Nostoc

Colonie de Nostoc sous forme hydratée

10/01/2024 Le nom scientifique Nostoc ne vous dit sans doute rien mais vous les avez très probablement quand même déjà croisées en vous demandant « c’est quoi ce « truc » ? » : par temps très humide et doux, elles apparaissent brusquement sous forme de tapis gélatineux, visqueux, brun verdâtre sur les chemins caillouteux, les allées dénudées. Quelques jours plus tard, la pluie passée, elles disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues, ne laissant que des croûtes informes noirâtres. Elles n’inspirent guère l’empathie et pourtant il s’agit d’être exceptionnels à de multiples égards que je vous propose de découvrir.

Vraiment indéfinissables !

Ni …. ni … ni .. mais qui alors ?

Donc, ces « trucs » (pour l’instant) se présentent, par temps humide, sous forme de masses gélatineuses, luisantes brun olive en forme de paquets chiffonnés, repliés, contournés, plus ou moins reliés entre eux. Impossible de distinguer des individus dans ces amas informes …

Pour comprendre, il faut en prélever un fragment, l’écraser entre lame et lamelle avec une goutte d’eau et l’observer au microscope sous un fort grossissement. Là, le spectacle est très surprenant : une infinité de filaments vermiformes et tordus (trichomes) en forme de colliers de perles reliées les unes aux autres (trichomes moniliformes) : chaque perle est une bactérie d’un type bien particulier, une Cyanobactérie. Nous consacrerons une chronique entière à ces microorganismes hors normes à tous égards.  

Donc, les « trucs » observés à l’œil nu correspondent en fait à des millions de Bactéries en files, noyées dans une matrice constituée de polymères sucrés (polysaccharides ou glycanes). Autrement dit, les individus sont les bactéries microscopiques et la masse gélatineuse est une méga-colonie macroscopique !

Selon les espèces, ces colonies peuvent prendre des aspects les plus variés : boules de quelques millimètres à un centimètre (voire plus dans certains milieux), lamelles, filaments, cloques, … toujours indéfinissables !

Faute de trop savoir de quoi il s’agit, on a tendance à les assimiler à d’autres Vivants connus. Souvent, du fait de leur apparition dans des lieux trempés, voire dans l’eau, on en fait des Algues : elles rappellent effectivement certaines Algues brunes. La confusion est entretenue de plus avec l’ancienne appellation « d’Algues bleues » accolée aux Cyanobactéries (chronique à venir) qui les constituent ; ce terme est désormais obsolète car inapproprié vu qu’il s’agit de Bactéries.

Les espèces en forme de bulles ou de boules peuvent être prises pour des Champignons comme les Pézizes ou les Oreilles de Judas qui ont une consistance molle un peu gélatineuse. Enfin, on peut les confondre avec des Lichens noirâtres, notamment quand elles sont sèches avec une consistance de croûtes. Cette possible confusion a par contre un fondement scientifique. Rappelons que les Lichens sont des Champignons associés avec un organisme qui fait la photosynthèse comme une Algue (chronique). Mais, environ 10% des lichens sont associés aussi à des Cyanobactéries, soit seules soit en plus d’une Algue verte. Dans ce cas (surtout le premier), ils ont une teinte noirâtre une consistance gélatineuse très proche et ce n’est donc pas un hasard. Ils ne vivent pas dans les mêmes milieux et sont plus aplatis en général. 

Pionnières

Précisons d’abord que sous le terme Nostoc que nous utilisons ici, il y a des dizaines d’espèces dont plusieurs très communes que nous ne différencions pas. Il existe des espèces entièrement aquatiques, vivant elles aussi en colonies visibles mais elles sont rares et même en déclin car elles ont besoin d’eaux très riches en oxygène. Les plus connues vivent en milieu terrestre, à même le sol nu, sur des chemins ou allées, dans des pelouses piétinées ou avec des zones dégradées, sur des graviers ou cailloux notamment au fond d’anciennes carrières, sur des rochers, au bord des flaques d’eau temporaires, sur le goudron en bordure de routes. Ce sont elles dont nous parlerons dans la suite.

Bord de chemin

Elles se comportent nettement en pionnières qui colonisent les lieux avec a minima des taches dénudées où la concurrence de la végétation herbacée est très faible : elles n’ont à vrai dire pas le choix vu leur mode de développement ! D’une part, elles ont besoin de beaucoup de lumière pour se nourrir car elles sont autotrophes : comme la grande majorité des plantes vertes, elles fabriquent leur propre nourriture par la photosynthèse mais à l’aide d’autres pigments que la chlorophylle (voir la chronique Cyanobactéries). Donc, pour se nourrir, il leur faut une exposition maximale au soleil et ce d’autant qu’elles ne peuvent se développer que lors de courtes fenêtres météo où l’humidité du sol est importante. Donc, soit elles cherchent les milieux perturbés avec une végétation absente ou lacunaire ou des milieux aux sols naturellement très pauvres, supportant de fait une végétation rabougrie. Cela ne les gêne aucunement puisqu’elles ne prélèvent quasiment rien dans le sol !

Sous d’autres cieux, elles se montrent dominantes dans des milieux extrêmes où la concurrence se fait très rare : des milieux polaires de l’Arctique et Antarctique sur les zones rocheuses ou caillouteuses ; des milieux semi-désertiques où elles sont associées en tapis mixtes avec des mousses, des hépatiques, des lichens, … à vie très intermittente et qui forment des croûtes « vivantes » sur les sols nus.

Nostoc bornetii Flore algologique des régions antarctiques et subantarctiques. Gain, Louis Charcot, Jean, 1867-1936 ; seconde expédition antarctique (1908-10). Masson et cie.

Elles jouent un rôle essentiel vis-à-vis des sols de trois manières. Elles apportent de la matière organique en se décomposant : ce sont des producteurs primaires comme les plantes. Elles enrichissent le sol en azote, un élément minéral nutritif clé ; en effet, les Nostocs, comme de nombreuses autres Cyanobactéries sont capables de fixer l’azote de l’air (voir la chronique Cyanobactéries) et de le transformer en matière organique azotée : en se décomposant, cette matière enrichira le sol en azote minéral. Enfin, dans les milieux arides, elles forment une couverture qui atténue l’érosion dévastatrice exercée par le vent (érosion éolienne).

Microbes chameaux

Cette capacité à peupler de tels milieux souligne leur extrême résistance aux facteurs climatiques.

D’abord vis-à-vis de l’eau. On ne les remarque qu’à l’occasion d’épisodes très humides où elles prennent alors leur forme hydratée relativement voyante et où elles se développent à grande vitesse : on peut parler d’apparition car elles « émergent » dans les heures qui suivent un épisode pluvieux suffisamment intense pour tremper le sol en profondeur. Inversement, dès que le sol s’assèche, tout aussi vite, elles se rétractent et se dessèchent, passant à l’état de vague croûte discontinue que l’on prend pour « des saletés ». Mais chaque fragment renferme des milliers ou millions de cellules bactériennes qui entrent en vie ralentie sans être affectées. On dit que certaines Nostocs peuvent rester en état de déshydratation totale, à l’obscurité complète, pendant … un siècle !

Quand l’humidité revient, elle imbibe l’enveloppe de polysaccharides (voir ci-dessus) qui se gonfle comme de la gélose et les cellules reprennent leur activité comme si rien ne s’était passé ! Elles ont donc une vie en pointillés, rythmée par les épisodes pluvieux. Par ailleurs, elles montrent une résistance aussi forte aux alternances gel/dégel ce qui explique leur abondance dans les milieux polaires.

Nostoc desséchées noirâtres (cliché Jacilluch ; C.C.2.0)

Autre résistance extrême : vis-à-vis de la lumière. La forte exposition à la lumière, vitale pour leur nutrition, outre qu’elle accélère le dessèchement, présente des dangers par rapport aux UV : elles ont acquis la capacité de filtrer une part de ceux-ci via des molécules chimiques qu’elles synthétisent. Par ailleurs, une fois sèches, la photosynthèse s’arrête et la lumière devient alors nocive et peut détruire les molécules actives dans ce processus ; là aussi, elles doivent se protéger contre cet aléa.

Ajoutons qu’elles disposent d’un atout majeur dans ce mode de vie très discontinu qui demande une forte réactivité pour saisir au maximum les courtes fenêtres temporelles favorables : leur capacité de multiplication astronomique … comme la plupart des autres bactéries d’ailleurs. Elles se reproduisent soit de manière végétative par rupture des trichomes (voir ci-dessus), soit par division cellulaire classique via des parties spécialisées des trichomes.

Certaines Nostoc (et d’autres Cyanobactéries) ont opté depuis très longtemps pour un autre mode de vie plus « abrité » : l’association symbiotique avec des Champignons sous forme de Lichens ( voir ci-dessus) et avec diverses plantes (Hépatiques, Mousses, Fougères, Cycas, Plantes à fleurs, …). Elles s’installent dans des organes ou parties des hôtes ; elles bénéficient là d’un abri permanent et, en retour, apportent de l’azote aux hôtes. Cet aspect sera évoqué dans la chronique (à venir !) sur les Cyanobactéries en général.

Défensives

Comme évoqué ci-dessus, les Nostocs disposent d’un arsenal chimique très riche leur apportant à la fois des protections envers les aléas climatiques mais aussi des moyens de défense contre les consommateurs potentiels : elles constituent en effet une nourriture facile d’accès et riche en azote en plus.  A noter qu’en Chine au moins, certaines espèces sont très recherchées comme aliment au point de mettre en péril les populations naturelles ! Pour autant, elles peuvent présenter une certaine toxicitéé pour les Humains !

Il suffit d’écraser entre ses doigts des Nostoc fraîches pour repérer leur odeur à la fois terreuse et âcre, due à une molécule odorante, la géosmine. Cette molécule est libérée aussi par d’autres Bactéries du sol : c’est elle qui donne l’odeur de terre mouillée que l’on perçoit après un labour ! Elles produisent aussi diverses toxines actives envers les consommateurs ou répulsives. Ces molécules bioactives appartiennent sont de nature chimique très variée : des lipopeptides cycliques, des acides gras dont des essentiels, des alcaloïdes (toxiques !), …

La gangue gélatineuse est aussi une protection physique contre les herbivores Insectes et autres Invertébrés : un peu caoutchouc sur les bords ! Au passage, cette consistance leur procure incidemment une certaine tolérance au piétinement notamment sur les sentiers et chemins qu’elles fréquentent du fait justement de la présence de plages dénudées .. par le même piétinement ! Méfiez-vous d’ailleurs sur les chemins en pente : une colonie de nostoc hydratée devient une vraie savonnette !

Folkloriques

Autant dire que vu leur aspectet leur mode de vie inclassable, les Nostocs n’ont pas manqué d’intriguer nos ancêtres et de susciter moult légendes, croyances et surnoms.

Les premières mentions historiques remontent à plus de 1600 ans dans des écrits chinois : dès cette époque, des Nostocs étaient consommées sous le nom de Ge-Xian-Mi. Au Moyen-Âge, leur capacité d’apparaître après des épisodes orageux (chaleur et humidité) avait conduit à considérer qu’il s’agissait d’êtres tombés du ciel ou d’origine « suspecte » ; de même, leur apparition le matin avec la rosée tombée, a favorisé cette croyance. D’où une série de surnoms savoureux : crachats de Lune ; beurre de Sorcière (witches butter) ou beurre de Troll ; gelée des étoiles (star jelly) ; œufs de Jument (mare’s eggs) pour une espèce en forme de boule (N. pruniforme) typique des mares temporaires ;  ou, bien moins poétique, de « merdes de Coucou » !

Reste l’étymologie du mot Nostoc. En 1997, un mycologue anglais, Malcolm Potts a publié une mise au point détaillée sur le sujet dont je vous livre un résumé. Mais elle ne ferait pas l’unanimité des auteurs … comme souvent !

Donc, selon M. Potts, ce nom aurait été donné par un médecin naturaliste du 16ème siècle, connu sous son nom d’usage de Paracelse ; de son vrai nom : Aureolus Philippus Theophrastus Bombastus von Hohenheim (1493-1541) ! Apparemment, il s’agissait d’un personnage très sulfureux, féru d’alchimie et de pierre philosophale, iconoclaste, grand voyageur à travers l’Europe occidentale, mais aussi joyeux buveur avec ses étudiants et adepte du « harcèlement sexuel féminin ». Donc, ce « savant de l’époque » s’était intéressé aux Nostocs comme espèces intermédiaires entre le microcosme et le macrocosme. Pour les nommer scientifiquement, il aurait repris l’image traditionnelle : elles étaient issues de la « morve d’une planète qui aurait éternué » ; comme il maîtrisait bien et l’anglais et l’allemand, il aurait combiné les mots nostril et nasenloch qui désignent les narines dans ces deux langues pour concocter le mot nostoch devenu Nostoc ! Même si ce elle n’est pas exacte, cette histoire nous rappelle au passage que la science ne s’est pas toujours développée dans un contexte serein … notamment pour les femmes !

N.B. Cette chronique a été suscitée au départ par un échange avec une lectrice belge, A. Janssen, qui m’avait interrogé à propos de ces Nostocs. J’ajoute ici, trois des photos qu’elle a prise à l’occasion de son observation et qui complètent bien le portrait de ces êtres.

Bibliographie

Effect of Nostoc sp. on soil characteristics, plant growth and nutrient uptake. S. Obana et al. J Appl Phycol 2007

Adaptations of cyanobacterium Nostoc commune to environ- mental stress: Comparison of morphological and physiological markers between European and Antarctic populations after re- hydration Dajana Ručová et al. ; CZECH POLAR REPORTS 8 (1): 84-93, 2018

Etymology of the Genus Name Nostoc (Cyanobacteria) M. POTTS. INTERNATIONAL JOURNAL OF SYSTEMATIC BACTERIOLOGY, 1997, p. 584 Vol. 47, No. 2 0 0 2 0 – 7 7 13 / 9 7