Flaque permanente sur un chemin forestier : la riche flore de bordure en témoigne (renoncule petite douve ; alisme plantain d’eau, joncs, …

22/12/2022 Dans la chronique Flac, floc, … : des flaques d’eau sur les chemins, nous avons évoqué ces micro-écosystèmes qui attirent bien peu d’attention de la part des promeneurs mais n’en sont pas moins des sources d’observations et de contact avec les vivants qui nous côtoient. Nous avons notamment présenté quelques aspects de la vie microbienne des flaques et annoncé à cette occasion une autre chronique sur la « faune » visible à l’œil nu des flaques, ou plutôt sur les espèces animales qui, de manière plus ou moins étroite, interagissent avec les flaques d’eau des chemins. Nous allons les découvrir en deux chroniques : une première consacrée aux « usagers », i.e. les animaux qui exploitent ou viennent autour des flaques mais sans y vivre ; une seconde, celle-ci, consacrée aux résidents, i.e. les espèces (animaux et plantes à fleurs) qui vivent dans et autour des flaques au moins pour une partie de leur cycle de vie. 

Belle ornière profonde en forêt : site à sonneur à ventre jaune (voir le paragraphe 3)

Avec ce thème des résidents, des espèces a priori plus spécialisées et plus exigeantes en termes de conditions écologiques, nous allons être amenés à considérer presque uniquement les « belles » flaques durables, anciennes, profondes et surtout en forêt (ou en bocage boisé), celles du type ornières ou fondrières (voir la chronique générale) un milieu favorable à leur maintien du fait du microclimat ombragé qui limite l’évaporation et donc l’assèchement rapide des mares.  

Résidents de surface 

Gerris sur une flaque peu profonde

Les flaques d’eau conviennent parfaitement à un groupe de punaises semi-aquatiques (hémiptères hétéroptères) qui se déplacent à la surface de l’eau, en patinant avec les extrémités hydrofuges (qui repoussent l’eau) de leurs pattes ; elles n’ont donc pas forcément besoin d’eaux profondes ni de végétation aquatique. 

Deux grandes paires de pattes locomotrices et la petite paire de pattes antérieures servant à la capture des proies

Les gerris sont les plus connus sous le surnom malheureux d’araignées d’eau alors que ce sont des insectes même s’ils semblent à première vue n’avoir que quatre pattes étalées en croix et qui tiennent le corps allongé surélevé au-dessus de l’eau. En fait, il y a bien une troisième paire de pattes, les antérieures, mais petites et repliées vers la tête ; elles servent à capturer ou saisir des insectes tombés à l’eau ou morts (voir la chronique des usagers) ou de petits insectes qu’ils percent ensuite avec leurs pièces buccales de punaises. Une partie des individus (et certaines espèces) volent ce qui leur permet de coloniser facilement des flaques même temporaires ou d’en visiter plusieurs à la recherche de nourriture. 

Belle colonie de vélies sur une flaque en forêt

Les vélies (Velia), d’une famille proche des Gerridés, sont plus rares et ne s’observent que dans de belles flaques forestières ombragées et quasi-permanentes. Plus trapues, elles ont des pattes nettement plus courtes et les 3 paires sont bien visibles. Chez l’espèce la plus courante, V. caprai, l’abdomen est tacheté de rouge et le ventre jaune orangé. On les observe souvent en groupes ; elles chassent à vue en se précipitant sur les proies à la surface de l’eau. 

Toujours sur les grandes flaques forestières ombragées avec de la végétation herbacée, on peut observer d’étonnantes mouches au corps vert métallique irisé, courant à la surface de l’eau, les mouches sémaphores, au nom latin improbable (Poecilobothrus nobilitatus). Si vous en croisez, arrêtez-vous, installez-vous confortablement à côté de la flaque et observez leur ballet très étonnant. Cette mouche appartient à une famille peu connue, les dolichopodidés, les « mouches aux longues pattes grêles ». Les mâles (7mm de long) se démarquent des femelles par leurs ailes enfumées aux pointes blanc laiteux et mènent des parades très complexes : placés à quelques centimètres devant les femelles, ils agitent rythmiquement leurs ailes, faisant « clignoter » leur tache blanche terminale ; si la femelle est intéressée, le mâle se met à « danser » un ballet aérien très sophistiqué : il alterne des vols planés ou bien tourne en cercle au-dessus ou encore effectue en plein vol des volte-face à 180°. Ces mouches sont elles aussi prédatrices de petits insectes. 

Pouponnières larvaires 

Les flaques d’eau sont bien connues pour être des « nids » à moustiques dans divers milieux dont les forêts, i.e. des sites où se développent les larves aquatiques des moustiques. Les femelles, les suceuses de sang bien connues, pondent leurs paquets d’œufs à la surface où ils éclosent et donnent des larves qui vivent la tête en bas et se déplacent en se tordant. Leur développement est très rapide et elles se transforment en nymphes qui flottent près de la surface et d’où émergeront les adultes. Larves et nymphes constituent des proies potentielles pour d’autres larves d’insectes dont celles de libellules qui adoptent ponctuellement de grands flaques permanentes avec un peu de végétation pour y pondre leurs œufs. Quelques petits coléoptères aquatiques (famille des Dytiques) viennent aussi chasser dans ces flaques d’autant qu’ils peuvent se déplacer en vol. 

Tubes de larves de chironomes au fond d’une flaque vaseuse (?)

Dans les flaques au fond vaseux, on trouve fréquemment des larves d’autres « moustiques » qui eux ne piquent pas : les chironomes. Les adultes se distinguent par leur thorax bombé, et les antennes très plumeuses et leurs ailes repliées en toit au repos ; ils forment souvent de grandes nuées en forme de boules tournoyantes à la tombée de la nuit. Leur nom de chironomes (du grec chiro, celui qui gesticule ; voir chiropracteur) vient du fait qu’ils agitent beaucoup leurs pattes antérieures allongées. Ils pondent dans l’eau et leurs larves ressemblent à des vers tout rouges car leur corps renferme de l’hémoglobine, le pigment qui colore les globules rouges de notre corps et nous sert à fixer l’oxygène. Ces larves vivent le plus souvent dans des tubes ou fourreaux fragiles faits de particules de vase et qui dépassent du fond. On les confond souvent, sous le même nom de vers de vase, avec de vrais vers ou annélides, les tubifex, qui peuplent eux aussi parfois des flaques au fond vaseux (voir la chronique sur ces animaux). Contrairement à ces derniers, les larves de chironomes possèdent une tête avec deux yeux et des pattes atrophiées ; elles se nourrissent de bactéries, d’algues microscopiques et de déchets organiques qui sédimentent au fond. 

Colonies très denses de Tubifex, des « vrais » vers

Viviers à têtards 

Belle flaque forestière propice aux amphibiens

Évidemment, les grandes flaques forestières profondes avec un peu de végétation représentent des milieux potentiellement intéressants pour la reproduction des amphibiens : grenouilles et crapauds (anoures) ou tritons et salamandres (urodèles) peuvent y pondre leurs œufs et leurs larves ou têtards vont s’y développer avant de se métamorphoser en adultes. 

Ponte de grenouille brune dans une flaque forestière

Les grenouilles « brunes » (grenouille rousse et grenouille agile) y pondent parfois mais préfèrent nettement les mares plus importantes ; les jeunes grenouilles par contre, après avoir quitté leur mare natale, se dispersent souvent et peuvent alors fréquenter ces milieux relais en plein été tout comme les jeunes grenouilles vertes. 

Position typique du sonneur dans les flaques : à la moindre alerte il plonge

Une espèce de crapaud est « la » spécialiste des flaques d’eau en forêt ou en bocage, surtout dans les longues ornières profondes : le sonneur à ventre jaune. Cet adorable petit crapaud (4 à 5cm de long) passe presque toute sa vie dans l’eau ou au plus près et recherche des sites de petite taille pauvres en autres amphibiens plus grand et en poissons susceptibles de le concurrencer : les flaques d’eau sont donc pour lui un milieu idéal à condition qu’elles soient relativement ensoleillées. Le dessus brun verruqueux des adultes contraste avec le dessous jaune ou orange vif taché de noir. Ils vivent souvent en petites colonies et on peut les voir d’avril à septembre-octobre. Par temps doux, les mâles émettent un chant plaintif qui ne s’entend que de très près. Chaque femelle pond quelques centaines d’œufs et les têtards se développent dans les flaques. Ces petits crapauds sont très craintifs dans l’eau et plongent à la moindre alerte, soulevant souvent un petit nuage de boue quand ils atteignent le fond. En forêt, le passage des gros engins forestiers, qui créé souvent des ornières favorables, détruit aussi les populations déjà installées. 

Parmi les urodèles, hormis le triton palmé très commun qui habite parfois les flaques, ce sont surtout les larves de salamandre tachetée, une espèce forestière et bocagère, qu’on peut y observer régulièrement. Les femelles viennent mettre bas (espèce ovovivipare) dans des flaques profondes bien oxygénées : les larves, dotées de branchies externes de chaque côté de la tête vont se développer ne 2 à 7 mois. On les reconnaît facilement à la présence d’une petite tache claire typique à la base de chacune des quatre pattes. 

Rencontres du 3ème type

Les seuls vrais résidents permanents (tout le cycle), visibles à l’œil nu des flaques d’eau sont en fait soit des vers dont des annélides ou soit des « crustacés ».

En ce qui concerne les premiers, nous avons parlé ci-dessus des vers de vase Tubifex, des annélides proches des lombrics (voir la chronique sur ces vers)., qui forment des colonies très denses au fond des flaques au fond chargé en vase et riches en matière organique. Par ailleurs, on observe souvent dans la fine couche de vase qui tapisse la cuvette des flaques des traces de passage de ce qui semble bien être des « grands vers » ; mais je n’ai jamais pu observer directement les auteurs de ces traces. Par contre, j’ai eu l’occasion de trouver au fond d’un bassin en eau, avec de la terre au fond, dans mon jardin, des dizaines de gros « lombrics » bien vivants.

« Lombrics » trouvés au fond d’une bassine inondée

Donc, il doit y avoir de tels vers qui fréquentent les flaques et vont « labourer » la vase du fond. Par ailleurs, on peut observer très ponctuellement dans des flaques peu profondes de très longs vers clairs filiformes qui se tordent sur place ; leur corps n’est pas annelé et ils n’ont donc rien à voir avec les annélides : ce sont des vers dits gordiens car ils peuvent se regrouper en entrelacs inextricables de plusieurs dizaines de vers. Certains mesurent jusqu’à 70cm. Ces vers libres ont des larves vermiformes parasites d’arthropodes ; ils n’ont pas de tube digestif et se classent dans le groupe des Nématomorphes proches des Nématodes. 

Ver gordien : on dirait une radicelle … mais ça bouge …

Mais il y a encore plus étrange et spectaculaire que ces vers gordiens : de petits « crustacés » aux allures improbables qui appartiennent au groupe des Branchiopodes connu surtout à travers l’une de ses espèces, utilisée en aquariophilie, Artemia salina, mini crevette des eaux sursalées.

Artemia salina du groupe des Branchiopodes (« pattes-branchies ») : espèce des eaux très salées

Ils sont tous spécialistes des milieux aquatiques temporaires dont les flaques. Ils pondent des œufs dits de résistance (cystes), contenant un embryon prêt à éclore, capables de résister très longtemps au dessèchement : à la première pluie, ces œufs éclosent et la flaque se remplit comme par magie de dizaines de ces êtres surprenants. A part les cladocères ou puces d’eau assez communes mais à la limite du visible à l’œil nu, observer les autres branchiopodes (trois ordres différents) relève de la très grande chance car ils sont rares et surtout d’apparition très éphémère. Les anostracés ont des allures de petites crevettes (2 à 3cm de long) aux yeux pédonculés et aux pattes plumeuses d’où leur surnom anglo-saxon de « crevettes féériques » (Fairy shrimp). L’espèce Eubranchippus gruberi de couleur rougeâtre est ainsi signalée très ponctuellement en France en Alsace.

Eubranchippus gruberi (mâle en haut, femelle en bas) (Cliché Christian Fischer ; C.C. 3.0)

Encore plus étonnants sont les notostracés, les crevettes-têtards des anglo-saxons, dont les genres Triops ou Lepidurus , aux allures de petits limules avec un bouclier dorsal développé et un abdomen segmenté. Au total une vingtaine d’espèces de branchiopodes sont connues en France mais la plupart rares à très rares : les rencontrer est vraiment un coup de chance et ne s’oublie pas. Personnellement, je n’ai vu qu’une fois des Branchippus : j’avais dix ans et ils étaient dans une grande ornière d’un chemin bocager dans mon Boischaut natal ; pour autant, je n’ai jamais oublié cette rencontre hors du temps et cette image m’est toujours restée … même si je n’ai mis un nom sur ces « bêtes » que dix ans plus tard lors de mes études. 

Lepidurus apus (Cliché Gllawn ; C.C. 4.0)

Fleurs des flaques 

Flaque le long d’une allée forestière avec sa frange de plantes qui recherchent l’humidité : persicaire poivre d’eau et en arrière lotier des marais

Nous allons terminer ce voyage de flaques en flaques avec la flore et plus particulièrement les plantes à fleurs. Nous n’avons pas en milieu tempéré tout au moins d’espèce de plantes à fleurs inféodées seulement aux flaques d’eau mais par contre plusieurs espèces liées plus ou moins étroitement aux milieux aquatiques fréquentent régulièrement les flaques et leurs abords. Là encore, on les trouve surtout dans les grandes flaques semi-permanentes surtout en milieu forestier. Les graines qui tombent au fond des flaques résistent aux périodes d’assèchement et germent d’autant mieux par la suite que la couche de boue qui sédimente dans les cuvettes leur sert alors de « terreau » pour se développer. Nous présentons ici quelques espèces typiques des flaques et de leurs abords. 

Rosettes de plantain majeur le long de cette flaque boueuse sur un chemin de campagne

Sur les chemins de terre ordinaires, deux espèces fréquentent assidûment les abords des flaques : la renouée des oiseaux avec ses touffes plaquées au sol et le plantain majeur qui étale ses rosettes de grandes feuilles à nervures parallèles juste au bord des flaques, profitant de l’humidité. 

Dans les flaques profondes, les seules espèces de plantes aquatiques flottantes sont le plus souvent des callitriches qui forment des colonies avec des rosettes de feuilles flottantes ou une graminée, la glycérie flottante avec ses longues feuilles étroites.

Parmi les plantes semi-immergées, les pieds dans l’eau, régulièrement observables, nous avons : la renoncule petite douve aux feuilles presque entières ou la péplide faux-pourpier avec ses petites feuilles rondelettes presque charnues, …

La plus constante et typique est peut-être la persicaire poivre d’eau qui forme souvent des colonies denses en marge des grandes flaques forestières ; pour s’assurer de son identification, il y a un test simple : détacher une feuille, la porter à la bouche et la mâchouiller un peu ; l’effet ne tarde pas avec une puissante sensation de brûlure poivrée au bout de la langue qui durera quelques minutes. 

Ornière asséchée en été où s’installe une flore variée qui profite d l’humidité résiduelle

A l’emplacement des flaques asséchées a la faveur de l’humidité résiduelle et de la couche de vase séchée accumulée se développent, en plein été et début d’automne, certaines plantes annuelles éphémères : les plus typiques sont le gnaphale des marais au feuillage cotonneux blanchâtre ou le petit jonc des crapauds aux feuilles filiformes  ; plus rarement, on peut trouver la belle gypsophile des murailles (bien mal nommée) aux délicates fleurs rose. 

Nostoc sur l’emplacement d’une flaque superficielle

Terminons avec un être d’allure végétale très surprenant : des sortes de masses gélatineuses brun sombre avec des formes de pseudo feuilles, qui peuvent se former en grand nombre à l’emplacement de flaques très peu profondes sur des sols graveleux ; ce sont des Nostoc, des cyanobactéries coloniales (microorganismes) qui se gonflent d’eau via le mucilage qu’elles secrètent autour de leurs cellules. 

Ce tour d’horizon, même incomplet et plus de l’ordre du survol, vous aura, nous l’espérons, donné envie de vous intéresser à ces micro-milieux que sont les flaques d’eau et à les inspecter surtout celles qui sont en forêt ou dans les chemins bocagers ; mais, en fait, pratiquement toutes peuvent révéler de belles surprises avec des indices à déchiffrer : une plume qui flotte, des traces de pas, des tubes de boue, …

D’ailleurs, je place ici quelques photos « énigmes » prises dans des flaques et sur lesquelles je n’ai pu mettre aucun nom d’espèce, de famille ou même d’ordre ou de classe d’être vivant … si vous avez une idée, communiquez via le mel du site votre suggestion (en précisant le numéro de la photo concernée) ; je la rajouterai à cette chronique avec la mention de l’auteur bien sûr. 

1) Photo la plus mystérieuse : sorte d’étui tissé colonisé par des algues vertes ; je n’ai pas voulu le démolir pour voir ce qu’il y avait dedans …

Bibliographie 

Density- and Food-Resource-Dependent Courtship Behaviour in the Fly Poecilobothrus nobilitatus L. (Diptera, Dolichopodidae) K. LUNAU et al. Entomologie heute 18 (2006): 123-132

Les amphibiens de France, Belgique et Luxembourg. R. Duguet ; F. Melki. Ed. Biotope 2003

Site des « Grands Branchiopodes d’Alsace »