Thaumetopoea pityocampa

Bourse ou nid d’hiver collectif des chenilles de la processionnaire du pin (sur un pin sylvestre) ; noter les aiguilles rongées à gauche

01/12/2022 Des oiseaux mangeurs de processionnaires ? Impossible pensez-vous au vu des défenses urticantes des chenilles des processionnaires … Effectivement, les chenilles de la processionnaire du pin disposent d’une arme défensive très efficace envers tous les vertébrés : les chiens qui ont le malheur de flairer de trop près une procession ou un nid tombé au sol en savent quelque chose avec des conséquences parfois terribles. D’ailleurs, ces chenilles s’affichent ostensiblement avec des couleurs assez contrastées histoire de prévenir les éventuels prédateurs naïfs non informés (aposématisme). Pour autant, quelques espèces d’oiseaux réussissent à contourner cette défense physico-chimique par des adaptations soit au niveau physiologique (appareil digestif), soit au niveau du comportement.

Des chenille aux soies urticantes qui annoncent leur dangerosité via leurs couleurs voyantes

Et puis, au-delà des chenilles, on oublie que la processionnaire du pin entant qu’espèce de papillon de nuit ne se résume pas qu’aux seules chenilles : celles-ci ne sont qu’un des quatre stades du cycle de vie (voir la chronique sur le cycle) ; il y a aussi les œufs pondus sur les aiguilles des pins hôtes, les chrysalides enfouies dans des cocons dans le sol (voir la chronique) et les papillons adultes qui volent quelques jours, le temps de se reproduire. D’autres oiseaux se sont spécialisés dans la recherche ou la capture de ces formes moins ou pas dangereuses à manipuler. Tous ces oiseaux participent donc chacun à leur manière à la régulation des populations de processionnaires des pins qui connaissent des épisodes cycliques d’explosions démographiques et étendent sans cesse leur répartition vers le nord à la faveur de la crise climatique en cours. 

Super-spécialiste 

Coucou gris (Domaine public ; C.C.)

En fait, dans notre avifaune, deux espèces seulement sont réellement capables d’ingérer entièrement des chenilles de processionnaire du pin : le coucou gris et son cousin le coucou-geai méditerranéen. Tous les deux ont fait de la consommation des chenilles urticantes, dont celles des processionnaires, une spécialisation. Ces deux migrateurs au long cours qui passent l’hiver au-delà du Sahel au sud, s’attaquent à ces chenilles à leur retour au printemps alors qu’elles sont encore dans leurs nids d’hiver (et alors bien développées : voir la chronique) ou à l’occasion de leurs processions. Les mâles de coucou-geai qui reviennent tôt de leurs quartiers d’hiver (dès février) délimitent leurs territoires sur des secteurs avec de fortes densités de bourses de processionnaires. Des analyses de contenus stomacaux ou d’excréments confirment que ces chenilles constituent bien l’essentiel du régime des adultes. Pour le coucou gris, répandu dans tout le pays, on sait qu’il en consomme mais on ne connaît pas leur importance dans son régime global. Il semble aussi qu’il en consomme en début d’automne, juste avant son départ pour l’Afrique : il s’attaque alors aux toutes jeunes chenilles dans leurs pré-nids (voir la chronique).  

Coucou-geai tenant une chenille urticante (sans doute de Lasiocampidé) (Cliché !olivença ; C.C. 3-0)

En fait, cette consommation de chenilles urticantes se retrouve chez diverses autres espèces de la famille des cuculidés qui regroupe tous les coucous. Ceci tient à une remarquable particularité anatomique ; alors que chez la majorité des oiseaux, le gésier, la partie musculeuse de l’estomac, chargée de broyer les aliments consommés, est tapissé intérieurement par un revêtement kératinisé (corné), celui des coucous a un revêtement mou, épais, non kératinisé. Quand un coucou avale des chenilles urticantes, des groupes de soies se plantent dans ce revêtement à la manière des poils d’une brosse. Quand cette peau interne est couverte de soies, des plaques muqueuses se détachent et sont régurgitées (comme des pelotes) permettant ainsi au coucou de rejeter ces soies sans qu’elles ne transitent dans son tube digestif très fragile. Cependant, chez certains coucous, comme le coulicou à bec noir d’Amérique du nord, on observe en plus de ce dispositif anatomique un comportement d’évitement : ils secouent et frappent les chenilles sur des branches avant de les avaler, de manière à les écraser pour en faire sortir le contenu ; nous verrons plus loin que les mésanges adoptent elles aussi cette stratégie. 

A noter que par contre les jeunes coucous ne consomment pas a priori de telles chenilles puisqu’ils sont nourris par les adultes d’autres oiseaux dont ils ont parasité les nids ; par exemple, les jeunes coucous-geais sont élevés par des pies bavardes. 

Grandgousier

Les papillons de la processionnaire du pin par contre ne posent pas du tout ce problème et constituent des proies intéressantes en plein été, au moment des éclosions … sauf qu’ils volent de nuit. Outre les chauves-souris (une autre guilde très efficace elle aussi), un oiseau insectivore nocturne est spécialisé dans la chasse des papillons de nuit : l’engoulevent d’Europe. Pour en savoir plus sur ces oiseaux surprenants et étranges, nous renvoyons à une chronique consacrée à l’ordre dans lequel se placent les engoulevents aux cotés des martinets et des colibris. 

(Domaine public, C.C.)

Le régime alimentaire de l’engoulevent d’Europe se compose de 81 à 93% de papillons nocturnes qu’il chasse en vol, la nuit tombée, et qu’il capture avec son bec largement fendu, le long des lisières et dans les coupes ou jeunes plantations. Les landes de Gascogne constituent un de ses bastions où L. Barbaro et ses collègues l’ont étudié : là, dans les secteurs de jeunes plantations, de landes basses et dans les zones de chablis ou sur les pares-feux, les engoulevents prospèrent avec des densités de l’ordre de 1 couple pour 33 hectares soit sans doute des milliers de couples rien que pour cette région. 

Plusieurs indices y ont été collectés indiquant une prédation sur les papillons de processionnaires : des plumes d’engoulevent ont été retrouvées collées sur des pièges à phéromones destinés à piéger les mâles de ces papillons pour en limiter le nombre ; les secteurs avec de fortes densités de bourses et où les pièges installés capturent peu de mâles de papillons abritent les plus fortes densités d’engoulevents du fait d’une ressource disponible plus importante. 

L’engoulevent apporte donc sans doute une contribution non négligeable au contrôle des populations de processionnaires. Or, régulièrement, des pontes ou des nichées de cet oiseau qui niche au sol sont détruites lors d’opérations de nettoyage des jeunes parcelles plantées ; de telles interventions devraient absolument être exclues pendant la période de présence de cette espèce, migrateur transsaharien, entre mai et fin août.  

Mésanges opportunistes

Mésange charbonnière

Plusieurs espèces de mésanges (voir la chronique sur la famille des mésanges) dont les mésanges charbonnière, bleue, noire ou huppée sont connues pour se spécialiser notamment au printemps, au moment de l’élevage des jeunes, sur des chenilles défoliatrices des feuillus (chênes surtout) dont celles des tordeuses et des géomètres qui ne sont pas urticantes. Et comme en plus, les mésanges savent développer dans de nombreux domaines des comportements inventifs innovants, pas étonnant qu’elles aient développé des comportements adaptés pour exploiter aussi les chenilles de processionnaires. Voyons ce qu’il en est avec exemple bien étudié de la mésange charbonnière.

Les mésanges saisissent les chenilles processionnaires par la tête très dure et noire ; en la frappant sur une branche, elles la détachent et extirpent ainsi l’intérieur de la chenille

On a observé une certaine spécialisation de la charbonnière dans différents pays où sévissent régulièrement des pullulations de processionnaires du pin dont la France. Les mésanges adultes ainsi que les jeunes chassent ainsi activement ces chenilles aussi bien en hiver qu’au printemps. Dans les cèdraies sauvages des montagnes algériennes, on a observé que 20 à 70% des nids d’hiver portent les traces de prédation de la charbonnière : les bourses sont trouées et vidées de leurs chenilles qui y sont réfugiées de jour. Pour consommer les chenilles bien développées (les deux derniers stades) , elles utilisent une technique déjà évoquée à propos de certains coucous : elles frappent la chenille sur une branche au niveau de la tête et réussissent à extraire l’intérieur mou (le tube digestif essentiellement) en évitant ainsi les soies urticantes. Par contre, elles avalent entièrement les très jeunes chenilles (deux premiers stades) en fin d’été-automne car elles ne sont pas encore urticantes.

Mésange huppée

Les autres mésanges ne sont pas en reste. La mésange noire consomme moins de chenilles mais vit dans les massifs de conifères. Dans une étude espagnole ancienne, on a trouvé des chenilles processionnaires dans 65% des estomacs analysés en plein hiver (stades 4 et 5), puis dans 30% en février, 14% en mars et on remonte à 60% en avril-mai (stades 1 et 2). La mésange huppée, elle aussi souvent associée aux conifères (mais pas exclusivement), se comporte de même. La consommation des œufs est aussi mentionnée : on connait l’agilité des mésanges et leur capacité à explorer les moindres brindilles et aiguilles.

Enfin, la mésange à longue queue mais aussi parfois les chardonnerets prélèvent des fils de soie au printemps sur les bourses pour bâtir leurs propres nids ce qui peut endommager les bourses avec les chenilles et compromettre leur survie.  

Pression hivernale 

La grande visibilité des nids d’hiver remplis de chenilles bien développées en fait une ressource potentielle majeure pour les oiseaux hivernants susceptibles de les exploiter. Un suivi sur deux hivers consécutifs dans les Préalpes françaises a été mené sur 25 stations différentes échelonnées le long d’un gradient d’altitude. Les résultats montrent que plus l’hiver est rude, moins la densité des bourses de processionnaires est élevée et l’abondance des oiseaux hivernants baisse aussi. Par contre, dans les massifs forestiers sur des versants sud et présentant un certain degré de fragmentation, notamment sur les bordures, les densités de nids de processionnaires augmentent. Lors de l’hiver le plus froid, l’abondance des oiseaux hivernants augmente significativement avec celle des bourses à chenilles. Là encore, la mésange charbonnière montre une nette dépendance vis-à-vis de cette ressource. Cette manne hivernale permet aux mésanges adultes de se constituer des réserves et d’aborder la saison de reproduction en condition physique optimale. 

Les bourses chargées de chenilles persistent tout l’hiver

Donc, la gestion de forêts plus diversifiées au niveau de leur structure doit favoriser le contrôle biologique des chenilles processionnaires par les populations de passereaux hivernants. 

Il reste une dernière espèce d’oiseau non évoquée jusqu’ici, qui s’est, elle, spécialisée dans la prédation des chrysalides enterrées dans le sol (voir la chronique sur le cycle) : il s’agit de la huppe fasciée. Nous consacrerons une chronique entière à cette relation huppe/chrysalides de processionnaires car elle a fait l’objet d’études approfondies. 

Lutte intégrée

Certaines années, les processionnaires se multiplient et la densité des bourses dans les pins augmente fortement (ici, pin noir d’Autriche)

On voit donc que les oiseaux, bien que peu nombreux en termes d’espèces à s’intéresser aux processionnaires, n’en constituent pas moins une guilde très efficace pour contrôler ou freiner les pullulations de processionnaire du pin : a minima, ils permettent de maintenir les populations de processionnaires à des densités faibles moins pénalisantes pour les pins parasités. Encore faut-il que la gestion forestière ne soit pas intensive et entretienne des peuplements diversifiés et qu’elle ne nuise pas aux espèces intervenantes (voir le cas d l’engoulevent ci-dessus). 

Comme cela a déjà été montré dans les vergers de pommiers (voir la chronique), la pose de nichoirs qui favorise la nidification des mésanges apporte aussi des bénéfices en matière de contrôle des populations de chenilles. Voici à ce propos les conclusions d’une étude qui a suivi l’impact de la pose de nichoirs dans des boisements de pins sur une dizaine d’années (Référence 6 Biblio) :

Au cours des années 2006 à 2009, quatre sites régulièrement infestés par la processionnaire du pin ont été équipés de nichoirs à mésange et suivis jusqu’à ce jour. Plusieurs modalités ont été testées entre 6 et 20 nichoirs à l’hectare. Avant l’expérimentation et depuis 2 décennies, ces sites avaient fait l’objet de campagnes quasi récurrentes de traitements aériens à base de bacille de Thuringe contre ce ravageur. … Les résultats montrent une relation positive entre le nombre de nichoirs installés à l’hectare et nombre de couvées de mésanges. Dans chacun de ses sites, la dynamique de la processionnaire du pin est maintenue à un niveau tolérable et significativement inférieur au témoin. L’effet prédation par la mésange, favorisé par la pose de nichoirs semble avoir atteint l’objectif recherché de régulation biologique de ce ravageur.

Rappelons que les traitements avec le bacille de Thuringe, même s’ils sont « biologiques » (on disperse une bactérie pathogène) n’en présentent pas moins l’inconvénient majeur de s’attaquer à tous les insectes sans discernement ; rien à voir avec l’action sélective des mésanges.

Bibliographie

Colloque « Insectes et changement climatique » Micropolis (Aveyron) Luc Barbaro 15 novembre 2008 

Birds as predators of the pine processionnary moth. L. Barbaro ; A. Battisti. Biological control. Vol. 56 ; 2011 ; pp. 107-114

Distribution par habitats des oiseaux nicheurs à enjeu de conservation, en forêt des Landes de Gascogne L. Barbaro et aL Le Courbageot 2003

Response of Great Tits Parus major to an Irruption of a Pine Processionary Moth Thaumetopoea pityocampa Population with a Shifted Phenology Pimentel C. and Nilsson, Jan-Åke: Ardea, 95(2) : 191-199 2007

Winter bird numerical responses to a key defoliator in mountain pine forests. Luc Barbaro et al. Forest Ecology and Management 2013

Réguler la processionnaire du pin en favorisant la nidification des mésanges : résultats de 8 à 10 années d’études. Jean Claude Martin, et al.. AFPP – 4. Conference sur l’entretien des jardins végétalisés et infrastructures Toulouse, Association Française de Protection des Plantes (AFPP). FRA., Oct 2016, Toulouse, France. 10 p.