22/12/2022 Dans la chronique Flac, floc, … : des flaques d’eau sur les chemins, nous avons évoqué ces micro-écosystèmes qui attirent bien peu d’attention de la part des promeneurs mais n’en sont pas moins des sources d’observations et de contact avec les vivants qui nous côtoient. Nous avons notamment présenté quelques aspects de la vie microbienne des flaques et annoncé à cette occasion une autre chronique sur la « faune » visible à l’œil nu des flaques, ou plutôt sur les espèces animales qui, de manière plus ou moins étroite, interagissent avec les flaques d’eau des chemins. Nous allons les découvrir en deux chroniques : une première, celle-ci-consacrée aux « usagers », i.e. les animaux qui exploitent ou viennent autour des flaques mais sans y vivre ; une seconde (voir la chronique) consacrée aux résidents, i.e. les espèces (animaux et plantes à fleurs) qui vivent dans et autour des flaques au moins pour une partie de leur cycle de vie. 

Baignoires 

Noter, en plus de la plume, les traces de pas dans la boue

Pour de nombreux oiseaux, dont les passereaux, la baignade permet d’entretenir et nettoyer leur plumage : il s’agit d’une activité essentielle tant pour conserver un plumage en bon état pour voler que pour se débarrasser de la charge souvent importante de parasites externes qui vivent sur les plumes et s’en nourrissent (comme les poux mallophages). Les flaques offrent à cet égard un site de baignade idéal : peu profondes le plus souvent, l’oiseau même petit peut y entrer et s’ébrouer à souhait ; les abords souvent dénudés sur les chemins laissent un espace ouvert qui permet de surveiller l’arrivée éventuelle de prédateurs attirés par cette activité au cours de laquelle l’oiseau doit, quelques instants, abandonner toute prudence pour s’asperger. En plein été, les flaques sont souvent les seuls sites avec de l’eau libre facile d’accès dans de nombreux milieux ; dans certaines régions naturelles, elles peuvent même être la seule ressource en eau et pas seulement dans les milieux chauds et naturellement secs. Ainsi, en Auvergne, la chaîne des Puys (voir les chroniques) est une région naturelle aux sols très filtrants et dont l’histoire volcanique fait qu’il n’y aucun réseau hydrographique en surface : les flaques d’eau en forêt y sont quasiment les seuls « milieux aquatiques » disponibles pour la faune, y compris pour boire (voir paragraphe suivant).

L’activité de baignade des oiseaux peut s’observer directement mais moyennant beaucoup de précautions ou lors d’affûts car les oiseaux se montrent alors très méfiants se sachant très vulnérables. Certains se baignent même en groupes comme les étourneaux sansonnets ou les moineaux domestiques. Des plumes de duvet flottant à la surface témoignent alors de leur passage. En plein été, avec la mue générale qui affecte nombre d’espèces, on trouve souvent même de grandes plumes muées (rémiges) qui rendent possible l’identification des espèces. 

Flaque profonde qui a récemment servi de site de bain à des sangliers qui ont troublé l’eau durablement
Flaque demi asséchée lissée par le bain de boue d’un sanglier

En forêt, les grandes flaques d’eau profondes et durables des ornières et fondrières (voir la première chronique) sont des sites favoris pour les sangliers qui s’en servent pour y faire des bains de boue en se vautrant vigoureusement au fond. Après leur passage, outre l’aspect champ de bataille, on note les traces de pas et la boue lissée sur les côtés ou le fond de la flaque ; parfois, on trouve quelques soies décrochées dans la vase. Examinez à proximité la base des troncs des arbres sur lesquelles ils viennent ensuite se frotter pour se gratter et se débarrasser eux aussi d’une part de leur charge parasitaire. A cette occasion, ils vont aussi déposer une part des graines et/ou fruits des plantes sauvages accrochés à leur pelage ou collés dans la boue sous leurs sabots (épizoochorie) : ils participent ainsi à la dispersion de ces plantes et favorisent leur concentration sur ces sites, si les conditions environnementales le permettent (voir la chronique sur ce processus). 

Abreuvoirs 

Comme indiqué ci-dessus, les flaques d’eau en été sont souvent la seule ressource en eau libre disponible dans de nombreux milieux, surtout pendant les périodes de canicule. Où, même après un orage bien arrosé, les zones humides habituelles restent desséchées ayant juste absorbé comme des éponges la pluie tombée. L’eau des flaques devient alors cruciale notamment pour les mammifères d’une certaine taille : sangliers, chevreuils, cerfs, carnivores, …

Les oiseaux aussi ont besoin de cette eau même si leurs exigences sont moindres, compte tenu de leur métabolisme excréteur qui recycle une bonne part de l’eau absorbée. Les oiseaux granivores à la nourriture naturellement sèche ont particulièrement besoin de boire régulièrement : pigeons, tourterelles, linottes, verdiers, serins, chardonnerets, … viennent donc boire dans les flaques et, par la même occasion, s’y baigner (voir ci-dessus). Là encore, les observer en train de boire exige beaucoup de discrétion car ils craignent les prédateurs aériens (éperviers notamment) qui peuvent les surprendre au moment où ils boivent et doivent alors se pencher vers l’eau et ne plus surveiller le ciel. Les propriétaires de jardins soucieux de favoriser les oiseaux passereaux savent qu’il faut leur fournir pendant toute la belle saison un accès à de l’eau libre ; on peut installer des récipients ad hoc mais aussi créer des flaques artificielles au fond rendu imperméable avec un peu d’argile, des micro-mares en quelque sorte. 

Un héron a traversé cette flaque sur un chemin le long d’un étang

A l’occasion de leur passage, les oiseaux laissent souvent leurs traces de pas dans la fine vase ou boue qui tapisse souvent le fond des flaques (voir la chronique) : encore une belle occasion de pratiquer du pistage en essayant d’identifier qui est passé et ce qu’il a fait. Il se peut aussi qu’ils parcourent les flaques pour y « chasser » des proies (voir ci-dessous). Par ailleurs, les flaques étant sur les chemins, elles se trouvent de facto sur les voies de passage des mammifères qui circulent la nuit ; si elles sont peu profondes ou en cours d’assèchement, les animaux les traversent sans dévier leur route et laissent ainsi de belles traces dans la boue ; encore une belle occasion de faire du pistage ou de la lecture de traces avec des enfants. 

Chien ou carnivore sauvage (renard ?) : toujours difficile à dire

Certains insectes sont aussi attirés par l’eau des flaques et semblent la boire ; pourtant, ces animaux, du fait de leur structure (peau durcie faisant office de carapace étanche) et de leur physiologie, se passent normalement d’eau très longtemps en récupérant simplement l’eau de leur nourriture végétale ou animale. En fait, il s’agit presque toujours de guêpes, d’abeilles ou de frelons, des hyménoptères (voir la chronique) sociaux qui viennent « récolter » de l’eau pour l’emmener dans leurs nids en surchauffe et la vaporiser en battant des ailes pour faire baisser la température et humidifier l’atmosphère. 

Lèche-boue 

Piérides attablées sur la boue d’une flaque dans une clairière forestière

Il ne faut pas confondre l’activité ci-dessus, qui concerne directement l’eau, avec celle de nombreux papillons qui, eux, s’intéressent à la boue ou au sol mouillé au bord des flaques ou au fond des flaques presque asséchées, et pas à l’eau : une activité que les anglo-saxons appellent le « puddling ». Ils « sirotent » la surface de la boue avec leur trompe déployée. Cette fois, il s’agit d’une activité que l’on peut assez facilement observer directement avec un minimum de discrétion toutefois car même les papillons, surtout les grandes espèces, peuvent êtres farouches et méfiants. 

Trois hespérides sur des morceaux de brique dans une flaque d’un chemin ; la richesse en minéraux du matériau les a sans doute attirés ?
Mars-changeant sur la boue d’une ornière forestière remaniée par le passage d’un gros engin

Chez les papillons de jour (Rhopalocères), cette activité de visite de la vase des flaques concerne surtout les mâles qui viennent chercher ici les nutriments minéraux (dont du sodium) et des acides aminés nécessaires pour assurer leurs activités intenses de parade et/ou défenses de territoire. Ce comportement est très répandu chez les papillons tropicaux dont les grandes espèces comme les spectaculaires morphos mais s’observe aussi chez nous chez certaines « grandes espèces » : vanesses, piérides, mars changeants, sylvains, … Parfois, au printemps ou en été, on peut ainsi observer des rassemblements de dizaines de piérides, de gazés, agglutinés au bord de flaques, un spectacle inoubliable (voir le zoom- balade Le vallon des papillons). 

Mais, chez les papillons de nuit, cette activité semble encore plus répandue bien que largement méconnue du fait qu’elle a lieu … de nuit. Une étude ancienne a été menée aux USA sur des flaques dans des forêts de feuillus du même type que les nôtres. 93 espèces de dix familles différentes (dont y compris des microlépidoptères) furent observées en train de sonder la boue des flaques. Là encore, à 99%, il s’agit de mâles. Quand la boue est un peu sèche, les papillons déposent un peu de salive via leur trompe pour l’imbiber et ensuite aspirent le liquide enrichi en nutriments dissous. Certains mâles reviennent plusieurs nuits consécutives ; même quand il y a des fleurs attractives en pleine floraison de nuit à proximité, ces papillons les négligent et viennent préférentiellement vers les flaques. Souvent, ils recherchent des zones de sol ou de vase où se trouvent des restes de déjections animales, d’urine ou dans les traces de pas de grands animaux. Un certain nombre d’espèces, après avoir aspiré du liquide, rejettent brusquement une goutte d’eau par leur abdomen, après le passage dans le tube digestif (à la manière des pucerons qui excrètent le trop plein de sève absorbé). Selon les familles, ces papillons se tiennent soit ailes relevées à la verticale quand ils aspirent soit ailes étalées à plat touchant presque le substrat. 

Papillons nocturnes noyés à la surface d’une très grande flaque forestière en bordure d’une grande coupe

La lecture de cette étude m’a éclairé sur une observation qui m’avait intrigué : à la surface d’une très grande flaque d’eau en forêt, j’avais trouvé plus d’une dizaine de papillons de nuit noyés flottant à la surface ; ils avaient dû se faire piéger en essayant de se poser, peut-être trompés par les reflets de la lune à la surface de l’eau. 

Carrières de boue 

Pour quelques animaux bâtisseurs de nids à base de de boue, les flaques d’eau peuvent être quasi indispensables au moment de la reproduction, notamment dans les environnements urbains ou péri-urbains où les points d’eau avec de la boue, accessibles aux animaux concernés, sont très rares. Sous nos climats, ceci concerne deux groupes très différents : les hirondelles et les guêpes maçonnes. 

Parmi les cinq espèces d’hirondelles (voir la chronique) qui vivent en France, quatre d’entre elles bâtissent des nids collés sur des supports en dur (rochers ou murs de bâtiments), faits de boulettes de boue collectée au sol, mélangées avec de la salive et assemblées pour faire une coupe plus ou moins fermée selon les espèces (complétée avec des herbes pour certaines)  : l’hirondelle rustique ou hirondelle de cheminée typique des campagnes agricoles et des villages ; l’hirondelle de fenêtre des villes et villages ou falaises rocheuses ; l’hirondelle de rochers en montagne sur les falaises ou les bâtiments ; dans le Midi, l’hirondelle rousseline qui s’installe souvent sous les ponts.  La cinquième espèce, l’hirondelle de rivage, elle creuse des terriers dans les berges sableuses des rivières.

Hirondelles de fenêtre collectant de la boue (Cliché Tylwyth Eldar ; C.C. 4-0)

Ces hirondelles investissent une énergie considérable dans la construction de ce nid puisqu’elles doivent transporter plus de 1000 boulettes de boue, collectée avec leur bec, en moins de deux semaines. Chez l’hirondelle rustique, la distance moyenne à une source de boue humide est estimée à 300m en milieu urbain et 100m en milieu rural. Comme un nid est fabriqué en moyenne avec 1400 boulettes, cela implique au moins 3 heures d’activité de transport par jour. C’est dire si la présence de flaques d’eau avec de la boue dans leur environnement peut être décisive en l’absence d’autres « zones humides » (rivière, plan d’eau, mare) d’autant que les laques ont le gros avantage d’être faciles d’accès, sans végétation en général. En ville, la « chasse » systématique aux flaques les prive ainsi d’une ressource capitale pour assurer leur reproduction. La pose de nichoirs spécifiques pré-bâtis semble les « soulager » de cette charge et les favoriser en leur permettant d’investir plus d’énergie dans les autres activités et à ne plus dépendre de cette ressource qui se raréfie avec la crise climatique en cours. 

Les guêpes maçonnes, groupe informel recouvrant plusieurs familles, bâtissent de minuscules nids en forme de poteries, de boules, … (voir l’exemple de la pélopée maçonne) dans lesquels elles pondent un œuf et déposent de la nourriture pour le développement de la future larve. Par rapport aux hirondelles, leurs besoins sont considérablement moindres et elles peuvent exploiter des micromilieux non accessibles aux hirondelles. 

Cimetières de noyés 

Guêpe en cours de noyade (elle a été sauvée en lui tendant une brindille…) sur une grande flaque

En pleine belle saison, les flaques attirent donc une foule de visiteurs intéressés par l’eau ou la boue. Une partie d’entre eux, parmi les « petites bêtes », peut à cette occasion s’y noyer accidentellement. D’autres semblent attirés de manière hypnotique par la surface de l’eau qui réfléchit la lumière et se font piéger en croyant peut-être qu’il s’agit d’une surface solide (effet de miroir) ? Les propriétaires de piscines connaissent trop bien ce problème avec des centaines d’insectes qui se noient chaque année ; on observe la même chose dans les bassins servant d’abreuvoirs pour le bétail. Et puis, il y a ceux qui atterrissent dans une flaque sans vraiment l’avoir voulu comme les insectes sauteurs qui s’enfuient devant nos pas sur les chemins et ne maîtrisent pas vraiment où ils vont atterrir : ainsi trouve t’on assez souvent des criquets ou petites sauterelles, des grillons, des cercopes (voir la chronique), … se débattant à la surface et tentant de rejoindre la berge … lointaine à leur échelle. Nous les avons évoqués dans la première chronique à propos des jeux avec les enfants : belle occasion de participer au sauvetage de ces individus en perdition. 

En tout cas, le résultat est que, à la surface des flaques, on peut ainsi trouver divers insectes morts et parfois avoir des surprises en découvrant des espèces peu communes dont des nocturnes qu’on n’observe pas autrement (voir le cas des papillons nocturnes ci-dessus). Est-ce que ces « cadavres » flottants sont exploités par des prédateurs ? Probablement que oui mais je ne dispose d’aucune observation ou étude à ce propos : si certain(e)s d’entre vous ont des données ou infos à ce sujet, je serais preneur via le mel du site. 

Rendez-vous vers la seconde chronique sur les résidents partiels ou permanents des flaques d’eau, en incluant cette fois la flore des plantes à fleurs. 

Bibliographie 

SOIL- AND PUDDLE-VISITING HABITS OF MOTHS. PETER H. ADLER Journal of the Lepidopterists’ Society 36(3), 1982, 161-173 

Artificial nests for Barn Swallows Hirundo rustica : a conservation option for a declining passerine?Peter Györkös Teglhøj (2018) Bird Study, 65:3, 385-395,