Heliotropium europaeum

23/07/2023 Le nom de genre héliotrope (Heliotropium) sonne comme très familier à cause d’une espèce exotique, très en vogue au cours des siècles passés pour son parfum et ses belles couleurs, l’héliotrope des jardins ou héliotrope du Pérou. Cette espèce buissonnante, originaire d’Amérique du sud, continue d’être souvent cultivée comme annuelle de jardin. Il est tellement populaire qu’on l’appelle souvent l’héliotrope tout court comme s’il était le seul !

Cette star des jardins écrase de son aura l’héliotrope d’Europe. Celui-ci fait certes pâle figure par sa taille bien modeste et sa floraison bien plus discrète ; néanmoins, ses fleurs ne manquent pas de charme quand on prend la peine de la regarder de près. Cette chronique cherche donc à réhabiliter cette espèce indigène répandue mais toujours largement méconnue.

Héliotrope(s)

Héliotrope, nom masculin, est attesté depuis la fin du 17ème mais il a été précédé dès le 12ème siècle de elyotrope, elitropie ou helitropie. Parallèlement, ce nom a aussi servi à désigner une pierre semi-précieuse, une calcédoine verdâtre veinée de rouge. Mais héliotrope s’utilise aussi comme adjectif pour désigner une teinte violette ce qui renvoie une fois de plus à l’héliotrope des jardins. On peut aussi l’appliquer aux plantes dont les fleurs s’orientent par rapport au soleil ; ainsi, on peut dire que le tournesol (au sens de l’hélianthe) est une plante héliotrope !

Son étymologie est assez transparente pour les habitués de la botanique : de helios, le soleil et tropein, tourner : « qui se tourne vers le soleil ». On retrouve en fait la même étymologie que pour les tournesols sous la forme hélianthe (Helianthus) soit « fleur du soleil ». Autrefois, on prétendait que leurs fleurs se tournaient vers le soleil ce qui leur a valu entre autres surnoms girasols et tournesols (turnsole en anglais). En fait, les héliotropes ne sont pas particulièrement … héliotropes ! L’attribution de cette propriété tient soit au fait que l’héliotrope des jardins aime le soleil (vu ses origines) ou que les feuilles s’orientent par rapport au soleil, mais ceci vaut pour quasiment toutes les plantes.

Beaucoup d’entre vous se rappellent peut-être avoir manipulé en cours de chimie le papier de tournesol, qui change de couleur selon le pH de la solution dont on a versé une goutte dessus : il devient rouge avec une solution acide, bleu avec une solution basique. Ce papier est imprégné d’une teinture de tournesol, inventée dès le 14ème siècle ; on l’extrait d’une plante tinctoriale, la maurelle ou tournesol des teinturiers (Chrozophora tinctoria) qui fournit une teinture bleue à violette utilisée depuis le Moyen-âge. De la famille des euphorbiacées, cette plante était nommée autrefois Heliotropium tricoccum : tricoccum à cause des fruits à trois coques typiques de cette faille (voir l’exemple de l’euphorbe épurge). On voit donc qu’avec ce nom d’héliotrope on se promène entre des plantes très différentes !

Je ne peux m’empêcher à cette occasion de glisser les superbes paroles d’une chanson de Julos Beaucarne, disparu en 2021 et qui était un chanteur poète que j’adorais. Il glissait souvent dans ses chansons des allusions aux plantes qu’il connaissait bien.

L’hélianthe, la maurelle
Ce sont là fleurs pour ma belle
On en fait le bleu, le bleu de ses yeux
Chrozophora tinctoria
Le joli ciel que voilà !
Le joli ciel bleu
Bleu comme ses yeux
Bleu comme l’onde nouvelle
Comme la mer solennelle
Les forêts de pins
Le lait du matin
Le bleu tiré de l’orseille
Le bleu des fleurs de soleil …

Précisons enfin, histoire d’ajouter encore plus de confusion, qu’on nomme aussi héliotrope d’hiver le pétasite odorant (Composée), souvent cultivé comme ornemental ; sa floraison hivernale répand un parfum très marqué de gâteau aux cerises et de vanille.

Estivale

Venons-en donc, après ce préambule plein de détours, à notre héliotrope d’Europe, sujet de la chronique.

Cette plante ne commence à apparaître qu’à partir de la seconde moitié du printemps pour atteindre son apogée en plein été et début d’automne.

Cette annuelle se présente toujours sous forme de touffes basses, très feuillées, ramifiées dès leur base, d’une hauteur de 10 à 50cm au plus. Toute la plante, tiges et feuilles, est recouverte d’un revêtement dense (indumentum ou indument), vert grisâtre, fortement plaqué (apprimé disent les botanistes) qui lui donne une teinte générale vert blanchâtre inhabituelle et très doux au toucher. Sous la loupe, on voit que chaque poil émane d’un petit tubercule : ceci nous rappelle que l’héliotrope fait partie de la famille des Borraginacées dont la plupart des espèces ont des feuilles très velues. Ceci donne à la surface de la feuille, vue sous la loupe, un aspect singulier. Une telle pilosité a probablement deux fonctions : de protection contre les herbivores vu la densité des poils et de limitation des pertes en eau par évaporation, ce qui renforce la résilience de l’héliotrope face à la sécheresse estivale dans les cultures.

Les feuilles alternes, de 1 à 7cm de long, à pétiole de taille décroissante du bas (3cm) vers le haut de la plante, ont une forme ovale elliptique avec la base légèrement en coin et parfois dissymétrique. Le bord un peu ondulé (de profil) porte des cils peu apparents. Les nervures secondaires se courbent vers le sommet et ressortent bien en dessous.

Au froissement entre les doigts, les feuilles sont un peu malodorantes (fétides) avec une légère odeur d’amandes amères, parfois très faible

Très curieusement, l’héliotrope n’est pas sans rappeler par sa teinte générale et la forme de ses feuilles … la maurelle citée ci-dessus qui n’a rien à voir en termes de parenté ! Est-ce une des raisons de cette « confusion » des noms évoquée ci-dessus ? En effet, la maurelle, plante indigène méditerranéenne, était très connue dans l’Antiquité et au Moyen-âge notamment pour réaliser les enluminures des manuscrits ; on la cultivait en grandes quantités notamment dans le Gard au 17ème siècle. Comme l’héliotrope d’Europe se comporte lui aussi en adventice méditerranéenne (voir ci-dessous), il a dû côtoyer les maurelles dans les cultures. Le rapprochement physique a peut-être suscité ce glissement de nom de tournesol ?

Scorpioïde

La floraison s’étale de juin à octobre et n’a rien à voir avec l’opulence odorante de l’héliotrope des jardins. Cette période de floraison estivale explique sans doute son surnom d’herbe de Saint-Fiacre fêté le 30 août, période qui correspond au pic de floraison.

Les fleurs petites et blanches sont par contre très nombreuses et regroupées en inflorescences denses en forme de queue-de-scorpion enroulée (cyme scorpioïde), morphologie typique de nombreuses borraginacées dont les myosotis et les vipérines. De grandes cymes doubles en fourche (bipares) terminent les tiges tandis que des cymes plus petites se dressent à l’aisselle des feuilles plus bas sur les tiges. Toutes les fleurs sont groupées d’un même côté (unilatérales) et très serrées.

Chaque fleur est portée sur un très court pédicelle de moins de 1mm de long et semble de ce fait sessile (sans pédoncule). La corolle blanche à blanche liliacée se compose de cinq lobes étalés réunis en un tube, avec la gorge teintée de jaune. Le calice très velu est profondément divisé en cinq lobes étroits. Le style très court émerge à peine au niveau de la gorge ainsi que les étamines.

Ces petites fleurs ne sentent pratiquement rien ; il paraît que celles des pieds qui fleurissent en automne ont des fleurs parfois parfumées ? Elles attirent des insectes pollinisateurs dont des abeilles domestiques et des syrphes.

Verrucaire

Les fleurs fanées donnent quatre fruits secs attachés sur toute leur longueur dans le sens de la hauteur. Ce sont quatre akènes brun foncé, fruits secs à une seule graine, longs de 2 à 3mm, entourés par le calice velu persistant. On retrouve cette structure en quatre éléments chez de nombreuses autres borraginacées dont les cynoglosses ou les pulmonaires. Glabres ou pubescents, ils sont typiquement tuberculés. Cet aspect verruqueux transparaît du fait de leur grand nombre et des incisions des calices qui les laissent apparents. Ceci a valu à cet héliotrope de recevoir divers surnoms dont celui d’herbe aux verrues ou verrucaire ou d’herbe aux chancres.

A maturité les cymes scorpioïdes s’allongent et tendent à se redresser à la verticale mais l’extrémité reste enroulée. L’ensemble donne l’illusion de chenilles dressées avec la tête penchée d’où le surnom canadien d’herbe aux chenilles.

Ces fruits-graines se séparent et tombent à maturité. Grâce à leur revêtement verruqueux, ils offrent une petite prise au vent (anémochorie) qui peut les déplacer vu leur légèreté ou bien ils peuvent s’accrocher dans le pelage de mammifères ou sur des vêtements (épizoochorie). La dureté de l’enveloppe les rend résistants au passage dans le tube digestif d’herbivores comme des moutons broutant des éteules en automne : ils peuvent donc être rejetés intacts avec les excréments et se disperser ainsi assez loin, le temps du transit digestif (endozoochorie).

Ces graines semblent avoir une très grande longévité, une fois incorporées dans le sol. Dans une lettre publiée dans une revue anglaise de jardinage au 19ème siècle, Charles Darwin a rapporté que des graines de cet héliotrope récupérées dans des tombes gauloises datant de 1500 ans avaient germé ! Sur le terrain, on a montré que plus de la moitié des graines enfouies restaient viables au bout de deux ans.

La germination et l’émergence des plantules demandent un sol réchauffé et une certaine quantité de pluie au printemps de manière à ce que les 25 premiers centimètres du sol soient humides. Plusieurs vagues de germination peuvent se succéder entre le printemps et la fin de l’été à la faveur de vagues pluvieuses.

En deux à quatre semaines la plantule élabore une racine pivotante qui se ramifie et pénètre jusqu’à 15cm de profondeur et assure ainsi le ravitaillement en eau de la plante ; le revêtement pubescent épais limite par ailleurs les pertes par évapotranspiration.

Ex-méditerranéenne

Les caractéristiques liées à la germination exposées ci-dessus correspondent typiquement à une plante d’origine méditerranéenne. Celle-ci se trouve confirmée par sa répartition en France : très commun dans toute la région méditerranéenne au sens large jusqu’au sud de la Loire, il se montre plus rare et instable dans le reste du pays sauf dans certaines régions plus abritées et chaudes et très rare dans le Nord et l’Est. En Auvergne, il connaît une certaine expansion à basse altitude notamment dans la plaine de Limagne. Cette tendance à l’expansion en abondance s’accentue avec le réchauffement climatique en cours et se manifeste en Suisse par exemple.

Colonies d’héliotropes dans des céréales après la moisson (éteules)

L’héliotrope d’Europe se comporte donc en espèce nettement thermophile (aimant la chaleur) et plutôt xérophyte (terrains secs). Il supporte très bien la sécheresse estivale via notamment son système racinaire profond en dépit de son caractère annuel. Par ailleurs, il a besoin de sols enrichis en nitrates et peut donc se classer parmi les plantes rudérales. Ceci explique son statut d’adventice des cultures où il trouve des nitrates en quantité. Il fréquente plus les terrains calcaires ou argilo-calcaires plus ou moins sableux.

Entant qu’adventice, il peut être très abondant dans les champs de céréales après la moisson et parfois en bordure des champs de maïs et de tournesol. Il colonise aussi des cultures à développement estival comme les vignes ou les prairies artificielles.

On le retrouve sur les sables et graviers des rivières (grèves en plein soleil mais au sol humide) ce qui serait peut-être son milieu primaire comme diverses autres adventices des cultures. Il fréquente aussi les milieux urbanisés, profitant de l’ilot de chaleur urbain et des sols dénudés liés aux activités humaines (travaux, chantiers, jardins, …) : friches urbaines, bords des routes, cimetières, espaces verts piétinés ; décombres ; tas de terre ; …

Folklorique

Comme diverses autres borraginacées dont les cynoglosses, l’héliotrope renferme des alcaloïdes toxiques (pyrrolizidines) surtout dans ses fruits et ses racines. En Australie où l’héliotrope a été introduit avec les colons européens, il est devenu très invasif et responsable de cas d’intoxications mortelles chez le bétail (moutons) ; la concentration des divers alcaloïdes qu’il renferme (héliotrine, lasiocarpine, europine) varie beaucoup d’un site à l’autre et selon les périodes ; la pluviométrie semble notamment capable de modifier la composition et donc sa toxicité.

Gravure ancienne

La ressemblance des fruits avec des verrues (voir ci-dessus) lui a valu historiquement d’être préconisé pour faire tomber des verrues (frictions avec des feuilles) en vertu de la théorie des signatures. De la même manière, ces fruits durs et petits ont suscité la croyance d’un effet sur les calculs rénaux (la gravelle) ou contre des ulcères (voir le surnom d’herbe aux chancres).

Noter les akènes verruqueux (en bas à droite ; Flore de Coste)

On trouve encore d’autres usages anciens liés à des supposées signatures divines :

  • Les inflorescences scorpioïdes : « étant bue avec du vin, elle guérit des piqûres de scorpions »
  • Le nombre d’akènes par fleur : « quatre grains de la semence pris avec du vin une heure avant l’accès, guérissent la fièvre quarte, et contre la tierce il n’en faut que trois »

Bibliographie

The germination ecology of common heliotrope (Heliotropium europaeum L.) James R. Hunt et al. Fifteenth Australian Weeds Conference

The biology of Australian weeds 51. Heliotropium europaeum L. J.R. Hunt R.D. Cousens and S.E. Knights Plant Protection Quarterly Vol.23(4) 2008