser les études déjà existantes et celles à venir, à susciter des programmes de sciences participatives portant aussi sur les guêpes, … comme on a réussi à impliquer le grand public dans la création de bandes fleuries favorables aux pollinisateurs (abeilles et papillons surtout !), à les compter dans le cadre de programmes comme Spipoll en France, à installer des dispositifs permettant leur reproduction, on doit pouvoir trouver des équivalents pour les guêpes en général et apprendre à surmonter notre répulsion spontanée qui n’est qu’un malencontreux héritage culturel.

Il faut sortir vite de cette boucle infernale de l’impopularité et du désintérêt pour booster l’image des guêpes auprès du public. Elles aussi connaissent un sérieux déclin sans qu’aucun projecteur ne soit braqué sur cet angle mort de la crise de la biodiversité. Alors vive les guêpes et devenons tous vespaphiles ! Et réfléchissez-y un peu plus la prochaine fois qu’une guêpe viendra tourner autour de votre tête avant de rouler le journal pour la frapper ! Un petit désagrément très limité par un bel après-midi d’été à mettre en perspective du désastre écologique et économique que serait un monde sans guêpes. 

Ce sujet a fait l’objet d’une émission dans H2O, le magazine de l’environnement animé par C. Noiseux sur France Bleu Pays d’Auvergne (du lundi au vendredi , entre 16H et 16H30) ; vous pouvez écouter cette émission sur ce lien.

12/10/2020 Suite à la parution de cette chronique, un lecteur, Bernard Broyard, m’a envoyé ce courrier agrémenté d’une photo très parlante et qui illustre superbement « l’autre » lien qu’on pourrait avoir avec les guêpes :

J’ai moi-même longtemps vécu avec cette croyance qu’il y avait des insectes meilleurs que d’autres. Ce n’est qu’après la lecture du livre de Eric Grissel « Les insectes au jardin » que mon regard sur ceux-ci a changé. J’ai accueilli cette année une colonie de guêpes germaniques qui s’était installée au printemps derrière mon volet fermé et dont je suivais le développement depuis la fenêtre fermée. Quel superbe travail! J’ai aussi quelques guêpes polistes qui font leur nid sur le mur en pierre de la maison. Jamais je n’ai été ni piqué, ni embêté d’aucune manière malgré les mises en garde de voisins bien intentionnés… Ce n’est que lorsque l’on se mêle de les embêter qu’elles nous embêtent.

Un témoignage qui se suffit à lui-même ! Merci de montrer la voie de la cohabitions !

Bibliographie

Why we love bees and hate wasps SEIRIAN SUMNER et al. Ecological Entomology (2018), 43, 836–845