09/12/2022 Lors des confinements avec « mobilité contrôlée », nous avons appris, par la force des choses, à renouer avec notre environnement très proche et à nous pencher avec intérêt et curiosité sur des éléments auxquels nous ne prêtions même plus attention (ou que nous n’avions même jamais remarqué). Les flaques d’eau sur les chemins en sont un bel exemple au moins pour ma part : je me suis alors pris d’une vraie passion pour ces micro-milieux de vie et j’ai accumulé en trois ans force observations et des centaines de photos. Je me dis qu’il est temps maintenant de faire un peu la synthèse de ce que j’ai appris sur le terrain et à la faveur de recherches bibliographiques. Mais sur ce second point, la récolte a été maigre car bien peu d’études se sont penchées sur ces milieux de vie hormis en milieu tropical mais ce n’est pas le sujet ici. Nous nous limiterons d’ailleurs aux seules flaques d’eau des chemins de terre ou de pierre, des sentiers, des pistes … non asphaltés ; nous ne traiterons pas des flaques d’eau sur les routes et de leurs conséquences sur la circulation ni des aspects liés à la pollution de l’eau dans ce contexte. 

Lexico-flaque 

Souvent, les flaques « s’appuient » sur les bords du chemin relevés en talus comme ici et aussi à cause du profil du chemin

Le portail lexical du CNTRL (une ressource inépuisable et très documentée) propose cette définition du mot flaque : petite nappe d’eau ou de boue dans une dépression de terrain. On y apprend aussi que ce mot s’écrivait à la fin du 13ème flasque, forme qui a continué parfois à être utilisée en littérature. Il est associé à un autre nom proche datant du 14ème siècle, flache, qui désigne plus spécifiquement le creux où de l’eau s’est amassée ou une inégalité dans un pavage ; Rimbaud l’a même utilisé dans une des poésies du Bateau Ivre en 1871 et je ne résiste pas au plaisir de le citer : 

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache 

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé 

Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche 

Un bateau frêle comme un papillon de mai

Flaque et flache dérivent du verbe flaquer (dont j’ignorais l’existence) qui signifie : jeter un liquide avec force contre quelqu’un ou quelque chose ; lui-même vient de l’onomatopée flac. Localement, on utilise aussi le terme de gouille pour désigner les flaques d’eau ; ce mot vient de l’ancien français goille et du latin golliapour trou d’eau. On l’emploie surtout dans le Centre et vers l’Est en Suisse et dans le Jura.

Ornières dues au passage de gros véhicules

Comme nous allons le détailler ci-dessous, « la » flaque » est multiple dans ses formes et il existe plusieurs autres termes désignant des variantes. L’ornière est la trace creusée par les roues des véhicules (autrefois les charrois et charrettes) dans le sol meuble des chemins ; actuellement ce sont les énormes engins agricoles et forestiers (ou les voitures et motos) qui creusent ces ornières parfois très profondes. Avec la fondrière (dérivée de fundus ou fundoris, le fond), on atteint une forme souvent presque permanente qui se rapproche plus du trou d’eau que de la flaque temporaire par définition : ce terme décrit un endroit situé plus bas que les terrains alentour et souvent marécageux et boueux.

Morpho-flaque 

D’un point de vue naturaliste, on peut définir une flaque d’eau (ou flaque tout court) comme une petite étendue d’eau stagnante, temporaire voire éphémère, issue de l’accumulation d’eau dans un creux suffisamment imperméable du sol. Cette eau provient le plus souvent de l’eau de pluie, mais aussi de la fonte de la neige ou de suintements ou de sources situés en amont du creux. 

Deux traits dominants font l’originalité des flaques en tant que forme d’eau stagnante en imposant de fortes contraintes écologiques. Ce sont d’abord des milieux dits éphémères qui disparaissent en quelques jours à quelques semaines mais peuvent réapparaître plus ou moins régulièrement au rythme des précipitations suffisamment abondantes ; leur « durée de vie » varie considérablement selon une multitude de facteurs : l’éclairement qui va conditionner la chaleur reçue et donc l’évaporation ; la récurrence des précipitations et donc le climat local ; l’étendue du creux où l’eau est stockée ; l’imperméabilité relative du fond de la flaque et donc la nature du sol et du sous-sol ; …

Et flaque, elle a vécu ce que vivent les flaques, l’espace de quelques semaines au plus

L’autre trait clé concerne leur faible profondeur rapportée à leur étendue qui favorise considérablement le réchauffement rapide de l’eau accumulée en situation ensoleillée et son évaporation associée. 

La boue argileuse est souvent associée aux flaques

Les flaques tendent spontanément à s’agrandir et donc à devenir plus durables : l’eau imprègne le fond qui se ramollit et peut ainsi s’éroder ultérieurement quand il sera exposé à sec. En même temps, une fine boue argileuse tend à sédimenter au fond et à le colmater, le rendant plus imperméable ce qui prolonge la durée de vie de la flaque ; on parle d’auto-renforcement souvent accentué par le passage de véhicules, vélos y compris. 

Si on considère ce caractère éphémère comme spécifique, alors les flaques quasi-permanentes ne sont plus des flaques au sens strict. C’est ce qui se passe notamment en milieu forestier où les flaques et ornières sont souvent fortement ombragées ce qui limite l’évaporation. Le passage de gros engins forestiers tend en plus à les surcreuser tout en leur donnant une forme étroite ce qui limite encore plus les pertes par évaporation.

Profonde ornière en forêt avec ses « digues » latérales

On se rapproche là des « trous d’eau » permanents et, d’un point de vue écologique, on entre alors dans une autre catégorie, celle des mares temporaires mais avec un pas de temps bien plus long (certaines années ou seulement en plein été). L’exemple évoqué ci-dessus de la fondrière traduit l’existence d’un continuum allant de la petite flaque qui dure quelques jours à des sites en creux conservant l’eau et la boue toute l’année et pouvant être assez étendus en marge de sites marécageux. Dans la suite de cette chronique et des autres associées, nous traiterons avant tout des flaques éphémères.

Ecolo-flaque 

Les flaques sont des modèles réduits de plans d’eau

Les flaques d’eau, en dépit de leur apparence inhospitalière, constituent des milieux de vie à part entière avec leur biodiversité propre : des micro-écosystèmes d’eau stagnante. Évidemment, les êtres vivants animaux et végétaux qui peuplent l’eau de ces milieux sont dans leur grande majorité microscopiques ou de petite taille (quelques millimètres) et hyper spécialisés, i.e. adaptés à la vie en milieu éphémère. Seules les flaques très grandes et profondes ou presque permanentes (à la limite du sujet : voir ci-dessus) peuvent héberger des êtres plus « grands » comme des larves d’insectes ou des têtards d’amphibiens. Mais à ce peuple strictement aquatique, il faut adjoindre les « écotones » ceux qui vivent en dehors de l’eau mais exploitent ou utilisent d’une manière ou d’une autre la flaque :  les insectes volants vivant à la surface de l’eau ; les animaux qui viennent boire ou consommer de la boue minérale ou se baigner et une foule de plantes (mousses, fougères, plantes à fleurs) qui poussent au bord des flaques et profitent de l’humidité qu’elle entretient. Nous aborderons plus en détail cette biodiversité qui gravite autour des flaques dans une chronique à venir sur la faune visible à l’œil nu. 

Les tanins des feuilles de chêne colorent les flaques en brun foncé

Deux facteurs rendent ces flaques intéressantes pour le développement des êtres aquatiques : l’eau qui se réchauffe vite et offre donc des conditions de développement accélérées permettant de compenser la temporalité brève du milieu ; la richesse souvent élevée du milieu en sels minéraux et en nutriments issue de la transformation en surface du substrat (sol, roches) sur lequel la flaque se forme. L’eau de la flaque peut se retrouver en partie colorée par ces éléments comme sur les substrats enrichis en oxydes de fer rougeâtres. 

Comme au bord des rivières ou des plans d’eau, les flaques récupèrent une partie des feuilles mortes

Viennent s’y ajouter des apports extérieurs qui connectent en quelque sorte les flaques avec le reste de l’environnement. Ainsi, des fragments de terre et poussières issues du sol environnant et souvent induites par le passage de véhicules s’ajoutent et se déposent au fond. En automne, les feuilles mortes (ou les fruits qui tombent au sol) s’accumulent facilement dans les creux des flaques qui les retiennent, qu’elles soient en eau ou pas. Comme la période qui suit est souvent peu propice à l’évaporation, ces feuilles vont macérer longuement dans l’eau et commencer à se décomposer : elles nourrissent alors une cohorte d’organismes microscopiques qui entament la fragmentation des tissus et la libération de substances nutritives. Elles modifient aussi la composition chimique de l’eau et libérant des substances chimiques qu’elles renferment : ainsi, les flaques recevant des feuilles de chênes deviennent souvent brunâtres du fait des tanins qu’elles renferment. Une sorte de litière mouillée se forme ainsi et enrichit le fond de la flaque. A la belle saison, on peut aussi avoir de gros apports aériens de pollen issu de conifères notamment (pins) qui en libèrent de grosses quantités massivement : on observe alors des dépôts à la surface formant des figures sinueuses des plus spectaculaires quand le vent déplace cette couche à la surface de l’eau. 

A cela il faut ajouter les cadavres de petits animaux (essentiellement des insectes volants) piégés par l’eau des flaques et qui vont eux aussi se décomposer ou être consommés rapidement. 

Microbio-flaque 

Non, ce n’est pas une bâche abandonnée mais un « voile » bactério-argileux qui s’est formé dans une flaque au milieu de cultures

Ici, nous allons évoquer le monde microscopique des flaques avec souvent des millions d’êtres par flaque. Nous consacrerons deux chroniques sur la faune et la flore observables à l’œil nu : une sur les usagers et une autre sur les résidents.

Voile bactérien flottant en surface d’une grande flaque

Comme dans tous les milieux terrestres et aquatiques, les bactéries dominent largement la scène avec leur temps de renouvellement de quelques heures qui s’accorde bien avec le caractère éphémère des flaques qui se chiffre, lui, en jours ou semaines, une éternité donc pour ces êtres. Leur multiplication très rapide génère un film bactérien flottant quasi invisible qui va aussitôt servir de support de vie pour d’autres « microbes » dont des cyanobactéries (autrefois nommées « algues bleues », terme impropre). Elles développent à leur tour une structure en forme de « tissu » qui englobe en plus des microscopiques particules d’argile non sédimentées. Leur activité photosynthétique (elles sont autotrophes) libère de l’oxygène sous forme de bulles qui soulèvent le voile et tendent à le séparer en couches.

Elles prolifèrent surtout quand l’eau est enrichie en nitrates et phosphore (eutrophisation) comme sur les chemins des terres agricoles : ainsi se forment ces « nappes de tissus flottants » plus ou moins enduits d’argile qui composent des nano-paysages étranges. Souvent, on voit aussi apparaître des taches ou efflorescences vertes : des algues vertes microscopiques profitent aussi de cet espace aquatique et libèrent, elles aussi, des tapis de bulles d’oxygène. 

Diatomées photographiées sous microscope (Capture d’écran : Biblio 2)

Un autre groupe peut s’inviter si la flaque dure un peu plus longtemps : les diatomées, des « algues brunes » unicellulaires qui vivent soit libres dans l’eau soit incluses dans les films bactériens. Elles fabriquent une sorte de « squelette » vitreux siliceux (frustule) enveloppant chaque cellule individuelle. Dans une étude menée en Pologne sur une flaque d’eau de 10cm de profondeur en bordure d’une route, les chercheurs ont recensé pas moins de 113 espèces de ces diatomées dont 10 dominantes ; ils ont même décrit à cette occasion six nouvelles espèces de ces êtres bien peu étudiés. 

A ce monde autotrophe (vivant d’eau, de lumière et des minéraux dissous), vient s’ajouter, s’il y a un peu de matière organique (humus, débris végétaux, …), un autre monde d’êtres unicellulaires prédateurs, détritivores ou herbivores à la diversité insoupçonnée : des amibes, des paramécies, des infusoires, … Il y a aussi des êtres pluricellulaires de très petite taille dont des rotifères (de quelques dizaines de microns à 3mm), des ostracodes, sortes de micro-crustacés dotés d’une coquille bivalve calcaire, des hydracariens (minuscules acariens rouges aquatiques), … 

Notons aussi que les flaques peuvent aussi héberger des virus et microbes pathogènes. Ainsi, les chiens qui se baignent dans des flaques peuvent contracter la leptospirose, une maladie redoutable qui s’attaque aux reins ; l’eau est contaminée via l’urine de mammifères sauvages vecteurs. Il y a aussi des protozoaires flagellés pathogènes de l’intestin, les Giardia, transmis par les excréments. Le risque est d’autant plus élevé pour les chiens que l’on est proche d’endroits fréquentés et quand l’eau vient par écoulements latéraux depuis des zones d’élevage par exemple. En tout cas, en situation de grande randonnée, ce n’est pas du tout une bonne idée de récupérer l’eau de flaques, même transparente, pour la boire.

Bref, chaque flaque est un bouillon de culture, au sens positif du terme, un bouillonnement de vie intense, insoupçonnée. 

Cryo-flaques 

Superbe terrain de chasse-photo : un long chemin de flaques glacées

Nous allons terminer ce tour d’horizon du monde des flaques avec deux aspects moins scientifiques et plus anthropocentrés. En hiver, à l’occasion des épisodes froids et surtout à l’ombre, l’eau des flaques gèle et prend en glace d’autant plus facilement qu’elles sont peu profondes.

Outre l’aspect ludique pour les enfants (voir paragraphe suivant ; casser la glace ou patiner dessus … ou tout au moins essayer), elles offrent un spectacle fascinant pour le simple contemplateur de nature avec des nano-paysages imprévisibles faits de glace de texture différente, tantôt transparente, tantôt blanchâtre, le tout agrémenté de bulles d’air. Chaque flaque devient une œuvre de land art, éphémère par nature. Le petit portfolio sans ambition qui suit illustre simplement la fascinante beauté des flaques gelées quand toute la nature autour est endormie. 

Même sans la glace, les flaques conservent leur potentiel de miroir par le simple jeu des reflets dans l’eau … une autre source d’œuvres picturales éphémères. 

Ludo-flaques 

Un site idéal pour la découverte de l’environnement ordinaire

Les flaques exercent une forte fascination sur les jeunes enfants qui adorent patauger, sauter à pieds joints, éclabousser, jeter des pierres, … Elles sont une formidable opportunité d’entrer en contact avec la nature environnante et de se connecter avec l’élément naturel qu’est l’eau et d’en découvrir les propriétés. Dans les pays nordiques et anglosaxons, on organise souvent, y compris en activité scolaire, des « flaques-parties » où de très jeunes enfants (maternelle), équipés de bottes et cirés, vont s’amuser sur un site riche en flaques.

Si ces activités sont conduites en hiver ou tôt au printemps, elles sont sans impact réel sur la vie dans ces flaques ; par contre, on évitera de laisser les enfants patauger ou piétiner des grandes flaques en forêt dès qu’elles hébergent des plantes aquatiques, signes de leur permanence et de la possibilité de présence de larves d’insectes ou de têtards. Dans ce cas, on en profitera plutôt pour découvrir ensemble qu’il y a des êtres vivants dans cette flaque en s’accroupissant à coté : ainsi, l’enfant comprend de lui-même qu’il ne faut pas marcher dans une telle flaque. Le sauvetage d’insectes en perdition à la surface de l’eau, la recherche de traces de pas dans la boue, … peuvent aussi être de superbes outils de sensibilisation à l’environnement … comme j’ai pu le tester avec mes petits-enfants. 

Rendez-vous dans les deux chroniques sur la faune et la flore observables à l’oeil nu : les usagers et les résidents.

Sauvetage d’une mouche en train de se noyer à la surface d’une flaque

Bibliographie 

Site CNTRL 

Diversity in Anthropogenic Environment – Permanent Puddle as a Place for Development of Diatoms Mateusz Rybak et al. Journal of Ecological Engineering  Volume 20, 8, 2019, p. 165–174 

A puddle : an ombrophilic cyan-bacterial community. G.A. Zavarin et al. Microbiology. v. 78 ; p 468-473 (2009)